CHARTIER DE LOTBINIÈRE, LOUIS-THÉANDRE, procureur fiscal et lieutenant général de la Sénéchaussée de Québec, procureur général au Conseil souverain, lieutenant général de la Prévôté de Québec, né à Paris vers 1612, décédé en France après 1680. Il était fils de René-Pierre Chartier, conseiller au Parlement, médecin ordinaire du roi et professeur royal, et de Françoise Bourcier.
Le premier ancêtre connu, Philippe Chartier, fils de Joseph et de Marguerite Amelotte, naquit à Dijon en 1345. Les Chartier furent anoblis au début du xve siècle en la personne d’Alain (1382–1455), receveur général des comptes et secrétaire d’État sous Charles VI. À la quatrième génération, représentée par Clément (né en 1456), ils prirent le surnom de Lotbinière. Alliée aux Châteaubriand, aux La Rochefoucault et aux Polignac, la famille Chartier est, de toutes les familles qui firent souche en Nouvelle-France, celle dont la lignée était la plus ancienne.
On sait peu de choses de la carrière pré-canadienne de Louis-Théandre Chartier de Lotbinière. Prieur de Saint-Étienne de Monays dans sa jeunesse, il céda bientôt ce bénéfice à son frère René. (Décédé en France le 19 octobre 1655, ce dernier avait fait un séjour au Canada, de 1643 à 1647, en qualité de chapelain des Ursulines de Québec.) En 1641, Louis-Théandre épousait à Paris Élisabeth Damours, sœur de Mathieu Damours de Chauffours et parente de Jean de Lauson, futur gouverneur de la Nouvelle-France. Il en eut deux enfants : René-Louis* – que plusieurs historiens ont confondu avec son père – et Marie-Françoise.
Ce fut peut-être à la sollicitation de M. de Lauson – avec qui ils firent probablement le voyage, en compagnie de Mathieu Damours – que Chartier et sa famille passèrent en Nouvelle-France. Ils seraient débarqués à Québec le 13 octobre 1651.
On a dit de Chartier de Lotbinière qu’il est le « père de la magistrature canadienne ». Un peu exagérée comme toutes les formules de ce genre, celle-là n’est pas entièrement fausse : la carrière judiciaire de M. de Lotbinière fut à certains égards remarquable. À son arrivée, la colonie ne possédait pas encore de tribunal régulier. Les gouverneurs avaient accoutumé de rendre eux-mêmes la justice en s’adjoignant à l’occasion quelques conseillers. L’un des premiers gestes de M. de Lauson, en automne 1651, fut d’établir à Québec une sénéchaussée. Chartier y fut nommé procureur fiscal. En 1656, il fut promu lieutenant général civil et criminel du même tribunal. Il tint cette fonction jusqu’à l’automne de 1663, quand la Sénéchaussée fut abolie à la suite de la création du Conseil souverain.
M. de Lotbinière fut bientôt appelé à jouer un rôle au nouveau conseil. Au début de l’année 1664, en même temps que les conseillers Ruette d’Auteuil et Rouer de Villeray, M. de Saffray de Mézy avait arbitrairement destitué le procureur général Jean Bourdon. Le 10 mars, il nomma Chartier substitut du procureur général ; malgré l’opposition de Mgr de Laval*, le conseil confirma cette nomination. Mais, Bourdon ayant été réinstallé peu après, M. de Lotbinière démissionna le 16 avril suivant. Momentanément apaisée, la colère du gouverneur se réveilla en septembre : le 19, il expulsait d’Auteuil, Villeray, Jean Juchereau de La Ferté et Bourdon ; le 24, en l’absence de l’évêque, il nommait Chartier de Lotbinière procureur général. Chartier occupa ce poste jusqu’au 6 décembre 1666, jour où M. de Prouville de Tracy rendit à Bourdon ses anciennes fonctions.
En automne 1666, du reste, Chartier se préparait à présider un autre tribunal. La Compagnie des Indes occidentales, formée en 1664, avait été autorisée à « établir des juges et officiers partout où besoin sera et où elle trouvera à propos ». Usant de ce privilège, elle créa à Québec une prévôté et, le 1er mai 1666, y donna à Chartier la charge de lieutenant général civil et criminel. Cette cour devait « cognoistre en première instance de toutes matières tant civiles, criminelles, que de police, commerce et navigation » ; les appels ressortissaient au Conseil souverain. Installé en son office le 10 janvier 1667, Chartier rendit ses arrêts jusqu’à sa démission en faveur de son fils, le 25 octobre 1677. Aboli officiellement de 1674 à 1677, le tribunal n’avait cependant pas cessé de siéger ; le 13 mai 1675, au moment où la Prévôté n’avait théoriquement aucune existence, Louis XIV avait confirmé Chartier dans ses fonctions !
Si l’on en croit plusieurs historiens, Chartier aurait été membre de la Communauté des Habitants. Nous n’en avons trouvé aucune preuve documentaire. Il semble que l’on ait mal interprété sa présence au nombre des « dix sept particuliers habitans » qui, le 4 octobre 1663, se virent enlever l’administration de la traite de Tadoussac que Pierre Dubois Davaugour leur avait précédemment affermée. Cette société n’avait rien à voir avec la Communauté.
Peu après la mort de son père, en 1654, Chartier avait intenté un procès à Marie Lenoir, la seconde épouse de René-Pierre Chartier. Cette affaire de succession, qui l’avait obligé de faire un premier voyage en France en 1659, requérait de nouveau sa présence à Paris en 1677. Or, le 13 novembre 1680, l’intendant Duchesneau écrivait au ministre que la fille de Chartier, veuve de Joybert de Soulanges et de Marson, « a perdu mille livres qui lui furent accordées l’année dernière, et partie des 600 livres de la présente que son père le sieur Chartier, auquel elle avait donné sa procuration, a consommées par ses débauches et il est demeuré à Paris. »
Cette révélation sur la conduite du « cydevant » lieutenant général de la Prévôté est une des rares indications sur son caractère. Parent de M. de Lauson, Chartier de Lotbinière occupa, dès son arrivée en Nouvelle-France, des fonctions importantes. Néanmoins, on fait peu mention de lui en dehors des documents judiciaires ; en outre, il ne semble pas avoir, autant que les autres colons de sa condition sociale, joui de l’estime des Jésuites : le Journal le nomme peu souvent, et jamais en relation avec les festivités religieuses auxquelles participaient activement les représentants de la meilleure société québécoise. Que M. de Lotbinière n’ait pas été du parti des Jésuites et – plus tard – de Mgr de Laval, cela devient évident lorsque, en 1664, il se range du côté de M. de Mézy et accepte, malgré l’opposition de l’évêque, le poste de procureur général au Conseil souverain. Le clergé ne paraît pas avoir prisé, non plus, le bal donné par Chartier le 4 février 1667 – le « 1er bal du Canada », selon le Journal des Jésuites.
Des soupçons plus graves pesèrent-ils sur Chartier dans l’affaire la Corruble ? Ange Bouge, dite la Corruble, avait été arrêtée, par ordre du conseil, et incarcérée pour conduite scandaleuse en compagnie de jeunes gens. Le lendemain, 18 juillet 1676, à la demande de Chartier, le geôlier Genaple* relâcha la prisonnière. Prié de s’expliquer devant le conseil, le lieutenant général refusa de donner ses raisons et se montra de surcroît cassant et peu respectueux. Le 23 juillet, sommé de comparaître de nouveau, Chartier soutint qu’il avait seul le droit de décider des emprisonnements. Se retranchant dans une attitude hautaine, il refusa de justifier davantage son geste. Le 3 août, le conseil le suspendit de ses fonctions, qu’il réintégra toutefois avant la fin du mois.
Cet officier de justice – dont la carrière s’étendit sur près d’une trentaine d’années, mais que Talon jugeait « peu propre à çe mestier » – décéda en France après 1680. Selon M. de Léry Macdonald, il serait mort en 1688.
APQ, Ins. Cons. souv., I : 62.— Correspondance de Talon, RAPQ, 1930–31 : 103, 109s.— Édits ord., I : 46 ; III : 87.— JJ (Laverdière et Casgrain), 233, 250, 267, 353. – JR (Thwaites).— Jug. et délib., I, II : passim. – Lettres de noblesse (P.-G. Roy), II : 127–133 ; Papier terrier de la Cie des I.O. (P.-G. Roy).— P.-G. Roy, Inv. concessions, I : 202s., 224, 271 ; II : 22 ; Inv. ins. Cons. souv., 9, 19, 29, 33, 39. – Daniel, Hist. des grandes familles françaises du Canada. – J.-B. Garreau, La Prévôté du Québec, RAPQ, 1943–44 : 61–63.— Le Jeune, Dictionnaire, II : 171s.— A. de Léry Macdonald, Louis-Théandre Chartier de Lotbinière, père de la magistrature canadienne, BRH, XXXIII (1927) : 198–206.— P.-G. Roy, La Ville de Québec, I : passim.
André Vachon, « CHARTIER DE LOTBINIÈRE, LOUIS-THÉANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chartier_de_lotbiniere_louis_theandre_1F.html.
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Auteur de l'article: | André Vachon |
Titre de l'article: | CHARTIER DE LOTBINIÈRE, LOUIS-THÉANDRE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |