DUCHESNEAU DE LA DOUSSINIÈRE ET D’AMBAULT, JACQUES, intendant de la Nouvelle-France (1675–1682), chevalier, conseiller de Sa Majesté, trésorier de France, commissaire de la généralité de Tours vers 1664 et général des finances du roi en Touraine, né de Guillaume Chesneau, chevalier, seigneur, échanson du roi, et d’Anne de Lalande, décédé à Ambrant, près d’Issoudun (Berry) en 1696.

Ses titres d’écuyer et de chevalier remonteraient à l’an 1511, à son trisaïeul. Ses ancêtres étaient seigneurs de Breux, de Montargis et de La Doussinière, et son grand-père paternel était chambellan de Charles VII. Jacques Duchesneau était issu de cadet et seul de son nom. Il avait des protecteurs puissants à la cour ; il y était même très estimé de Colbert et du roi qui, en le nommant au poste d’intendant, souligna la sage conduite que son dévoué sujet avait tenue dans la charge de trésorier de France à Tours et dans les diverses commissions qui lui avaient été données. Sa Majesté avait aussi remarqué le zèle et la fidélité qu’il avait témoignés pour son service.

Duchesneau arriva à Québec au mois d’août 1675, porteur de l’édit du 5 juin précédent qui réorganisait le Conseil souverain. Il était pourvu d’un traitement de 12 000# par an et de 3 000 pour frais de voyages. La colonie avait été privée d’intendant depuis le départ de Jean Talon en 1672. Dans cet intervalle de trois années, c’est M. de Buade de Frontenac qui avait rempli la double fonction de gouverneur et d’administrateur. C’est peut-être à la suite de la querelle de Frontenac avec MM. de Fénelon [V. Salignac], sulpicien, et Perrot, gouverneur de Montréal, que le roi avait décidé de remplir la vacance d’intendant. Quoi qu’il en soit, Frontenac ne devait pas se réjouir de l’arrivée de ce haut fonctionnaire avec qui il allait être forcé de partager le pouvoir. Le 23 septembre eut lieu une séance du Conseil souverain. Selon les instructions qu’il avait reçues, l’intendant présida la réunion. Frontenac se crut lésé dans ses prérogatives et ordonna à Duchesneau de l’appeler par son titre de « chef et président du Conseil ». L’intendant refusa. Ce fut le début de sept années de querelles néfastes au progrès de la Nouvelle-France. Une correspondance volumineuse, échangée entre la métropole et la colonie, nous renseigne amplement à ce sujet. Les instructions du ministre sont aussi claires que la politique de Versailles. En thèse générale, le gouverneur représente le roi dans la colonie. Il est chef et, en quelque sorte, président honoraire du conseil. Par contre, l’intendant qui, par ordre de préséance, y occupe le troisième rang, après le gouverneur et l’évêque, en est le président effectif ; selon la déclaration du 5 juin 1675, l’intendant « demande les avis, recueille les voix et prononce les Arrets ».

Le gouverneur, qui prenait de très haut sa fonction de vice-roi, qui occupait la première place au conseil et qui avait mené, depuis trois ans, toutes les affaires de la colonie à sa guise, allait-il se contenter d’émettre un avis comme tout le monde et d’enregistrer son vote ? Duchesneau, selon Thomas Chapais, était «un homme attaché à ses droits et à ses prérogatives, et il était doué d’une grande énergie et d’une rare ténacité de caractère [...] tracassier, opiniâtre, minutieux et provoquant sous une forme correcte et apparemment modérée. Frontenac était orgueilleux, irascible, impérieux et vindicatif. Évidemment, un de ces deux hommes était de trop à Québec ». Dès lors, chacun s’employa avec ardeur à ruiner son adversaire à la cour : Frontenac par les charmes de sa femme, Duchesneau grâce aux alliances de sa famille avec les Voyer d’Argenson et Robert de La Lande, sous-gouverneur de Louis XIV. Cette querelle de titres alla s’envenimant jusqu’à ce qu’elle atteigne son paroxysme au début de l’année 1679. Devant la résistance opposée à ses prétentions, Frontenac s’emporta jusqu’à consigner à leurs demeures le procureur général Denis-Joseph Ruette d’Auteuil et deux autres membres du conseil favorables à Duchesneau : MM. Louis Rouer de Villeray et Charles Legardeur de Tilly. L’action du conseil fut ainsi paralysée et le litige soumis à la décision du roi. En attendant, on proposa un compromis au gouverneur : il s’agirait de reprendre les délibérations du conseil et de ne donner aucun titre particulier aux contestants. Frontenac repoussa d’abord cette idée, mais, sentant bien qu’il n’aurait pas l’appui du souverain en cette matière, finit par l’accepter. Et, en effet, la réponse du roi donna raison à l’intendant : Sa Majesté gronda Frontenac sur sa conduite et lui ordonna de se contenter de son titre de gouverneur et lieutenant général de la colonie.

