MAREST (Maret, Marais), PIERRE-GABRIEL, jésuite, missionnaire, né le 14 octobre 1662, mort à Kaskaskia, Illinois, en 1714.
Marest entra au noviciat des Jésuites, à Paris, en octobre 1681 et durant les six années suivantes il enseigna à Vannes. Après quelques années additionnelles d’études à Bourges et à Paris, on le nommait au Canada en 1694. Une expédition, qui avait pour mission d’arracher la baie d’Hudson à l’emprise anglaise, s’organisait sous le commandement de Pierre Le Moyne d’Iberville. On y affecta Marest en qualité d’aumônier ; « contre mon inclination », a dit le jeune prêtre qui désirait avant tout œuvrer chez les Indiens.
L’expédition quitta Québec le 10 août, à bord de deux frégates, le Poli et la Salamandre. Marest, que sa nouvelle expérience intéressait vivement, rédigea, au jour le jour, une relation du voyage. Vers la fin du mois, les vaisseaux atteignirent le détroit qui menait à la baie d’Hudson et, le 24 septembre, ils entraient dans la rivière Bourbon (Nelson). La rivière Sainte-Thérèse (Hayes) se déversait aussi dans la baie à cet endroit et c’est sur la rive de cette rivière que les Anglais avaient érigé le fort York. Le Poli mouilla dans la rivière Bourbon et la Salamandre, sous le commandement d’Iberville, mouilla dans la rivière Sainte-Thérèse « où je le suivis », écrivit Marest, et il ajoute : « notre vaisseau pensa périr » avant de finalement réussir à ancrer. Iberville pressa Marest, qui était fiévreux, de descendre à terre, mais le consciencieux jésuite refusa de quitter le navire en péril.
Les préparatifs du siège progressaient et Marest assuma sa part des travaux, pour la plupart assez étrangers à son ministère sacerdotal ; il aida à la construction des cabanes et au déchargement des navires. Le 13 octobre, les Français étaient prêts à bombarder le fort : ils sommèrent les Anglais de se rendre et, le lendemain matin, les assiégés, ayant à leur tête Thomas Walsh, le lieutenant Philip Parsons et Henry Kelsey, soumettaient leurs « conditions » rédigées en latin par le pasteur Thomas Anderson*. Gabriel Marest traduisit pour ses compatriotes les termes de la capitulation et les Français prirent officiellement possession du fort qu’ils rebaptisèrent fort Bourbon. Marest relate : « j’y dis la Messe [...] et nous y chantâmes le Te Deum » et « nous admirâmes la disposition merveilleuse de la Providence divine ».
Tout au long du pénible hiver nordique, Marest continua à dispenser son ministère aux ouailles qui lui avaient été confiées. Le scorbut éclata parmi l’équipage et Marest lui-même n’y échappa pas. Jusque-là les occasions pour lui d’apprendre la langue des Indiens avaient été plutôt rares et intermittentes. « Monsieur de la Motte » (Nicolas, fils de Pierre Aigron*, dit Lamothe ?) lui avait enseigné un bon nombre de mots et « un anglais [probablement Henry Kelsey] qui sait fort bien la langue, m’en a donné bien davantage ». Très minutieusement, Marest composa un dictionnaire de tous ces mots « Selon notre alphabet » et traduisit dans la langue indienne le signe de la Croix, le Pater, l’Avé Maria, le Credo et les dix commandements.
Iberville retourna en France au cours de l’été de 1695 avec les Anglais qu’il avait faits prisonniers. Marest préféra rester derrière afin de s’occuper des quelque 80 hommes laissés en garnison. Les navires de la Hudson’s Bay Company ayant repris le fort, en septembre 1696, Marest fut amené en Angleterre où on le garda prisonnier pendant quelques mois.
Il retourna au Canada (probablement au début de 1697), pour enfin voir se réaliser le rêve de sa vie : on l’assigna à la mission de l’Immaculée-Conception, au pays des Illinois, en 1698. Cette mission, fondée par le père Jacques Gravier, était au service d’une confédération de tribus qui comprenaient les Kaskaskias, les Cahokias, les Péorias, les Tamarois et les Metchigamias.
Dès le début, Marest fit montre des « plus beaux talents du monde pour ces missions » et apprit en peu de mois le dialecte de ces tribus. Son collègue, le père Julien Bineteau, trouvait le père Marest « D’une fatique incroyable » mais avait le sentiment que « le cher Père Marest se livre un peu trop à son zèle » ; il s’alimentait d’un peu de maïs bouilli mêlé de haricots, arrosé d’une boisson de pastèque. Une journée ordinaire de ministère commençait par la messe dite avant le lever du soleil ; puis suivaient l’enseignement du catéchisme aux enfants, la visite des malades, la récitation publique des prières et les consultations privées. D’une plume qui n’avait rien perdu de sa puissance évocatrice, il a raconté la vie remplie de difficultés qu’offrait cette lointaine colonie. Un bon nombre d’Indiens embrassaient « notre sainte religion », mais son cœur n’en était pas moins troublé par le peu d’intérêt que manifestaient les jeunes Indiens. Les femmes et les jeunes filles, toutefois, étaient bien disposées à recevoir le baptême et les enfants « nous donnent toujours des très belles espérances pour l’avenir ».
À l’automne de 1700, les Kaskaskias décidèrent de descendre plus au sud afin de se rapprocher des Français et de jouir de leur protection. Marest et Gravier les accompagnèrent. Après quatre jours de voyage, ils firent halte à l’embouchure de la rivière des Pères, presque en face de la mission des Cahokias ou des Tamarois, que desservaient les prêtres du séminaire des Missions étrangères. La proximité des deux missions ne semblait pas de nature à favoriser les rapports amicaux car les Jésuites estimaient que les prêtres du séminaire avaient empiété sur leur territoire de mission. On référa donc à Versailles la question de juridiction sur les missions illinoises : une commission ecclésiastique décréta que la mission des Cahokias relevait du séminaire des Missions étrangères. Encore une fois, les Kaskaskias reprirent leur migration. Finalement, au printemps de 1703, ils se fixèrent dans une bourgade qui devait acquérir la renommée sous le nom de Kaskaskia.
La jeune communauté se voyait aux prises avec plusieurs problèmes, entre autres l’alcool et son cortège de vices. Les coureurs de bois canadiens débauchaient les femmes de la tribu illinoise, de sorte que Marest dut faire appel au gouverneur de la Louisiane, Jean-Baptiste Le Moyne* de Bienville, qui envoya un sergent et douze hommes, parmi lesquels se trouvait André-Joseph Pénigaut qui a laissé un journal intéressant.
Après la mort du père Jacques Gravier, en 1708, les relations avec la tribu des Péorias étaient devenues de plus en plus tendues et il avait fallu fermer la mission. Informés que la tribu se repentait, Marest et ses confrères, Jean Mermet et Jean-Marie de Villes, décidèrent que le temps était venu de « remettre la mission sur son ancien pied » ; le père Marest comptait en discuter avec son supérieur, le père Joseph-Jacques Marest, à l’occasion d’une visite à Michillimakinac.
Il partit donc, en 1711, le vendredi de la semaine de Pâques, en compagnie de plusieurs Indiens qui l’entourèrent de soins attentifs tout au long du voyage. Il passa une quinzaine au village des Péorias, puis, empruntant la rivière Saint-Joseph, il atteignit la mission des Potéouatamis que dirigeait le père Jean Chardon. Marest y retrouva son frère Joseph, venu à sa rencontre ; ils ne s’étaient pas vus depuis 15 ans. Le père Chardon s’associa à leur joie et les garda avec lui une semaine avant qu’ils ne partent en canot pour Michillimakinac. Il fallut près de deux mois pour régler « l’affaire » sur laquelle le père Marest n’a toutefois laissé aucun commentaire.
Au cours du voyage de retour, Marest passa deux semaines avec le père Chardon puis fit de nouveau halte au village des Péorias où il reçut un accueil tumultueux. Il était de retour à Kaskaskia le 10 septembre. Il y rédigea, à l’intention d’un confrère jésuite, le père Barthélemi Germon, un compte rendu détaillé de ses pérégrinations, s’attardant à parler de l’isolement du Nouveau Monde où « notre vie se passe à parcourir d’épaisses forêts, à grimper sur les montagnes, à traverser en canot ».
L’évangélisation des sauvages est très difficile, écrit Marest : ils sont indolents, perfides, changeants, enclins au vol mais, reconnaît-il, non dépourvus d’intelligence, « naturellement curieux », et capables de tourner une « raillerie d’une manière assez ingénieuse ». Presque tous les habitants du village de Kaskaskia sont chrétiens, note-t-il ; le poste a grandi, plusieurs Français y ont été attirés et quelques-uns d’entre eux ont épousé des femmes illinoises.
Pendant une épidémie, une maladie d’à peine une semaine emporta Gabriel Marest, le 14 septembre 1714. On le pleura sincèrement ; les Français chantèrent son requiem tandis que les Indiens, en un geste symbolique de douleur, offrirent des fourrures. L’année suivante, une lettre circulaire du père Jean Mermet annonçait la mort de Gabriel Marest. En 1727, le père Jean-Antoine Le Boullenger présida à la translation de ses restes dans la nouvelle église de Kaskaskia.
Les nombreux écrits qu’il a laissés perpétuent la mémoire du père Gabriel Marest. Les missionnaires qui avaient œuvré avec lui louèrent son érudition et ne manquèrent pas de témoigner aussi de son dévouement et de son abnégation.
Documents relating to Hudson Bay (Tyrrell). — Early voyages up and down the Mississippi, by Cavelier, St. Cosme, Le Sueur, Gravier, and Guignas, introd. et notes par J. G. Shea, édit. (Albany, 1861). — [André Pénigaut], Fleur de Lys and calumet : being the Pénicaut narrative of French adventure in Louisiana, trad. par R. G. McWilliams, édit. (Baton Rouge, Louisiane, 1953). — HBRS, XXI (Rich). — [Jérémie], Twenty years at York Factory (Douglas et Wallace). — JR (Thwaites), LXV, LXVI. — Lettres édifiantes et curieuses, escrites des missions étrangeres par quelques missionaires de la Compagnie de Jésus (30 vol., Paris, 1707–1773 ; nouv. éd., 26 vol., Paris, 1780–1783), VI. — Chapters in frontier history ; research studies in the making of the west (Milwaukee, [1934]). — Delanglez, French Jesuits in Lousiana. — Sister Mary Borgias Palm, The Jesuit Missions of the Illinois Country, 1673–1763 (Cleveland, 1933). — Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIIe siècle. — Marc de Villiers Du Terrage, La découverte du Missouri et l’histoire du fort d’Orléans (1673–1728) (Paris, 1925). — Joseph Wallace, The history of Illinois and Louisiana under the French rule (Cincinnati, 1893). — G. J. Garraghan, New light on old Cahokia, Ill. Catholic Hist. Review, XI (1928–29) : 99–146. — J. J. Thompson, Illinois, the cradle of christianity and civilization in Mid-America, Ill. Catholic Hist. Review, XI (1928–29) :65–85, 215–238, 329–348.
Maud M. Hutcheson, « MAREST (Maret, Marais), PIERRE-GABRIEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/marest_pierre_gabriel_2F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |