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LANDRY, VALENTIN (il signait aussi Valentin-A et, plus rarement, Valentin Augustus), instituteur, inspecteur d’écoles et journaliste, né le 14 février 1844 à Pokemouche, Nouveau-Brunswick, fils de Joseph-Auguste Landry, marchand, et d’Olive Robichaud ; le 31 octobre 1870, il épousa à Cornwallis, Nouvelle-Écosse, Mary Lavinia Beckwith (morte en 1910), puis le 13 mars 1913, à Shédiac, Nouveau-Brunswick, la nièce de celle-ci, Mary U. Beckwith ; aucun enfant ne naquit de ces deux mariages ; décédé le 17 mai 1919 à Moncton, Nouveau-Brunswick.
Le trisaïeul de Valentin Landry, Alexis Landry*, originaire de Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, échappa à la Déportation et fut l’un des fondateurs de Caraquet, au Nouveau-Brunswick. Le jeune Valentin fréquenta l’école de Pokemouche jusqu’en 1856, année où ses parents s’installèrent à Shédiac. Il poursuivit ses études à l’école de ce village, puis il entra à la Westmorland Grammar School, où il reçut son brevet d’études commerciales en 1861, à l’âge de 17 ans. Il se rendit alors en Nouvelle-Écosse pour occuper un poste d’instituteur durant un an à l’école de Belliveaus Cove. Il partit ensuite à l’aventure quelques années, mais, en 1865, il s’inscrivit au collège Saint-Joseph de Memramcook, au Nouveau-Brunswick. Dès l’année suivante, il retourna enseigner en Nouvelle-Écosse dans une école unilingue anglaise de Weymouth. En 1867, il s’installa à Saulnierville puis, en 1868, il entra à l’école normale de Truro, où, après un an d’études, il obtint son brevet d’enseignement de première classe. C’est dans cet établissement qu’il fit la connaissance de la jeune protestante Mary Lavinia Beckwith. Après leur mariage, ils enseignèrent tous les deux à Beaver River, à Weymouth et à Plympton.
Aux élections provinciales de 1878, Landry se présenta comme candidat libéral dans le comté de Digby, mais se retira avant le scrutin pour accepter un poste à la section préparatoire à l’école normale de Fredericton créée cette année-là à la suggestion du surintendant de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, Théodore Harding Rand* (un parent de Mary Lavinia). Son travail consistait à préparer les francophones au programme régulier donné exclusivement en anglais. Landry se retrouvait donc, tout comme son successeur, Alphée Belliveau*, au cœur de toute la problématique d’un système scolaire qui visait l’anglicisation des enseignants acadiens. Nommé inspecteur d’écoles en 1879, il aurait l’occasion d’observer de près toutes les carences de ce système tant sur le plan de la formation des enseignants que sur celui des manuels scolaires. Premier Acadien au Nouveau-Brunswick à occuper un poste d’inspecteur d’écoles, Landry travailla dans les comtés de Gloucester, de Kent et une partie de Westmorland. Ses rapports annuels et ses cahiers manuscrits donnent de précieux renseignements sur les attitudes des enseignants et des élèves, et sur toute la question de la langue d’instruction dans les écoles acadiennes. En 1886, Landry quitta son poste. Les raisons de cette démission forcée ne sont pas claires, mais il semble que le nouveau surintendant, William Crocket, voyait d’un mauvais oeil les prises de position politiques et les activités parascolaires de son inspecteur.
Il n’y a aucun doute que le poste prestigieux d’inspecteur d’écoles a projeté Landry à l’avant-garde du mouvement nationaliste acadien des dernières décennies du xixe siècle. Son nom figure sur la liste des délégués acadiens à la grande réunion organisée par la Société Saint-Jean-Baptiste à Québec en juin 1880 et il participa à la commission de l’éducation au moment de la première Convention nationale des Acadiens à Memramcook en 1881 [V. François-Xavier Cormier*].
En 1885, avec Peter John Veniot* et d’autres, Landry contribua à la fondation du Courrier des provinces Maritimes à Bathurst et il en demeura administrateur jusqu’au mois d’août 1887. Après avoir perdu son travail d’inspecteur, il vendit ses actions dans ce journal et s’installa à Digby, en Nouvelle-Écosse, où, avec l’aide financière de sa femme, il acheta une presse et fonda l’hebdomadaire l’Évangéline, dont le premier numéro parut le 23 novembre 1887. Deux ans plus tard, il transféra son entreprise à Weymouth, où il était mieux connu et plus près de sa clientèle acadienne de la baie St Marys. Cette même année, il fonda avec Mary Lavinia un journal anglais, le Free Press, qui paraîtrait jusqu’en 1904.
À l’occasion de la troisième Convention nationale des Acadiens, qui eut lieu à Church Point en août 1890, Landry expliqua, avec l’éloquence qu’on lui connaissait, pourquoi il avait choisi le nom de l’héroïne de Longfellow pour son journal : « Il fallait un messager qui put se rendre souvent au soin [sein] des familles acadiennes de la Nouvelle-Écosse, leur parler avec l’idôme [l’idiome] de nos pères, et je crus que nul ne serait mieux reçu que la poëtique et historique Evangéline. » Il traita aussi de thèmes qui lui étaient chers : l’éducation, l’hygiène, l’agriculture, la langue, la religion et la presse. Ces sujets domineraient les colonnes de son journal, rejoignant tout à fait la rhétorique et l’idéologie nationalistes de l’époque. Étant donné l’allégeance politique de son fondateur, l’Évangéline défendrait ouvertement le Parti libéral.
Nullement intimidé par l’autorité, Landry établit de bonne heure sa réputation de journaliste « combatif », « impertinent » et « sarcastique ». Déjà en 1890, il avait prévenu ses lecteurs que « la mission de L’Evangéline [était] de flageller l’erreur là où elle se trouv[ait] ». La même année, le père Pierre-Marie Dagnaud le menaça de poursuite judiciaire s’il ne rétractait pas ses remarques au sujet du collège Sainte-Anne, à Church Point, mais Landry ne revint pas sur son opinion. Comme en témoigne sa volumineuse correspondance, il provoqua par sa plume acerbe la colère de nombreuses personnalités publiques. Plus d’une fois les éditoriaux de Landry firent avancer la cause acadienne, mais ce ne fut pas toujours le cas. Après avoir publié quelques lettres d’Émilie Leblanc*, dite Marichette, Landry annonçait, dans son éditorial du 18 avril 1895, sa décision de « couper les ailes » des femmes qui réclamaient le droit de s’exprimer dans son journal : « Nous sommes contre le suffrage féminin, que cela suffise pour expliquer notre attitude », déclarait-il. Toutefois, il n’imposa pas cette prise de position à sa femme, qui collaborait régulièrement aux journaux anglophones, et il continua de publier les lettres de Marichette jusqu’en 1898.
En 1905, Landry décida de transférer l’Évangéline au Nouveau-Brunswick, où se trouvaient les deux tiers de sa clientèle, soit 3 000 abonnés. Lui et sa femme s’installèrent donc à Moncton. Il n’abandonna pas pour autant ses compatriotes de la Nouvelle-Écosse : c’est en partie grâce à ses pressions, par exemple, que la Nouvelle-Écosse eut son premier sénateur acadien, Ambroise-Hilaire Comeau, en 1907.
Landry participa avec véhémence aux débats sur la domination irlandaise au sein de la hiérarchie de l’Église catholique et sur la nomination d’un évêque acadien. Ses attaques virulentes contre le clergé irlandais et les autorités religieuses lui valurent des réprimandes sévères de la part du représentant du pape, Mgr Donato Sbarretti y Tazza, dès 1909. L’année suivante, celui-ci écrivit aux membres de la Société l’Assomption [V. Rémi Benoît] de la région de Moncton et leur demanda de ne donner « ni encouragement ni aide à L’Évangéline, car cette feuille n’[était] pas animée d’un véritable esprit catholique ». Dans l’intérêt de la survie de son journal, Landry se vit obligé de céder, peut-être pour la première fois de sa vie. En juin 1910, il transféra la propriété de son journal à une compagnie dont le docteur F.-A. Richard était le président ; J.-O. Gallant devint alors le rédacteur de l’Évangéline. Landry ne fut pas pour autant réduit au silence, puisqu’il continua à jouer un rôle actif au sein de la Société nationale de l’Assomption, à laquelle il était associé depuis longtemps. De plus, il fut rapporteur de la commission de la presse à la sixième Convention nationale des Acadiens à Tignish, à l’Île-du-Prince-Édouard, en août 1913.
Valentin Landry s’éteignit à l’âge de 75 ans, mais l’Évangéline, le journal qu’il avait créé, survivrait jusqu’en 1982. Travaillant à une époque où les journalistes n’étaient pas muselés par les lois de diffamation et où le patriotisme exigeait le recours à l’hyperbole, Landry fut à la fois l’écho et le critique de ses compatriotes. Son discours public contredit parfois les réalités de sa vie personnelle, mais sa franchise publique étonnante démolit le mythe selon lequel le peuple acadien de l’époque n’osait pas tenir tête aux autorités.
Centre d’études acadiennes, univ. de Moncton, N.-B., Fonds Valentin Landry.— L’Évangéline (Digby, N.-É. ; Weymouth Bridge, N.-É. ; Moncton, N.-B.), 1887–1910 (on peut consulter un index sur microfiches pour la période de 1887 à 1955 au Centre d’études acadiennes), 14 nov. 1974 (section spéciale commémorant le 25e anniversaire de parution comme quotidien).— Le Moniteur acadien, 10 avril 1913.— Gérard Beaulieu, « les Médias en Acadie », l’Acadie des Maritimes : études thématiques des débuts à nos jours, sous la direction de Jean Daigle (Moncton, 1993), 505–542.— Laurentine Chiasson, « Valentin Landry (1844–1919), patriote de la renaissance acadienne » (mémoire de
Sally Ross, « LANDRY, VALENTIN (Valentin-A, Valentin Augustus) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/landry_valentin_14F.html.
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Auteur de l'article: | Sally Ross |
Titre de l'article: | LANDRY, VALENTIN (Valentin-A, Valentin Augustus) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |