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LITTLE, JAMES ARTHUR, banquier, officier de milice, homme d’affaires et entrepreneur forestier, né le 17 janvier 1868 à Trenton, Ontario, fils de George Little et de Mary E. Foster ; le 16 novembre 1910, il épousa à Belleville, Ontario, Ethel Marguerite Wardrope, et ils eurent un fils et une fille ; décédé le 17 juin 1931 à Port Arthur (Thunder Bay, Ontario).
James Arthur Little fut un personnage énigmatique dont la vie professionnelle demeure en grande partie entourée des ténèbres qui caractérisaient la politique sur les ressources naturelles dans le Canada du début du xxe siècle. Il grandit à Trenton, où il fit ses études, puis entra au service de la Banque Molson [V. William Molson*]. En 1903, il accepta de s’installer dans le nord de l’Ontario pour gérer la succursale de Port Arthur, décision qui l’amènerait à participer activement à la croissance de la région du Lakehead.
Durant un peu plus d’une décennie, la vie de Little à Port Arthur n’eut généralement rien de remarquable ; néanmoins, il y noua des relations précieuses. En 1905, tout en travaillant à la banque, il aida le lieutenant-colonel Charles Norval Laurie, médecin, à créer le 96th (Lake Superior) Regiment ; Little fut nommé major. Quand Laurie prit sa retraite en 1911, Little accéda au grade de lieutenant-colonel et on lui confia le commandement du détachement de milice, poste qu’il occuperait jusqu’en 1921. Le régiment fut appelé à prêter main-forte à la police locale durant une fusillade impliquant des manutentionnaires de charbon en grève en 1912. Pendant la Première Guerre mondiale, il eut la responsabilité d’assurer la garde de l’entreprise de construction navale, des élévateurs à grains, des centrales électriques et de la station de télégraphie sans fil de Port Arthur.
Little démissionna de ses fonctions à la banque en 1919, époque où lui et plusieurs de ses contemporains, comme Walter H. Russell, avaient apparemment appris à naviguer dans les eaux troubles qui entouraient l’accès aux ressources et aux privilèges relevant du gouvernement ou de la couronne. En règle générale, les arrangements comportaient l’obtention du privilège désiré en échange d’une contribution au parti ou aux activités d’un élu local ; l’intermédiaire partisan recevait souvent une récompense pour avoir négocié le marché. Par exemple, pendant que les conservateurs du premier ministre William Howard Hearst* étaient au pouvoir, Little, tory déclaré, obtint des privilèges de pêche presque exclusifs sur le lac Nipigon ; il aurait pêché et vendu de l’esturgeon en ne se souciant guère des règlements sur les quotas. La présence de Donald McDonald Hogarth, à la fois associé et ami de longue date, au sein du comité permanent de l’Ontario sur la chasse et la pêche aida et soutint sans doute la cause de Little à cet égard. De façon similaire, Little et deux de ses associés créèrent la New Ontario Contracting Company Limited, qui abattait impunément des arbres, même s’ils enfreignaient les dispositions provinciales en matière de coupe forestière, le long de la ligne de chemin de fer National Transcontinental, près de Sioux Lookout. Little et ses compères utilisèrent la même entreprise pour couper du bois à pâte dans le district de Thunder Bay ; grâce à une faille dans la loi que le gouvernement ontarien refusait de corriger, ils étaient en mesure d’exporter au delà de la frontière du bois des terres de la couronne où ils avaient établi des concessions minières, ce qui leur rapportait de jolis bénéfices et exigeait peu d’investissements.
Les précieux liens politiques de Little se rompirent quand les conservateurs furent battus, en 1919, par le parti d’Ernest Charles Drury*, les Fermiers unis de l’Ontario. Le nouveau gouvernement révoqua ses permis de pêche et chargea Francis Robert Latchford et William Renwick Riddell* d’enquêter sur de possibles violations du Crown Timber Act dans la région de Port Arthur ; Little évita tout reproche et nia les allégations voulant qu’il ait soudoyé l’ancien ministre des Terres, des Forêts et des Mines, George Howard Ferguson*, pour atteindre ses buts. L’année suivante, Little, loin de se laisser décourager, se joignit à un certain nombre de fabricants de papier du Wisconsin pour constituer en société la Nipigon Fibre and Paper Mills Limited près du village de Nipigon, au nord-est de Port Arthur. Un ralentissement soudain sur le marché de la pâte pendant la récession de 1920–1921 eut comme résultat la mise sous séquestre de l’entreprise, mais le plus grand désavantage de cette dernière avait été son incapacité d’obtenir une grande concession forestière auprès du gouvernement provincial.
Les conservateurs, alors dirigés par Ferguson, revinrent au pouvoir en 1923 ; toutefois, Little se rendit compte rapidement que son allégeance politique ne lui garantissait pas l’accès aux ressources de la couronne. Avec Hogarth, qui n’avait pas été réélu comme député provincial de la circonscription de Port Arthur, il élabora un plan pour mettre la main sur les forêts de pins gris de la région du Lakehead, afin de prendre le monopole du secteur rentable de la fabrication de traverses de chemin de fer dans le district. Leurs efforts furent contrecarrés par des rivaux – à savoir, le successeur de Hogarth, Francis Henry Keefer*, et ses clients exportateurs de bois à pâte – qui jouissaient d’une plus grande influence auprès de l’impérieux premier ministre. De façon similaire, Little et Hogarth conclurent un accord avec l’administrateur minier Noah Anthony Timmins, qui acquit, en 1924, l’usine de pâte de Nipigon appartenant à Little. Timmins paya 50 000 $ comptant, et Little et Hogarth retinrent 50 % des intérêts dans l’entreprise que Timmins avait l’intention d’agrandir ; en échange, Little devait faciliter l’acquisition des concessions de bois à pâte que Timmins demandait à la province. Cependant, des concurrents de Little persuadèrent Ferguson d’accorder une importante partie du bois en question au clan de Keefer, ce qui réduisit considérablement les zones boisées disponibles pour Timmins.
Quand Little était en mesure de mettre à profit ses relations, les dividendes pour lui et les membres de sa clique étaient très lucratifs. Au milieu des années 1920, ses associés et lui négocièrent une récompense secrète de 100 000 $ auprès de la Consolidated Water Power and Paper Company du Wisconsin pour s’assurer que la société obtienne une concession forestière. Little ourdit aussi une ruse vraiment extraordinaire par laquelle Hogarth (réélu en tant que député provincial en 1926) et lui fournirent à cette entreprise une riche aire d’exploitation de bois à pâte au nord de Sault-Sainte-Marie. Par ce stratagème, que Ferguson approuva personnellement, on demandait à de hauts fonctionnaires du ministère des Terres et Forêts de fabriquer des inventaires forestiers ridicules pour justifier la transaction. Little et Hogarth reçurent une somme de 500 000 $, mais on s’attendait à ce qu’ils versent une contribution équivalant à environ 10 % de leur récompense dans les coffres des conservateurs fédéraux de Richard Bedford Bennett* durant la campagne électorale de 1930. La même année, Little fit le nécessaire pour que son beau-frère, George Calvin Wardrope, gagne un marché truqué qui lui permit d’acquérir une concession forestière ; Wardrope la revendit rapidement à un exploitant de bonne foi à un prix plus élevé. Peut-être ironie du sort, deux ans auparavant, la propre firme d’entrepreneurs de Little, la Thunder Bay Harbor Improvement Company Limited, avait remporté un appel d’offres ouvert pour disposer d’une aire d’exploitation forestière près de Port Arthur, mais à un prix plus élevé qu’il désirait payer. Par ailleurs, les conservateurs, alors dirigés par George Stewart Henry*, réduisirent les droits de coupe pour avantager la veuve de Little tout juste avant de perdre leurs élections contre les libéraux de Mitchell Frederick Hepburn* en 1934.
Fait intéressant, Little joua un rôle posthume dans une intrigue mémorable qui témoigne des machinations politiques de l’époque. Peu de temps après qu’il mourut d’une défaillance cardiaque provoquée par une pneumonie, ses papiers personnels, qui révélaient des transactions louches et souvent illicites avec des fonctionnaires du gouvernement, furent acquis par l’un de ses pires ennemis, Charles Winnans Cox ; les rivaux de ce dernier prétendirent qu’il avait volé ces « lettres d’un mort ». Les conservateurs d’Ottawa et de Queen’s Park furent intimidés par les menaces de l’entrepreneur forestier libéral de rendre ces documents publics ; Hogarth céda à Cox, aux élections de 1934, le siège détenu depuis longtemps par les conservateurs provinciaux dans la circonscription de Port Arthur. Cox commença à se servir de son nouveau poste pour obtenir des avantages personnels, mais après quelques années, ses ennemis avaient réuni assez d’information compromettante pour le prendre à son propre piège.
Sans aucun doute, dans le district de Thunder Bay, les gens auraient été nombreux à considérer l’utilisation malveillante des lettres de Little par Cox comme une situation où « le colonel » aurait finalement eu ce qu’il méritait, même s’il n’était plus là pour le recevoir. Little s’était engagé dans du travail communautaire – il joua un rôle important dans la relance du Port Arthur Golf and Country Club –, mais il était beaucoup plus connu comme un être impitoyable et autoritaire en matière de discipline que comme une âme bienveillante. Son engagement politique était presque entièrement motivé par ses intérêts personnels et il se retrouva à plusieurs reprises devant les tribunaux pour se défendre contre des poursuites ou en intenter ; il fut même déclaré coupable d’avoir frappé le jardinier de sa maison d’été située à l’extérieur de Port Arthur, alors âgé de 69 ans.
La carrière de James Arthur Little offre un aperçu de certaines vicissitudes dans lesquelles baignait, au début du xxe siècle, l’exploitation des ressources de la couronne par des entrepreneurs qui en obtenaient l’accès par des voies politiques. Juste avant sa mort, Little possédait des biens évalués à environ 500 000 $, fortune qui mettait en évidence les avantages tangibles que des relations permettaient de récolter. Mais le fait que Little parvenait à des résultats en dents de scie lorsqu’il faisait affaire avec le gouvernement donne à penser que des sommes encore plus considérables pouvaient être encaissées à cette époque.
Nous souhaitons remercier Thorold Tronrud, directeur et conservateur du Thunder Bay Museum, en Ontario, pour l’aide qu’il nous a apportée dans la préparation de cette biographie.
AO, F 208, MU 1570 (Charles W. Cox MLA corr.), 1922–1936 ; RG 1-246-3, no 7608, 1915–1919 et no 32405 (J. A. Little à B. Bowman, 1er mars 1923) ; RG 3-4-0-190, G. W. Mason à W. E. Raney, 7 sept. 1920 ; RG 18-79, Proc. of Timber Commission, vol. 2 (1920) : 1550-1589 ; RG 75-57, Orders-in-council, PC209/18 ; RG 80-5-0-413, no 12146 ; RG 80-8-0-1302, no 32448.— Lakehead Univ. Arch. (Thunder Bay), MG7, O. Styffe to News-Chronicle, 3, 10, 27 févr. 1941.— Ontario, Ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs, Direction des compagnies et des sûretés mobilières (Toronto), Dormant corporation files, TC 17628 (Nipigon Fibre & Paper Mills Ltd).— Thunder Bay Museum, A83 (James A. Little/Donald M. Hogarth fonds), ser. 1 (general corr.), file 1, Statements by Messrs Walter Oliver and George Horrigan, 18 oct. 1919, file 2, J. A. Little à D. M. Hogarth, 27 avril 1922, files 3–5 (tous les documents), file 7, J. A. Little à D. M. Hogarth, 12 août 1930 et W. Lawr à O. A. Knights, 2 juin 1932 ; ser. 2 (special corr. and agreements), file 1 (tous les documents), file 2, E. B. Redford à J. A. Little, 7 févr. 1927 et 8 avril 1926 (pièce jointe) ; ser. 3 (financial records), file 1, financial statement of J. A. Little, 30 avril 1930.— Hush (Toronto), 24 févr. 1934.— News-Chronicle (Port Arthur [Thunder Bay]), 18 juin 1931, 1er févr. 1941.— Toronto Daily Star, 22 juin, 5 août 1920.— J. P. Bertrand, Timber wolves : greed and corruption in northwestern Ontario’s timber industry, 1875–1960 (Thunder Bay, 1997).— Mark Kuhlberg, « “Nothing but a cash deal” : crown timber corruption in northern Ontario, 1923–1930 », Thunder Bay Hist. Museum Soc., Papers and Records, 28 (2000) : 3–22.— H. V. Nelles, The politics of development : forests, mines & hydro-electric power in Ontario, 1849–1941 (Toronto, 1974).— F. B. Scollie, Thunder Bay mayors & councillors, 1873–1945 […] (Thunder Bay, 2000), 146–147.— G. F. G. Stanley, In the face of danger : the history of the Lake Superior Regiment, introd. par R. A. Keane (Port Arthur, [1960]).— Thunder Bay Museum, « [The Lake Superior Regiment, a history] » : www.thunderbaymuseum.com/exhibits/virtual-exhibits/lake-superior-regiment (consulté le 5 oct. 2015).
Mark Kuhlberg, « LITTLE, JAMES ARTHUR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/little_james_arthur_16F.html.
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Auteur de l'article: | Mark Kuhlberg |
Titre de l'article: | LITTLE, JAMES ARTHUR |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2017 |
Année de la révision: | 2017 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |