MULLINS, ROSANNA ELEANORA (Leprohon), poétesse et romancière, née à Montréal, le 12 janvier 1829, fille de Francis Mullins, homme d’affaires bien connu, et de Rosanna Connelly, décédée le 20 septembre 1879 à Montréal.

Rosanna Mullins fit ses études au couvent de la Congrégation de Notre-Dame à Montréal, où l’on instruisait les jeunes filles provenant des milieux aisés tout en leur inculquant des principes moraux. Elle y resta au moins jusqu’en 1846, date à laquelle elle publia ses premiers poèmes. À en juger par les thèmes religieux, le ton moral et le vocabulaire de sa poésie on peut dire qu’elle reçut une solide formation en langues et en religion. L’attachement qu’elle eut pour l’institutrice qui reconnut et encouragea son talent est manifeste dans un poème qui lui est consacré.

Au début de sa carrière littéraire, en 1846, une grande partie de sa prose et de sa poésie parut dans le Literary Garland, petite revue qui cherchait à encourager les écrivains canadiens et qui publiait régulièrement des poèmes, des mémoires, des essais, des esquisses, des nouvelles ainsi que des romans-feuilletons impersonnels, sains et édifiants – le tout pouvant figurer dans le salon de la famille canadienne la plus exigeante et la plus cultivée. Parmi les autres auteurs canadiens connus dont les œuvres parurent dans le Garland, on peut citer Susanna Strickland* Moodie, Catharine Parr Strickland* Traill, John Richardson*, William Dunlop*, Mary Anne Madden* Sadlier et Charles Sangster*. Rosanna, qui signait alors « R. E. M. », écrivit aussi dans d’autres revues et dans des journaux tels que le True Witness [V. Clerk], le Journal of Education et le New Dominion Monthly.

En 1851, Rosanna épousa le docteur Jean-Lucien Leprohon, qui appartenait à une vieille famille canadienne-française et qui exerçait alors la médecine à Saint-Charles-sur-Richelieu. C’était un homme de science cultivé et énergique qui avait trouvé le temps de faire paraître l’une des premières revues médicales du Canada-Est, la Lancette canadienne. En 1855, ils s’installèrent à Montréal où il fut médecin militaire, conseiller municipal, professeur de médecine, membre de la commission catholique du conseil de l’Instruction publique et joua un rôle de premier plan au sein de sa communauté. Il fut aussi consul d’Espagne à Montréal et reçut du pays qu’il représentait une décoration en récompense des services rendus. Grâce à lui, à sa famille et à ses amis, son épouse put connaître intimement l’aristocratie du Québec, ses valeurs, ses espoirs et ses aspirations qui devaient d’ailleurs constituer le fond des derniers romans de Mme Leprohon.

Leur union fut féconde puisque le couple eut 13 enfants. Le portrait de Rosanna montre une femme calme, intelligente et belle. Sa production littéraire fut moins importante après son mariage mais, en fait, le meilleur de son œuvre, les romans qui ont le Québec pour cadre, date de cette époque. Elle mourut en septembre 1879 et fut inhumée à Montréal dans le cimetière de la Côte-des-Neiges.

Après sa mort, on rassembla ses poèmes qui furent publiés en 1881 à Montréal. Sa poésie est didactique et empreinte de gravité morale ; une note au bas d’un poème intitulé The Boyhood of Jesus en donne bien le ton : « Une longue tradition affirme que notre Sauveur n’a jamais ri pendant toute sa vie d’homme. » Outre de nombreux poèmes d’inspiration catholique, elle a laissé des poèmes décrivant son pays et la vie de famille dans ce qu’elle a d’heureux et de malheureux. Son meilleur poème, A Canadian snowfall, rappelle le poème de Ralph Waldo Emerson, The Snowfall, mais la ressemblance est peut-être fortuite. On décèle plus facilement l’influence de Thomas Gray non seulement dans ses nombreux thèmes morbides mais aussi dans certaines de ses expressions. Les poèmes de Rosanna Mullins dépeignant la nature sont essentiellement des morceaux lyriques et romantiques décrivant les changements de saisons ou évoquant des perspectives comme Murray Bay (Pointe-au-Pic) ou les bords escarpés du Saguenay. Ces poèmes sont canadiens en ce sens qu’ils évoquent la nature canadienne mais ils sont avant tout romantiques de ton. Mme Leprohon fait preuve de patriotisme dans The Maple Leaf et révèle son intérêt pour l’histoire du Canada dans des poèmes comme Jacques Cartier’s First Visit to Mount Royal. Certains de ses poèmes ont des thèmes indiens et sont difficiles à définir. Ils traitent surtout de la mort, de la mort de jeunes Indiennes, qui ont plus ou moins l’air d’héroïnes blanches romantiques. Dans The White Maiden and the Indian Girl, Rosanna Eleanora Mullins compare longuement deux styles de vie et conclut à la supériorité de la vie que mène la jeune Indienne, jugement qui est d’une fausseté toute romantique lorsqu’on imagine ce que Rosanna Mullins pouvait connaître vraiment de la vie des Indiennes. Sa poésie est bonne quant à la forme et parfois intéressante quant au fond mais ce sont des romans évoquant la vie au Québec autrefois qui occupent la première place dans son œuvre.

Sa première nouvelle, The stepmother, parut en feuilletons dans le Literary Garland en 1847 ; l’année suivante, elle fit paraître, dans la même revue, Ida Beresford, nouvelle qui devait être traduite en français par Joseph-Edouard Lefebvre de Bellefeuille et qui fut publiée en feuilletons dans l’Ordre (1859–1860). D’autres romans-feuilletons à caractère romantique parurent dans le Garland en 1849, en 1850 et en 1851.

Il semble que la production littéraire de Mme Leprohon se soit arrêtée en 1851, année de son mariage et de la disparition du Garland, pour ne reprendre qu’en 1859, avec la publication par fascicules de The manor house of Villerai, dans le Family Herald. De Bellefeuille en fit une traduction française, le Manoir de Villerai, qui parut en librairie en 1861. (Ce roman connaîtra une deuxième édition en français en 1924). L’histoire se passe dans le Québec d’avant la conquête anglaise. Blanche de Villerai, héritière d’une seigneurie, renonce au noble qui devait l’épouser et cède le pas à Rose Lauson, la belle et pieuse paysanne qui l’a soignée et guérie de la petite vérole. Il s’agit d’un roman romantique qui est un fâcheux mélange d’histoire et de folklore. Nous devons aussi le deuxième roman de cette nouvelle série au fait que Mme Leprohon fut introduite dans la haute société canadienne-française. Antoinette de Mirecourt : or, secret marrying and secret sorrowing, a Canadian tale fut édité par John Lovell* à Montréal en 1864. Il fut traduit en français et publié en 1865. Il parut également en feuilletons et en français dans les Nouvelles Soirées canadiennes, en 1886 et en 1887. Une jeune et riche campagnarde arrive à Montréal juste après l’occupation anglaise. Sa famille accueille les officiers britanniques et l’héroïne s’éprend de l’un d’entre eux qui n’est qu’un gredin dont on doit la délivrer. Ce roman romantique et emphatique est le plus mauvais de ceux de cette époque. Quatre ans plus tard, Armand Durand ; or a promise fulfilled parut en feuilletons dans le Daily News de Montréal. Il fut édité par Lovell en 1868 et traduit en français l’année suivante. Il nous présente les deux fils d’un paysan ; l’un d’eux hérite de la ferme de son père de façon malhonnête et l’autre devient avocat. Nous assistons aux efforts de ce dernier pour arriver et pour faire vivre une épouse sotte. Le dernier vrai roman de Mme Leprohon, Ada Dunmore, parut en 1869 dans le Canadian Illustrated News et fut suivi d’autres nouvelles publiées dans cette même revue ainsi que dans le Canadian Monthly.

Les premiers romans, pour ne pas dire tous les romans de Mme Leprohon, ne sont qu’une suite de séparations larmoyantes, de promesses rompues, de morts opportunes ou prématurées, de rencontres fortuites et de réconciliations heureuses ; de toute évidence, les débordements de son imagination romantique s’alimentaient aux œuvres de l’époque. Mais, même si ces romans intéressent peu le lecteur d’aujourd’hui, ils conservent tout leur charme si on les prend pour ce qu’ils sont : un divertissement pour les lectrices canadiennes d’autrefois. Ils se lisent facilement même s’ils sont invraisemblables et à tiroirs (en raison des exigences du public), mais ils n’ont rien d’ennuyeux. Armand Durand en est la preuve.

Dans les derniers romans de Rosanna Mullins, on voit apparaître des thèmes plus profonds. On trouve très souvent celui de l’amour qui réunit des êtres que séparent leur milieu, leur tempérament on leur fortune. Sa connaissance du Québec et de son histoire, alliée à sa clairvoyance par rapport aux difficultés de la vie conjugale – qualités acquises, semble-t-il, après son mariage – donnent de la fraîcheur et du réalisme à de nombreux passages de ses romans. Elle sut mettre à profit la connaissance qu’elle avait du milieu canadien-français, d’où provenait son mari, ainsi que de son propre milieu ; de même utilisa-t-elle habilement ses talents de conteur. Dans ses principaux romans, elle joue le rôle de médiateur entre les Canadiens français et les Canadiens anglais, faisant en sorte que les bonnes manières atténuent les sentiments froissés, cherchant à expliquer ce que ressentent les Canadiens français et à présenter les Canadiens anglais sous un jour favorable. On peut mesurer son succès dans les deux langues par le nombre de ses publications et aussi par le fait que ses œuvres furent jugées dignes d’être traduites et rééditées en 1924. Elle fut le premier auteur canadien à être lu dans les deux langues et par un aussi large public ; on peut la considérer à ce titre comme le précurseur de William Kirby*, de Horatio Gilbert Parker* et de Hugh MacLennan.

J. C. Stockdale

Parmi les œuvres de Rosanna Eleanora Mullins, citons : Antoinette de Mirecourt : or, secret marrying and secret sorrowing, a Canadian tale (Montréal, 1864) ; Armand Durand ; or a promise fulfilled (Montréal, 1868) ; Le manoir de Villerai, roman historique sous la domination française (Montréal, 1861 ; [1884 ?] ; 1924) ; The poetical works of Mrs. Leprohon. (Miss R. E. Mullins) (Montréal, 1881) ; et trois écrits qu’elle signa « R. E. M. » : Clarence Fitz Clarence, Literary Garland (Montréal), janvier–mai 1851 ; Florence or wit and wisdom, Literary Garland, février–décembre 1849 ; The Manor House of Villerai, Family Herald (Montréal), 1859.

En consultant les ouvrages suivants, on obtiendra une liste plus complète des écrits de Mme Leprohon : M. M. Brown, An index to the « Literary Garland », (Montréal, 1838–1851) (Toronto, 1962), 24.— Morgan, Bibliotheca Canadensis.— Watters, Check list.— Watters et Bell, On Canadian literature.

Archives paroissiales de Notre-Dame (Montréal), Registres des baptêmes, mariages et sépultures.— Morgan, Sketches of celebrated Canadians.— Brother A.-H. Deneau, Life and works of Mrs. Leprohon (thèse de m.a., Université de Montréal, 1949).— Lit. hist. of Can. (Klinck), passim.— Desmond Pacey, Creative writing in Canada ; a short history in English-Canadian literature (2e éd., Toronto, [1961]).— V. B. Rhodenizer, Canadian literature in English ([Montréal, ca 1965]).

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J. C. Stockdale, « MULLINS, ROSANNA ELEANORA (Leprohon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mullins_rosanna_eleanora_10F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
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