Cependant, la paix est loin d’être rétablie, car il existe d’autres sujets de dissension. Par exemple, cette visite que fait Duchesneau à la Prairie-de-la-Magdelaine, peu après son arrivée, en juin 1676 et que rapporte la Relation de cette année-là. L’intendant, accompagné de son fils, du gouverneur de Montréal, Perrot, et de plus de 50 notables du pays, dont le curé de Ville-Marie, se rend en grande pompe dans cette mission. Il accorde une terre d’une lieue et demie aux sauvages, tient un conseil général des Cinq-Nations iroquoises auxquelles se sont adjoints quelques représentants des Hurons et des Loups. Il donne, à cette occasion, un grand festin et distribue des présents aux Indiens. Ce déploiement de splendeur, de la part du nouvel intendant, n’est pas de nature à rassurer le représentant du roi, si jaloux de ses prérogatives.

Abstraction faite des conflits de personnalité, la cour entend bien diviser les pouvoirs pour mieux régner sur la colonie. Les juridictions, assez nettement définies en théorie, s’entremêlent et souvent s’opposent en pratique. Dire au gouverneur qu’il représente la personne du roi, lui accorder une garde d’honneur spéciale, c’est l’inviter à diriger l’État selon son bon plaisir. Il sera ensuite difficile de restreindre ses attributions. Car elles ne sont pas sans limites. Il est vrai qu’il a une autorité absolue et souveraine dans la direction militaire et dans les relations avec les tribus indiennes. Mais, même en ce domaine, il doit recourir à l’intendant pour les questions d’habillement, de nourriture, de transport et de solde. En matière de justice et de finances, c’est l’intendant qui a la haute main ; pourtant, en certains cas, le gouverneur exerce une juridiction indépendante. Pour ce qui est de la religion et de la police, les deux hauts fonctionnaires se partagent les droits et doivent souvent décider en commun. Sur bien des points, l’intendant a une autorité plus étendue que celle du gouverneur qui devient une sorte de roi d’opérette, nanti du seul droit de veto. En cas de divergences d’opinions, ils doivent soumettre l’affaire à Versailles. Mais là encore, l’intendant est souvent le plus fort, puisqu’il a d’ordinaire une longue expérience de l’administration et qu’il a des protecteurs à la cour. Cet enchevêtrement des pouvoirs et cette quasi-communauté des fonctions supposent chez ces deux hommes une bonne dose d’abnégation et un grand esprit de conciliation. Ce né sont sûrement pas les qualités dominantes de Frontenac, ni de Duchesneau.

