RÉCHER, JEAN-FÉLIX, prêtre, curé, auteur d’un journal des événements survenus à Québec de 1757 à 1760, né en 1724, probablement dans le diocèse de Rouen, France, et décédé à Québec le 16 mars 1768.

Jean-Félix Récher était prêtre lorsqu’il débarqua à Québec à l’été de 1747. Il était envoyé par le séminaire des Missions étrangères de Paris pour devenir l’un des directeurs du séminaire de Québec. Au dire de ses supérieurs, c’était un esprit solide, appliqué, attentif à tous ses devoirs. Deux ans plus tard, le 1er octobre 1749, les directeurs du séminaire de Québec le choisirent pour devenir curé de l’église paroissiale Notre-Dame de Québec, honneur insigne pour un jeune prêtre de 25 ans. Cette cure était sans titulaire depuis la mort de l’abbé Charles Plante en 1744. La nomination et la présentation d’un candidat à cette cure dépendaient du séminaire en vertu de l’union qui existait entre celui-ci et Mgr de Laval*. Jusque-là, personne n’avait mis en doute cette façon d’agir mais l’arrivée de M. Récher sur la scène allait déclencher une querelle dans laquelle seraient impliqués pour une vingtaine d’années et le curé de Québec et l’évêque et les directeurs du séminaire et les chanoines du chapitre.

Une fois la présentation faite, tout sembla aller pour le mieux : Mgr de Pontbriand [Dubreil], en sa qualité d’évêque de Québec, nomma M. Récher à la cure de Notre-Dame, ajoutant toutefois qu’il ne pouvait avoir égard à la présentation faite, « soupçonnant quelque défaut dans l’union de la cure au séminaire ». Le 4 novembre, au lendemain de la nomination, le curé prit possession solennelle de la cure, tout en protestant contre la remarque de l’évêque qui mettait en doute le droit du séminaire. Deux jours plus tard, l’abbé Récher demanda au chapitre d’être reçu chanoine honoraire, alléguant la coutume observée jusqu’alors. Cette faveur lui fut accordée mais après une certaine hésitation, qui se dissipa après qu’on eut découvert dans les archives que le curé François Dupré* s’était vu accorder le même honneur en 1687. Tout semblait rentrer dans l’ordre mais à peine un mois et demi plus tard, l’affaire allait connaître un rebondissement inattendu : le chanoine René-Jean Allenou de Lavillangevin, chargé par l’évêque et le chapitre d’examiner et de mettre en ordre les papiers des archives du chapitre, découvrit la bulle du pape Clément X datée du 1er octobre 1674 érigeant l’évêché et le chapitre de Québec. Il y était dit, entre autres, que l’église de Québec deviendrait l’église cathédrale, que le chapitre recevait les droits les plus amples sur le temporel de celle-ci et se voyait chargé de la desserte de la paroisse. Forts de ce document, les chanoines, tout contrits de leur ignorance passée, entreprirent de revendiquer leurs droits. Ils avaient compté sans l’énergique curé qui n’avait nullement l’intention de rendre les armes aussi facilement. Discussions, mémoires, procès, incidents délibérément provoqués, le curé, en bon Normand qu’il était, ne négligea rien pour faire valoir ses droits. Il avait été nommé curé de Québec sans opposition de personne et il entendait le demeurer.

L’affaire fut portée devant le Conseil supérieur qui condamna les chanoines à l’amende et aux frais en 1750 en même temps qu’il maintenait le curé en possession de sa dignité. Les chanoines, comme il se devait, recoururent au roi mais avant qu’une sentence ne soit rendue beaucoup d’eau allait couler dans le Saint-Laurent. Entre-temps, chacun resta sur ses positions et l’on assista à une série d’échanges où, c’est le moins qu’on puisse dire, la charité ne fut pas à l’ordre du jour. On prit prétexte de tout pour faire triompher la cause. Un séminariste étant décédé en 1753, le chapitre prétendit avoir droit de lui faire des funérailles parce que le jeune homme avait rendu des services aux chanoines. Le curé naturellement s’opposa à l’ingérence des chanoines, comme il le fera d’ailleurs à chaque occasion, convaincu qu’il était d’avoir raison. Ce n’est qu’après sa mort d’ailleurs que l’affaire sera réglée.

Entre-temps, la guerre s’était déclarée et les autorités civiles et ecclésiastiques eurent bien d’autres choses à faire que de mettre en doute la légitimité de l’élection du curé Récher. La guerre n’empêcha pas ce dernier d’exercer son ministère en toute quiétude. Bien avant que ne commence le siège de Québec par les Anglais à l’été de 1759, il s’était mis à rédiger un journal relatant au jour le jour les événements dont il était le témoin visuel ou par ouï-dire. Ce journal, publié pour la première fois en 1903 par Mgr Henri Têtu dans le Bulletin des recherches historiques, est un des plus précieux documents qui nous soit resté de cette période. On y trouve une foule de détails inédits, non pas tellement sur le déroulement des opérations militaires, mais sur la vie quotidienne des Québécois victimes des restrictions entraînées par les hostilités et soumis aux conséquences d’une guerre qu’on pourrait qualifier de totale. On revit, à la lecture de son manuscrit, l’angoisse et les souffrances d’une population acculée à un désastre imminent, mais qui ne veut pas s’en rendre compte. Quand commence le bombardement de la ville le 12 juillet, l’épouvante s’empare des habitants et les femmes « se mettent par pelotons pour dire des chapelets ». Puis ce sont les incendies, les morts, les désertions, les exécutions sommaires, les massacres que rapporte le curé sans commentaire. On sent de plus en plus de lassitude dans son récit à mesure que la fin du siège approche. La bataille des plaines d’Abraham est racontée, en date du 13 septembre, en trois lignes d’une sécheresse désespérante : « Les Anglais descendent un peu au-dessous du foulon à 3 hres après minuit, font M. de Vergor [Louis Du Pont* Duchambon] prisonnier, et à 10 hres 1/2 mettent notre armée en déroute. » Par la suite, le journal, qui va jusqu’à l’automne de 1760, est d’un tel laconisme qu’il perd de son intérêt.

Le curé, qui avait dû se réfugier d’abord hors des murailles, tout près, chercha ensuite asile chez le tanneur Joachim Primault, près de l’Hôpital Général. Après la chute de Québec il revint au séminaire. Mais le 8 novembre 1759, après avoir été volé et blessé par un soldat anglais, il se réfugie chez les ursulines. Il y demeure jusqu’au 24 décembre 1764, faisant les offices religieux dans la chapelle des sœurs. Il revint ensuite demeurer au séminaire.

En 1767, les marguilliers de la paroisse de Québec décidèrent de rebâtir la cathédrale. Le curé Récher, profitant de la vacance du siège épiscopal et croyant à tort que l’abbé Jean-Olivier Briand* ne reviendrait de Londres qu’avec le titre de vicaire apostolique, s’était accoutumé à tout gouverner par lui-même dans l’église paroissiale. Depuis la mort de Mgr de Pontbriand en 1760, il avait déclaré à plusieurs reprises en public ne pas souhaiter la nomination d’un évêque titulaire, qu’un évêque in partibus infidelium suffirait et qu’il entendait conserver à son église son caractère paroissial. Du vivant du curé, Briand patienta, se contentant d’offrir de financer la reconstruction d’une église cathédrale. Après la mort du curé, il entreprit des démarches auprès des marguilliers, des autorités anglaises et romaines pour en arriver à faire de l’église Notre-Dame son église cathédrale et il finira par obtenir gain de cause en 1774. Le curé apparaît dans les mémoires de l’évêque comme l’ennemi principal qui ne manque pas une occasion de contrer son supérieur. Ce dernier avait pourtant écrit un mois après le décès de M. Récher : « La mort du curé m’a beaucoup affligé. Malgré les tracasseries qu’il m’a suscitées, je l’aimais et je l’estimais. C’était un digne ouvrier. » Comme quoi, il ne faut pas trop prendre au tragique certaines querelles entre ecclésiastiques sous l’ancien régime.

Jean-Pierre Asselin

AAQ, 22 A, Copies de lettres expédiées, 10 mars 1774 ; 10 B, Registre des délibérations, 183, 191v., 196, 207v., 208, 262 ; 11 B, Correspondance, VI : 13, X : 31, 40.— Gosselin, LÉglise du Canada jusquà la conquête, III, passim.— Henri Têtu, Notices biographiques : les évêques de Québec (Québec, 1889) ; M. Jean-Félix Récher, curé de Québec, et son journal, 1757–1760, BRH, IX (1903) : 97–122, 129–147, 161–174, 289–307, 321–346, 353–373.

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Jean-Pierre Asselin, « RÉCHER, JEAN-FÉLIX », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/recher_jean_felix_3F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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