JOHNSTON, WILLIAM, avocat, fonctionnaire et homme politique, né probablement en 1779 dans le Dumfriesshire, Écosse, fils de George Johnston ; il épousa une prénommée Sarah Elizabeth, et ils eurent trois enfants ; décédé le 18 mai 1828 dans sa propriété de St Avards, à Charlottetown Royalty, Île-du-Prince-Édouard.
De 1795 à 1798, William Johnston fit son stage de clerc à Édimbourg. Peu après, d’éminents aristocrates écossais, tels lord Selkirk [Douglas*], le comte de Westmorland et le vicomte Melville, le prirent sous leur protection. Melville, en sa qualité de garde des sceaux de Sa Majesté en Écosse, nomma Johnston avoué le 27 février 1805. Ces trois protecteurs de Johnston possédaient de vastes étendues de terre à l’Île-du-Prince-Édouard. Comme il leur était difficile d’obtenir des chiffres exacts sur la gestion de leurs biens et qu’ils s’inquiétaient probablement de rapports signalant une agitation politique dans l’île, on peut supposer que ces propriétaires incitèrent Johnston à immigrer dans la colonie au printemps de 1812.
En arrivant à l’Île-du-Prince-Édouard, Johnston s’établit à Charlottetown Royalty. L’année suivante, il s’inscrivit à la Cour suprême en qualité de barrister et prit officiellement ses fonctions comme agent local de ses protecteurs. Étant l’un des rares avocats en exercice dans l’île – ils étaient à peine six –, il eut vite fait de s’attirer d’autres mandats et d’autres causes. Mais, du même coup il ne pouvait éviter l’antipathie du seul autre avocat de talent qui résidait alors à l’île, James Bardin Palmer.
L’inimitié qui opposait Johnston et Palmer sur le plan professionnel fut aggravée par le jeu de la politique locale. Palmer était le chef des Loyal Electors, faction qui soulevait la controverse. Ayant soi-disant pour but de procurer des concessions de terre aux loyalistes, les Electors employaient surtout leur éloquence populiste à protester contre le contrôle que, selon leurs propres termes, la « cabale » ou le family compact exerçait sur les affaires de l’île. Qualifiées de niveleuses et de jacobines par leurs adversaires, les activités des Electors – surtout leur forte représentation à l’élection d’avril 1812 – excédèrent de nombreux propriétaires. Johnston arriva bien déterminé à faire opposition aux Electors (peut-être avait-il été engagé dans cette intention). Selon Palmer, « il était à l’île depuis quelques jours à peine quand il affirma par la voie des journaux que la chambre d’Assemblée, alors en séance, n’était pas une chambre mais une convention ». La chambre décida à l’unanimité de traduire Johnston en justice pour les allusions calomnieuses qu’il avait faites à propos de ses membres qu’il soupçonnait d’appuyer les jacobins. Cependant, avant que l’appareil judiciaire ne se mette en branle, les propriétaires réussirent à obtenir le rappel du lieutenant-gouverneur Joseph Frederick Wallet DesBarres qui avait pris parti pour les Electors. L’administrateur par interim William Townshend*, membre de la « cabale », ne tarda pas à relever Palmer et ses amis de toute charge publique. Heureusement pour une « cabale » décimée par la vieillesse, la maladie et la mort, Johnston apporta du sang neuf et s’avéra tout à fait capable de remplacer les victimes de cette purge. Johnston fut nommé registraire en octobre, et solliciteur général en novembre. Lorsque Townshend lui confia le poste de procureur général en janvier 1813 après le décès de Charles Stewart*, l’administrateur écrivit au comte Bathurst qu’il avait des raisons de croire que la nomination de Johnston ferait « autant plaisir aux habitants de la colonie qu’aux grands propriétaires résidant en Angleterre ». Puis, ce qui est loin d’être négligeable, lord Selkirk écrivit à Bathurst à deux reprises et fit l’éloge de Johnston dans des termes semblables.
Lorsque le nouveau lieutenant-gouverneur Charles Douglass Smith* entra en fonction à l’Île-du-Prince-Édouard en été 1813, il accepta les nominations faites par Townshend. Smith reconnut notamment qu’après la révocation de Palmer, l’île ne comptait plus aucun avocat qui pouvait « à quelque titre que ce soit » rivaliser avec Johnston. Or, ce dernier tomba très gravement malade en 1814, ce qui allait presque immédiatement priver Smith des conseils d’un homme de loi. Sa santé ne s’améliora qu’en 1816, et un des premiers gestes qu’il posa alors en tant que procureur général fut d’obtenir la radiation de Palmer de la liste des solicitors et des barristers pour faute professionnelle. Heureux d’avoir été admis au Conseil de l’Île-du-Prince-Édouard en février et se sentant renaître par l’apparente destruction d’un ennemi, Johnston était disposé à seconder Smith dans la mise en œuvre d’un programme d’escheat.
Avant l’arrivée de Smith, plusieurs tentatives avaient été faites pour rendre à la couronne les terres concédées à des propriétaires qui n’avaient pas rempli leurs engagements. Mais ce fut toujours en vain, car ces propriétaires avaient des relations influentes à Londres. Smith espérait réussir là où les autres avaient échoué et, pour y parvenir, il voulait demander l’escheat seulement dans le cas des terres dont on ne connaissait pas l’identité du propriétaire. Sa première cible fut le lot 55, et il chargea Johnston de lui fournir le meilleur avis juridique quant à la façon de procéder. S’appuyant sur la jurisprudence néo-écossaise, Johnston conseilla à Smith en décembre 1817 d’instituer une commission d’enquête dont les membres ne dépendraient en aucune façon des juges de la Cour suprême. Il proposa aussi d’ajouter au lot visé les lots 15 et 52 qui avaient été laissés à l’abandon. En février 1818, Smith avait formé une commission et le processus d’escheat semblait bien enclenché.
Si Johnston croyait être parvenu à se tailler une place bien assise dans le gouvernement de l’île, il sous-estimait la ténacité de Palmer et oubliait la puissance de ses anciens alliés, les propriétaires. Prévoyant avec raison que la mesure d’escheat prise par Smith à l’égard des terres abandonnées n’était qu’un début, les propriétaires vivant en Grande-Bretagne commencèrent à remettre en question leur appui au lieutenant-gouverneur. Se trouvant à Londres en 1817, Palmer parvint à se faire réhabiliter partiellement en exploitant leurs craintes. En fait, il réussit à dérober à Johnston la procuration pour les terres de Melville et de Westmorland. La remarque suivante, qu’il fit dans une lettre adressée à un client et datée du 22 juillet 1817, était encore plus menaçante : « J’ai un moyen joliment efficace d’atteindre Maître Johnston ; il me vient d’Écosse et vous en entendrez bientôt parler. »
Ce moyen dont disposait Palmer était la découverte que Johnston, comme beaucoup d’autres agents de propriétaires absentéistes, avait négligé de rendre compte à ses clients de la gestion de leurs biens et s’était approprié les revenus de leurs terres. Palmer détenait la preuve qu’en une circonstance, Johnston avait recouvré une créance au nom d’un client et qu’il avait empoché l’argent. Il présenta cette preuve à Smith et au conseil de l’île en février 1818. Johnston s’abstint d’abord de répondre mais, en mai, lorsqu’il se vit pressé par Smith, il contesta l’origine des allégations, et invoqua la maladie et se déroba aux pressions exercées par les charges publiques. Toutefois, ces arguments ne parvinrent pas à convaincre le conseil, et Smith fut, semble-t-il, véritablement scandalisé. Néanmoins, le lieutenant-gouverneur ne pouvait guère intervenir ; Palmer n’avait pas encore tout à fait reconquis le respect de ses pairs et personne d’autre ne pouvait assumer avec compétence la fonction de Johnston.
Inévitablement, les relations se détériorèrent entre Smith et son procureur général, d’abord sur le plan personnel, puis politique. En janvier 1818, Johnston avait été remplacé comme solliciteur général et, en septembre, sa charge de registraire lui fut enlevée. Cependant, Johnston sut tirer parti de ses déboires. Se rendant compte trop tard jusqu’à quel point l’escheat avait indisposé les propriétaires absentéistes, il insinua alors que ses démêlés avec le lieutenant-gouverneur avaient trait aux mesures à prendre et ne découlaient pas d’un scandale. Prétendant que la seule raison pour laquelle il avait appliqué l’escheat était que Smith avait menacé de le suspendre, il se joignit dans l’opposition à une « cabale » qui reprenait vie. En janvier 1819, Smith le renvoya du conseil.
Tout en se cramponnant à sa charge de procureur général, Johnston s’inquiétait du rapprochement de plus en plus marqué entre Palmer et Smith, et que facilitait la réadmission de Palmer au barreau de l’île au début de 1819. Voyant que son poste était manifestement menacé, Johnston demanda un congé de maladie afin de se rendre en Grande-Bretagne, ce que le lieutenant-gouverneur lui accorda avec empressement, si l’on en croit ce que ce dernier écrivit à Londres : « De, grâce, gardez-le une fois qu’il sera parmi vous. » À partir du moment où il s’embarqua pour l’Angleterre en novembre 1819 jusqu’à son retour en décembre 1820, Johnston s’employa à améliorer ses rapports avec les propriétaires, de façon à consolider sa position auprès des fonctionnaires britanniques et à nuire au gouvernement de Smith en répandant la rumeur qu’un mouvement plus général d’escheat se préparait.
Johnston se livra à un double jeu habile dès son retour à l’Île-du-Prince-Édouard. Smith le considérait comme l’un des deux ou trois leaders de l’opposition dans l’île ; néanmoins, Johnston évita de lui fournir une bonne raison de le destituer. Il resta donc prudemment dans l’ombre et se contenta d’agir comme stratège politique. Ainsi, quand au printemps de 1823 John Stewart organisa avec d’autres une série d’assemblées au cours desquelles les participants adoptèrent des résolutions condamnatoires à l’égard de Smith, Johnston n’assista à aucune de ces réunions et ne signa aucune des résolutions. Ce ne fut qu’à l’automne, au cours du procès de ceux qui avaient apparemment mené la campagne de blâme, que Johnston déclara ouvertement son opposition au « pouvoir arbitraire » de Smith. Se sentant alors libre de remplacer Johnston par Palmer au poste de procureur général, Smith passa rapidement à l’acte, et prévint Londres dans une lettre datée du 11 décembre que ce geste aurait « la meilleure des conséquences politiques ». Cependant, Johnston avait fait preuve d’un grand sens de l’opportunité, car l’opposition à Smith était alors devenue si générale et si bien organisée qu’avant la fin de 1824, le lieutenant-gouverneur voguait vers la Grande-Bretagne et Johnston réintégrait ses fonctions de procureur général. Il avait été nommé de nouveau à ce poste le 24 novembre 1824 par John Ready*, le successeur de Smith.
Johnston se vit acclamer comme un héros dans l’île. En 1820, il avait été élu in absentia député de Kings (il ne fut pas assermenté avant que Smith ait dissous la chambre d’Assemblée en août), et réélu dans la même circonscription aux élections générales de décembre 1824. Quand l’Assemblée se réunit en janvier 1825, il ne faisait aucun doute que Johnston et ses partisans avaient la haute main sur la chambre et, bien que John Stewart eût été choisi comme président, c’est Johnston qui dirigea la majorité. Il acquit aussi une certaine notoriété en étant membre de l’Agricultural Society, membre du conseil paroissial de l’église anglicane St Paul de Charlottetown et président des Sons of St Andrew.
En tant qu’un des leaders de la chambre d’Assemblée, Johnston fit adopter un certain nombre de réformes qui se révélèrent particulièrement bénéfiques pour les propriétaires locaux et les marchands appartenant à la bourgeoisie. C’est ainsi que des projets de loi furent votés pour appuyer et favoriser le développement des pêcheries et de l’Agricultural Society ainsi que la création d’un collège. Ayant tiré certaines leçons, Johnston prit bien soin à la même époque de ne pas s’aliéner les propriétaires absentéistes et vota contre l’instauration d’un impôt foncier auquel ces derniers s’opposaient. La mesure législative qui le rendit le plus célèbre fut son énergique intervention en faveur du contrôle des revenus de l’État par la chambre d’Assemblée, domaine sur lequel le conseil de l’île tentait d’empiéter. Toutefois, son comportement en chambre ne laissait pas paraître que ses bons côtés, et même ses amis devaient admettre que Johnston savait « très bien haïr ». Par exemple, il mena une série d’enquêtes sur les activités des habitants de l’île qui appuyaient Smith ; il s’en prit surtout à Palmer et s’assura que son vieil ennemi, élu à une élection partielle en 1827, soit expulsé de la chambre pour « [son] indignité et [son] incompétence ». Johnston mourut comme il avait vécu, au cœur d’une controverse avec Palmer qu’il poursuivit une fois de plus en justice pour faute professionnelle.
Talentueux, ambitieux et impitoyable, William Johnston fut un des principaux personnages de la scène politique à l’Île-du-Prince-Édouard pendant près de deux décennies. Aussi, sa disparition laissa-t-elle un vide qui ne se combla pas de si tôt. Bien qu’à l’occasion, il se soit montré trop calculateur, il fut un homme politique habile et l’un des rares qui ait pu se vanter d’avoir eu le dessus sur James Bardin Palmer. Mais l’histoire a laissé oublier que sa recherche du pouvoir fut par ailleurs bénéfique pour l’Île-du-Prince-Édouard, tout comme elle négligea l’époque à laquelle il exerça son activité.
PAPEI, Acc. 2367/33 ; 2849/25 ; 2849/69 ; 2849/90 ; 2849/106 ; 2849/117 ; RG 1, commission books, 1812–1823 ; RG 6, Supreme Court, barristers’ roll ; RG 16, land registry records.— PRO, CO 226/27 : 35, 138, 188 ; 226/28 : 8–9 ; 226/30 : 12–33, 116 ; 226/31 : 60, 72–77, 162 ; 226/32 : 42 ; 226/34 : 3–7, 57–77, 79, 83–85, 117–118, 158–159 ; 226/35 : 3–5, 15, 267–268, 275, 304–342, 420–421, 424, 433–436 ; 226/36 : 230–231, 233, 237–238, 244 ; 226/37 : 109–110 : 226/39 : 11, 26, 153–158, 191–196, 414 ; 226/40 : 58, 168.— St Paul’s Anglican Church (Charlottetown), Reg. of burials (mfm aux PAPEI).— Î.-P.-É., House of Assembly, Journal, 1825–1828.— Prince Edward Island Gazette (Charlottetown), 16 févr. 1818.— Prince Edward Island Register, 1er, 15 nov. 1823, 6, 27 mars, 8, 18 mai, 6, 27 nov., 18 déc. 1824, 20 janv., 5 févr., 31 mars 1825, 2 janv., 27 mars, 17, 24 avril, 8 mai 1827, 25 mars, 1er, 15–29 avril, 20 mai 1828.— Warburton, Hist. of P.E.I., 310–311, 343.— D. C. Harvey, « The Loyal Electors », SRC Mémoires, 3e sér., 24 (1930), sect. ii : 101–110.
M. Brook Taylor, « JOHNSTON, WILLIAM (mort en 1828) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/johnston_william_1828_6F.html.
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Auteur de l'article: | M. Brook Taylor |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |