LITTLE, PHILIP FRANCIS, avocat, homme politique, juge et fermier, né en 1824 à Charlottetown, fils de Cornelius Little et de Brigid Costin ; le 4 mai 1864, il épousa à Kingston (Dun Loaghaire, république d’Irlande) Mary Jane Holdright, et ils eurent huit fils et deux filles ; décédé le 21 octobre 1897 à Monkstown (république d’Irlande).

Les parents de Philip Francis Little, tous deux originaires d’Irlande, arrivèrent à l’Île-du-Prince-Édouard par les États-Unis. Cornelius Little, marchand et petit propriétaire de navires, se tailla une assez bonne situation financière dans l’île et milita dans le mouvement réformiste. Philip, le cadet de ses trois fils, fit ses études à Charlottetown et son stage de droit au cabinet de Charles Young, partisan bien connu de la responsabilité ministérielle. Il devint solicitor en 1843 et barrister l’année suivante.

Au lieu de pratiquer dans sa ville natale, Philip Little s’installa en 1844 à St John’s, à Terre-Neuve. Comme il n’a jamais expliqué pourquoi il avait déménagé, on en est réduit aux conjectures. On sait que sa mère était proche parente de la famille O’Mara de St John’s et que les bateaux de son père avaient livré des cargaisons à cet endroit de temps à autre. Il se peut bien que Little ait conclu que St John’s lui offrait de belles perspectives d’avenir. Aucun avocat catholique ne pratiquait alors dans cette ville à majorité catholique, et manifestement un jeune homme compétent et ambitieux y trouverait du travail. Une lettre d’introduction de Young lui permit de se présenter au plus grand homme politique réformiste de Terre-Neuve, John Kent*, après quoi il ouvrit un cabinet.

Little s’inscrivit au barreau sans difficulté, mais une disposition irrégulière du Lawyers’ Incorporation Act, qui semblait viser à renforcer le monopole de ceux qui résidaient déjà dans la colonie, l’empêchait d’exercer les fonctions, beaucoup plus lucratives, de solicitor. Kent présenta une requête en son nom à l’Assemblée, qui abrogea la disposition en question. En 1848, John, le frère aîné de Little, avocat lui aussi, le rejoignit ; ensemble, ils se constituèrent une bonne clientèle.

Philip Little ne tarda pas à se faire connaître dans les milieux catholiques de St John’s. Son succès venait sans doute de ce qu’il connaissait des personnalités comme Kent et qu’il était, chose rare, un avocat catholique. En outre, c’était un homme énergique et capable qui, en raison de ses fortes convictions politiques, constituait un allié naturel des réformistes de St John’s (en majorité des Irlando-catholiques) dont la campagne pour l’obtention d’un gouvernement responsable avait commencé. Les membres de la Benevolent Irish Society l’élurent à leur conseil d’administration en 1846 ; deux ans plus tard, les libéraux proposèrent, mais sans succès, sa candidature au poste de conseiller juridique de l’Assemblée. Qu’il ait été nommé exécuteur testamentaire de Mgr Michael Anthony Fleming*, décédé en 1850, témoigne aussi de l’estime dont on l’entourait.

Le successeur de Fleming à l’épiscopat fut John Thomas Mullock*, avec qui Little se lia d’amitié. En 1850, au cours d’une élection partielle dans St John’s, Little défendit les couleurs du parti libéral contre James Douglas*, marchand protestant à tendance réformiste. Il avait le soutien non équivoque de Mullock, et ce sont deux membres importants du parti, Kent et Robert John Parsons*, qui l’avaient mis en nomination. De toute évidence, certains catholiques appuyaient Douglas, car Little n’était pour eux qu’un jeune parvenu. La lutte fut chaude. Dans ses discours, Little promit de faire campagne pour l’instauration d’un gouvernement responsable et pour le libre-échange avec les États-Unis, orientations qui dans les cinq années suivantes allaient former la base du programme libéral. Il s’engagea aussi à favoriser l’agriculture, la construction routière et l’amélioration des établissements d’enseignement. En bon natif de l’Île-du-Prince-Édouard, il attaqua les propriétaires absentéistes de St John’s ; en bon catholique, il critiqua l’emprise des protestants sur le gouvernement de la colonie. Il remporta la victoire par 269 voix.

Little n’allait devenir le chef incontesté du parti libéral qu’en 1852, mais on voyait déjà que son heure de gloire allait bientôt sonner. Kent, qui avait participé à la fondation du parti dans les années 1830, avait accepté en 1849 les postes de président de l’Assemblée et de receveur des douanes, ce qui montre bien que selon lui il y avait plus à gagner en collaborant avec le gouvernement colonial qu’en le combattant. En outre, il s’était mis à tergiverser sur la question de la responsabilité ministérielle. Parsons, même s’il était aussi radical que Little à cet égard, ne pouvait espérer devenir chef : protestant et Terre-Neuvien d’origine, il s’était parfois montré agacé par l’influence du clergé dans le parti. Ambrose Shea*, autre aspirant possible, avait toujours fait preuve d’une grande indépendance, et de toute façon il préférait un pouvoir exercé en sous-main aux responsabilités de la direction. Il n’y avait pas d’autres candidats. De plus, le fait que le parti libéral se divisait, en gros, en deux groupes favorisa l’ascension de Little. L’un était formé par les immigrants catholiques, qui venaient ordinairement d’Irlande et vivaient en général à St John’s, jouissaient de l’appui de l’Église catholique et collaboraient avec elle ; l’autre était composé de Terre-Neuviens d’origine, qui avaient tendance à moins se laisser influencer par le clergé. Little, un Irlandais catholique de l’Île-du-Prince-Edouard, dont les états de service à titre de réformiste étaient impeccables, savait travailler avec Mgr Mullock, et était prêt à le faire. C’était donc un candidat acceptable pour la plupart des partisans libéraux, même s’il ne plaisait pas à tous. Ensemble, l’évêque irlandais et l’avocat de Charlottetown entreprirent d’insuffler une nouvelle vie à la cause libérale et de doter leur terre d’adoption d’un gouvernement responsable.

Dès le début, Little s’activa à l’Assemblée. Il défendit un projet de loi controversé sur la députation pendant la session de 1851, joua un rôle majeur dans l’adoption par l’Assemblée d’une requête à la couronne en vue de l’établissement du gouvernement responsable, et présida des comités sur les télégraphes, l’hôpital de St John’s et l’empiétement des Français sur les zones de pêche. La confirmation de son leadership survint pendant la session de 1852, soit au moment où l’Assemblée reçut du ministère des Colonies une réponse prudente, mais négative, à sa demande d’un gouvernement responsable. Little ouvrit le débat sur la dépêche, en pressant les partisans de faire de l’agitation : « la réussite est certaine », disait-il. Au cours d’une grande assemblée publique, on lut une lettre dans laquelle Mgr Mullock, en s’adressant à son « Cher M. Little », qualifiait la dépêche d’« insulte à [sa] personne et à [son] peuple » et critiquait le système existant en termes non équivoques. On n’avait plus à se demander qui était le chef et quelle était la question la plus importante. Le gouverneur John Gaspard Le Marchant* saisit sûrement l’importance de l’incident, car il dit au ministère des Colonies que Little était devenu le jouet de Mullock à l’Assemblée.

Aux élections générales de l’automne de 1852, le parti libéral, bien organisé, remporta 9 des 15 sièges de l’Assemblée. Le Parlement se trouvait dans une impasse : les conservateurs, opposés au principe de la responsabilité ministérielle, étaient majoritaires au conseil. En 1853, Little et Parsons se rendirent à Londres, avec des lettres d’introduction de Joseph Howe*, afin de défendre leur cause devant les autorités britanniques. Leur mission avait deux objectifs : recommander la concession du gouvernement responsable et faire comprendre au ministère des Colonies que, aux yeux des libéraux, les objections du gouvernement terre-neuvien à la participation de la colonie au projet de réciprocité avec les États-Unis étaient non fondées. Assez bien accueillis, les délégués avaient bon espoir, à leur retour, de voir les choses se régler. En fait, dès la fin de janvier 1854, le ministère des Colonies concluait à l’impossibilité de refuser à Terre-Neuve son gouvernement responsable. Les libéraux avaient réussi à démontrer que ce changement jouissait de vastes appuis dans la colonie, et pas seulement de la part des catholiques. En outre, ils avaient mis le gouvernement impérial sur la défensive en lui imposant de justifier pourquoi Terre-Neuve serait la seule de toutes les colonies nord-américaines à se voir refuser un gouvernement responsable.

La réponse positive du ministère des Colonies n’arriva à Terre-Neuve qu’en mars 1854. À l’Assemblée, Little avait amené les libéraux à refuser de légiférer tant que l’on ne modifierait pas la constitution. Ensuite, il affronta le conseil au sujet des dispositions d’un projet de loi qui augmenterait le nombre de sièges à l’Assemblée, préalable essentiel à l’instauration du gouvernement responsable ; cette querelle, amère, n’aboutit pas. Pendant l’été, Little repartit pour Londres, cette fois en compagnie de George Henry Emerson, afin de pouvoir se passer du projet de loi sur la députation. Le ministère des Colonies rejeta cette proposition mais donna l’ordre au gouverneur Ker Baillie* Hamilton (qui avait appuyé le conseil) de réconcilier les parties et de trouver une solution. Après maintes difficultés, on en arriva à un compromis à l’automne.

La date des élections du nouveau gouvernement responsable souleva un dernier conflit, et Little se rendit à Londres une troisième fois. S’il ne parvint pas à convaincre les fonctionnaires du ministère des Colonies, de plus en plus exaspérés, d’ordonner que les élections aient lieu au moment jugé le plus opportun par les libéraux, il persuada toutefois les autorités de muter le gouverneur Baillie Hamilton. Ce dernier fut « promu » à Antigua et remplacé par Charles Henry Darling*.

Little rentra dans la colonie à la veille des élections générales de mai 1855. En son absence, son frère John et Mgr Mullock avaient mené la campagne libérale en veillant à éliminer les rivalités entre libéraux et à rallier les électeurs méthodistes, dont le soutien était essentiel au maintien d’une majorité. Étant donné le découragement et la désorganisation des troupes conservatrices, la victoire des libéraux ne surprit personne. Little devint premier ministre et procureur général et d’autres libéraux comblèrent les postes convoités depuis si longtemps.

Dans son discours d’investiture, Little avait promis de légiférer pour intégrer Terre-Neuve au traité de réciprocité de 1854 et, dans l’ensemble, d’adopter des mesures progressistes tout en limitant les dépenses. Son gouvernement fit certainement des efforts pour atteindre ces objectifs. La colonie devint partie au traité en 1855. On réduisit les salaires des fonctionnaires et l’on réorganisa la fonction publique. Le gouvernement institua une enquête sur les causes du paupérisme et augmenta les crédits destinés à l’éducation, à la santé et à la voirie. On adopta des lois utiles sur l’insolvabilité, la responsabilité limitée et la réforme judiciaire. La colonie était relativement prospère et, du moins en apparence, les choses se déroulaient normalement.

Cependant, tout n’allait pas pour le mieux au parti libéral. Chef acceptable durant la campagne du gouvernement responsable, Little était maintenant éclipsé de plus en plus par des personnages chevronnés, tels Kent et Parsons, et il n’arrivait pas à cimenter le parti. Dès l’automne de 1856, les vieux libéraux et les Terre-Neuviens d’origine se plaignirent d’être laissés pour compte dans la distribution des faveurs, et le gouvernement fut accusé, par ses propres partisans, d’extravagance et d’arrogance. Au début de 1857, Little parvint quand même, temporairement, à réaffirmer son autorité et à unifier le parti au moment où l’Angleterre et la France se proposaient de définir, dans une convention, les droits de pêche des Français sur la côte française de Terre-Neuve. Le gouvernement éprouva quelque difficulté à répondre aux arguments de l’opposition, qui lui reprochait d’avoir complètement échoué quant à la protection des intérêts de la colonie ; cependant, la chambre appuya à l’unanimité l’attaque dirigée par Little contre l’accord qui, tous s’entendaient là-dessus, faisait beaucoup trop de concessions aux Français. Dans un débordement d’indignation patriotique, l’Assemblée condamna la convention et nomma des délégués qui iraient présenter le point de vue de Terre-Neuve aux autres colonies britanniques d’Amérique du Nord et au gouvernement impérial. Little était parmi ces délégués. Cependant, avant son départ, le gouvernement reçut une dépêche dans laquelle le ministère des Colonies concédait que le consentement de la colonie était un préalable essentiel à toute entente. C’était toute une victoire. La chasse au phoque allait bien, la pêche à la morue à peine moins, et les prix étaient bons ; le gouvernement débordait de confiance en lui-même.

