TRAVIS, JEREMIAH, homme d’affaires, avocat, auteur et magistrat rémunéré, né le 21 janvier 1830 à Indiantown (Saint-Jean, Nouveau-Brunswick), fils de Barnes Travis et d’Elizabeth Stevens ; le 24 décembre 1856, il épousa à Amherst, Nouvelle-Écosse, Mary Smith, et ils eurent au moins trois fils et deux filles ; décédé le 27 avril 1911 à Calgary.

Jeremiah Travis naquit – et grandit probablement – dans un modeste faubourg de Saint-Jean. Dans les années 1850, il exploita avec John McMillan* une entreprise forestière et commerciale à Campbellton, quoiqu’il ait passé une bonne partie de son temps en Angleterre à s’occuper des affaires de la compagnie. Les deux hommes mirent fin à leur association en 1862 parce que Travis désapprouvait l’intérêt que McMillan portait à la politique. Dès 1864, Travis était de retour à Saint-Jean pour y étudier le droit.

Agé de 34 ans et soutien de famille, Travis savait qu’il devait envisager l’apprentissage du droit avec « beaucoup de sérieux ». Occupé « de 12 à 14 heures par jour », il était clerc le jour et se consacrait à ses études le soir. En 1865, il interrompit son stage afin de commencer à étudier pour l’obtention d’un diplôme de droit au Harvard College de Cambridge, au Massachusetts. Il se montra si apte à acquérir des « connaissances scientifiques » auprès d’« hommes à l’intelligence prodigieuse » – pour reprendre les termes qu’il employa pour décrire son passage à Harvard – que, en décrochant son diplôme en 1866, il reçut le plus prestigieux des prix de dissertation décernés par l’école de droit. Par la suite, son mémoire parut dans l’American Law Register.

Travis n’avait pas été le seul à aller chercher un diplôme de droit aux États-Unis. Ses études chevauchèrent celles d’au moins six autres Néo-Brunswickois et quatre Néo-Écossais. Presque tous firent carrière dans les Maritimes, mais aucun ne prêcha l’évangile de la formation universitaire en droit avec autant de zèle que lui. Dans des lettres à la presse de Saint-Jean en 1866–1867, il adressa des critiques hyperboliques à la Barristers’ Society pour ne pas avoir encore transformé les stages en un programme d’études cohérent. En 1867, il pressa l’Assemblée législative de faire du Nouveau-Brunswick le premier territoire canadien à reconnaître légalement la place d’un diplôme de droit dans la formation professionnelle. La même année, il donna une série de leçons au Commercial College de Saint-Jean ; c’était le premier cours de droit donné dans la province.

Admis au titre d’attorney en 1867, Travis fut reçu au barreau l’année suivante, de toute évidence après s’être associé à Charles Duff. En 1873, il quitta son cabinet pour diriger à Salisbury une tannerie dont il était le principal bailleur de fonds. L’entreprise allait déjà mal et, moins de trois ans après, elle fit faillite. Devenu lui-même insolvable, Travis dut retourner à Saint-Jean et reprendre sa profession. Cette fois, peut-être en raison de son irascibilité et de son égoïsme, il fit cavalier seul.

Malgré l’instabilité de tempérament qui lui nuirait à toutes les étapes de sa carrière, Travis avait de réels dons d’argumentateur, et les preuves ne manquent pas à ce sujet. En 1879, à une époque où l’on voyait souvent toute une équipe d’avocats s’occuper d’une cause importante, il agit en solitaire dans ce qui fut sans doute la plus célèbre affaire civile instruite à Saint-Jean à la fin du xixe siècle, à savoir deux causes interdépendantes, celles de Harris c. Stanley et de Sayre c. Harris. Ce procès d’une durée sans précédent – un mois – donna lieu à des prises de bec entre Travis et les avocats de la partie adverse, William Henry Tuck et Acalus Lockwood Palmer. En 1883, Travis reçut des compliments de Samuel Henry Strong*, juge à la Cour suprême du Canada, pour son plaidoyer « habile et exhaustif » dans l’affaire Chapman c. Tufts. Au moment de son accession à la magistrature, la presse le décrirait comme un talentueux avocat animé d’une « énergie intense et [d’une] surprenante vigueur, fougueux et véhément ».

Travis se montra intarissable dans sa croisade contre les jugements de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick sur la constitutionnalité de la législation en matière de tempérance. En 1879, à partir d’une interprétation littérale de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, le tribunal avait déclaré que le règlement provincial empiétait sur les compétences fédérales et que le règlement fédéral empiétait sur les compétences provinciales [V. sir John Campbell Allen*]. Au premier rang des prohibitionnistes furieux, Travis, dans des assemblées publiques, dans la presse et dans un traité constitutionnel, dénonça à la fois la position du tribunal et certains jugements de la Cour suprême du Canada et du comité judiciaire du Conseil privé. Des indices montrent que ses opinions pourraient avoir influencé John James Maclaren, qui défendit avec succès une conception élargie des pouvoirs fédéraux devant le comité judiciaire dans l’affaire Russell c. la Reine en 1882.

Paru à Saint-Jean en 1884, le Law treatise de Travis était avant tout une réponse aux Lettres sur l’interprétation de la constitution fédérale [...], ouvrage en deux volumes publié à Québec en 1883–1884 dans lequel Thomas-Jean-Jacques Loranger* se prononçait en faveur de l’autonomie provinciale. Bien que Travis ait prétendu avoir pour seul objectif de faire un exposé en science du droit, son amour-propre et sa colère contre Loranger et les tribunaux prirent le pas sur son érudition. Ce traité – « creuset de la critique », disait-il – est écrit sur un ton si agité qu’il est quasi illisible. Ses inlassables répétitions, sa composition désordonnée et ses interprétations extrêmes lui enlèvent beaucoup de valeur.

En raison de ses travaux sur la prohibition, Travis s’était fait remarquer par le champion de la tempérance au Nouveau-Brunswick, sir Samuel Leonard Tilley*, membre du cabinet fédéral. Travis s’était opposé à Tilley au sujet de la Confédération dans les années 1860, mais sa position sur la jurisprudence en matière d’alcool lui permit d’exercer des pressions sur ce dernier afin d’obtenir un poste de magistrat rémunéré, d’abord au Nouveau-Brunswick, puis au Manitoba, où il résida un temps en 1885, et enfin dans les Territoires du Nord-Ouest.

Le 30 juillet 1885, Travis fut nommé magistrat rémunéré de ces territoires par le ministre de la Justice, sir Alexander Campbell*, et affecté à Calgary. En cette période immédiatement postérieure à la constitution de cette municipalité, sa charge de travail ne serait jamais bien lourde. Les archives judiciaires révèlent que, pendant son mandat de 20 mois, il instruisit seulement 20 affaires criminelles, dont 11 étaient liées à des vols et 7 à des voies de fait. Ses sentences étaient considérées comme sévères – de 18 à 36 mois de réclusion avec travail disciplinaire pour voies de fait, vol ou recel – et sa réputation ne fut jamais bonne. Moins d’une semaine après son arrivée, il avait déclaré que Calgary était « anarchique » et prétendu que le district avait obtenu un magistrat uniquement grâce à ses propres démarches. En novembre, il condamna à six mois de prison le populaire conseiller et propriétaire de saloon Simon John Clarke pour avoir résisté à son arrestation après que la Police à cheval du Nord-Ouest se fut présentée à son établissement pour une perquisition sans mandat. Le conseil municipal blâma Travis et, à une assemblée publique, on rassembla 500 $ pour l’envoi d’une délégation de protestataires à Ottawa. Hugh St Quentin Cayley, rédacteur en chef du Calgary Herald et greffier du tribunal du district, écrivit un éditorial contre le magistrat, ce qui aggrava la situation. Travis le congédia, l’accusa d’outrage au tribunal, le condamna à l’emprisonnement et radia du barreau les solicitors qui le défendaient.

Toujours fermement opposé au commerce de l’alcool, Travis se querella aussi avec le maire George Murdoch* et avec ce que lui-même appelait la « clique du whisky », c’est-à-dire les partisans de lois « indulgentes » sur l’alcool. Au scrutin municipal de 1886, Murdoch battit à plate couture le prohibitionniste James Reilly, mais, en invoquant des irrégularités électorales, Travis déclara Reilly vainqueur. En outre, il interdit à Murdoch et aux conseillers d’occuper un poste durant deux ans et leur imposa une amende. Les protestations adressées au nouveau ministre de la Justice, sir John Sparrow David Thompson*, s’accompagnèrent de l’opinion d’un cabinet d’avocats d’Ottawa selon laquelle Travis n’était nullement habilité à modifier le résultat des élections. En conséquence, il fut mis en congé payé et, en mars 1886, le juge Thomas Wardlaw Taylor fut chargé par le gouvernement fédéral d’étudier son cas.

Après un long examen, Taylor recommanda la destitution de Travis, mais celui-ci fut plutôt suspendu. En août, il écrivit au sous-ministre George Wheelock Burbidge* que son remplaçant, le magistrat Charles-Borromée Rouleau*, était un ivrogne incompétent. La cuisante réplique de Rouleau, qui incluait une menace de poursuites en diffamation, força Travis à se rétracter. Le 18 février 1887, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’administration de la justice dans les Territoires du Nord-Ouest, le mandat de Travis arriva à échéance. Il fut mis à la retraite.

Apparemment, Travis tenta de retourner à la pratique du droit. Son nom figure sur la liste des avocats de la Law Society of the North-West Territories datée du 14 juin 1887, mais on n’a trouvé aucune preuve qu’il ait participé de quelque manière aux activités de la profession. À l’automne, la presse rapporta qu’il projetait de s’installer à Toronto et de se mettre à écrire pour un éditeur juridique de Chicago, mais là encore, semble-t-il, il n’y eut pas de suites. Comme il voyait les colons affluer et connaissait la dynamique de l’économie de Calgary, Travis avait profité de sa suspension pour commencer à acheter des propriétés. Quand il quitta la ville, à la fin de 1887, il possédait une centaine de lots.

En 1887 ou plus tard, Travis se rendit à San Francisco, où il écrivit Commentaries on the law of sales and collateral subjects. En 1892, il alla à Boston, où il fit publier ce livre et tenta peut-être d’organiser la parution d’un autre. Ses Commentaries visaient surtout à protéger les expéditeurs (surtout les chemins de fer) et les sociétés contre les représentants et intermédiaires malhonnêtes ; en fait, il était convaincu de récrire le droit de la fraude. Même si une bonne partie de sa recherche paraît solide, on est pris de doute en voyant sa perspective sélective, ses énoncés insidieux et l’assurance avec laquelle il prétendait avoir l’appui des critiques.

Travis retourna à Calgary en 1893 pour gérer ses terrains et bâtir des maisons. Dès 1903, il passait ses hivers en Suisse et ses étés à Calgary. Son activité dans la ville culmina par la mise en chantier du Travis Block au 138 de la 7e avenue Est ; c’était le plus gros édifice à bureaux de Calgary, et il était en construction au moment de son décès. Selon le Calgary Eye Opener, Travis possédait alors plusieurs immeubles commerciaux, 150 lots et 12 maisons, et il en faisait bâtir d’autres. On estima la valeur de ses biens à un peu moins de 500 000 $.

Jeremiah Travis mourut d’une crise d’apoplexie en 1911 pendant que sa femme et ses filles étaient en vacances en Californie. Il fut inhumé selon le rite luthérien au cimetière Union de Calgary. Bien que quelques journaux aient sorti les clichés d’usage sur la disparition d’un « pionnier haut en couleur », Robert Chambers Edwards*, de l’Eye Opener, se « demanda ce que cet homme retirait de la vie » puisqu’il était « occupé du matin au soir à augmenter le prix de ses loyers et à se chicaner avec l’estimateur ». « L’attaque de paralysie qui l’a emporté, ajoutait Edwards, s’est produite dans une agence immobilière où il était en train de conclure un marché. » Érudit ou entrepreneur, Travis avait toujours vécu intensément.

D. G. Bell et Louis A. Knafla

Le mémoire rédigé par Jeremiah Travis au cours de ses études de droit a été publié sous le titre « The extent to which the common law is applied in determining what constitutes a crime, and the nature and degree of punishment consequent thereupon » dans l’American Law Reg. (Philadelphie), nouv. sér., 6 (1866–1867) : 65–79, 129–146, 321–341. Pendant qu’il était à Harvard, Travis a aussi préparé des annotations pour Theophilus Parsons, Treatise on the law of partnership (Boston, 1867), et a collationné l’ouvrage de W. L. Scott et M. P. Jarnagin, A treatise upon the law of telegraphs [...] (Boston, 1868). Travis a aussi rédigé A law treatise on the constitutional powers of parliament, and of local legislatures. under the British North America Act, 1867 (Saint-Jean, N.-B., 1884) et Commentaries on the law of sales and collateral subjects (2 vol., Boston et Toronto, 1892).

Il n’y a pas de papiers Travis. On trouve des documents sur ses affaires dans les papiers Macdonald (AN, MG 26, A), dans les papiers Thompson (MG 26, D), dans les papiers Tilley (MG 27, I, D15, particulièrement Travis à Tilley, 3 août 1882), et dans les papiers Tupper (MG 26, F, et MG 27, I, D16), ainsi que dans les papiers Dewdney aux GA (M320, particulièrement VI, Travis à Dewdney, 11, 19 sept., 3 déc. 1885). Il y a une photographie qui date de la fin des années 1890 dans le fonds Randolph Bruce (GA, M151, AN2240-1).

APNB, MC 288, MS4 ; RS32, C, 12 ; RS55, 1876, New Brunswick Patent Tanning Company u George A. Schofield, assignee of Jeremiah Travis.— Legal Arch. Soc. of Alberta (Calgary), F 60 (Law Soc. of the North-West Territories fonds), vol. 1, file 1 : 3, no 53 (photocopie).— Calgary Eye-Opener, 29 juill. 1911.— Calgary Herald, 9 sept. 1885.— Calgary News Telegram, 28 avril 1911.— Calgary Tribune, 24 juin 1887.— Calgary Weekly Herald, 29 juill., 11–25 nov., 9, 30 déc. 1885.— Daily Sun (Saint-Jean), 10 oct. 1879, 21 déc. 1882, 13 mars 1883, 1er avril 1884.— Morning Freeman (Saint-Jean), 13 nov., 4, 20 déc. 1866, 8, 10, 19, 31 janv. 1867.— Morning News (Saint-Jean), 29 déc. 1856, 4 nov. 1880.— Saint John Globe, 22 févr. 1867, 27, 29 oct. 1879, 28 juill. 1885.— St. John Morning Telegraph (Saint-Jean), 28 nov. 1864, 6 janv. 1865, 20 sept., 16 nov. 1867.— Georgeen Barrass, « Western caricatures », Glenbow (Calgary), 4 (1971), no 1 : 4–7.— D. G. Bell, Legal education in New Brunswick : a history (Fredericton, 1992).— W. F. Bowker, « The stipendiary magistrates and Supreme Court justices in the Northwest Territories, 1876–1907 », dans Papers presented at the 1987 Canadian Law in History Conference held at Carleton University, Ottawa, June 8–10, 1987 (texte dactylographié, 3 vol., [Ottawa, 1987]), 3 : 79–139.— Canada, Chambre des communes, Débats, 1886 : 888s. ; Commissaire de la Police à cheval du Nord-Ouest, Report (Ottawa), 1885–1886.— Canada Gazette, 8 août 1885.— Ex parte Travis (1867), New Brunswick Reports (Saint-Jean), 12 : 30s.— Max Foran, « The « Travis affair », Alberta Hist. Rev. (Calgary), 19 (1971), no 4 : 1–7.— Harvard Univ., Law School, Quinquennial catalogue of the law school of Harvard University, 1817–1934, G. H. Holliday, édit. (Cambridge, Mass, 1935).— [J. W.] G. MacEwan, Calgary cavalcade : from fort to fortune (Edmonton, 1958).— D. M. McLeod, « Liquor control in the North-West Territories : the permit system, 1870–1891 », Sask. Hist., 16 (1963) : 81–89.— N.-B., Acts, 1867, c. 7 ; House of Assembly, Debates, 1867 : 87.— New Brunswick census of 1861 : Restigouche County (Fredericton, 1984).— J. H. Robertson, « Policing Calgary : judge Travis, Calgary’s first magistrate », Call Box (Calgary), 8 (1982), no 7 : 6–8 ; no 8 : 4s. ; no 9 : 6s. ; no 10 : 6s. (copies au Calgary Police Service Museum/Arch. et en la possession du professeur Knafla).— Sayre v. Harris (1879), New Brunswick Reports, 18 : 677–681.— Schofield v. New Brunswick Patent Tanning Company (1883), New Brunswick Reports, 22 : 599–622.— W. P. Ward, « The administration of justice in the North-West Territories, no 1870–1887 » (mémoire de m.a, Univ. of Alta, Edmonton, 1966).

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D. G. Bell et Louis A. Knafla, « TRAVIS, JEREMIAH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/travis_jeremiah_14F.html.

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Auteur de l'article:    D. G. Bell et Louis A. Knafla
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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