HEPBURN, MITCHELL FREDERICK, employé de banque, cultivateur et homme politique, né le 12 août 1896 dans le canton de Yarmouth, Ontario, fils de William Frederick Hepburn et de Margaret Jane Fulton ; le 11 septembre 1918, il épousa à St Thomas, Ontario, Eva Maxine Burton, et ils eurent deux enfants, dont l’un était mort-né et l’autre mourut en bas âge ; ils adoptèrent plus tard un fils et deux filles ; décédé le 5 janvier 1953 dans le canton de Yarmouth.

En 1843, à l’âge de neuf ans, le grand-père paternel de Mitchell Frederick Hepburn – le « vieux Mitch », qui portait lui aussi le prénom Mitchell – avait émigré d’Écosse avec sa famille qui s’installa dans le comté d’Elgin, dans le Haut-Canada. En 1900, il était devenu l’un des cultivateurs les plus prospères de la région ; il possédait en effet une terre de plus de 600 acres et détenait des hypothèques sur plusieurs propriétés avoisinantes. Il eut quatre enfants avec sa femme, Elizabeth Johnson, surnommée Eliza, mais aucun ne survécut jusqu’à l’âge adulte. Ils adoptèrent de manière informelle le fils d’une de leurs servantes, né hors mariage, et l’appelèrent William Frederick. Énergique et de bonne compagnie, ce dernier suivit les traces de son père adoptif et se joignit au Parti libéral ; il fut deux fois nommé candidat fédéral pour Elgin East. La seconde fois, en 1906, il se retira avant les élections, au milieu d’accusations d’inconduite sexuelle. William Frederick, qu’on appelait Will, partit vers l’ouest, et s’arrêta d’abord à St Paul, au Minnesota, où il fut rejoint par sa femme, Margaret Jane, surnommée Maggie, et leurs deux enfants, Irene (née en 1895) et Mitchell Frederick, le « jeune Mitch » (né un an plus tard), puis la famille se rendit à Winnipeg. Maggie, qui avait le mal du pays et était découragée par les difficultés financières de son mari, retourna en Ontario avec les enfants en 1910.

Mitch alla à l’école dans la région de St Thomas. Même s’il était un élève exceptionnellement doué en histoire à l’école secondaire du coin, il se fit surtout remarquer pour avoir été suspendu après avoir prétendument frappé le chapeau melon d’un dignitaire en visite, Adam Beck*, président de la Commission d’énergie hydroélectrique de l’Ontario, à l’aide d’une pomme bien envoyée. Plutôt que de s’excuser pour quelque chose qu’il disait ne pas avoir fait, Mitch quitta l’école à l’âge de 16 ans, et trouva un emploi à la succursale locale de la Banque des marchands du Canada ; il entra à la Banque canadienne de commerce quelques semaines plus tard. Lorsque sa mère retourna à Winnipeg, en 1913, dans une tentative de courte durée pour se réconcilier avec son mari, Mitch fut muté à la succursale de la banque qui se trouvait dans cette ville. Après le début de la Première Guerre mondiale, le jeune homme, qui était déjà volontaire dans le 34th (Fort Garry) Horse, essaya de s’enrôler, mais il n’avait pas tout à fait l’âge requis, et ses parents ne donnèrent pas leur accord. Quatre ans plus tard, peu après avoir reçu l’ordre de prendre son service, il fut affecté à la Royal Air Force et envoyé à Deseronto, en Ontario, pour y suivre sa formation. Il fut blessé dans un accident de voiture cet été-là, et attraperait la grippe à l’automne, ce qui l’empêcha d’entrer en service actif, mais pas d’épouser sa petite amie, Eva Maxine Burton, en septembre. Pour l’aider, le « vieux Mitch » lui donna 200 acres, et Hepburn en acquerrait davantage après le décès de son grand-père, en 1922. Au milieu des années 1920, il était un cultivateur prospère et progressiste, prêt à suivre les traces de son père en politique.

Aux élections provinciales de 1919, Hepburn avait voté pour le jeune parti des Fermiers unis de l’Ontario (FUO), qui forma un gouvernement dirigé par Ernest Charles Drury*. Pendant plusieurs années, il fut secrétaire de l’association locale des FUO, mais après la défaite décisive du parti, en 1923, au profit des conservateurs de George Howard Ferguson*, Hepburn adhéra au parti de son père et de son grand-père. Pendant la campagne fédérale de 1925, il fit la tournée d’Elgin West pour le candidat libéral. Son éloquence fougueuse et son enthousiasme juvénile incitèrent les grits à lui offrir l’investiture libérale dans cette circonscription un an plus tard. Même si sa mère chercha à l’en dissuader, il accepta finalement leur proposition le 12 août, jour de son 30e anniversaire.

Lorsque, après la défaite du gouvernement éphémère d’Arthur Meighen, la date des élections fut fixée au 14 septembre, Hepburn n’avait que quatre semaines pour faire campagne dans une circonscription traditionnellement acquise aux conservateurs. Il avait donc du pain sur la planche. Pour mieux séduire les anciens partisans des FUO et les employés de chemin de fer de St Thomas, plutôt conservateurs, il se présenta comme libéral indépendant. Parce qu’il s’engagea, durant sa campagne, à réduire les tarifs douaniers et le fret, il profita du budget libéral de 1924, qui avait diminué les impôts, en faisant du même coup baisser le prix des automobiles, de plus en plus populaires à l’époque. Son énergie débordante, son esprit vif et son éloquence lui permirent de marquer des points contre le député d’arrière-ban sortant, Hugh Cummings McKillop, député conservateur sans envergure. Le dépouillement des votes révéla que Hepburn avait réduit l’avance habituelle des conservateurs dans les bureaux de vote urbains et qu’il avait obtenu de fortes majorités dans les agglomérations rurales. En 1925, le candidat libéral avait enregistré un déficit de près de 2 000 votes ; un an plus tard, Hepburn l’emporta par 178 voix. Au cours d’une nuit de bouleversements dans le pays, ce fut un des résultats les plus inattendus.

Durant les quatre années qui suivirent, de député d’arrière-ban agité et non-conformiste, le jeune et insolent Hepburn devint une étoile montante dans les rangs du gouvernement. Au départ, les restrictions auxquelles étaient assujettis les nouveaux députés l’irritèrent ; il menaça même de traverser le parquet pour rejoindre les progressistes. Après avoir discuté avec le premier ministre William Lyon Mackenzie King*, cependant, Hepburn commença à se tailler un rôle plus constructif. En 1928, il était déjà l’un des porte-parole libéraux désignés durant le débat sur le budget, et deux ans plus tard, on lui demanda de réfuter le conservateur chevronné Henry Herbert Stevens* au sujet de la politique tarifaire. Entre-temps, il avait su tirer parti de ses compétences de tribun pendant sa campagne électorale pour une importante élection partielle dans Huron North, en 1927 ; à St Thomas, au cours d’un débat public qui avait attiré beaucoup de monde, il l’avait en effet emporté sur le député conservateur d’arrière-ban Eccles James Gott. Néanmoins, c’est à contrecœur qu’il donna son appui à un projet de loi libéral visant à mettre un frein au trafic d’alcool en direction des États-Unis. Même si Hepburn avait la réputation de mener une vie trépidante, son manque d’enthousiasme venait du fait qu’il savait que cette mesure était extrêmement impopulaire dans sa propre région.

Au moment des élections fédérales suivantes, pas plus tard qu’en 1930, Hepburn avait acquis la réputation d’être un représentant de circonscription zélé, un membre de comité sérieux et un porte-parole énergique des fermiers de l’Ontario. L’affrontement qui l’opposa publiquement à James J. Morrison*, des FUO, dont il trouvait les idées sur le gouvernement de groupe répugnantes, le fit définitivement paraître comme la voix progressiste des agriculteurs prolibéraux. Qui plus est, sa dénonciation, en 1928, d’un projet de loi présenté par un député visant à reconstituer le capital de la Compagnie canadienne d’assurance sur la vie, dite du Soleil, qu’il accusa d’être un cas flagrant de « dilution d’actions » qui entraînerait des conséquences négatives pour les détenteurs de police, avait renforcé l’attrait populiste qu’il exerçait sur l’Ontarien moyen. Même si la machine conservatrice du premier ministre Ferguson porta une attention particulière à sa circonscription pendant la campagne fédérale, Hepburn fut facilement réélu, en dépit d’un revirement national pour les conservateurs de Richard Bedford Bennett*, alors que s’intensifiait la grande dépression.

Même engagé à fond dans sa propre circonscription, Hepburn avait trouvé le temps de parler ailleurs en Ontario pour des confrères grits. Pendant la session spéciale d’automne du Parlement qui suivit les élections, il ne languit plus à l’arrière-ban. King semblait abattu et passif, mais le « gars de Yarmouth », comme le surnommaient les journalistes politiques à l’époque, mena vigoureusement la lutte contre le gouvernement conservateur. Lorsqu’une élection partielle provinciale fut déclenchée en octobre dans Waterloo South, Hepburn fut heureux d’offrir son aide, et ce fut une victoire libérale inattendue. À ce moment-là, des personnalités puissantes de l’aile provinciale de l’Ontario Liberal Association commençaient à le remarquer. Au cours d’une réunion du Toronto Men’s Liberal Club, le même mois, Hepburn prononça un discours enlevant. Il déclara que le premier ministre était l’un des deux seuls monarques absolus du monde, l’autre étant le roi d’Abyssinie (Éthiopie). Peu nombreux étaient les hommes politiques capables de provoquer de tels rugissements d’approbation, à l’aide d’une simple comparaison entre Howard Ferguson et l’empereur Hailé Sélassié Ier.

Les libéraux provinciaux, qui étaient dans l’opposition depuis 1905 et ne s’étaient pas encore remis de la pire défaite électorale de leur histoire, en 1929, cherchaient une personnalité charismatique qui les ramènerait au pouvoir. C’était peut-être le moment de chercher au delà du petit groupe parlementaire de Queen’s Park. Il est vrai que William Edmund Newton Sinclair*, qui occupait le poste de chef intérimaire depuis 1923, avait connu des jours meilleurs. Désormais associé, dans l’opinion publique, à l’aile prohibitionniste d’un parti divisé en factions rivales, il n’offrait qu’une inefficacité avec des principes, et un mouvement se développa pour amener l’étoile montante d’Elgin West jusqu’à la direction provinciale du parti. Discrètement, King tenta de détourner le projet : il craignait l’imprévisibilité de son jeune collègue plein de vivacité et irrévérencieux, et la perte probable de son siège de député au profit des conservateurs dans une élection partielle ultérieure. Hepburn resta évasif en choisissant de prendre de longues vacances en Floride avec sa femme et sa mère, geste symbolique et astucieux pour quelqu’un qui avait la réputation d’être un buveur et un coureur de jupons. Pendant son absence, la campagne pour le coopter continua à prendre de l’élan. Au congrès de Toronto, qui commença le 16 décembre 1930, les candidats, y compris Sinclair, se désistèrent l’un après l’autre. Finalement, Hepburn l’emporta facilement sur Elmore Philpott*, un rédacteur adjoint du Globe de Toronto, journal prolibéral. À 34 ans, il devint le plus jeune chef qu’ait jamais eu le Parti libéral de l’Ontario.

Durant les trois années qui suivirent, Hepburn sillonna la province pour tenter de donner un nouveau souffle à l’organisation du parti. Même s’il conserva son siège fédéral, il consacra la majeure partie de son temps aux affaires provinciales. Son objectif était d’unir tous les fermiers et les ouvriers qui s’opposaient au gouvernement conservateur du nouveau premier ministre, George Stewart Henry, sous sa bannière et celle du Parti libéral. Harry Corwin Nixon*, le chef des progressistes, surtout populaires en milieu rural, était un vieil ami de Hepburn, du temps où il soutenait les FUO, et il favorisait lui aussi un effort coordonné. Plaire aux travailleurs en milieu urbain était plus problématique, en particulier depuis la création de la Fédération du Commonwealth coopératif (CCF) en 1932–1933. Pour tenter de gagner l’appui des ouvriers, Hepburn adopta une rhétorique plus percutante. À l’occasion d’une élection partielle dans York West, en 1932, il affirma : « Je penche fortement pour la gauche, [...] où même certains libéraux ne me suivront pas. » Lorsque le gouvernement de Henry envoya des troupes à Stratford, un an plus tard, pour briser une grève dans les usines de meubles, Hepburn intervint pour défendre les ouvriers.

Les trois grands sujets du moment en Ontario étaient les contrats hydroélectriques avec des fournisseurs privés, la vente de bière et de vin, et l’augmentation des crédits d’impôt accordés aux écoles catholiques. Dans chacun des cas, Hepburn chercha à préserver l’unité de son parti, tout en multipliant les attaques contre le premier ministre Henry. Il eut des rapports de plus en plus conflictuels avec Sinclair, son propre leader parlementaire, qui ne cachait pas son antipathie pour le nouveau chef. Néanmoins, une tendance nette ressortit d’une série d’élections partielles où les libéraux triomphèrent ou réduisirent de manière importante la majorité tory. La santé de Hepburn resta délicate. (On lui avait enlevé un rein en juin 1931.) Des périodes d’activité intense étaient entrecoupées de très longs temps de repos, soit à sa ferme, soit en Floride. Invariablement, après s’être retiré le temps nécessaire, il revenait sur la scène politique, aussi intrépide et haut en couleur que jamais. C’était un comportement que son propre chef fédéral, King, ne put jamais comprendre ni tolérer.

Même si, en privé, Hepburn avoua à un correspondant que sa carrière politique était « un jeu vraiment pourri, et [qu’il avait] souvent souhaité ne jamais [s’y être] embarqué », il ne donnait pas cette impression en public. Henry le défia d’obtenir un siège à l’Assemblée législative provinciale, lui offrant une acclamation, mais Hepburn refusa de mordre à l’hameçon. En secret, cependant, il tentait de faire remplacer Sinclair comme leader parlementaire par le whip du parti, George Alexander McQuibban, à la veille de la session de 1934. En mars, le gouvernement conservateur proposa de modifier le Liquor Control Act pour relâcher les restrictions concernant la vente de bière et de vin au verre, en creusant du même coup un fossé entre les dries (prohibitionnistes) et les wets (antiprohibitionnistes) au sein du groupe parlementaire libéral. Hepburn et ses partisans répondirent en déclarant publiquement : « la position de l’opposition [...] est que la prohibition n’est pas et ne devrait pas être transformée en une question politique partisane ». Même si six libéraux, y compris McQuibban, rompirent les rangs pour voter contre le projet de loi à la deuxième lecture, Hepburn assura aux électeurs que, s’il était élu, un gouvernement libéral adopterait le projet de loi tory. La question de la tempérance étant temporairement écartée, il se concentra à nouveau sur sa stratégie globale pour maintenir les tories sur la défensive. Afin d’atteindre ce but, les libéraux tirèrent profit de leur coopération de plus en plus étroite avec les progressistes de Nixon. Lorsque l’Assemblée législative fut dissoute, au milieu du mois de mai, et que la date des élections fut fixée au 19 juin, Hepburn abandonna son siège fédéral pour se présenter aux élections provinciales dans la circonscription d’Elgin. Pour la première fois en une génération, les libéraux avaient autant de chances de l’emporter que leurs adversaires conservateurs. La campagne s’avérerait décisive.

Les élections ontariennes de 1934 furent un concours de calomnies à l’ancienne. Henry choisit de s’appuyer sur son bilan ; il espérait que l’économie revigorée, les mesures de rétablissement de son gouvernement et la machine tant vantée du Parti conservateur détermineraient le résultat. Pour faire bonne mesure, il critiqua sévèrement son adversaire, l’accusant d’être un dangereux radical, dont le virage à gauche serait désastreux pour la province. Hepburn lui rendit la monnaie de sa pièce. Après moins d’une semaine de campagne, il avait déjà lancé des attaques acérées contre le gouvernement conservateur au sujet d’un plan compliqué de pots-de-vin, par le biais duquel il aurait prétendument profité de l’octroi de permis pour vendre des produits au Liquor Control Board of Ontario. D’un bout à l’autre de la province, il accusa les tories non seulement de corruption, mais, pire, d’être à la tête d’une administration trop large et inefficace. Dans ce qui était une promesse électorale typique, le chef de l’opposition s’engagea à mettre les limousines du gouvernement en rang à Queen’s Park pour les vendre aux enchères. L’Evening Telegram de Toronto, journal proconservateur, publia une lettre privée diffusée par la Catholic Taxpayers’ Association of Ontario, qui faisait pression sur les deux partis pour qu’ils financent les écoles séparées. La lettre conseillant vivement aux catholiques de voter contre le gouvernement, les conservateurs accusèrent les libéraux d’avoir conclu un accord en secret. Hepburn nia vigoureusement avoir fait des promesses inappropriées ; en revanche, il rappela sarcastiquement aux électeurs comment l’« honnête George » Henry avait – on ne sait comment – oublié qu’il possédait des obligations d’une valeur de 25 000 $ dans une entreprise que son gouvernement avait renflouée au moment où elle connaissait des difficultés financières. De manière significative, l’organisation libérale était aussi bien financée et efficace que celle de ses adversaires tories. La cour patiente que Hepburn avait faite à la clientèle électorale des progressistes et des travaillistes durant les quatre années précédentes réduisit considérablement le nombre de luttes à trois qui divisaient le vote anti-gouvernement. Lors du décompte des voix, le 19 juin, les libéraux remportèrent une victoire écrasante. Les forces combinées des libéraux, des progressistes et des FUO avaient remporté 70 des 90 sièges de l’Assemblée législative. Un peu plus de 50 % des électeurs avaient choisi des candidats grits ou leurs alliés. À 37 ans, Hepburn était sur le point de devenir le plus jeune premier ministre de l’histoire de l’Ontario.

Après quelques jours de célébration et de repos, Hepburn entreprit d’apposer sa marque sur les affaires provinciales. Le 10 juillet, il fut assermenté, ainsi que son cabinet, réduit à dix membres par mesure d’économie. Nixon, son allié progressiste, devint secrétaire provincial et registraire ; il serait pour lui un solide adjoint. Il y avait parmi les autres nominations importantes celle d’Arthur Wentworth Roebuck*, avocat de Toronto, aux postes de procureur général et de ministre du Travail, et celle de David Arnold Croll*, ancien maire de Windsor et premier Juif dans l’histoire de l’Ontario à faire partie du cabinet, à la tête du département du Bien-être public et d’un nouveau département des Affaires municipales. Hepburn, voulant mener ses affaires avec fermeté et efficacité, serait son propre trésorier provincial. Une des premières décisions que prit le cabinet fut l’adoption de la mesure législative sur la bière et le vin présentée par le gouvernement de Henry. Pendant les six premiers mois de leur mandat, les ministres se concentrèrent principalement sur l’élimination des dépenses inutiles. Ils commencèrent par réduire leurs propres salaires de 2 000 $, ce qui correspondait à une baisse de 20 %. Quatre-vingt-sept automobiles qui appartenaient au gouvernement furent vendues aux enchères au Varsity Stadium de la University of Toronto. De nombreuses personnes en vue nommées par les conservateurs, y compris des membres de la Commission d’énergie hydroélectrique de l’Ontario et George Alexander Drew*, président de l’Ontario Securities Commission, furent sommairement renvoyées. L’Ontario House à Londres, en Angleterre, fut fermée. Les gardes-chasse, les inspecteurs apicoles et les examinateurs de conduite faisaient partie des fonctionnaires subalternes dont les postes furent éliminés. En tout, Hepburn affirma que ces mesures permettraient d’économiser un million de dollars, et promit qu’il ne s’arrêterait pas là. Plusieurs enquêtes furent engagées sur de présumés méfaits commis par les conservateurs lorsqu’ils étaient au pouvoir. Hepburn trouva encore le temps d’assister à une conférence fédérale-provinciale à Ottawa en juillet et de participer activement à cinq élections partielles fédérales tenues en Ontario en septembre ; quatre d’entre elles se soldèrent par une victoire des libéraux. Ce rythme effréné mit toutefois sa santé à l’épreuve et, à la fin de l’année, il prit deux fois des vacances, la première dans les Caraïbes avec des copains, et la seconde en Floride avec sa femme, Eva Maxine.

Bronzé et en forme, Hepburn revint en Ontario pour le début de sa première session parlementaire, en février 1935. Son cabinet et lui posèrent un geste symbolique, au milieu de la grande dépression, en refusant d’assister au traditionnel grand banquet offert par le lieutenant-gouverneur à la veille de la session, lequel fut annulé, mais Hepburn revêtit la tenue de cérémonie de rigueur pour la lecture du discours du trône. Le nouveau premier ministre ne tarda pas à affirmer sa prédominance sur l’assemblée ; il ne toléra aucune différence d’opinions au sein de son groupe parlementaire et utilisa à l’occasion la majorité de son parti pour casser les décisions du président. Le 2 avril, il déposa son premier budget, avec l’aide incommensurable d’un fonctionnaire dévoué, Chester Samuel Walters, qui occupait le poste de contrôleur des finances au département du Trésor provincial. En réduisant les dépenses et en augmentant les taxes sur l’essence et les droits de succession, Hepburn réussit à diminuer de moitié le déficit hérité de l’administration Henry. La mesure la plus controversée de la session fut le projet de loi 89, présenté par Roebuck, qui donnerait naissance au Hydro-Electric Power Commission Act, 1935 ; ce projet de loi voulait permettre l’annulation de contrats d’hydroélectricité signés par le gouvernement conservateur avec quatre compagnies de la province de Québec. Son adoption, face à une opposition conservatrice déterminée, nécessita 26 heures de débat ininterrompu. Parmi les autres réalisations gouvernementales dignes de mention, il y eut un projet de loi pour faire des quintuplées Dionne (Yvonne, Annette, Cécile, Émilie et Marie), nées près de Callander en mai 1934, des pupilles du gouvernement provincial ; l’Industrial Standards Act, qui amena la création d’un salaire minimum et celle de codes volontaires pour guider les relations de travail ; une nouvelle politique d’aide sociale, qui établit des normes provinciales d’admissibilité et imposa une limite aux contributions versées par Queen’s Park aux municipalités ; et la conversion de bons provinciaux échus en titres à plus faible taux d’intérêt. Au milieu de tout cela, le premier ministre continua à brûler la chandelle par les deux bouts ; il faisait la fête jusqu’à tard dans la nuit dans sa suite du King Edward Hotel, même s’il souffrait d’accès périodiques d’hypertension artérielle, d’insomnie, de palpitations et de bronchite. Entre-temps, des menaces anonymes contre sa famille, qui comprenait désormais un fils adoptif, amenèrent la police provinciale à exercer une surveillance de protection autour de sa ferme.

Néanmoins, lorsque la campagne électorale fédérale commença, à l’été de 1935, Hepburn fit une tournée énergique à travers le pays pour soutenir la cause libérale. Pendant six semaines, il voyagea d’un océan à l’autre, parcourant plus de 10 000 milles et prononçant plus de 65 discours. Il encouragea ses collègues du cabinet et l’organisation provinciale du parti à « faire tout leur possible » pour assurer le succès des candidats libéraux. Le décompte des voix révéla que les libéraux avaient été réélus avec une forte majorité et que King pouvait compter, en Ontario, sur 56 députés comparativement à 22 en 1930. Par conséquent, lorsque sa demande pour qu’un allié, Arthur Graeme Slaght*, fasse partie du nouveau cabinet fédéral ne fut pas prise en compte, Hepburn eut du mal à avaler la pilule. Même si King s’était réjoui de l’aide de Hepburn au moment de sa réélection, il se méfiait des motivations du premier ministre, et de son contrôle sur la machine du Parti libéral en Ontario. L’animosité croissante entre les deux chefs grits devint vite évidente au cours de la conférence fédérale-provinciale qui se tint à Ottawa au début de décembre. Les délégations fédérale et ontarienne se heurtèrent au sujet d’un certain nombre de questions : l’opportunité de convertir la dette afin de diminuer les taux d’intérêt, l’aide fédérale pour les dépenses d’assistance sociale, et l’imposition sur les profits miniers et les droits successoraux. L’état d’esprit tourmenté de Hepburn se reflétait peut-être dans une déclaration qu’il avait faite à la presse au début de novembre, affirmant son intention de se retirer après la prochaine session parlementaire. « Mes deux ennemis, l’épuisement et les soucis, me poursuivent sans relâche dans cet emploi », avait-il expliqué. Un autre long séjour en Floride sembla atténuer les tensions, puisqu’il ne fut plus question de retraite après son retour au Canada, vers la fin du mois de janvier.

Hepburn fut satisfait de son budget de mars, qui prévoyait un léger excédent pour la prochaine année financière, en grande partie attribuable à l’application scrupuleuse de la loi sur les droits successoraux et au nouvel impôt auquel étaient assujetties les personnes ayant un revenu supérieur à 1 000 $, somme relativement importante à l’époque. Mais ce fut la question du financement des écoles séparées qui domina la politique provinciale en 1936. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, qui avait garanti aux écoles catholiques de l’Ontario le droit d’être subventionnées, n’avait pas anticipé l’ère des grandes sociétés de capitaux dépourvues d’appartenance religieuse. Par conséquent, les écoles publiques recevaient la part du lion des taxes municipales, compensées en partie seulement par des subventions provinciales. Les contribuables catholiques, croyant que les libéraux de Hepburn seraient plus aptes que les conservateurs de Henry ne l’avaient été à réparer cette injustice, s’étaient tournés vers lui en 1934. Deux ans plus tard, le premier ministre entreprit de justifier leur confiance grâce à une loi qui établirait une division des impôts municipaux sur les bénéfices davantage en accord avec la composition religieuse de la province. Le projet de loi, présenté à l’Assemblée législative au début d’avril, suscita la controverse dès le début et incita les conservateurs à faire de l’obstruction parlementaire. Face à l’opposition acharnée d’importants segments de la majorité protestante, Hepburn fit appel au sens de la justice des Ontariens. Après une semaine de discours passionnés à l’Assemblée législative, le premier ministre mit son groupe parlementaire au pas, et le projet de loi fut adopté par un vote qui se tint à cinq heures du matin, le 9 avril. Plus tard dans le courant de l’année, cette question dominerait une élection partielle dans Hastings East, qui attira des poids lourds des deux partis. Cependant, même la popularité personnelle de Hepburn ne put faire pencher la balance dans cette circonscription principalement protestante, et les conservateurs la remportèrent avec une majorité accrue. Le premier ministre essuya une autre déception en novembre, lorsque le Hydro-Electric Power Commission Act, qui annulait les contrats conclus avec quatre compagnies de la province de Québec, fut déclaré ultra vires par les tribunaux. En outre, sa querelle avec Ottawa continuait, exacerbée par les compressions budgétaires fédérales unilatérales dans l’assistance sociale. À la fin de 1936, un Hepburn frustré informa Norman Platt Lambert*, l’organisateur en chef du parti de King, de son intention de « garder [son] organisation séparée et à l’écart de [la leur] ».

La nouvelle année débuta mal. La santé de Hepburn se détériora et nécessita un autre séjour dans le Sud. Lorsque le premier ministre revint, en février, pour reprendre les choses en main, le cabinet était divisé et le groupe parlementaire, agité. Il arriva à présenter un budget équilibré en mars, qui prévoyait de légères réductions d’impôt, il augmenta les subventions aux municipalités pour les routes communales et commença à rembourser la dette provinciale. Après avoir pris le contrôle des négociations relatives à l’hydroélectricité, Hepburn parvint à un règlement avec la Ottawa Valley Power Company, qui réduisait le prix du kilowatt par rapport à l’accord initial. Son gouvernement fit aussi du trille grandiflore blanc (trillium grandiflorum) l’emblème floral de l’Ontario. Après plusieurs mois de controverse religieuse, et tandis que la complexité administrative créée par la loi sur le financement des écoles séparées devenait de plus en plus évidente, Hepburn incita soudainement son parti à appuyer une motion conservatrice pour que cette loi soit abrogée. Des partisans catholiques furent déçus, mais ils furent sensibles au fait que, dans une province à majorité protestante, il avait fait tout ce qu’il pouvait pour les aider. Dans un geste que certains mirent sur le compte de son amitié avec des propriétaires miniers établis dans le quartier des affaires de Toronto, le gouvernement de Hepburn annonça une subvention d’un dollar par tonne de minerai de fer extraite dans la province, soi-disant pour encourager la reprise économique.

Dans le même ordre d’idées, le premier ministre lança un avertissement contre le nouveau Committee for Industrial Organization (CIO), établi aux États-Unis, et ses méthodes radicales. Hepburn était convaincu que ce comité ruinerait l’économie de l’Ontario si on lui permettait d’organiser les mines, les usines et les fabriques de la province. À la suite d’une attaque sanglante contre des grévistes dans une fonderie à Sarnia, Hepburn déclara qu’il ne tolérerait pas de grèves sur le tas en Ontario. Cette prise de position semblait contraster avec les opinions qu’il défendait avant son arrivée au pouvoir, lorsqu’il avait dénoncé le gouvernement de Henry pour avoir fait appel à l’armée pour mettre fin à la grève de Stratford, en 1933, et avait proclamé qu’il était du côté « non pas des fabricants », mais des ouvriers.

Hepburn choisit de prendre position à Oshawa, où 4 000 travailleurs de l’automobile poursuivaient des négociations contractuelles avec la General Motors of Canada. Le redressement de l’économie stimulait la demande pour de nouvelles voitures, et la direction était prête à satisfaire les revendications syndicales relatives aux salaires, à l’ancienneté et aux conditions de travail, mais le point de désaccord était la reconnaissance du syndicat lui-même. Les travailleurs d’Oshawa avaient fondé une section locale de la United Automobile Workers of America, un des principaux membres affiliés du CIO. Hepburn encouragea l’entreprise à rester ferme, et une grève-surprise fut déclenchée le 8 avril. En prévision d’actes violents, il demanda un déploiement d’urgence de la Gendarmerie royale à cheval du Canada, mais lorsque le gouvernement de King hésita à doubler le contingent initial, le premier ministre ordonna à l’Ontario Provincial Police de recruter plusieurs centaines d’agents spéciaux, qui furent vite surnommés les « hussards de Hepburn » ou, parfois, les « Sons of Mitches » (déformation de l’expression « fils de pute ». Il n’y eut pas de violence, mais chaque fois qu’un accord semblait sur le point d’être conclu, il se heurtait au refus de Hepburn d’accepter quelque participation que ce soit des organisateurs syndicaux américains. L’intransigeance du premier ministre divisa son cabinet, et il demanda la démission du procureur général, Roebuck, et du ministre du Travail, Croll, qui désapprouvaient ses actions. Ce dernier fit alors sa célèbre déclaration : « Je [préfère] marcher avec les travailleurs plutôt que de rouler avec la General Motors. » Après deux semaines, Hepburn put finalement annoncer la conclusion d’un accord, que les travailleurs ratifièrent le jour suivant. Tandis que le premier ministre était convaincu d’avoir tenu tête au CIO, les organisateurs syndicaux criaient eux aussi victoire.

Pendant la grève d’Oshawa, Hepburn dévoila au grand jour ce que beaucoup de gens considéraient comme sa vraie motivation concernant le CIO, avec ses méthodes radicales et ses sympathisants communistes, qui souhaitait s’étendre dans la province. Le 18 avril, il avertit publiquement les dirigeants de l’organisation qu’ils ne « mettraient jamais leurs sales pattes sur les mines du nord de l’Ontario » tant qu’il serait premier ministre. Encouragé par son copain de Bay Street, le financier Clement George McCullagh, qui était alors le propriétaire du Globe and Mail de Toronto, Hepburn alla jusqu’à entrer en contact avec le nouveau chef des conservateurs, William Earl Rowe*, pour lui proposer secrètement de former un gouvernement de coalition. Complètement pris au dépourvu, le chef conservateur consulta ses collègues en Ontario et à Ottawa, avant de refuser l’offre. Lorsque le Toronto Daily Star fit courir la rumeur de cette initiative sans précédent, les deux chefs nièrent tout. Les raisons de Hepburn pour proposer une alliance, alors qu’il dominait déjà la scène provinciale, restent mystérieuses ; son désir ardent de faire front commun contre le CIO, combiné avec sa détermination croissante à évincer King du pouvoir, fournissent peut-être la meilleure explication. Il semblait espérer que l’exemple d’un gouvernement non partisan et fort en Ontario pourrait précipiter le départ de son rival fédéral tenace.

Même si le plan échoua, Hepburn sortit indemne de la situation, et avait toujours le vent en poupe à la suite de sa confrontation publique avec le CIO. Le premier ministre déclencha subitement des élections pour le 6 octobre, même s’il n’en était qu’à la troisième année de son mandat, et commença une campagne énergique. Il se déclara encore le défenseur du « petit homme », qui protégeait l’Ontario contre les communistes intrigants, les barons du pouvoir avides et les tories étroits d’esprit. Toujours populiste dans ses discours électoraux, le chef libéral évoqua ses origines rurales, et déclara : « J’ai foi dans l’intelligence des gens. » Sans grand succès, Rowe critiqua le gouvernement pour avoir refusé d’honorer des contrats, exacerbé les divisions religieuses et violé les droits des travailleurs. Le parti de Hepburn l’emporta encore une fois haut la main ; les libéraux virent une légère augmentation de leur part des suffrages exprimés et perdirent seulement quelques sièges. Hepburn était à l’apogée de sa carrière politique.

Le premier point à l’ordre du jour était la recomposition du cabinet. Hepburn pourvut les postes vacants et ajouta quatre ministres. Le nouveau membre le plus en vue était le procureur général, Gordon Daniel Conant ; sa victoire dans sa circonscription, dont faisait partie Oshawa, semblait être une approbation de la position du gouvernement au cours de la récente grève. Nixon, l’homme de confiance, resta le bras droit du chef, prêt à assumer le poste de premier ministre suppléant durant les fréquentes vacances de Hepburn dans le Sud. Les nouveaux ministres venaient à peine de prêter serment lorsque le premier ministre se trouva mêlé à un autre conflit avec King. La cause de leur désaccord était la nomination du nouveau lieutenant-gouverneur et le sort de Chorley Park, résidence officielle du représentant du roi en Ontario.

Les deux chefs auraient été heureux de voir se prolonger le mandat du titulaire du poste, le docteur Herbert Alexander Bruce*, mais Hepburn voulait une nomination au Sénat pour son ministre de l’Agriculture vaincu, Duncan McLean Marshall*, tandis que King espérait dissuader son homologue provincial de fermer Chorley Park. Hepburn hésitait toutefois à revenir sur une promesse électorale, et King tenait à sa prérogative de nomination. Il en résulta une autre série d’amères récriminations. Bruce démissionna et fut remplacé par un libéral de Toronto fidèle à King, Albert Edward Matthews* ; la résidence officielle fut fermée et mise en vente. Tandis que l’animosité était encore vive, les deux chefs libéraux s’affrontèrent à nouveau au sujet de la vente d’hydroélectricité aux États-Unis. En raison du règlement négocié avec les compagnies de la province de Québec, l’Ontario disposait de surplus d’électricité qu’elle pouvait vendre et d’un marché facile dans l’État de New York. Les exportations d’hydroélectricité devaient cependant être approuvées par le fédéral. Le gouvernement de King rejeta la demande de l’Ontario, en citant un précédent historique. Hepburn était furieux, et il le dit publiquement.

Hepburn avait déjà jeté le gant à ses adversaires lors d’un discours prononcé à Toronto peu après la fin de la grève d’Oshawa. « Je suis un réformateur », avait-il expliqué à l’époque. « Mais je ne suis plus un libéral de Mackenzie King. » Pas plus tard qu’en 1938, Hepburn et King auraient aimé être débarrassés l’un de l’autre. Alors que King préférait manœuvrer dans l’ombre tout en sauvant les apparences, Hepburn était plutôt enclin à s’exprimer avec une franchise brutale. De plus, le premier ministre de l’Ontario commençait à trouver la politique ennuyante dans sa propre province. Une question qui provoqua de l’indignation au sein de la population fut sa détermination à introduire la pasteurisation obligatoire du lait. Convaincu des risques pour la santé que comportait le lait non pasteurisé, en particulier celui de contracter la tuberculose [V. John Gunion Rutherford*], Hepburn ne céda pas, en dépit de la forte opposition de beaucoup de ses propres partisans agriculteurs, et la loi fut sanctionnée au cours de la session de 1938.

Alors que cette action montra Hepburn sous son meilleur jour, la querelle continue avec Ottawa sembla plutôt révéler ce qu’il y avait de plus mauvais chez lui. Il croyait apparemment que la commission royale des relations entre le dominion et les provinces [V. Newton Wesley Rowell* ; Joseph Sirois*], créée par le gouvernement fédéral en 1937, visait à mettre en échec l’Ontario et la province de Québec, alors dirigée par son nouvel ami et allié, Maurice Le Noblet Duplessis. Dans son exposé aux commissaires, au début de mai de l’année suivante, le premier ministre de l’Ontario s’opposa vigoureusement à toute centralisation des pouvoirs ou des revenus à Ottawa. Lorsque le président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, fit la promotion d’une voie navigable du Saint-Laurent pendant l’inauguration du pont des Mille-Îles à Ivy Lea, en août, Hepburn, qui avait ostensiblement boycotté l’événement, s’empressa de dénoncer la proposition américaine en la qualifiant de coûteuse et d’inutile. Il ne s’arrêta pas là et promit, dans une lettre virulente adressée à King qui fut rendue publique, que l’Ontario continuerait à résister, « peu importe la propagande ou les méthodes de pression que [King] pourrait concocter ». Le conflit au sein du parti arriva à un point critique pendant une assemblée de mise en candidature pour le ministre fédéral des Transports Clarence Decatur Howe à Port Arthur (Thunder Bay), le 10 décembre, lorsque le ministre du Travail de King, Norman McLeod Rogers*, dénonça un complot présumé entre Hepburn et Duplessis pour renverser King. Hepburn démentit l’accusation, mais ne cacha pas son mépris pour les politiques fédérales.

Au début de 1939, Hepburn fit un voyage en Australie, dans le but d’observer les conditions économiques de ce pays et de rétablir sa santé. Il revint à la fin de février avec une nouvelle préoccupation : le besoin pressant pour le Canada de se préparer en vue d’une guerre mondiale imminente. Fait peu étonnant, il constata que le gouvernement fédéral ne traitait pas urgemment cette situation. Il trouva finalement en Drew, qui venait d’être élu chef du Parti conservateur de l’Ontario, son plus fidèle allié sur la question de la défense. Leurs vifs affrontements pendant les débats à l’Assemblée ne faisaient qu’ajouter de la crédibilité à ce qu’ils disaient lorsqu’ils affirmaient être du même avis. Par exemple, quand Hepburn proposa qu’« en cas d’état de guerre, les richesses et la main d’œuvre du Canada [soient] mobilisées […] pour défendre nos institutions libres », Drew fut d’accord avec lui. Une telle unité non partisane rendit nerveux King et le chef conservateur fédéral Robert James Manion*, qui craignaient de possibles motifs secrets. Les deux chefs libéraux observèrent une courte trêve durant la visite du roi George VI et de la reine Élisabeth à Toronto en mai, à l’occasion de laquelle Hepburn, en général sûr de lui, avoua avoir « vraiment eu le trac ».

Après le déclenchement des hostilités en Europe, en septembre, le gouvernement de Hepburn mit rapidement la province sur un pied de guerre. Un comité formé du premier ministre, du lieutenant-gouverneur et du chef de l’opposition se rendit même à Ottawa au début du mois suivant pour offrir son appui et ses conseils à King et à son cabinet. Dans un geste conciliatoire, Hepburn retira ses objections concernant le projet de voie maritime du Saint-Laurent. Les ministres fédéraux écoutèrent patiemment, mais Hepburn et Drew furent irrités par le manque d’actions concrètes. Des rumeurs au sujet d’un mouvement pour un gouvernement d’union non partisan recommencèrent à circuler, pendant qu’en privé, le premier ministre caressait l’idée de démissionner de son poste pour devenir un membre actif des forces canadiennes outre-mer.

Obsédé par le déroulement des événements de la Deuxième Guerre mondiale, Hepburn aspirait à jouer un rôle plus important. King soupçonnait que, pour assouvir cette ambition, il projetait, entre autres, de prendre sa place à la tête du pays. Lorsque, à l’Assemblée législative de l’Ontario, Drew parla de manière désobligeante du leadership timide du gouvernement fédéral, Hepburn ne put résister à la tentation. Le 18 janvier 1940, sans consulter ni son cabinet ni son groupe parlementaire, il proposa une résolution « regrettant que le gouvernement fédéral à Ottawa ait fait si peu d’efforts pour que, pendant la guerre, le Canada accomplisse son devoir de manière aussi vigoureuse que le souhait[ait] le peuple du Canada ». La résolution fut adoptée par 44 voix contre 10, mais le premier ministre avait divisé son propre parti. Dix courageux députés d’arrière-ban votèrent contre lui, tandis que, pour ne pas condamner leurs homologues fédéraux, 22 autres s’abstinrent. Loin de nuire au premier ministre du Canada, la motion impétueuse de Hepburn donna à King des motifs pour déclencher subitement des élections le 26 mars, que les libéraux remportèrent de manière décisive. C’était alors l’emprise de Hepburn sur le parti en Ontario qui était mise en question. Nixon, son bras droit, démissionna du cabinet, mais Hepburn réussit à le convaincre de revenir peu de temps après. Nixon monta ostensiblement sur la tribune lors d’un grand rassemblement politique organisé pour King à Toronto, le 14 mars, et les critiques directes du premier ministre ontarien contre le chef fédéral cessèrent, au moins pour un temps. De nouveaux ennuis de santé obligèrent Hepburn à se rendre dans un sanatorium à Battle Creek, dans le Michigan, où il fut traité pour une broncho-pneumonie. Il revint en août nettement rajeuni, mais avec moins de goût pour la politique partisane.

King invita Hepburn à assister à une conférence fédérale-provinciale à Ottawa, à la mi-janvier de 1941, ce qui eut tôt fait de lui remonter le moral. Le but de la rencontre était de discuter du rapport de la commission Rowell-Sirois, qui avait recommandé une restructuration en profondeur de la répartition des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux. En échange du droit exclusif de percevoir des impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés ainsi que les droits successoraux, le gouvernement fédéral assumerait toutes les dettes des provinces, serait responsable de l’assistance au chômage et accorderait des subventions de péréquation aux provinces. En lançant l’invitation, King souligna : « Le rapport requiert notre plus grand discernement. » Lorsque la conférence débuta, Hepburn ne tarda pas à assumer le rôle de principal défenseur des droits des provinces. Il ridiculisa le rapport en le qualifiant de « produit de l’esprit de trois professeurs et d’un journaliste de Winnipeg », et déplora l’idée de « se tourner les pouces pendant que Londres brûl[ait] ». Son objection principale était cependant très importante : l’acceptation du rapport constituerait « un abandon à une autorité centrale de droits et privilèges accordés par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ». Appuyé par les premiers ministres William Aberhart*, d’Alberta, et Thomas Dufferin Pattullo, de Colombie-Britannique, Hepburn bloqua le déroulement de la conférence ; les trois chefs provinciaux étaient prêts à discuter de l’aide que pouvaient apporter les provinces à l’effort de guerre, mais seulement si l’ordre du jour n’était pas lié au rapport Rowell-Sirois. King craignait que le premier ministre de l’Ontario ne déclenche des élections dont le thème central serait les droits des provinces, et s’il l’avait fait ce printemps-là, Hepburn aurait bien pu l’emporter. Il dominait encore la scène provinciale, comme en témoigna l’ovation que lui firent ses députés d’arrière-ban lorsqu’il annonça un nouvel excédent budgétaire en mars. Nixon, parmi d’autres, lui conseilla vivement de consulter la population, mais Hepburn préféra attendre, convaincu qu’il n’était pas convenable de procéder à des élections en temps de guerre. En privé, il faisait toujours pression pour obtenir un poste dans les forces canadiennes outre-mer ; à sa grande consternation, aucun ne se présenta.

Au début de 1942, King tira encore une fois Hepburn de son marasme. Au discours du trône fédéral, on promit aux Canadiens une occasion de libérer le gouvernement libéral de sa promesse de ne pas imposer la conscription pour le service outre-mer. Le premier ministre de l’Ontario fut scandalisé, et il dénonça le plébiscite comme « une des choses les plus ignobles, méprisables et lâches jamais perpétrées sur un […] pays par un gouvernement ». Il offrit son appui à un vieil adversaire, Meighen, qui était une fois de plus chef des conservateurs fédéraux et candidat à une élection partielle dans York South, et fit également campagne contre le nouveau ministre du Travail de King, Humphrey Mitchell*, dans Welland. Le propre cabinet de Hepburn était divisé : Conant affirmait que la défaite de Meighen serait une tragédie et Nixon prétendait que son élection serait une « catastrophe nationale ». L’intervention de Hepburn ne changea pas grand-chose ; Meighen fut vaincu et Mitchell élu. Néanmoins, le premier ministre conserva une grande emprise sur le parti provincial, malgré une tentative de Roebuck d’imposer la tenue d’un congrès à la direction.

Les principaux travaux de la session parlementaire qui s’ouvrit en février portaient sur la ratification d’un accord qui devait permettre le transfert de l’imposition des particuliers et des sociétés à Ottawa pour la durée de la guerre, en échange de subventions fédérales. Toujours maître dans son domaine, Hepburn admit cependant, tout comme le conservateur Leopold Macaulay, que cette décision avait réduit Queen’s Park à un « simple conseil de comté ». Le premier ministre s’ennuyait tellement depuis la diminution de son rôle qu’il alla jusqu’à offrir, en privé, de se retirer pour laisser Bruce, l’ancien lieutenant-gouverneur devenu député, diriger un gouvernement de coalition dans la province. Bruce refusa, mais l’incident montra le comportement de plus en plus fantasque de Hepburn. Il défendit une nouvelle cause durant sa tournée de conférences estivale : la levée de l’interdiction dans tout le pays du Parti communiste du Canada, l’Union soviétique étant devenue une alliée indispensable. Dans l’intérêt d’un effort de guerre conjoint, il était prêt à travailler avec ces anciens adversaires. La santé du premier ministre restait problématique ; de plus, la scarlatine que sa femme attrapa et le cancer de sa mère lui causèrent encore plus d’inquiétudes. Ce fut malgré tout un choc lorsque, le 21 octobre, le chef libéral démissionna subitement de son poste de premier ministre.

Hepburn, imprévisible, avait désigné le procureur général, Conant, pour lui succéder. Nixon trouva inacceptable que des collègues du parti n’aient pas été consultés, et il quitta rageusement le cabinet. Hepburn, qui avait accepté de rester en tant que trésorier provincial, convainquit le reste du groupe parlementaire de soutenir Conant au cours de la prochaine session parlementaire, en promettant qu’un congrès à la direction aurait lieu lorsqu’elle se terminerait. Il ne put cependant échapper à la controverse, et lorsque, au cours de ses attaques incessantes contre le gouvernement fédéral, il accusa ce dernier d’utiliser les « tactiques nazies d’Hitler », le nouveau premier ministre en avait eu assez. Le 28 février, Conant accepta la démission du cabinet de son ancien patron, restée en suspens depuis octobre. Cette action incita Hepburn à se déchaîner contre le « gouvernement collabo » en Ontario. On spécula sur le fait qu’il tenterait peut-être, dans un geste spectaculaire, de se succéder à lui-même, mais il n’assista pas au congrès, en avril 1943, où Nixon fut choisi comme nouveau chef provincial. Durant la campagne électorale qui suivit, Nixon essaya de défendre le bilan libéral contre deux partis rajeunis, les conservateurs de Drew, à droite, et la CCF sous la conduite d’Edward Bigelow Jolliffe*, qui connaissait un nouvel essor, à gauche. Son style laborieux pendant la campagne ne fit cependant pas le poids face à ces adversaires plus éloquents, et, le 4 août, son parti ne remporta que 15 sièges, contre 38 pour les conservateurs et 34 pour la CCF. L’un des sièges grits rescapés avait été gagné par Hepburn, qui s’était présenté comme candidat libéral indépendant dans Elgin, comme il l’avait fait en 1925 à sa première course électorale.

Hepburn se tint à l’écart du caucus libéral durant plus d’un an. Lorsqu’il y participa à nouveau, le premier ministre Drew était une fois de plus devenu son ennemi politique, tandis que Hepburn, apparemment peu troublé par son inconsistance, considérait maintenant le premier ministre King comme un allié. La question la plus importante concernait les allocations familiales ; lorsque Drew les dénonça comme un pot-de-vin à peine déguisé versé au Québec, Hepburn se précipita pour défendre l’initiative fédérale. À la suite de ce signe de vigueur renouvelée chez leur ancien chef, ses collègues provinciaux accueillirent chaleureusement son retour. Nixon lui-même proposa que Hepburn devienne le leader parlementaire du parti. À l’Assemblée législative, il fit face à une situation bien différente de celle qu’il avait connue lorsqu’il était premier ministre. Drew était à la tête d’un gouvernement conservateur minoritaire, et la CCF de Jolliffe formait l’opposition officielle. Néanmoins, Hepburn, rajeuni, ne tarda pas à conspirer pour renverser le gouvernement conservateur, un exploit qu’il parvint à accomplir en appuyant une motion de censure de la CCF, au printemps de 1945. Plein d’assurance, il lança sa campagne à Windsor en dévoilant un programme électoral libéral progressiste. Mais cette élection ne ressemblerait pas à celle de 1934. Son parti manquait de fonds, l’organisation s’était atrophiée et les candidats susceptibles de gagner étaient difficiles à trouver. Drew réussit à présenter les élections comme un choix entre les conservateurs partisans de la libre entreprise et la CCF socialiste. Même si de vastes foules vinrent écouter Hepburn, un nombre très insuffisant d’Ontariens votèrent pour ses collègues libéraux. Le 4 juin, seulement 14 d’entre eux furent élus, contre 66 conservateurs. Mince consolation, la CCF, avec huit élus, avait fait encore pire. Tristement, après cinq victoires consécutives à des élections fédérales et provinciales, Hepburn fut rejeté par les électeurs d’Elgin, battu à plate couture sur son propre territoire par un conservateur populaire, Fletcher Stewart Thomas. La carrière politique de Hepburn prit brusquement fin, à l’âge de 48 ans.

Bien que déçu, Hepburn accepta les résultats de l’élection avec bonne grâce. « Le peuple a parlé, dit-il, et j’accepte son verdict. » Quant à l’avenir, Hepburn déclara qu’il retournerait dans sa ferme « pour écouter pousser les fleurs ». Au cours de la décennie précédente, il avait menacé à de nombreuses reprises de démissionner et de rentrer à Bannockburn, sa propriété dans le comté d’Elgin, nommée en souvenir d’un champ de bataille historique en Écosse. La supervision de l’entreprise de 1 000 acres représentait certainement un travail à plein temps, en particulier après qu’il eut décidé de remplacer lui-même le gérant. Malgré des rumeurs occasionnelles, il ne reviendrait jamais en politique. Sa carrière politique s’était éteinte le 4 juin 1945. Il était encore, à 56 ans, un homme relativement jeune lorsque sa santé, qui n’avait jamais été robuste, chancela pour la dernière fois. Hepburn mourut dans son sommeil le 5 janvier 1953, dans la ferme où il avait vu le jour. Cinq premiers ministres de l’Ontario, dont celui qui était alors en poste, assistèrent à ses obsèques à l’église presbytérienne Knox de St Thomas. Ils étaient certainement d’accord avec le révérend Harry Scott Rodney lorsqu’il fit remarquer dans son éloge funèbre : « Vous faisiez sa connaissance, vous lui serriez la main, vous étiez enthousiasmé par son fameux sourire, et vous l’entendiez dire “Je suis Mitch Hepburn” ; et en l’espace de quelques minutes vous l’appeliez Mitch, et vous aimiez ça, et vous aviez l’impression de l’avoir toujours connu. »

La carrière politique de Hepburn est une énigme. Jeune prodige de la politique, il était député à 30 ans, chef d’un parti politique à 34 ans, et premier ministre de l’Ontario avant son 38e anniversaire. Inversement, il démissionna de son plein gré à l’âge de 46 ans et, à 48 ans, tout était fini pour lui. Comme une étoile filante, il apparut subitement, brilla de tous ses feux, puis disparut. Après avoir été choisi comme chef des libéraux de l’Ontario, Hepburn avait lui-même établi les étalons selon lesquels sa carrière politique serait évaluée : « Je ferai de mon mieux », avait-il promis. « Je contribuerai d’une quelconque façon au bien-être de cette province. J’espère que lorsque ma vie sur cette terre sera terminée, ce sera mieux que lorsque je suis arrivé. »

Hepburn apporta assurément des améliorations à la santé des Ontariens grâce à la pasteurisation obligatoire du lait, à de meilleurs soins pour les personnes atteintes de maladies mentales et à la construction de nouveaux hôpitaux. Parce qu’il choisit l’historien Duncan McArthur*, de la Queen’s University, d’abord comme sous-ministre en 1934, puis comme ministre en 1940, des réformes progressistes furent introduites dans le domaine de l’éducation. En dépit de la rhétorique de Hepburn contre le CIO, la législation du travail fut améliorée de manière considérable en faveur des travailleurs pendant qu’il était en fonction. Lorsqu’il s’avéra que les mesures législatives visant à niveler le traitement fiscal des écoles catholiques semaient la discorde, il augmenta discrètement les subventions provinciales afin d’atteindre le même objectif. Sous sa direction, l’économie regagna le terrain qu’elle avait perdu au début des années 1930, et les mines, les usines, les fabriques, les fermes et les bureaux de l’Ontario marchaient rondement à nouveau une décennie plus tard. La reprise n’était pas entièrement imputable au travail de son gouvernement, mais en tant que trésorier provincial, Hepburn réalisa des excédents budgétaires tout en favorisant la croissance grâce à la construction routière, à une gestion prudente de l’hydroélectricité et au soutien qu’il apporta à des industries primaires triées sur le volet. En cours de route, la fonction publique fut simplifiée, le système judiciaire restructuré et les services sociaux diversifiés, en même temps que la province assumait certains frais pour les municipalités, à court d’argent. En percevant avec vigilance les droits successoraux sur les biens des riches, tout en instaurant un régime fiscal progressif pour les particuliers et les sociétés, Hepburn ne s’attira pas les bonnes grâces de l’élite, mais il jeta les bases pour le modèle de progrès avec stabilité de l’Ontario d’après-guerre. Sa défense acharnée de l’autonomie provinciale, face aux pressions centralisatrices d’Ottawa, protégea une fédération équilibrée, capable de s’adapter aux forces centripètes des décennies à venir. Ce bilan était, sinon exceptionnel, au moins honorable pour l’époque.

« Je ne suis qu’un être humain comme vous », avait déclaré Hepburn au milieu de la campagne électorale de 1937. « Si j’ai fait des erreurs, ce furent des erreurs de cœur. » Si seulement cela avait été le cas, mais, malheureusement, la plupart de ses gaffes furent le résultat logique de ses défauts de caractère. Populiste instinctif, qui pestait contre la condescendance de ceux qui regardaient le petit gars de haut, il ne vit pas à quelle vitesse il prit lui-même des airs de « gros bonnet ». Fidèle à ses amis, il était impitoyablement vindicatif vis-à-vis de ceux qui le contrariaient. Doté d’une énergie sans limites, d’une nature optimiste et d’un esprit vif, il conserva le style de vie débridé de célibataire de sa jeunesse bien après que son dossier médical ait établi de manière irréfutable qu’il ne pouvait continuer comme cela. Nombre de ses défauts apparurent au cours de sa querelle prolongée avec King. Même si les torts étaient partagés, la brutale réalité est que le chef fédéral utilisa ce long conflit à son ultime avantage politique, alors que son homologue provincial le laissa détruire sa carrière. En ce qui concerne le parti, les libéraux fédéraux en Ontario continuèrent à avoir du succès, tandis que leurs homologues provinciaux sombraient à nouveau dans l’état chronique de faiblesse dont Hepburn les avait tirés. Cette fragilité remontait au début des années 1900, mais ses deux mandats ne suffirent pas à l’enrayer. L’incapacité de Hepburn à installer le parti sur des bases plus solides, plus durables, serait un de ses plus grands échecs.

D’un point de vue purement politique, les triomphes électoraux de Hepburn, en 1934 et en 1937, furent extraordinaires. Il fut le seul chef libéral de l’Ontario, entre 1905 et 1985, à mener ses troupes à la victoire, et il le fit à deux reprises, chaque fois avec une confortable majorité. Ces succès marquants ne s’expliquent pas seulement par son style oratoire charismatique, même si cela contribua à sa réussite. Ils découlèrent aussi de la création d’une excellente organisation du parti, qui disposait d’importantes ressources provenant d’intérêts économiques convaincus qu’ils prospéreraient dans une province dirigée par Hepburn. Il réussit à désamorcer deux questions qui avaient auparavant semé la discorde – la vente de boissons alcoolisées et le financement des écoles catholiques – de manière à ce qu’elles ne détruisent pas l’unité libérale, ou n’empêchent pas les électeurs de soutenir ses candidats. Hepburn mobilisa aussi le mécontentement public, d’abord contre l’élite conservatrice discréditée en 1934, puis contre les soi-disant fauteurs de troubles syndicaux étrangers et communistes en 1937. Malheureusement pour le parti, il ne put transmettre ces conditions gagnantes à ceux qui lui succédèrent. L’affaiblissement de sa santé physique et de sa stabilité émotionnelle, allié à la manière imprévisible dont il démissionna de la direction du parti, anéantirent les chances électorales des libéraux dans les années 1940. Cependant, son impact sur la politique provinciale fut tel que, pendant plusieurs décennies, on ne trouverait aucun successeur vraiment compétent pour le remplacer. Il était unique, et si le parti qu’il dirigea récolta les fruits de ses victoires, il fut aussi longtemps ébranlé par sa chute finale.

En conclusion, malgré ses défauts et son potentiel inutilisé, Mitchell Frederick Hepburn avait fait de l’Ontario un endroit meilleur ; ce fut le fruit de ses années de service. Sans cet homme politique vif, autrefois surnommé le « gars de Yarmouth », au centre de la scène, la province devint aussi certainement plus ennuyeuse. Des dirigeants à la personnalité aussi contradictoire que la sienne – guerrier heureux un jour, tyran vindicatif le lendemain – furent rares dans le milieu habituellement pondéré de la politique ontarienne. Son style exubérant eut un effet tonique sur les nombreuses personnes qui se sentaient désespérées durant les difficiles années 1930. Au milieu de la décennie suivante, cependant, la province goûtait de nouveau la prospérité, et le colonel Drew, patricien courtois, incarnait mieux les espoirs de la population de plus en plus urbanisée. Hepburn, le cultivateur d’oignons haut en couleur du comté d’Elgin, avait rempli son mandat, et le temps était venu pour l’Ontario de passer à autre chose.


Larry A. Glassford

Les Arch. publiques de l’Ontario, à Toronto, conservent le fonds de Mitchell Frederick Hepburn (F 10), ainsi que d’autres fonds pertinents qui contiennent les papiers de deux de ses plus importants adversaires – Howard Ferguson (F 8) et George Henry (F 9) – et de ses collègues de cabinet Gordon Daniel Conant (F 12), Thomas Baker McQuesten* (F 39) et Arthur Wentworth Roebuck (F 45). Les papiers de son vieil ennemi juré, William Lyon Mackenzie King (R10383-0-6), et ceux d’un autre antagoniste, George Alexander Drew (R5606-0-9), se trouvent à Bibliothèque et Arch. Canada, à Ottawa. Les papiers de Herbert Alexander Bruce, qui était lieutenant-gouverneur de l’Ontario pendant le premier mandat de Hepburn, sont aux Queen’s Univ. Arch., à Kingston, en Ontario. La Canadian annual rev. of public affairs (Toronto), éditée par John Castell Hopkins*, constitue une source d’information précieuse pour la période de 1926 à 1938. Le Times-Journal de St Thomas, en Ontario, créé dans la propre circonscription de Hepburn, figure parmi les quotidiens qui nous ont été utiles dans nos recherches ; d’autres, comme le Globe and Mail de Toronto, ses deux prédécesseurs, le Globe et le Mail and Empire, ainsi que le Toronto Daily Star, nous ont fourni une aide particulière.

Il existe deux biographies complètes de Hepburn : Neil McKenty, Mitch Hepburn (Toronto, 1967) et J. T. Saywell, “Just call me Mitch” : the life of Mitchell F. Hepburn (Toronto, 1991). On peut également se référer à R. MacG. Dawson et H. B. Neatby, William Lyon Mackenzie King : a political biography (3 vol., Toronto, 1958–1976), 3 (The prism of unity, 1932–1939), et à J. W. Pickersgill et D. F. Forster, The Mackenzie King record (4 vol., Toronto, 1960–1970), 1 (1939–1944). H. A. Bruce décrit son point de vue sur l’épisode de Chorley Park dans ses mémoires : Varied operations : an autobiography (Toronto, 1958).

Les vol. 15 et 18 de la Canadian centenary ser. fournissent un riche contexte pancanadien sur la vie publique de Hepburn : J. H. Thompson et Allen Seager, Canada, 1922–1939 : decades of discord (Toronto, 1985) et D. [G.] Creighton, The forked road : Canada, 1939–1957 (Toronto, 1976). Joseph Schull, Ontario since 1867 (Toronto, 1978), donne une vue d’ensemble utile de l’histoire de l’Ontario après la Confédération. Les relations tumultueuses de Hepburn avec le gouvernement fédéral sont bien traitées dans Christopher Armstrong, The politics of federalism : Ontario’s relations with the federal government, 1867–1942 (Toronto, 1981), et les effets des industries primaires sur les politiques ontariennes à son époque sont discutés dans H. V. Nelles, The politics of development : forests, mines & hydro-electric power in Ontario, 1849–1941 (Toronto, 1974). On peut obtenir de plus amples détails sur la querelle entre Hepburn et King dans J. L. Granatstein, Canada’s war : the politics of the Mackenzie King government, 1939–1945 (Toronto, 1975) et Reginald Whitaker, The government party : organizing and financing the Liberal Party of Canada, 1930–58 (Toronto, 1977).

Plusieurs articles de revues et chapitres de livres méritent d’être mentionnés. Neil McKenty examine la triomphale première campagne de Hepburn en tant que chef libéral dans « Mitchell F. Hepburn and the Ontario election of 1934 », Canadian Hist. Rev. (Toronto), 45 (1964) : 293–313. R. [M. H.] Alway, « A “silent” issue : Mitchell Hepburn, separate-school taxation and the Ontario election of 1937 », dans Policy by other means : essays in honour of C. P. Stacey, Michael Cross et Robert Bothwell, édit. (Toronto et Vancouver, 1972), 201–218, étudie les effets des écoles religieuses sur la campagne de 1937. L’article de Colin Read et Donald Forster, « “Opera bouffe” : Mackenzie King, Mitch Hepburn, the appointment of the lieutenant-governor, and the closing of Government House, Toronto, 1937 », Ontario Hist. (Toronto), 69 (1977) : 239–256, comporte une étude approfondie de la controverse de Chorley Park. R. M. H. Alway, « Hepburn, King, and the Rowell-Sirois Commission », Canadian Hist. Rev., 48 (1967) : 113–141, analyse l’une des questions majeures du conflit constant entre l’Ontario et Ottawa à cette époque. Le rôle que tint Hepburn durant la grève de la General Motors of Canada est traité à fond dans Irving Abella, « Oshawa 1937 », dans On strike : six key labour struggles in Canada, 1919–1949, Irving Abella, édit. (Toronto, 1974), 93–128. Enfin, Neil McKenty résume les points de vue politique et idéologique de Hepburn dans « That Tory Hepburn », dans Profiles of a province : studies in the history of Ontario, E. G. Firth, édit. (Toronto, 1967), 137–141.

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Larry A. Glassford, « HEPBURN, MITCHELL FREDERICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 18, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hepburn_mitchell_frederick_18F.html.

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Auteur de l'article:    Larry A. Glassford
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 18
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2013
Année de la révision:    2013
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