Little, pour sa part, avait traversé suffisamment d’épreuves. Il ne joua qu’un rôle mineur à la session de 1858 et, à la fin, démissionna du gouvernement et de l’Assemblée en invoquant des raisons de santé, pour prendre un siège à la Cour suprême. Apparemment, il n’allait pas bien, mais rétrospectivement on voit qu’il partit au bon moment. En 1858, la pêche fut mauvaise, les prix baissèrent et une longue dépression s’abattit sur la colonie. Quant au gouvernement libéral, alors dirigé par John Kent, il entra dans une période de dissensions qui allait se terminer par sa défaite en 1861. Cependant, pour Little, l’important était surtout que, s’il n’acceptait pas une charge de juge en 1858, il devrait l’attendre longtemps. Inquiet de l’état de la magistrature, le gouverneur sir Alexander Bannerman* voulait procéder à des nominations pour remplacer deux juges âgés et malades. Espérant des réformes et de l’efficacité, il choisit Little et Bryan Robinson*, tandem équilibré, puisque l’un était un libéral catholique et l’autre, un conservateur protestant. Après quelques controverses, on accepta rapidement ces nominations.

Avant de disparaître de la scène (sauf à titre de juge), Little joua un rôle mineur dans la crise politique de 1861, qui se termina par la chute des libéraux. En 1860 à New York, avec Mgr Mullock, il fréta un navire à vapeur, au nom du gouvernement, pour le service de cabotage dont on venait d’approuver l’organisation. Comme on exigeait de lui une aide financière, Kent refusa de reconnaître le contrat ; Mullock répudia les libéraux, ce qui affaiblit beaucoup leur position. Quelques mois plus tard, avec son collègue le juge Robinson, Little contesta un projet de loi sur la monnaie qui aurait réduit leur revenu réel. Cette requête amena Kent à accuser les juges et le gouverneur de complot contre lui. Comme il refusait d’expliquer ses allégations, Bannerman procéda à la dissolution du ministère. Les élections suivantes, en mai 1861, donnèrent lieu à des manifestations de violence dans plusieurs districts, qui culminèrent en une émeute à St John’s. Little, de l’avis de tous, fit de son mieux pour la réprimer.

Peu après son mariage, en 1864, avec Mary Jane Holdright, qui venait d’une riche famille anglo-irlandaise, Little commença, semble-t-il, à étudier la possibilité de se fixer en Irlande. Absent plusieurs mois en 1867, il fut remplacé au tribunal l’année suivante. Il passa le reste de ses jours en Irlande, près des fermes qui appartenaient à des parents, à gérer les propriétés de sa belle-famille et celles qu’il avait acquises lui-même. Bien connu comme avocat, il milita pour l’autonomie politique de l’Irlande. À St John’s, son frère benjamin, Joseph Ignatius*, qui était arrivé à Terre-Neuve vers 1851, reprit le cabinet d’avocat familial et devint, comme lui, chef du parti libéral et juge à la Cour suprême.

La carrière politique de Philip Francis Little fut brève (huit ans à peine) mais importante : avec le concours indispensable de Mullock, il parvint à unifier et à galvaniser le parti libéral sous la bannière du gouvernement responsable. Une fois la bataille terminée, il se révéla incapable, à cause de sa jeunesse et de son inexpérience, de conserver son ascendant. Toutefois, il avait fait sa part, et c’est apparemment de bon gré qu’il se retira dans une obscurité prospère et confortable.

James K. Hiller

National Library of Ireland (Dublin), P. F. Little papers (mfm aux PANL).— P.E.I. Museum, File information concerning P. F. Little.— PRO, CO 194/133–178.— T.-N., House of Assembly, Journal, 24 mars 1846, 14 déc. 1848, 1850–1858.— Colonial Herald, and Prince Edward Island Advertiser (Charlottetown), 16 mai 1838.— Daily News (St John’s), 26 oct. 1897.— Examiner (Charlottetown), 6 juin 1864.— Morning Courier (St John’s), 16 nov. 1850.— Newfoundlander, 26 mars 1846, 12 févr. 1852, 26 avril 1855, 12 juill. 1858.— Patriot and Terra-Nova Herald, 14 sept. 1850.— Prince Edward Island Register (Charlottetown), 25 sept., 18 déc. 1824, 22 avril 1825.— Royal Gazette (Charlottetown), 12 avril 1836.— J. P. Greene, « The influence of religion in the politics of Newfoundland, 1850–1861 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., St John’s, 1970).— Gunn, Political hist. of Nfld.— E. A. Wells, « The struggle for responsible government in Newfoundland, 1846–1855 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., 1966).— E. C. Moulton, « Constitutional crisis and civil strife in Newfoundland, February to November 1861 », CHR, 48 (1967) : 251–272.

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James K. Hiller, « LITTLE, PHILIP FRANCIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/little_philip_francis_12F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
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