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CLOSSE, RAPHAËL-LAMBERT, marchand, notaire seigneurial, sergent-major de la garnison de Ville-Marie, gouverneur intérimaire de Montréal, né vers 1618 à Saint-Denis de Mogues, dans les Ardennes, fils de Jean Closse et de Cécile Delafosse ; il épousa Elisabeth Moyen en 1657 ; tué à Montréal le 6 février 1662.
Nous ignorons ce que fut la jeunesse de Lambert Closse, tout comme les détails concernant sa famille. Il a certainement reçu une bonne instruction, peut-être chez les Jésuites, si nous nous souvenons de l’affection que lui portèrent les missionnaires du Canada. Ils lui écrivaient en toute confiance, à l’occasion. Nous pouvons croire de même que sa carrière militaire débuta assez tôt. Elle le munit d’une science solide et de beaucoup d’expérience dans le métier. L’autorité que lui concéda M. de Chomedey de Maisonneuve sur les soldats de la garnison du fort et son titre de sergent-major, qu’il conserva de 1648 à sa mort, expliquent un peu les louanges que Dollier* de Casson fait constamment de sa vaillance.
Il est difficile de fixer avec précision la date de l’arrivée de Closse dans la colonie. M. Massicotte signale sa présence à Ville-Marie en 1648, en s’appuyant sur la pièce notariale qu’il signait le 2 mai à l’étude de Jean de Saint-Père. Il (lut arriver un an plus tôt avec la recrue que M. de Maisonneuve avait emmenée de France. Du reste, M. Massicotte ne mentionne aucun nouveau colon en cette année 1648. Un texte de soeur Marie Morin* ne peut que laisser l’historien perplexe : « Monsieur de Chomedey, qui ne cherchait qu’à glorifier Dieu et travailler à sa propre sanctification et à celle des personnes qui Dieu luy avoit [uni] dans son oeuvre s’appliqua à establir plusieurs petites pratiques de vertu et de dévotion, simples et humbles à quoy il fesoit tout aboutir ; il composa une fraternité de cinq frères et de cinq sœurs, il se mit le premier des frères avec Monsieur Lambert Closse, Monsieur Lucau, Monsieur Minime Barbier, Monsieur Prudhomme ; les sœurs estois Madame d’Alleboust, Madame de La Peltrie, Mademoiselle Mance, Mademoiselle de Boulogne, Mademoiselle [Charlotte Barré] que j’ay dit servir Madame de La Peltrie ; ils ne s’appelois que frères et sœurs, s’étudiois à se déférer en tout, à servir tous les autres, quand ils auroient besoin d’eux, à les consoler, à servir les malades, & ; ils firent quantité de neuvaines et pélerinages à la montagne, à pied, et dans le risque de leur vie à cause des Iroquois ».
La présence à Ville-Marie de certains des colons ci-haut mentionnés nous livre la date de ces piuses excursions. Mme d’Ailleboust [Boullongne] et sa sœur n’arrivèrent à Ville-Marie qu’en septembre 1643 ; Mme de La Peltrie [Chauvigny] et sa suivante, Charlotte Barré, étaient déjà de retour à Québec en été 1644. Donc, de septembre 1643 à mai 1644, sur les dix personnages désignés par sœur Morin, huit habitaient Ville-Marie, sans contestation possible. Restent Lambert Closse et Louis Prud’homme, dont il faut prouver la présence à Montréal à la date de 1643. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il se pourrait qu’ils aient fait partie de la recrue de 40 colons conduite cette année-là au Canada par Louis d’Ailleboust.
M. Massicotte décline ainsi les titres et qualités de Lambert Closse : sergent-major, marchand, notaire. Si ce militaire de carrière fit du commerce, quelle en fut la nature ? Un seul document jette un peu de lumière sur la question : l’inventaire des biens meubles et immeubles de Lambert Closse, dressé en 1662 par le notaire Bénigne Basset, indique que le sergent-major de Ville-Marie faisait la traite avec les sauvages, comme tous ses contemporains. P.-G. Roy fournit à ce sujet l’explication suivante : « Quelques-uns peu au fait des mœurs et des coutumes du temps où vivait Closse ont été presque scandalisés à la lecture de ce document. Comment, disaient ces scrupuleux, un héros comme Lambert Closse pouvait-il faire la traite ? Eh bien ! oui, Closse faisait la traite comme tous ses contemporains. Les officiels, les communautés religieuses même faisaient la traite à cette époque. Ce système faux, avouons-le, le roi le permettait et l’encourageait. Il donnait des salaires de famine à ses officiers, à ses juges, à tous ceux qu’il employait et ceux-ci, pour ne pas crever de faim étaient obligés de faire la traite. Les uns la faisaient avec discrétion, avec honnêteté, les autres se servaient de tous les moyens pour augmenter leur pécule. [...] L’inventaire de Closse [...] nous donne la liste à peu près complète de tous les objets qui servaient à la traite ».
Jean de Saint-Père et Lambert Closse, les deux premiers tabellions de Montréal, devaient être, d’après M. Massicotte, du même âge. Ils exercèrent leur profession, en tout cas, de façon alternative. Le premier acte de l’étude de Jean de Saint-Père est daté du 4 janvier 1648, et celui du greffe de Lambert Closse l’est du 6 juillet 1651. L’étude de Closse se compose, de 1651 à 1656, de 30 actes, dont 16 sont de l’écriture de M. de Maisonneuve, 6 d’un scribe inconnu et les autres de M. Closse. M. Massicotte remarque : « Le manuscrit de M. Closse ressemble passablement à celui de M. de Saint Père, il en diffère par quelques fautes d’orthographe spéciales à notre militaire, et par l’écriture qui est plus légère et plus déliée. »
Nul ne peut contester à Lambert Closse le titre de sauveur de Montréal durant les années où la terreur iroquoise paralysa tout progrès et décima la population. En 1651, « il n’y reste en tout qu’environ cinquante François », disent les Relations. Dans des circonstances aussi tragiques, Lambert Closse s’est montré un chef d’une trempe héroïque, d’une volonté sans défaillance, dont les plus grands périls exaltaient les qualités au lieu de les affaiblir, et qui savait maintenir les soldats dans une atmosphère de vaillance rendant la moindre action efficace.
Les écrits du temps ont été unanimes dans la louange, la gratitude, l’admiration. Des narrations longues et circonstanciées le prouvent ; il y passe un souffle d’enthousiasme que nous percevons encore aujourd’hui. Les Jésuites, Dollier de Casson, Marie de l’Incarnation [V. Guyart], Marguerite Bourgeoys, sœur Morin, mère Juchereau* de Saint Ignace, tous ont immortalisé par leurs récits les exploits et le nom de Lambert Closse.
Des circonstances dramatiques entourèrent le mariage de Lambert Closse, qui avait 39 ans, avec Élisabeth Moyen, âgée de 16 ans. En 1655, alors qu’Élisabeth vivait chez ses parents, à l’île aux Oies, en bas de Québec, un parti d’Iroquois y surgit soudain. Son père et sa mère, Jean-Baptiste Moyen Des Granges et Élisabeth Le Bret, furent massacrés sur place ; Élisabeth et sa sœur Marie furent conduites en captivité dans un bourg des Onontagués. On ne tarda pas à apprendre cette histoire à Ville-Marie. Les Montréalistes, qui luttaient sans cesse contre des bandes iroquoises, exercèrent alors une surveillance étroite sur leurs ennemis. Ils espéraient y découvrir quelque jour les assassins de la famille Moyen ; ce qui arriva du reste, au retour de Québec de Charles Le Moyne, qui en reconnut quelques-uns. Dollier de Casson a raconté les péripéties du combat qui s’engagea aussitôt et où la ruse, la finesse de Charles Le Moyne, la clairvoyance de Maisonneuve et la bravoure de Lambert Closse et de ses soldats assurèrent la victoire. Elle fut suivie de l’échange de plusieurs capitaines iroquois détenus au fort contre tous les prisonniers français que retenaient les Onontagués. C’est ainsi qu’arrivèrent à Ville-Marie les petites Moyen, à moitié mortes de frayeur et de chagrin. Jeanne Mance les accueillit à son Hôtel-Dieu, et ses soins les rétablirent peu à peu.
À l’automne de cette même année 1655, MM. de Maisonneuve et Louis d’Ailleboust quittèrent Ville-Marie pour la France. En l’absence de M. de Maisonneuve, ce fut Lambert Closse qui commanda à Ville-Marie. Il est à présumer que ce gouverneur intérimaire fit de nombreuses visites à l’Hôtel-Dieu, car Jeanne Mance, avec son jugement et cette faculté qu’elle possédait de prévoir les difficultés et, souvent de les résoudre, était une conseillère appréciée de tous. Lambert Closse eut alors l’occasion de voir Élisabeth Moyen et de causer avec elle. Les sentiments de reconnaissance de celle-ci pour un de ses sauveurs se muèrent peu à peu en affection. Le 12 août 1657, le mariage de Lambert Closse et d’Élisabeth Moyen fut célébré par le père Claude Pijart, jésuite.
M. de Maisonneuve revint au Canada le 29 juillet 1657 en compagnie de Louis d’Ailleboust et de quatre sulpiciens. Le retour du 21 gouverneur donnait un peu plus de liberté à Lambert Closse. Il s’empressa d’installer sa jeune femme le plus confortablement possible. Il était propriétaire d’une terre de 30 arpents, qu’il avait acquise le 10 mars 1652. L’acte de vente fut passé devant Nicolas Gastineau Duplessis. Six mois après sont mariage, soit le 2 février 1658, Lambert Closse se vit concéder, par M. de Maisonneuve, à titre de fief, « 100 arpents, commençant à 10 perches de la grande rivière, sur 40 perches de large. » Ce fief partait de la rue Saint-Laurent, et c’est en l’honneur de Lambert Closse que la côte Saint-Lambert porte ce nom.
Deux enfants naquirent au foyer des Closse. L’aînée, Élisabeth, née dans les premiers jours d’octobre 1658, mourut le jour même de sa naissance ; la cadette, Jeanne-Cécile, née en 1660, eut Jeanne Mance comme marraine. Elle épousa en 1678 Jacques Bizard, major à Montréal et seigneur de l’île Major (Bizard), qui mourut en 1692. Jeanne-Cécile se remaria en 1694, avec Raymond Blaise* Des Bergères de Rigauville.
C’est le 6 février 1662 que disparut Lambert Closse, « tué par une bande d’Iroquois, lors qu’il alloit au secours de quelques François qui estoit en danger. » Ce « brave Mens. Closse, écrit Dollier de Casson, [...] mourut en brave soldat de J.C. et de notre Monarque, après avoir mille fois exposé sa vie fort généreusement, sans craindre de la perdre en de semblables occasions, ce qu’il fit bien voir à quelques-uns qui lui disoient peu avant sa mort, – « qu’il se feroit tuer vu la facilité avec laquelle il s’exposoit partout pour le service du pays » – à quoi il répondit – « Messieurs, je ne suis venu ici qu’afin d’y mourir pour Dieu en le servant dans la profession des armes, si je n’y croyois pas mourir je quitterois le pays pour aller servir contre le Turc et n’être pas privé de cette gloire. »
La Relation de 1662, pour l’édification de la postérité, fait aussi l’éloge funèbre du héros : « C’estoit un homme dont la pieté ne cedoit en rien à la vaillance, & qui avoit une presence d’esprit tout à fait rare dans la chaleur des combats [...] & a justement merité la loüange d’avoir sauvé Montréal & par son bras, & par sa reputation : de sorte qu’on a jugé à propos de tenir sa mort cachée aux ennemis, de peur qu’ils n’en tirassent de l’avantage. Nous devions cet Eloge à sa Memoire, puis que Montreal luy doit la vie. »
Nous ne connaissons aucun portrait authentique du major de Ville-Marie. Une représentation imaginaire de Lambert Closse a été faite par le sculpteur Louis-Philippe Hébert et fait partie du monument de Maisonneuve à Montréal.
AJM, Greffe de Bénigne Basset, 22 nov. 1659, 8, 20 févr. 1662, 1er, 27 févr. 1667 ; Greffe de Lambert Closse, 1651–56 ; Greffe de Jean de Saint-Père, 1648–51, 1655–57, passim,— AJTR, Greffe de Nicolas Gastineau, 10 mars 1652,— Dollier de Casson, Histoire du Montréal,— JJ (Laverdière et Casgrain),— JR (Thwaites),— Morin, Annales (Fauteux et al.),— Premier registre de l’église Notre-Dame de Montréal (Montréal, 1961),— Aristide Beaugrand-Champagne, Les Origines de Montréal, Cahiers des Dix, XIII (1948) : 57,— Faillon, Histoire de la colonie français – É.-Z. Massicotte, Les Actes des trois premiers tabellions de Montréal, 1648–57, MSRC, IX (1915), sect. i : 189–204 ; Les Colons de Montréal de 1642 à 1667, MSRC, VII (1913), sect. i : 3–65 ; et BRH, XXXIII (1927) : 238s. ; Les Premières Con cessions de terre à Montréal, sous M. de Maisonneuve, 1648–1665, MSRC, VIII (1914), sect. i : 215–229 ; L’inventaire des biens de Lambert Closse, BRH, XXV (1919) : 16–31 ; Mémento historique de Montréal, 1636–1760, MSRC, XXVII (1933), sect. i : 111–131. - P.-G. Roy, Toutes Petites Choses du régime français (2 vol., Québec, 1944), I : 69–73,— Félicité Angers [Laure Conan], L’Oublié (Montréal, 1900). [Ce roman historique, que nous qualifions à l’occasion de biographie romancée de Lambert Closse à cause de l’exactitude des faits et de la vérité du caractère des personnages, est d’une tenue classique. Les portraits, dont le dessin est très ferme, prennent vite un relief saisissant et apparentent l’œuvre à quelque fresque dont les personnages possèdent encore une vie intense. m.-c. d.]
Marie-Claire Daveluy, « CLOSSE, RAPHAËL-LAMBERT (Lambert) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/closse_raphael_lambert_1F.html.
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Auteur de l'article: | Marie-Claire Daveluy |
Titre de l'article: | CLOSSE, RAPHAËL-LAMBERT (Lambert) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |