PILOTE, FRANÇOIS, prêtre catholique et éducateur, né à Saint-Antoine-de-Tilly, Bas-Canada, le 4 octobre 1811, fils d’Ambroise Pilote, cultivateur, et de Marguerite Coulombe, décédé à Saint-Augustin-de-Desmaures, Québec, le 5 avril 1886.

François Pilote fit ses études au petit séminaire de Québec de 1823 à 1832. Il y fut un élève brillant. Ordonné prêtre le 9 août 1835, il séjourna au séminaire de Nicolet où il enseigna la théologie jusqu’en 1836. Cette année-là, il devint également assistant du directeur Joseph-Onésime Leprohon*. À la fin de 1836, il entra au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, situé dans le village du même nom (maintenant La Pocatière), où il passera 34 ans, occupant tour à tour les différents postes de direction : directeur adjoint (1836–1838), directeur (1838–1847, 1851–1857), procureur (1839–1853, 1857–1860, 1863–1869), vice-supérieur (1852), supérieur (1853–1862, 1869–1870). En 1870, il est nommé curé de la paroisse Saint-Augustin, à Saint-Augustin-de-Desmaures, fonction qu’il remplira jusqu’à son décès. Sa carrière de curé semble calme par rapport aux années où il a exercé le poste d’administrateur d’une institution d’enseignement. Son nom est passé à la postérité grâce à son intérêt marqué pour la colonisation dans la région du Saguenay, mais surtout grâce aux efforts accomplis pour la diffusion de l’agronomie. Par contre, la direction du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière a absorbé le meilleur de ses énergies.

La carrière de Pilote illustre peut-être le genre de problèmes que devaient affronter les administrateurs de collèges au milieu du siècle dernier. Aux prises avec une pénurie de personnel, les hommes de sa trempe devaient cumuler les postes avant même d’avoir atteint une certaine expérience de leur milieu de travail. Dès 1839, l’abbé Pilote remplit simultanément les fonctions de directeur, de procureur et de professeur de théologie. En 1842, année où le collège s’agrandit pour offrir un cours commercial, il est chargé de surveiller les travaux de construction. En l’absence du supérieur de l’institution, Alexis Mailloux*, Pilote doit agir en son nom. Cette surcharge de travail l’oblige à faire du surmenage son lot quotidien. Autoritaire, il prend des décisions sans consultation et se fait très tôt des ennemis parmi ses subalternes. Pour mater l’opposition, il n’hésite pas à interpréter assez librement le mandat des religieux faisant partie du personnel enseignant sous sa direction. Un professeur agrégé manifeste-t-il de l’opposition, Pilote réclame de l’évêque une décision appelant au ministère paroissial l’élément dissident.

Les conflits de travail entre Pilote et ses subalternes concernent parfois les questions monétaires. Ainsi, au cours de l’année scolaire 1853–1854, un mouvement de revendications salariales prend forme au sein du personnel clérical agrégé à l’institution. Depuis au moins une dizaine d’années, la rémunération annuelle des enseignants était demeurée à £25. Or, en décembre 1854, le personnel réclame une augmentation supérieure à 30 p. cent. Ne venait-on pas d’augmenter les frais de pension des élèves ? Intransigeant, Pilote refuse d’accorder quelque augmentation que ce soit, invoquant la situation financière du collège. De son côté, l’archevêque de Québec, Mgr Pierre-Flavien Turgeon*, suggère d’accorder la parité salariale avec les enseignants du séminaire de Québec. La rémunération des prêtres éducateurs passe donc de £25 à £30 en 1855. Huit ans plus tard, l’endettement du collège oblige, en revanche, le personnel à accepter une réduction de traitement. Ceux qui accusaient Pilote de dilapider les ressources financières du collège, en achetant un domaine foncier pour la ferme modèle et l’école d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière qu’il fonda en 1859, s’en trouvaient d’autant plus justifiés dans leurs critiques. La réduction de salaire, décrétée au cours des vacances estivales de 1863, constituait le dénouement d’une situation telle que Pilote crut bon de démissionner, car le conflit avait mobilisé une partie des étudiants et alarmé le public. Mais le crédit de l’institution pouvait-il être restauré sans que celui qui en avait dirigé les destinées matérielles ne reprenne un poste de commande ? Après un « voyage de santé » en Europe, Pilote revient assumer, de 1863 à 1869, la gestion financière de l’institution à titre de procureur. Durant cette période, il multiplie les efforts pour équilibrer les recettes et les dépenses. Le recours aux emprunts s’avère particulièrement difficile. Les créanciers deviennent plus exigeants. En 1867, la vente de quelque 2 000 acres de terre boisée pour $3 000 ne réussit qu’à rembourser les dettes pressantes. Le prix de la pension des élèves est augmenté substantiellement et atteint $90 par année, soit $20 de plus qu’au collège de Rimouski et $10 de plus qu’au collège de Lévis. Malgré ces mesures extrêmes, l’institution est aux prises avec une dette d’environ $100 000 au moment où Pilote quitte le collège, en 1870. Une souscription auprès du clergé de toute la province permet néanmoins d’éviter la faillite.

La mémoire collective a retenu le nom de Pilote à titre de promoteur de la colonisation et de l’enseignement agricole : « Notre peuple essentiellement agriculteur et marchand a besoin de s’instruire dans l’agriculture et le commerce », écrivait-il en 1855. Il estimait alors que le cours commercial inauguré en 1842 au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière initiait la jeunesse aux opérations marchandes. Conscient de l’encombrement des professions libérales et des pressions démographiques, particulièrement aiguës sur la Côte-du-Sud, il jugeait nécessaire de prendre des mesures pour assurer l’expansion de la zone agricole, tout en tenant compte de l’amélioration des pratiques culturales. Aussi, le retrouve-t-on aux côtés de l’abbé Nicolas-Tolentin Hébert pour mettre sur pied, en 1848, l’Association des comtés de L’Islet et de Kamouraska pour coloniser le Saguenay. Secrétaire correspondant au départ, Pilote en devient tôt le président. En 1850, il va visiter la région du Saguenay et du lac Saint-Jean pour en inventorier les ressources. Ce voyage d’exploration est à l’origine de sa brochure intitulée le Saguenay en 1851 [...]. Il y retrace l’histoire de la région, puis s’inscrit dans la ligne de pensée du clergé de sa génération ; ainsi, la colonisation constitue, selon lui, un instrument de survie nationale dans la mesure où elle va mettre un terme à l’émigration aux États-Unis. Mêlé de près à la gestion de l’Association des comtés de L’Islet et de Kamouraska, c’est lui qui, en 1850, avertit le marchand et homme politique Jean-Charles Chapais d’un détournement de fonds publics au détriment des colons ; en effet, une entreprise forestière s’était approprié une somme d’argent destinée à l’ouverture des chemins de colonisation pour construire des « glissoires ». En 1866, il prend en main la liquidation des affaires de l’association, dissoute dix ans plus tôt.

Pilote est aussi responsable de la fondation, en 1859, de la première école d’agriculture au Canada. À son instigation, le collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière autorise d’abord l’établissement d’une ferme modèle sur un domaine foncier qu’il a lui-même constitué en bonne partie. Depuis le milieu des années 1850, le gouvernement de la province du Canada projette la création d’établissements pour la formation des maîtres. Malgré l’appui de Chapais et d’Étienne Parent*, Pilote ne réussit pas à convaincre Pierre-Joseph-Olivier Chauveau et George-Étienne Cartier* d’établir une école normale à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, que l’abbé voulait intégrer à son projet d’école d’agriculture. Car, dans son esprit, la formation des maîtres devait se faire à la campagne si on voulait les sensibiliser à la revalorisation de l’agriculture. L’école d’agriculture devait naître quand même, avec le concours de l’influent Chapais. À titre de député, ce dernier obtient d’abord des subventions spéciales pour l’agrandissement du collège. Ensuite, il convainc Cartier, dès 1858, de retenir 2,5 p. cent des subventions accordées aux sociétés d’agriculture, afin de créer une école destinée aux cultivateurs. L’école voit le jour en 1859 et, 11 ans plus tard, seulement 94 étudiants y ont fait un stage. C’est peu, si on tient compte que la Chambre d’agriculture du Bas-Canada accordera des bourses d’études – dix en 1863, 20 à partir de 1864 – de $50 chacune. Dans le but de persuader les parents d’y envoyer leurs enfants, Pilote tente en vain de faire accepter le versement d’un montant supérieur à $50 par pensionnaire. Au lieu de s’accroître, le nombre d’élèves régresse : sept en 1867, six en 1868 et trois en 1869. Pas plus ici qu’en France ou aux États-Unis, on n’est parvenu à attirer une clientèle considérable dans ce genre d’établissement spécialisé. Le gouvernement du Québec, qui a juridiction en matière d’enseignement agricole après 1867, s’inquiète de la situation d’autant plus que les deux écoles d’agriculture de la province, celle de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et celle de L’Assomption, reçoivent $2 000 de subvention par année, sans compter les sommes versées en bourses d’études. Un sous-comité du Conseil d’agriculture de la province de Québec fait enquête à l’automne de 1869. Les commissaires estiment que la pauvreté des parents, le refus de perdre une main-d’œuvre gratuite au sein de l’exploitation familiale, les préjugés contre la science de même que l’attrait de l’enseignement classique détournent la jeunesse des écoles d’agriculture. La solution de rechange, proposée par l’ex-député Cléophe Cimon et approuvée par le sous-comité, met en péril l’existence même des établissements. Insistant sur l’enseignement pratique, Cimon proposait depuis 1868 la création d’une ferme modèle par comté. Mais Pilote jugeait nécessaire de joindre la théorie à la pratique et considérait la multiplication des fermes modèles comme une solution coûteuse. En fait, il ne voulait pas que les cultivateurs en viennent à associer la productivité de celles-ci aux subsides gouvernementaux. L’influence de Pilote est telle que Chauveau, premier ministre de la province de Québec, doit renoncer à tout projet de réforme, y compris le sien qui préconisait le transfert de l’enseignement agricole dans les écoles normales, à Québec ou Montréal.

Après avoir quitté le collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière pour la cure de Saint-Augustin en 1870, Pilote continue à s’intéresser à l’amélioration de l’agriculture. La Gazette des campagnes (Saint-Louis-de-Kamouraska et Sainte-Anne-de-la-Pocatière), fondée en 1861 et organe de l’école d’agriculture, voit le nombre de ses abonnés dans le comté de Portneuf passer à 600, grâce aux efforts de diffusion faits par le curé de Saint-Augustin. Prêchant par l’exemple, le curé Pilote installe même des tuyaux de drainage sur la terre de la fabrique. L’amélioration du rendement du sol convainc les cultivateurs, si bien qu’on installe vers 1886 un atelier de tuyaux de drainage dans la paroisse. Sur la scène provinciale, le curé de Saint-Augustin demeure jusqu’à sa mort un membre actif du Conseil d’agriculture institué par le gouvernement du Québec après la Confédération. Nous savons peu de chose de la façon dont Pilote s’est acquitté de ses fonctions curiales, sinon qu’il s’est endetté personnellement de plusieurs milliers de dollars pour construire un couvent qu’il confiera à la Congrégation de Notre-Dame en 1882.

Serge Gagnon

François Pilote est l’auteur de quelques ouvrages dont : le Saguenay en 1851 ; histoire du passé, du présent et de l’avenir probable du Haut-Saguenay, au point de vue de la colonisation (Québec, 1852) ; Mémoire sur la paroisse, le village, le collège et l’école d’agriculture de Sainte-Anne devant accompagner divers objets envoyés par le collège Ste. Anne à l’Exposition universelle de Paris, en 1867 (Sainte-Anne-de-la-Pocatière [La Pocatière], Québec, 1867) ; et Examen d’un plan de culture proposé par M. Cléophe Cimon, ci-devant député de Charlevoix [...] (Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Québec, 1868).

Arch. du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière), 13–31 ; 59–68.— Julienne Barnard, Mémoires Chapais ; documentation, correspondance, souvenirs (4 vol., Montréal et Paris, 1961–1964), I-II.— Auguste Béchard, Galerie nationale : l’abbé François Pilote, curé de Saint-Augustin (Portneuf) (Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 1885).— Adrien Bernier, The contributions of the schools of Sainte-Anne-de-la-Pocatière to Catholic education in the province of Quebec (Québec, 1942).— Serge Gagnon, « Le collège de Sainte-Anne au temps de l’abbé François Pilote : les conflits du personnel enseignant » (thèse de d.e.s., univ. Laval, 1968).— M. Hamelin, Premières années du parlementarisme québécois.— Wilfrid Lebon, Histoire du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (2 vol., Québec, 1948–1949).— M.-A. Perron, Un grand éducateur agricole : Édouard-A. Barnard, 1835–1898 ; essai historique sur l’agriculture de 1760 à 1900 ([Montréal], 1955).— Normand Séguin, La conquête du sol au 19e siècle (s.l., [1977]).— Serge Gagnon, « Le clergé, les notables et l’enseignement privé au Québec : le cas du collège de Sainte-Anne, 18401870 », HS, no 5 (avril 1970) : 45–65.

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Serge Gagnon, « PILOTE, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pilote_francois_11F.html.

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Auteur de l'article:    Serge Gagnon
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    28 novembre 2024