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RICHARD, MARCEL-FRANÇOIS, prêtre catholique et éducateur, né le 9 avril 1847 à Saint-Louis-de-Kent, Nouveau-Brunswick, fils de Pierre-Luc Richard, agriculteur, et de Marie-Tharsile Bariault ; décédé le 18 juin 1915 à Rogersville, Nouveau-Brunswick.
Après des études aux écoles publiques locales, Marcel-François Richard entre en 1861 au St Dunstan’s College de Charlottetown, seul collège classique des Maritimes jusqu’à la fondation du collège Saint-Joseph de Memramcook, au Nouveau-Brunswick, en 1864 [V. Camille Lefebvre*]. Il y obtient son diplôme d’études classiques en 1867, puis étudie la théologie au grand séminaire de Montréal. Le 31 juillet 1870, à l’âge de 23 ans, il est ordonné prêtre à Charlottetown par Mgr Peter McIntyre*, évêque de Charlottetown. Nommé vicaire dans sa paroisse natale de Saint-Louis-de-Kent en août 1870, il devient, quatre mois plus tard, curé de cette paroisse, avec la desserte de plusieurs missions environnantes. Il y demeurera jusqu’en 1885, quand Mgr James Rogers*, évêque de Chatham, l’affectera à la mission de Rogersville.
Pendant son séjour à Saint-Louis-de-Kent,. Richard se préoccupe d’éducation. En 1874, il invite les Dames de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal à s’installer dans sa paroisse, réalisant ainsi son projet d’établir un couvent pour « former des religieuses, des institutrices, et des femmes chrétiennes ». En 1881, les religieuses, avec une quarantaine d’étudiantes, s’installent dans un nouvel immeuble plus spacieux que l’abbé Richard a fait construire ; en 1899, l’établissement accueillera de 60 à 70 pensionnaires et un bon nombre d’externes. Richard ouvrira un autre couvent – une maison des Filles de Jésus – à Rogersville en 1904.
Richard est particulièrement soucieux de la formation des jeunes Acadiens. Il établit en 1874 une école bilingue pour garçons, l’académie de Saint-Louis, où l’on donne un cours préparatoire et un cours commercial. Trois ans plus tard, l’école devient le collège Saint-Louis, qui offre en plus un cours classique. Richard agit à titre de supérieur de l’établissement, tandis que l’abbé Eugène-Raymond Biron en est le directeur. Pendant les premières années, le collège accueille environ 50 élèves. Par la suite, leur nombre double et l’enseignement, dans le cours classique, se fait surtout en français. Le caractère de plus en plus francophone de l’établissement provoque de nombreuses discussions entre Richard et son évêque Mgr Rogers. Le 5 juillet 1882, dans un discours à l’occasion d’une séance publique au collège Saint-Louis, ce dernier se dit insatisfait de l’administration du collège et il annonce qu’il lui retire son soutien. L’abbé Biron, qui est selon Mgr Rogers à l’origine des difficultés, est renvoyé en France. Richard essaie de trouver un autre directeur et de maintenir son établissement, mais il n’y réussit pas. Le 19 novembre 1882, dans une lettre à Mgr Rogers, il annonce la fermeture du collège.
Cette décision ne marque toutefois pas la fin des conflits entre Richard et son évêque ; Richard entretiendra une longue correspondance avec le Saint-Siège à ce sujet, par l’entremise du cardinal préfet de la Propagande. En 1892, ce dernier informe Richard que ses plaintes vis-à-vis le comportement de son évêque à son égard ont été trouvées sans fondement ; il l’exhorte à se soumettre dans l’obéissance et le respect.
Outre l’éducation, la colonisation agricole intéresse Richard, et il y œuvre au bénéfice des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Elle constitue un thème de premier ordre dans la stratégie des nationalistes acadiens de l’époque ; elle est vue comme une protection contre l’émigration, particulièrement aux États-Unis, mais surtout comme la pierre angulaire de l’avenir collectif des Acadiens en matière économique. Pour Richard, la colonisation représente à la fois un moyen d’expansion du catholicisme, un acte d’amour vis-à-vis le pays d’adoption des Acadiens, les provinces Maritimes, et un outil de pression auprès des gouvernements provinciaux qui hésitent à accorder des terres publiques aux colons du pays.
À cette époque, les stratégies pour faire avancer la cause de la colonisation rurale étaient souvent déterminées aux congrès nationaux. À la Convention nationale des Canadiens français tenue à Québec en 1880, les délégués acadiens adoptent une proposition visant à établir dans chaque paroisse francophone des Maritimes une société de colonisation. L’année suivante, à la première Convention nationale des Acadiens, à Memramcook, une association centrale, la Société de colonisation acadienne-française, est créée. Richard est très actif dans les sociétés de Saint-Louis-de-Kent et de Rogersville, et il est président et trésorier de la société centrale de 1884 à 1890. Généralement considéré comme le fondateur de la paroisse d’Acadieville et de celle de Rogersville, il participe aussi à plusieurs projets de construction d’églises et d’écoles.
Richard est un de ceux qui jouent un rôle important dans la définition de l’idéologie nationale acadienne à la fin du xixe siècle. Les stratégies nationalistes sont définies principalement à l’occasion des Conventions nationales de Memramcook (1881), de Miscouche, à l’Île-du-Prince-Édouard (1884), et de Church Point, en Nouvelle-Écosse (1890). Le rôle de Richard dans les délibérations sur les stratégies à adopter pour assurer la « survivance acadienne », telle que la définissent les élites laïques et religieuses de l’époque, et les historiens qui les ont suivies, n’est pas mineur. Ainsi, au moment de la première Convention nationale, Richard s’engage avec François-Xavier Cormier*, Stanislas-Joseph Doucet et d’autres dans un débat assez virulent à propos du jour de la fête nationale des Acadiens. Il favorise le 15 août, fête de l’Assomption, au lieu du 24 juin, fête de saint Jean-Baptiste, généralement reconnue comme la fête des Canadiens français et que proposent Pierre-Amand Landry et Philéas-Frédéric Bourgeois, entre autres ; finalement, c’est son choix qui l’emportera. Il semble que Richard, à la différence de Landry, ne croit pas que les Acadiens doivent s’associer à l’ensemble de la communauté francophone pour assurer l’atteinte de leurs objectifs. En 1884, à la deuxième Convention nationale, il présente aux gens assemblés un drapeau qu’il a fait confectionner et qu’il propose, avec succès, comme drapeau national acadien : le tricolore français décoré d’une étoile aux couleurs papales dans la partie bleue, qui représente la dévotion à Marie. Il est aussi à l’origine du choix, en 1884, de l’Ave maris stella comme hymne national acadien.
L’action de Richard va au delà des symboles et des discours nationaux. Il participe activement aux débats nationaux qui ont cours en marge des congrès ; il fait la promotion des journaux acadiens, de la colonisation agricole, de l’éducation et, surtout, il œuvre pour la nomination d’Acadiens dans l’épiscopat maritimien. Cette dernière préoccupation l’amène à faire trois voyages à Rome pour présenter ses requêtes : auprès du pape Pie IX en 1877, et auprès du pape Pie X en 1907–1908 et en 1910. Conscient des conflits qu’engendrerait la nomination d’un Acadien comme évêque dans les diocèses déjà établis, il propose en 1900 la création d’un nouveau diocèse qui regrouperait les comtés de Westmorland et de Kent, les paroisses civiles du comté de Carleton et une portion du comté de Northumberland, avec la cathédrale et l’évêché à Moncton. Le 12 novembre 1907, Mgr Richard – il a été nommé prélat domestique par le pape en 1905 – soutient qu’au cours d’une audience avec le pape Pie X celui-ci a « approuv[é] sur le champ le projet d’un nouveau diocèse pour récompenser les Acadiens. » Dans une troisième audience, le 3 janvier 1908, le pape promet la mitre pour un Acadien.
Les propositions soumises par Mgr Richard et d’autres nationalistes acadiens pour assurer une représentation acadienne au sein de l’épiscopat maritimien et, en plus, pour créer un nouveau diocèse, avec un évêque d’origine acadienne, provoquent des réactions assez virulentes de la part de l’épiscopat catholique anglophone des Maritimes, qui craint de voir se développer un nationalisme étroit, fondé sur la langue et contraire aux intérêts de l’Église catholique. Lorsque le Saint-Siège décide en 1912 d’élever un Acadien au rang d’évêque, dans le diocèse de Saint-Jean, le choix se porte non pas sur Mgr Richard mais sur l’abbé Édouard-Alfred Le Blanc*, un Acadien qui n’est pas associé aux revendications nationalistes. La fondation d’un diocèse acadien (archidiocèse de Moncton) n’aura lieu qu’en 1936, plus de 20 ans après la mort de Mgr Richard.
Prêtre, promoteur de l’éducation et de la colonisation, Marcel-François Richard s’est taillé le rôle de défenseur des droits des Acadiens des provinces Maritimes. Entièrement dévoué à la cause de la survivance acadienne, il n’a pu s’empêcher, à l’occasion, d’imposer ses idées sur la question, donnant parfois l’image d’un homme entêté. À ses yeux, toutefois, il s’agissait tout simplement de faire avancer la cause. Généralement reconnu comme le plus grand nationaliste acadien du xixe siècle, il a été inhumé à Rogersville sous le monument de l’Assomption qu’il avait fait ériger.
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Phyllis E. LeBlanc, « RICHARD, MARCEL-FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/richard_marcel_francois_14F.html.
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Auteur de l'article: | Phyllis E. LeBlanc |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |