RODIER, CHARLES-SÉRAPHIN, marchand, avocat, philanthrope, maire de Montréal, conseiller législatif du Québec, né le 4 octobre 1797 à Montréal, fils de Jean-Baptiste Rodier, forgeron, et de Julie-Catherine Le Jeune, décédé dans sa ville natale le 4 février 1876.

Charles était le petit-fils de Pierre Rodier, originaire du Dauphiné, qui participa à la guerre de Sept Ans et se fixa au Canada après 1759. Né dans le quartier Saint-Joseph de Montréal et membre d’une famille de 16 enfants, Rodier fut baptisé du nom de Charles, auquel on ajouta plus tard celui de Séraphin. On ignore à peu près tout de son enfance ; en 1809 et en 1810, il fréquenta le collège de Montréal, dirigé par les sulpiciens, et entra dans le commerce vers 1816, ouvrant une boutique de nouveautés dans la rue Saint-Paul. Il fut le premier marchand de la ville à importer sa marchandise directement de Grande-Bretagne et de France par l’intermédiaire d’agents qu’il avait nommés à Londres et à Liverpool ; il fit des voyages réguliers outre-Atlantique dans le but d’obtenir les prix les plus bas. Il effectua environ 40 traversées entre 1819 et 1832. Il passa bientôt au commerce de gros et, au moment où, pressentant les troubles, il se retira des affaires en 1836, il avait amassé une fortune considérable.

Rodier commença alors une nouvelle carrière : il étudia le droit sous la direction d’Alexander Buchanan* et en compagnie du futur juge Samuel Cornwallis Monk*, dont il demeura l’ami pendant toute sa vie. Il fut admis au barreau en 1841, mais ne pratiqua presque jamais le droit, sauf pour défendre des amis ou des gens incapables d’assumer les frais de cour. Il se livra plutôt à diverses spéculations, généralement heureuses, puisqu’il laissa une succession évaluée à plus d’un demi-million de dollars. Sa première transaction, qui lui causa de grandes difficultés, fut l’acquisition de l’hôtel Rascoe. Rodier fut aussi un des directeurs de la Banque Jacques Cartier.

Ayant été l’un des signataires de la pétition demandant l’octroi d’une charte municipale à Montréal en 1831, il fut élu conseiller de la ville pendant que cette charte fut en vigueur, de 1833 à 1836. Bien qu’il fût le seul membre du conseil à voter en faveur d’assemblées publiques, il n’était pas, comme son cousin Édouard-Étienne Rodier*, un radical. « Mes amis, leur confia-t-il un jour, vous avez tort ; la poire n’est pas mûre. » Après l’abrogation de la première charte, Rodier fut l’un des juges de paix choisis en 1837 pour administrer la ville, et il devint leur président. En février 1839, il fut nommé membre de la commission d’enquête « concernant les pertes encourues durant la rébellion » ; en cette qualité, il eut à statuer sur environ 400 cas [V. Moore]. Rodier fit partie du conseil nommé par le gouverneur Charles Edward Poulett Thomson* pour administrer Montréal, qui avait reçu une nouvelle charte en 1840. Lors de l’élection d’un nouveau conseil en 1843, il s’éloigna de la politique municipale pendant quelques années. Il fut néanmoins commissaire du havre de 1840 à 1850 et, comme tel, chargé de consolider et de renflouer la dette en 1845. Pendant quelques années à partir de 1844, il fut l’un des commissaires responsables des enfants trouvés et des indigents malades de la région de Montréal.

En 1858, quand Henry Starnes* se retira de la mairie, Rodier brigua les suffrages contre John James Day, l’un des échevins. Day s’était aliéné le vote d’un certain nombre d’électeurs en appuyant Thomas D’Arcy McGee* aux élections provinciales de 1857–1858, et Rodier l’emporta par 3 132 voix contre 2 329 ; il fut réélu en 1859, 1860 et 1861. En 1859, il triompha aisément de Côme-Séraphin Cherrier* par 1 558 voix contre 194 ; cependant, en 1860, la forte opposition de Benjamin Holmes*, appuyé par la Montreal Gazette, réduisit sa majorité à 24 voix. En 1862, il fut défait par Jean-Louis Beaudry* qui l’emporta par 1 235 voix contre 903, à la suite d’une « lutte terne et sans éclat » et d’un vote peu important.

Comme maire, Rodier s’enorgueillit principalement d’avoir amélioré la situation financière de la ville et d’avoir contribué à la construction de nouveaux docks. C’est aussi sous son administration qu’on termina le pont Victoria (1859) [V. Hodges], qu’on instaura un système de transport public (1861) et qu’on acheva la construction du Palais de Cristal. En revanche, il y eut la grande inondation d’avril 1861, où l’eau dépassa de 24 pieds son niveau normal et où le quart de la ville fut inondé. Rodier se rendit dans une embarcation distribuer lui-même des vivres aux victimes. L’événement essentiel de son mandat fut la visite en août 1860 du prince de Galles qui séjournait au Canada. La ville fut remise à neuf et Rodier revêtit pour la circonstance une nouvelle robe, une nouvelle chaîne et une nouvelle épée, réplique exacte de celles du lord-maire de Londres. Son costume lui valut d’être surnommé « le Paon » par ses adversaires politiques. Par la suite, il renomma sa maison de la rue Saint-Antoine le « château Prince de Galles » et fit ériger une statue du prince sur une tourelle. Il reçut plus tard François d’Orléans, prince de Joinville, et le prince Alfred de Saxe-Cobourg et de Gotha, un autre fils de la reine Victoria. Le Montreal Daily Witness jugea en ces termes la carrière de Rodier : « comme maire, il maintint fermement les rênes du pouvoir et sut se faire respecter du conseil ».

Après sa défaite en 1862, il se retira de la politique jusqu’en 1867, alors qu’il fut nommé au nouveau Conseil législatif du Québec comme membre de la division de Lorimier. Il y siégea comme conservateur ; son éloquence et sa perspicacité dans le domaine de la finance lui valurent une solide réputation. Durant toute sa vie il appartint à la milice, d’abord comme enseigne puis comme quartier-maître du 2e bataillon de Montréal en 1821 ; il fut promu lieutenant en 1828, capitaine en 1831, major en 1847 et enfin lieutenant-colonel du 7e bataillon de Montréal en 1862.

Rodier se distingua également par sa générosité envers les communautés religieuses. En 1843, un an après le retour des jésuites au Canada, il leur prêta pour leur premier noviciat à Montréal une partie de sa résidence de la rue Saint-Antoine, qu’ils occupèrent jusqu’en 1851. En 1868, il céda une partie de ses immeubles aux sœurs grises pour leur orphelinat, l’asile de Bethléem, et en 1872–1873 leur fit construire un édifice plus grand, place Richmond. Il leur offrit cette propriété évaluée à $35 000 et dota l’orphelinat, auquel il laissa également de l’argent par testament. De plus, grâce à sa générosité, les sulpiciens purent venir en aide et donner des soins médicaux aux pauvres logés dans l’orphelinat ; enfin, il fit une dotation aux sœurs du Bon-Pasteur. C’est lui qui suggéra que la cathédrale Saint-Jacques fût érigée place Dominion.

Le 8 septembre 1825, à l’église Notre-Dame, Charles-Séraphin Rodier avait épousé Marie-Louise (morte le 14 avril 1879), fille de Paul Lacroix. Les Lacroix étaient une famille d’Alsaciens dont le nom véritable était Von Kreuz. Deux fils de Rodier et une fille moururent jeunes, et deux de ses filles lui survécurent. Le sénateur Charles-Séraphin Rodier* (1818–1890), industriel et personnalité en vue de Montréal, était son neveu.

Rodier, qui connut le succès dans plusieurs carrières et se rendit célèbre par la correction de sa tenue et ses manières courtoises, avait une façon d’agir originale, voire excentrique. Sa carrière longue et variée montre bien comment les hommes d’affaires conservateurs d’avant la rébellion surent s’adapter à de nouvelles circonstances et jouer un rôle important durant la période qui suivit l’avènement du gouvernement responsable : les Patriotes de 1837 l’auraient considéré comme un traître, mais à sa mort, Antoine-Aimé Dorion* tenait l’un des cordons du poêle. Il fut, selon l’auteur de sa nécrologie dans le Nouveau Monde, l’« un des citoyens les plus respectés de Montréal, où son exquise politesse et son esprit de charité l’avaient depuis longtemps élevé dans l’estime de ses concitoyens ».

Frederick H. Armstrong

AJM, Greffe de A.-C. Décary, testament de C.-S. Rodier, 22 janv. 1876.— AVM, Biographies de maires.— Montreal Daily Witness, 12 févr. 1862, 5 févr. 1876.— Montreal Gazette, 6 mars 1858, 13 janv. 1860, 24 févr., 25 févr. 1862, 5 févr. 1876.— Le Nouveau Monde (Montréal), 5 févr., 9 févr. 1876, 15 avril 1879.— L’Opinion publique (Montréal), 24 févr. 1876.— Can. parl. comp. 1875, 458s.— Turcotte, Conseil législatif de Québec, 239.— À la mémoire de l’honorable Charles-Séraphin Rodier, avocat, ex-maire de Montréal, membre du Conseil législatif de la province de Québec, lieut.-colonel du 7e bataillon, fondateur de l’asile de Bethléem (s.l., s.d.).— Atherton, Montreal, II : 208 ; III : 85s.— Histoire de la Corporation de la Cité de Montréal, depuis son origine jusqu’à nos jours [...], J.-C. Lamothe, La Violette et Massé, édit. (Montréal, 1903), 58s., 161, 200s., 204, 207, 281, 283, 286.— F. W. Terrill, A chronology of Montreal and of Canada from A.D. 1752 to A.D. 1893, including commercial statistics, historical sketches of commercial corporations and firms and advertisements [...] (Montréal, 1893), 230, 236267.— E. A. Couard, Mayor’s House, Gazette (Montréal), 25 janv. 1969.— J.-J. Lefebvre et Thérèse Cromp, Nos disparus, La Revue du Barreau de la province de Québec (Montréal), XVIII (1958) : 407409.— É.-Z. Massicotte, Deux Rodier, BRH, XLIV (1938) : 120122.

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Frederick H. Armstrong, « RODIER, CHARLES-SÉRAPHIN (1797-1876) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/rodier_charles_seraphin_1797_1876_10F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
Date de consultation:    1 décembre 2024