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HART, AARON EZEKIEL, avocat, officier de milice et fonctionnaire, né le 24 juin 1803 à Trois-Rivières, Bas-Canada, fils d’Ezekiel Hart* et de Frances Lazarus ; le 1er novembre 1849, il épousa sa cousine Phoebe David, fille de Sarah Hart et de Samuel David, et ils auraient eu quatre enfants ; décédé le 26 septembre 1857.
À l’âge de 21 ans, « Aaron Ezekiel Hart, esquire, de la ville de Québec, [ayant] réussi ses examens [est] reconnu apte à exercer le droit comme avocat, barrister, attorney, solicitor, procureur et conseiller dans toutes les cours de justice de Sa Majesté au Bas-Canada, conformément à l’attestation signée le 6 novembre 1824 par le lieutenant-gouverneur ». Hart devient ainsi le premier Juif à être admis au barreau dans le Bas et le Haut-Canada. Cette situation allait toutefois être de courte durée puisque, dès le mois suivant, un lointain cousin, Thomas Storrs Judah (1804–1895), et, quatre ans plus tard, Henry Hague Judah (1808–1883), frère du précédent, sont également inscrits au barreau. Outre ses cousins Aaron Philip Hart (admis au barreau en 1830), fils de Benjamin Hart, Eleazar David David* (admis en 1832) et Moses Samuel David (admis en 1837), tous deux fils de Sarah Hart, Aaron Ezekiel Hart a aussi un frère, Adolphus Mordecai*, qui sera reçu avocat en 1836. ‘
En fait, les mérites de chacun sont comparables, et Aaron Ezekiel Hart a surtout l’avantage d’être le premier chronologiquement. Aussi sa biographie offre-t-elle l’occasion de présenter un peu ces avocats issus de la troisième génération de Juifs canadiens. Dès 1824, Aaron Ezekiel Hart s’initie aux affaires en même temps qu’à la pratique du droit en se mettant au service de son oncle Moses Hart. Il dépose d’abord des réclamations contre certains censitaires de la seigneurie de Bélair, puis, de 1825 à 1833, il défend fréquemment les intérêts de Moses Hart devant les tribunaux. En 1832, il lui demande conseil, « ayant le projet de créer une compagnie d’assurances sur la vie [à Trois-Rivières] sur le modèle d’une société par actions ». Rien n’indique qu’il réalisera son projet.
Parallèlement à sa carrière d’avocat, Hart s’intéresse à l’armée. Le 21 décembre 1826, il devient enseigne dans le 3e bataillon de milice de la ville de Québec ; le 17 mars 1831, il est lieutenant dans le 2e bataillon de milice du comté de Québec et, le 4 juin suivant, il est promu capitaine dans le même bataillon. Enfin, le 1er avril 1857, il est nommé major du 1er bataillon de milice du comté de Saint-Maurice. Les archives de l’American Jewish Historical Society conservent aussi les documents de son admission au sein de la Société pour l’encouragement des sciences et des arts en Canada, le 14 juin 1827, et comme membre de la Société littéraire et historique de Québec, le 17 mars 1831.
De toute évidence, Hart est un avocat assez en vue à Québec. L’archiviste David Rome considère comme « une indication de l’intégration d’Aaron Ezekiel Hart à la société de Québec » le rôle qu’il a joué en 1836 en transmettant la provocation en duel du député de Richelieu, Clément-Charles Sabrevois* de Bleury, à son jeune collègue de Vaudreuil, Charles-Ovide Perrault, lequel devait mourir au cours de la bataille de Saint-Denis, sur le Richelieu, dès l’année suivante.
