LEVASSEUR, RENÉ-NICOLAS, chef de la construction navale royale et inspecteur des bois et forêts au Canada, probablement né à Rochefort, France, en 1705 ou en 1707, décédé à Aubagne, France, le 2 août 1784.

René-Nicolas Levasseur appartenait à une famille liée à la marine depuis près d’un siècle. Certains membres de sa famille avaient rempli des charges d’intendant et de commissaire ordonnateur et son père s’était consacré à la construction navale. D’abord constructeur à Rochefort, il était devenu, en 1717, premier maître à Toulon. René-Nicolas allait suivre fidèlement les traces de son père, effectuant son apprentissage sous ses ordres, tandis qu’un de ses frères devenait ingénieur et l’autre, Louis-Armand, commissaire général ordonnateur de Rochefort. Il entra au service du roi en 1727 en qualité de sous-constructeur à Toulon. En 1733, il y dirigea la construction d’un navire de 40 canons, l’Aquilon. C’était un homme de confiance, déjà expérimenté, se piquant de sa probité, de son zèle et de son utilité, qui allait assumer toutes les tâches liées à l’entreprise royale dans la colonie.

Au printemps de 1738, le ministre de la Marine, Maurepas, donnait enfin une réponse favorable à la demande maintes fois répétée depuis plus de 20 ans par les autorités coloniales d’établir des chantiers royaux de construction navale à Québec. Il annonçait en même temps l’envoi de René-Nicolas Levasseur pour prendre la direction des opérations. Celui-ci s’embarqua aussitôt pour le Canada et s’installa à Québec avec son épouse, Angélique Juste, et leurs enfants dans une maison située rue Champlain, près du futur chantier de construction.

Dès l’automne suivant, l’intendant Hocquart l’envoya dans les forêts afin de vérifier les informations recueillies au cours des explorations précédentes [V. David Corbin* ; Médard-Gabriel Vallette* de Chévigny], de préciser la quantité et la qualité des bois nécessaires aux chantiers et de choisir les régions à exploiter. Par la suite, le constructeur retourna presque chaque année en forêt à la recherche de bois convenant à la construction de bâtiments devant jauger 500 à 700 tonneaux. L’entreprise royale devait en effet répondre à la décision du ministre de construire des bâtiments de guerre destinés à augmenter la puissance de la flotte royale dans l’éventualité d’un conflit armé avec l’Angleterre. Orles prévisions antérieures, sauf celles de l’expert Vallette de Chévigny, s’étaient révélées trop optimistes : le bois requis pour la construction de bâtiments de grande taille se révélait rare, coûteux et de médiocre qualité. Les ressources forestières du Canada auraient plutôt convenu à la construction de bâtiments marchands jaugeant 250 à 300 tonneaux. Cette décision de la métropole causa des inquiétudes et créa des désagréments de toutes sortes. Il fallut abattre le bois dans la lointaine région du lac Champlain : il revint plus cher que prévu et, pour obtenir des pièces de la dimension désirée, on dut utiliser du bois de pauvre qualité. L’entreprise coloniale en subit un discrédit d’autant plus néfaste que des bâtiments de grande taille, comme le Caribou, une flûte de 700 tonneaux lancée en 1744, pourrirent en moins de cinq ans.

L’organisation du travail ne laissait pratiquement aucun temps libre à Levasseur. Une fois les zones de coupe délimitées, il revenait à Québec pour préparer la saison d’été, tracer les plans de futurs bâtiments et assurer l’approvisionnement du chantier en fournitures nécessaires à la construction des vaisseaux. Malgré cela, il devait souvent retourner en forêt avant la fin de l’hiver pour surveiller la coupe du bois, s’assurer qu’il aurait toutes les pièces voulues et organiser le flottage du bois depuis le lac Champlain jusqu’à Québec. D’avril à novembre ou décembre, il devait également coordonner et surveiller le travail de tous les ouvriers dans les chantiers navals.

Les chantiers, d’abord situés sur la rivière Saint-Charles, à l’endroit où les particuliers avaient pris l’habitude de construire leurs bâtiments, furent déménagés au Cul-de-Sac, non loin de la place Royale, en 1746. Le fleuve, par sa profondeur, se prêtait mieux que la rivière au lancement des gros navires. L’été, quelque 200 hommes supervisés par une douzaine de contremaîtres venus de France s’affairaient, du petit matin à la tombée de la nuit, sur le chantier. Ce rythme de travail permettait de construire un navire en deux ans. Ainsi, de 1738 à la Conquête, Levasseur lança une dizaine de navires de guerre, plus quelques petits bâtiments de service. Il se chargea de la formation des aide-constructeurs, son fils Pierre et Louis-Pierre Poulin* de Courval Cressé, qui construisirent aussi des bâtiments de guerre légers pour la navigation sur les lacs à l’époque de la guerre de Sept Ans.

Ces succès ne furent pas remportés sans difficultés. Le prix de revient des constructions fut jugé excessif par les autorités métropolitaines. La recherche de pièces de bois de grande dimension coûtait cher. Il fallut l’imagination et la ténacité d’un Levasseur pour venir à bout de situations presque catastrophiques. L’établissement puis le déplacement des chantiers entraînèrent des déboursés considérables. Le constructeur eut même à se plaindre des exactions pratiquées par des administrateurs de la colonie. Certains d’entre eux, en effet, comme Jacques-Michel Bréard, utilisaient à leur profit les services de contremaîtres payés par le roi et du bois destiné à la construction des vaisseaux du roi. En tout temps la rareté de la main-d’œuvre exigea le versement de salaires élevés. Il fallut d’abord faire venir de France des maîtres de métier qualifiés pour prendre en charge les divers ateliers. Par la suite, la main-d’œuvre canadienne se faisant rare, l’intendant sollicita du ministre, année après année, la venue de simples journaliers pour assurer la survie de l’entreprise.

Malgré la bonne volonté du constructeur et des autorités de la colonie, les difficultés nées du système et de la conjoncture économiques ne permirent pas à la construction navale d’atteindre les objectifs visés. L’entreprise ne joua que temporairement le rôle de pôle de croissance et d’appui à l’entreprise privée qu’avait souhaité Hocquart. Après un essor remarquable entre 1739 et 1742, les industries secondaires – brai et goudron pour le calfatage, lin et chanvre pour les cordages et les voiles, fer pour la clouterie et les agrès – périclitèrent rapidement. La crise agricole des années 1742 et 1743 entraîna une telle hausse des prix que les petits entrepreneurs dont la production était assujettie aux prix fixés par l’intendant abandonnèrent leur entreprise. À compter de 1744, Levasseur dut commander aux arsenaux français des pièces essentielles pour l’achèvement des vaisseaux. Quand la marine anglaise commença à bloquer l’entrée du Saint-Laurent, surtout à partir de 1756, la survie de l’entreprise fut sérieusement menacée. De plus, la tentaculaire entreprise royale accapara les ressources physiques et humaines dont l’entreprise privée avait besoin. La satisfaction des besoins de la métropole s’était faite au détriment du développement de la colonie. Du plan élaboré par Hocquart, il ne restait plus qu’une industrie métropolitaine implantée en milieu colonial pour mieux tirer profit de ses ressources.

Contrairement aux forges du Saint-Maurice où administrateurs, contremaîtres et ouvriers ne furent pas toujours qualifiés, la construction navale bénéficia en Levasseur des services d’un homme compétent et consciencieux. Son travail fut d’ailleurs l’objet d’éloges unanimes et constamment renouvelés, malgré certains échecs, comme la perte de l’Orignal qui se brisa le jour de son lancement en 1750. On eut recours à lui chaque fois que les difficultés étaient grandes. Il fut l’expert chargé de remédier aux problèmes posés par l’approvisionnement en bois. Il imagina des procédés de flottage du bois permettant de franchir sans péril les sauts des rivières. Il fut chargé de faire sauter, dans les cours d’eau, les écueils dangereux. C’est à lui plutôt qu’à l’ingénieur du roi, Gaspard-Joseph Chaussegros* de Léry, que l’on confia la construction des quais lorsqu’on déménagea les chantiers navals au Cul-de-Sac. Arrivé comme sous-constructeur avec tin traitement annuel de 1 800#, il reçut un brevet de constructeur l’année suivante, et son traitement fut porté à 2 400# en 1743 ; il devint chef constructeur en 1749 et inspecteur des bois et forêts en 1752. Chaque lancement de navire lui valut en outre d’importantes gratifications. Au cours du siège de 1759, on eut recours à lui pour diriger les escouades d’ouvriers chargés de combattre les incendies consécutifs aux bombardements de la ville. La confiance de tous les administrateurs de la colonie envers les talents et l’efficacité de Levasseur ne se démentit jamais.

Les autorités françaises surent reconnaître ses mérites et utiliser ses aptitudes. Comme il avait à peu près tout perdu durant la guerre – lors de son retour en France en 1760, le vaisseau ayant fait relâche sur la côte d’Espagne, il dut laisser sa famille à Bayonne, près de la frontière espagnole, faute d’argent pour poursuivre le voyage – le ministre de la Marine lui accorda 1 200# par an pour son entretien. De plus, le ministre trouva rapidement le moyen d’utiliser sa compétence : il le chargea de l’exploitation du bois pour les mâts dans les Pyrénées afin d’approvisionner Bayonne. Pour relever ce défi auquel se butait l’administration depuis près de 30 ans, Levasseur perçut de nouveau un traitement de 2 400#-. Il y réussit si bien – avec l’applaudissement de la cour, comme il est mentionné dans son dossier personnel – qu’on le nomma commissaire de la Marine le 21 mai 1764.

Quand il demanda sa mise à la retraite en mars 1766, il obtint une pension de 1 800#. Peu à peu, cependant, le souvenir de ses services exceptionnels s’estompa. On refusa à son fils Pierre, devenu écrivain de la Marine après le retour de la famille en France, un brevet de sous-commissaire. À la mort de Levasseur en 1784, son épouse eut beaucoup de mal à obtenir la pension minimale de 600ª attribuée aux veuves de commissaires de la Marine. L’habile exécutant avait été oublié.

Jacques Mathieu

Les sources bibliographiques concernant René-Nicolas Levasseur sont citées dans notre ouvrage, la Construction navale. Le lecteur pourra également consulter le dossier personnel de Levasseur dans AN, Marine, C7, 184 (copie aux APC).  [j. m.]

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Jacques Mathieu, « LEVASSEUR, RENÉ-NICOLAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/levasseur_rene_nicolas_4F.html.

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Auteur de l'article:    Jacques Mathieu
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    28 novembre 2024