Chez ces deux entêtés, les discussions ont abouti à des querelles souvent dramatiques. Selon Chapais, « l’administration de M. Duchesneau ne fut qu’un long conflit entre lui et le gouverneur ». Il y eut la chicane des titres ; il y en eut bien d’autres. Celle de la traite de l’eau-de-vie fut très sérieuse. Mgr de Laval*, épouvanté des ravages que causait l’alcool chez les Indiens, usa de toute son autorité pour en faire interdire le commerce. L’intendant, reconnu pour sa piété, se rangea à son avis. Aux yeux du clergé cependant, Duchesneau restait encore trop hésitant. « Il s’est beaucoup fait tort à luy mesme et à toutes les affaires pour la trop grande condescendance qu’il a eüe pour M. de Frontenac et plusieurs autres ». Frontenac pensait au commerce et voyait clairement que si les trafiquants français ne disposaient pas de cognac pour mener à bien leurs transactions, les sauvages iraient faire affaire avec les Anglais qui n’avaient aucun scrupule à leur fournir du rhum. À la suite de violentes discussions, on en vint à proposer un compromis que le roi accepta. Désormais il serait interdit de vendre des spiritueux aux Indiens sauf dans les établissements français. Cette décision ne donna satisfaction ni à l’une ni à l’autre des parties, et les coureurs de bois continuèrent leur trafic. D’ailleurs ces traiteurs étaient déjà une cause de brouille entre le gouverneur et l’intendant. Duchesneau accusait Frontenac de favoriser les aventuriers et de profiter lui-même de leur commerce secret. Dans une lettre à Seignelay datée du 13 novembre 1681, il se plaint de ce que « les, ordres du Roi ne sont pas exécutés [...] et que les coupables demeurent impunis ». Il cite en exemple, entre autres, la mauvaise conduite de Cavelier de La Salle et de Greysolon* Dulhut ; on continue de porter les pelleteries aux Anglais qui les achètent plus cher que les Français et qui vendent des marchandises de meilleure qualité à meilleur prix. Mais Frontenac connaît les tactiques de son adversaire : « M. Duchesneau commence toujours pour l’ordinaire par accuser les autres de ce qu’il fait ou de ce qu’il a dessein de faire ». Il protège bien Charles Aubert* de La Chesnaye, Jacques Le Ber*, Charles Le Moyne, Louis Jolliet et Jacques de Lalande qui trafiquent des pelleteries publiquement et impunément. Le gouverneur demande au ministre d’instituer une enquête pour éclaircir la question. S’il est trouvé coupable, il consent à subir la juste punition de ses fautes, En attendant, il enverra Dulhut à la cour se disculper. De son côté, le ministre essaie d’empêcher le différend de s’envenimer. À Duchesneau, le 15 mai 1678, il écrit qu’il outrepasse ses devoirs, qu’il cherche noise à Frontenac dans toutes ses actions, qu’il devra agir autrement sous peine d’être rappelé l’année d’ensuite. Le 2 juin 1680, nouvelle admonition du ministre qui prévient l’intendant qu’il sera confiné à Tours, en France, s’il ne tient pas rigoureusement compte des ordres du roi. De nouveau, le 2 mai 1681, le ministre, au nom de roi, le met en demeure de changer sous peine d’être révoqué. À Frontenac, le 30 avril 1681, le roi mande que tout ce qu’il écrit « contre le dit intendant sur le fait de son commerce et de l’intérêt qu’il prend avec les coureurs de bois paraît allégué par esprit de récrimination plutôt qu’avec aucun fondement véritable ».

Toutefois l’un et l’autre continuent d’abuser de leurs pouvoirs. Tour à tour ils font arrêter les coureurs de bois liés au parti adverse et libérer ceux de leur propre camp. On mentionne même le cas d’un membre du Conseil souverain, Mathieu Damours de Chauffours qui a obtenu, de la part de l’intendant, un permis de traite valide pour la région de Matane. Frontenac le fait arrêter et traduire devant le conseil. Duchesneau défend l’accusé et provoque une fois de plus la colère du gouverneur. Deux autres événements d’ailleurs contribuent à la détérioration de la situation. Le procureur général du conseil, Ruette d’Auteuil, à cause de son âge, doit prendre sa retraite, mais voudrait se faire remplacer par son fils François-Madeleine-Fortuné Ruette* d’Auteuil de Monceaux. On sait que le père s’était rangé du côté de l’intendant lors de la célèbre querelle des titres du gouverneur. Frontenac avait trop bonne mémoire pour avoir oublié l’affront du père. De plus, le fils n’avait pas l’âge requis pour siéger au conseil. Or Duchesneau sema le vent en proposant, malgré tout, la nomination de François d’Auteuil au poste de procureur général. Il récolta la tempête qui, une fois de plus, alla s’apaiser au pied du trône de Versailles où le jeune téméraire dut aller plaider sa cause et obtenir une dispense d’âge.

L’autre événement tient du mélodrame. Au printemps de 1681, des gens de Frontenac, se promenant dans les rues de Québec, aperçoivent de loin le fils de l’intendant, âgé de 16 ou 17 ans ; accompagné de son domestique, il est assis « sur la palissade qui regarde le chemin de la basse à la haute ville, [...] chantant pour se divertir un air sans paroles ». Les deux partis s’interpellent. Des gros mots, on en vient aux insultes. Frontenac, à qui l’on rapporte l’altercation, s’estime injurié et ordonne l’arrestation du jeune Duchesneau et de son domestique. L’intendant prévient les coups, barricade sa maison et se met en état de défense. L’ordre d’arrestation n’est pas exécuté. Mais des pourparlers s’engagent entre Duchesneau et Frontenac par l’intermédiaire de l’évêque, Mgr de Laval. Celui-ci se promène entre la maison de l’intendant et le château du gouverneur. Frontenac exige que ses insulteurs viennent lui présenter des excuses. Duchesneau, qui craint la vindicte de son ennemi, demande des garanties. Et l’évêque d’aller chez l’un chercher des assurances et chez l’autre calmer les appréhensions. Duchesneau finit par risquer l’entreprise et envoie son fils et, son domestique chez le gouverneur. Comme à son habitude, Frontenac s’emporte. Le domestique attrape quelques coups de canne et, avec son jeune maître, va expier en prison son manque de respect à l’égard du représentant du roi. La leçon dure un mois.

Duchesneau est loin d’être content. De son côté, donnant libre cours à son mécontentement, Frontenac a écrit au ministre, le 2 septembre de cette même année 1681, que chacun a droit de se plaindre des torts dont il peut être victime, mais que le faire juridiquement dans les procès-verbaux du Conseil souverain, « c’est informer publiquement contre un gouverneur, et vouloir le soumettre à leur [les membres du conseil] juridiction ». Il attribue à Duchesneau les désordres qu’il y a dans le conseil, s’en prend au « peu d’ordre ou il veut que soient les régistres », au « changement qu’il fait souvent dans les arrêts après qu’ils sont donnés ». À preuve les cinq ou six procès dont il fait tenir copie au ministre. Mais surtout il résiste à ses ordres et veut monter une rébellion contre lui. De son côté, Duchesneau fait part de ses doléances à Seignelay le 13 novembre de la même année. Le ministre aura de quoi s’instruire en lisant ces six longs mémoires de l’intendant. Il y apprendra, ce qu’il savait sans doute déjà, que tout ne va pas très bien dans la colonie, « que les ordres du Roi ne sont pas éxécutés, que la justice est opprimée, que les officiers sont persécutés et que les coupables demeurent impunis ». De plus, les coureurs de bois causent toutes sortes de désordres et détruisent le commerce des Français en allant porter leurs fourrures aux Anglais. Le commerce en Acadie, qui pourrait être lucratif, dépérit. Un autre mémoire est consacré notamment à la mauvaise conduite de La Salle et de Dulhut, amis du gouverneur ; un troisième porte sur les agissements de Josias Boisseau, protégé de Frontenac. Et tout cela se termine par un tableau général de l’état passé, présent et à venir de la ferme du roi.

C’en est assez. Fatigué de ces doléances, voyant bien que ses remontrances sont de nul effet, Louis XIV décrète le rappel de ses trop bouillants serviteurs, qui repassent en France à l’automne de 1682.

Des sept années d’administration de Duchesneau, il reste une trentaine d’ordonnances. Il est à déplorer que son temps, ses talents et son expérience aient été gaspillés, en grande partie, à de longues et futiles querelles.

De retour en France, Duchesneau se retira à Ambrant, dans le Berry, où il se prépara dans la solitude à sa mort, qui survint en 1696.

Léopold Lamontagne

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Léopold Lamontagne, « DUCHESNEAU DE LA DOUSSINIÈRE ET D’AMBAULT, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/duchesneau_de_la_doussiniere_et_d_ambault_jacques_1F.html.

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Auteur de l'article:    Léopold Lamontagne
Titre de l'article:    DUCHESNEAU DE LA DOUSSINIÈRE ET D’AMBAULT, JACQUES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
Date de consultation:    1 décembre 2024