GUEROUT, PIERRE (il fut baptisé Pierre-Guillaume, mais il signait rarement ainsi), homme d’affaires, juge de paix, homme politique, officier de milice et fonctionnaire, né le 31 août 1751 dans la paroisse de Mille Ville, diocèse de Rouen, France, fils de Jacques Guerout et de Judith Lévesque ; décédé le 18 juin 1830 à Saint-Denis, sur le Richelieu, Bas-Canada, et inhumé le 23 juin à William Henry (Sorel, Québec).

Pierre Guerout était issu d’une famille de commerçants huguenots. Il immigra à Québec vers 1767 et apprit son métier auprès de son oncle François Lévesque*, qui y possédait un commerce. On présume que s’il poursuivit ses études, il le fit en France et que s’il continua son apprentissage, ce fut sous la surveillance de son oncle. Il est certain qu’il apprit à lire et à écrire, mais il est possible qu’il ne soit jamais devenu bilingue. En 1775, il s’engagea comme volontaire dans l’armée et fit partie de la même compagnie que Pierre Marcoux* et que le commerçant Louis Marchand. Lors de l’attaque de Québec par les Américains, le 30 décembre [V. Benedict Arnold* ; Richard Montgomery*], il participa à la défense de la ville avec Jacques-Nicolas Perrault*, qui devint d’ailleurs un ami intime. Une fois son régiment démobilisé, Guerout créa sa propre affaire à Québec. Le 10 mai 1779, il épousa Marie-Anne-Magdeleine Mayer, âgée de 17 ans, fille de Jean Mayer, commerçant à Québec. Bien que son épouse ait été de religion catholique, leur mariage fut célébré par un ministre de l’Église d’Angleterre, David-François de Montmollin*.

En septembre 1783, Guerout avait déjà vendu sa propriété de Québec et s’était établi à Saint-Antoine-sur-Richelieu, où sa nomination comme juge de paix, en avril 1785, reflète son ascension rapide au sein de la société locale. En janvier 1787, le décès de Lévesque, « qui [lui] servoit de père depuis 20 ans, et qui [lui] avoit prouvé dans toutes les occasions sa bonté », comme il l’écrivit à Perrault, vint s’ajouter à la liste des malheurs qui l’accablaient depuis quelque temps, dont la perte d’un fils en bas âge. Il semble même que les premières épreuves que Guerout subit l’aurait incité à quitter Québec. Il demanda à Perrault de favoriser sa nomination comme conseiller législatif en remplacement de Lévesque, mais les démarches furent vaines.

En 1787, Guerout s’installa à Saint-Denis, sur l’autre rive de la rivière Richelieu, et l’infortune l’y poursuivit : il perdit deux filles en bas âge puis, au début de 1790, sa femme. Cependant, il ne tarda pas à devenir un marchand en vue et le propriétaire d’un des plus gros magasins généraux de la région de Saint-Denis ; ses relations au sein de la communauté marchande de Québec n’étaient certes pas étrangères à ce succès. En 1790, il procéda ainsi à l’exécution du testament d’un marchand de Saint-Antoine-sur-Richelieu, avec les hommes d’affaires québécois Louis Marchand et Mathew Lymburner. Ensuite, ce dernier lui donna une procuration pour réclamer en son nom une créance auprès de deux habitants de Saint-Marc. La même année, il faisait partie de la Société d’agriculture du district de Montréal.

C’est probablement grâce au prestige dont il jouissait sur place que Guerout fut élu député de la circonscription de Richelieu à la chambre d’Assemblée, lors des premières élections organisées au Bas-Canada en 1792. Il ne siégea cependant qu’à la première session ; sa mauvaise santé ou ses affaires expliquent peut-être son absence durant les trois sessions suivantes. Sa participation aux comités ou aux votes était irrégulière ; en 1792, il appuya la candidature du réformiste canadien Jean-Antoine Panet* à la présidence de l’Assemblée. Le 13 mai 1793, il épousa à l’église presbytérienne écossaise de Québec Josephte Maria Woolsey, âgée de 24 ans et de religion catholique. Sa femme avait un frère commerçant, John William*, et elle était apparentée au marchand Louis Dunière* et à Pierre-Louis Panet*, tous deux députés. Il semble que Guerout ne brigua pas les suffrages en 1796, ni en 1800, et il fut battu aux élections de 1804. Il appuyait déjà ouvertement le parti canadien à cette époque ; Louis Marchand écrivit d’ailleurs à l’un des candidats élus de ce parti, Jacques Cartier*, de Saint-Antoine-sur-Richelieu, que la défaite de Guerout allait priver le parti d’un membre qui aurait pu s’avérer utile. Mais Marchand n’en pensait pas moins que Guerout s’évitait ainsi les sacrifices financiers qu’entraîne forcément la charge de député pour un homme d’affaires, qui néglige alors ses dossiers personnels sans pour autant recevoir le moindre salaire.

De fait, Guerout semble avoir joui d’une excellente situation financière. De 1809 à 1812 au moins, il fournit du blé à la Compagnie des forges de Batiscan. À compter de 1805 environ et pendant les 20 années qui suivirent, il multiplia ventes et achats de terrains, prêts, investissements et spéculations. Il n’aurait cependant pas pu participer à bon nombre de ces entreprises s’il n’avait pas disposé de capitaux importants. Par exemple, en 1805, il encouragea la construction locale en finançant l’exploitation d’un maître charpentier de Saint-Ours, Pierre Cormier. En 1817, il figurait parmi les actionnaires de la Banque de Montréal. Deux ans plus tard, avec trois autres personnes, il projeta la construction d’un pont à péage sur les rapides de la rivière Richelieu, près de Chambly. En 1821, il accorda au moins £500 à chacun des sept enfants qu’il lui restait et, l’année suivante, il avança la somme de £1 500 à l’une de ses filles et à son mari.

La réussite de Guerout dans les affaires se poursuivait parallèlement à son ascension sociale, ou y était peut-être associée. En 1802, il avait été nommé lieutenant-colonel du bataillon de milice de Chambly et, en 1812, il commandait le 2e bataillon de milice du comté de Kent, mais il est peu probable qu’il participa aux hostilités lors de la guerre contre les États-Unis. La même année, il reçut aussi une commission le chargeant d’administrer le serment d’allégeance, responsabilité qu’il n’assuma toutefois pas longtemps. Cinq ans plus tard, on le nomma commissaire responsable de l’amélioration des communications internes dans le comté de Richelieu ; avec deux autres commissaires, il s’occupait de l’état des routes et de la navigation sur le Richelieu entre William Henry et Chambly, ce qui lui permit de jouir d’une grande influence dans les décisions concernant le développement économique local. Enfin, en 1821, il fut nommé commissaire chargé de la décision sommaire des petites causes, à Saint-Denis. Pendant ce temps, la famille de Guerout consolidait ses liens avec l’élite de la colonie, grâce aux unions contractées par deux de ses filles : en 1815, Julie épousa Henry LeMesurier*, ancien sous-adjoint au commissaire général et, en 1818, Sophie se maria avec Antoine-Narcisse Juchereau Duchesnay, fils d’Antoine-Louis, seigneur et membre du Conseil exécutif. Même si tous les enfants Guerout furent baptisés dans la religion catholique, les deux mariages susmentionnés furent célébrés par des ministres anglicans ; une autre fille et deux fils Guerout se convertirent à la religion anglicane et l’un d’eux, Narcisse, devait plus tard devenir ministre ; seule une des filles resta fidèle au catholicisme. Ainsi la religion ne semble avoir été un problème ni pour Guerout ni pour sa famille ; Pierre demeura protestant, Josephte Maria catholique et leurs enfants prirent leur propre décision au moment voulu.

Au milieu des années 1820, la santé de Guerout commença à décliner et, apparemment, il abandonna la gestion de ses affaires dès 1827. À l’automne de 1827, il eut une attaque d’apoplexie qui détruisit ses facultés mentales et, en janvier 1828, son fils Louis, qui avait pris la tête de ses affaires, le fit frapper d’interdiction. À l’époque de sa mort, Guerout était devenu un gros propriétaire foncier, ayant acquis des terrains à Saint-Denis, Saint-Ours, Saint-Hyacinthe, La Présentation, Saint-Jude et Saint-Césaire. Il fallut 25 ans de litiges avant de pouvoir définir les droits sur ses propriétés et autres legs.

Pierre Guerout sut tirer parti de ses relations dans le milieu politique et économique de Québec pour devenir un membre éminent et prospère de l’élite de la vallée du Richelieu. Il étendit ensuite ce réseau de solides relations sociales et professionnelles aux cercles politiques et commerçants de Québec et de Montréal. De bien des manières, Guerout est typique des marchands et hommes politiques qui ont revêtu une importance particulière dans leur région, groupe que l’histoire a injustement tendance à oublier.

Alan Dever

AD, Seine-Maritime (Rouen), État civil, 31 août 1751.— ANQ-M, CE3-1, 23 juin 1830 ; CN2-11, 1805–1829 ; CN2-27, 1798–1812.— ANQ-Q, CE1-61, 10 mai 1779 ; CE1-66, 13 mai 1793.— APC, MG 30, DI, 14 ; RG 68, General index, 1651–1841 : 197, 282, 323, 327, 330, 334, 339, 350, 353, 357.— AUM, P 58, U, Guerout à Perrault, 27 janv. 1784, 29 janv. 1787, 5 nov. 1792.— McGill Univ. Libraries, ms coll., CH100.S118 ; CH308.S268 ; CH341. S301 ; CH344. S304 ; CH356S1316 ; CH378.S338 ; CH379.S339–341 ; CH389.S353 ; CH395.OLS ; CH423.OLS.— B. -C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1792–1796.— La Gazette de Québec, 14 janv. 1779, 8 févr. 1781, 14, 28 août 1783, 12 mai 1785, 29 juin 1786, 29 avril 1790, 14 juill. 1791, 27 avril 1797, 27 avril, 12 oct. 1809, 12 juill. 1812, 5 juin, 3 juill., 18 sept. 1817, 6 juill. 1818, 19 août 1819, 18 mai, 31 août, 21 déc. 1820, 22 févr., 26 mars, 9 avril, 5, 9 juill., 25 oct. 1821, 13, 27 juin, 15 août, 26 sept. 1822, 16 janv., 20 mars, 1er mai, 30 juin 1823.— Almanach de Québec, 1791 : 82.— « La Milice canadienne-française à Québec en 1775 », BRH, 11 (1905) : 268.— J.-B. -A. Allaire, Histoire de la paroisse de Saint-Denis-sur-Richelieu (Canada) (Saint-Hyacinthe, Québec, 1905), 211.— F.-J. Audet et Fabre Surveyer, les Députés au premier parl. du B. -C., 258–273.— Denison, Canada’s first bank, 1 : 104.— Marthe Faribault-Beauregard, « Famille Guerout », SGCF Mémoires, 8 (1957) : 97–105 ; « l’Honorable François Lévesque, son neveu Pierre Guérout, et leurs descendants » : 13–30.— Hare, « l’Assemblée législative du B. -C. », RHAF, 27 : 372–373.— J.-J. Lefebvre, « François Levêque (1732–1787), membre des Conseils législatif et exécutif », BRH, 59 (1953) : 143–145.— P.-A. Sévigny, « le Commerce du blé et la Navigation dans le Bas-Richelieu avant 1849 », RHAF, 38 (19841985) : 521.

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Alan Dever, « GUEROUT, PIERRE (baptisé Pierre-Guillaume) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/guerout_pierre_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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