Hart s’est beaucoup intéressé aux luttes politiques des années 1830. Avec son frère Samuel Becancour, il a joué un rôle de premier plan, surtout à titre de conseiller juridique, pour faire adopter au cours de la session de 1831–1832 la loi qui confirmait aux Juifs du Bas-Canada l’égalité des droits. Toutefois, l’Acte pour déclarer que les personnes qui professent le judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette province, devait donner lieu à diverses interprétations. Ainsi, dans une lettre du 31 mai 1833, Aaron Philip Hart conseille à son père et à Moses Judah Hayes* de refuser la charge de juge de paix, alléguant les ambiguïtés qui entourent la prestation du serment d’abjuration. Ceux qui ont cru en cette loi se sentent un peu ridicules, et notamment Samuel Becancour Hart, nouveau juge de paix, qui a choisi de prêter serment privément, en présence du notaire Joseph Badeaux*. Afin de clarifier la situation, la chambre d’Assemblée décide de mettre sur pied un comité spécial présidé par René-Joseph Kimber et chargé d’étudier les droits des Juifs dans le Bas-Canada. Aaron Ezekiel Hart témoigne en février 1834 et se révèle à cette occasion combatif et sûr de lui.
Après avoir répondu à quelques questions, Hart lit une déposition qu’il a soigneusement préparée. Pour l’avocat juif, la loi adoptée en 1724 (10 George I, chap. 4) assure aux Juifs l’égalité des droits, puisqu’on y ordonne que les mots litigieux « sur la véritable foi d’un « chrétien » soient omis, chaque fois qu’une personne qui professe la Religion Judaïque, se présente pour prêter le serment d’abjuration ». Selon lui, même si on démontre que cette loi est caduque, « il n’y a pas une seule loi qui empêche les Juifs d’être admissibles aux charges civiles dans ce Pays », même celle qui concerne la naturalisation. De l’avis de Hart, cette dernière loi adoptée en 1740 a été « mal comprise et mal interprétée », non pas cependant par « les Officiers en loi de la Couronne », mais « par un jeune homme, à peine admis à pratiquer la loi depuis deux ans, et qui est loin d’être célèbre par la justesse de ses décisions, ou par la solidité de son jugement ». Il s’agit, de toute évidence, d’Aaron Philip Hart à qui Aaron Ezekiel reprochera expressément, dans sa démonstration, d’avoir voulu restreindre à la naturalisation une loi de portée plus générale et qui contenait les mêmes dispositions que la loi de 1724 sur le serment d’abjuration. L’erreur d’Aaron Philip Hart, explique-t-il, aura été de ne pas lire cette loi jusqu’à la fin et de s’en tenir au titre. Sur l’ensemble de la question, le comité spécial donnera raison à Aaron Ezekiel Hart.
L’attitude des députés patriotes à l’égard des droits des Juifs ne manque pas de contenter grandement le clan Hart de Trois-Rivières. Le moment venu, les quatre fils d’Ezekiel Hart n’ont pas oublié. Ainsi, en 1837, tandis qu’Ira Craig et Aaron Ezekiel s’engagent à fond dans les réunions qui se tiennent à Québec, principalement pour dénoncer les résolutions Russell, Adolphus Mordecai et Samuel Becancour s’agitent à Trois-Rivières. Ils prennent la parole dans des réunions publiques et dénoncent l’absolutisme du Conseil exécutif. En juillet et août 1837, ils font partie de comités de liaison chargés de coordonner l’action des paroisses voisines.
Pourtant, les Juifs de l’époque appuient généralement le gouvernement. Même les Hart qui vivent à Montréal agissent ainsi. C’est le cas de Benjamin Hart et de son fils aîné, Aaron Philip. Bien que réfractaire aux mouvements de rébellion, ce dernier s’illustrera comme l’un des plus ardents protecteurs des droits des patriotes. En décembre 1838, il est aux côtés de Joseph-Narcisse Cardinal* qui est obligé de se défendre seul face à un conseil de guerre. Le 6 décembre, Aaron Philip Hart et son collègue Lewis Thomas Drummond* obtiennent la permission de « commenter » publiquement l’ensemble du procès. L’intervention du jeune Hart (il n’a que 27 ans environ) est remarquable. Après un long exposé, il entreprend de réfuter chacun des arguments du solliciteur général. Le conseil, tout en condamnant quatre accusés à mort, les recommande à la clémence de l’exécutif. Ce dernier exigera une révision de jugement. Finalement, la peine de mort frappera 10 des 12 accusés en cause. Le 20 décembre 1838, la veille de l’exécution du notaire Cardinal et de son clerc, Joseph Duquet*, les avocats Drummond et Hart tentent une ultime démarche auprès du gouverneur sir John Colborne*. À leur avis, « les procédés suivis à l’égard des prisonniers ont été illégaux, inconstitutionnels et injustes ». On le sait, le gouverneur ne voulut rien entendre.
Aaron Ezekiel Hart n’avait pas le goût des affaires de ses frères Ira Craig ou Samuel Becancour, ni l’esprit d’aventure d’Adolphus Mordecai pas plus que le panache et la fougue de son cousin Aaron Philip, mais il sut se faire respecter en tant qu’homme de loi. Après avoir pratiqué à Québec, il s’installe à Trois-Rivières. En juillet 1852, le juge en chef sir John Beverley Robinson*, de Toronto, le nommait commissaire chargé de recevoir les déclarations sous serment dans le Bas-Canada. Hart est très attaché à son père Ezekiel, comme il l’est à la communauté juive. Membre fidèle de la synagogue montréalaise, il la soutient financièrement.
Les archives de l’American Jewish Hist. Soc. (Waltham, Mass.) conservent les documents relatifs aux diverses nominations d’Aaron Ezekiel Hart. On y trouvera aussi un communiqué officiel de la grande loge admettant Hart dans la franc-maçonnerie, le 14 novembre 1826. De fait, Hart avait d’abord été admis dans la Merchants’ Lodge No. 77, à Québec, inscrite sur le Grand Register of the United Grand Lodge of England, le 12 décembre 1825 (« On the early Harts », David Rome, compil., Canadian Jewish Archives (Montréal), no 18 (1980) : 415).
Le rapport du comité spécial de l’Assemblée, présidé en février 1834 par René-Joseph Kimber, fait état des avis exprimés par Hart (B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1834, app. GG). Dans la nouvelle série de publications des Canadian Jewish Archives, on trouve de nombreuses références à Aaron Ezekiel Hart. Certaines sont contradictoires. Dans « On the early Harts, their contemporaries » (no 20 (1981), on peut lire en page 153 : « Il mourut le 27 septembre 1853, à l’âge de 54 ans, et fut enterré dans le cimetière de la rue de la Prison à Trois-Rivières, mais ses restes furent remis en terre, la pierre encore intacte, dans le cimetière des Juifs espagnols et portugais, à Montréal, en 1909. » Dans le no 23 (1982) : 113b, David Rome suggère plutôt l’année 1857. Également, dans le no 25 (1982) intitulé « Samuel Becancour Hart and 1832 », on mentionne Aaron Ezekiel Hart au moins deux fois, aux pages 62 et 75, en donnant les dates 1803–1857. Enfin, on affirme dans le no 18, à la page 414, qu’Aaron Ezekiel Hart est bien né le 24 juin 1803 et décédé le 26 septembre 1857.
Aux ASTR, dans la collection Montarville Boucher de la Bruère (0032), fonds Pierre Boucher, on trouvera 36 lettres d’Aaron Ezekiel Hart en tant qu’avocat de Moses Hart pour la période qui va de 1824 à 1833. À noter que le fonds Hart (0009) fait état de 83 procureurs différents.
Sur le rôle d’Aaron Philip Hart lors du procès de Joseph-Narcisse Cardinal, on lira le Boréal express, journal d’histoire du Canada (Montréal, 1962), 542–543, et bien sûr le procès lui-même dont une partie fut éditée sous le titre de Procès de Joseph N. Cardinal, et autres, auquel on a joint la requête argumentative en faveur des prisonniers et plusieurs autres documents précieux [...] (Montréal, 1839). Voir aussi P.-G. Roy, les Avocats de la région de Québec, et J.-J. Lefebvre, « Tableau alphabétique des avocats de la province de Québec, 1765–1849 », la Rev. du Barreau, 17 (1957) : 289. [d. v.]
Denis Vaugeois, « HART, AARON EZEKIEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hart_aaron_ezekiel_8F.html.
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Auteur de l'article: | Denis Vaugeois |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
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Date de consultation: | 28 novembre 2024 |