FRASER, GRAHAM, industriel, né le 12 août 1846 à New Glasgow, Nouvelle-Écosse, aîné des sept enfants de Thomas « Foreman » Fraser et d’Isabella MacKay, et frère de Simon A.* ; le 17 mai 1866, il épousa à Providence, Rhode Island, Charlotte Dicks, et ils eurent trois fils et trois filles ; décédé le 25 décembre 1915 à New Glasgow.

L’arrière-arrière-grand-père de Graham Fraser était un pionnier du comté de Pictou, en Nouvelle-Écosse, région qui allait devenir « foncièrement écossaise et presbytérienne ». Son père était bien connu en tant que contremaître de la construction au chantier naval de James Carmichael*. Comme lui, Fraser quitta tôt l’école. À l’âge de 16 ans, il alla travailler à l’atelier de la Rhode Island Locomotive Works à Providence. Par la suite, il se perfectionna, à Boston, dans la galvanisation et le traitement du fer. En 1867, il retourna à New Glasgow occuper un emploi de ferronnier de navires au chantier de Carmichael. Peu après, il se mit à engager ses propres ouvriers et à remplir des contrats de ferrage de navires. En 1872, il s’associa à un forgeron de la région, George Forrest McKay, pour fonder la Hope Iron Works. Comme la construction de navires en bois déclinait, Fraser et McKay ne faisaient pas seulement du ferrage de navires ; ils fabriquaient des essieux de wagon et des crampons de rail pour le nouveau réseau ferroviaire de l’arrière-pays.

Deux ans plus tard, Fraser et McKay rebaptisèrent leur entreprise Nova Scotia Forge Company et, avec un troisième associé, y ajoutèrent 15 000 $ d’argent neuf. Les trois associés convinrent de ne jamais prendre chacun plus de 500 $ par an dans l’entreprise afin de maintenir un taux élevé de réinvestissement si la compagnie devenait rentable. Ils avaient alors 20 ouvriers ; ce nombre doublerait dans les quatre années suivantes grâce à l’augmentation du chiffre d’affaires de la. compagnie. En 1878, afin d’avoir directement accès à un cours d’eau pour alimenter les chaudières de leur forge, ils réinstallèrent celle-ci à deux milles au nord de New Glasgow, au bord de la rivière East de Pictou. C’est sur cet emplacement que se développerait la localité de Trenton.

L’instauration de la Politique nationale de protection tarifaire, un an plus tard, fit comprendre à Fraser que les chemins de fer et les industries qui prenaient naissance dans le centre du Canada auraient besoin d’acier brut. Il résolut donc de bâtir une aciérie. Lui-même et McKay n’ayant pas assez de capital, ils durent faire appel à des actionnaires, dont de riches marchands et financiers du comté de Pictou et de Halifax, tels James William Carmichael* et John Fitzwilliam Stairs*. En mai 1882, Fraser alla en Grande-Bretagne acheter l’équipement nécessaire à la construction de l’aciérie et engager des ouvriers spécialisés pour actionner les deux fours à sole, le laminoir dégrossisseur, les quatre laminoirs finisseurs ainsi que la machinerie à découper et à poinçonner. La Nova Scotia Steel Company Limited fut constituée juridiquement la même année ; elle avait un capital de 160 000 $. En juillet 1883, la Scotia, comme on l’appelait, produisit les premiers lingots d’acier au Canada. La même année, après avoir visité les industries du centre du pays pour en savoir plus long sur la demande d’acier, Fraser reçut des commandes d’échantillons. Il veilla à ce que ceux-ci soient faits selon les spécifications des clients et livrés le plus vite possible. Le rapport annuel de la Scotia sur l’exercice de 1883 signalait avec fierté : « nos clients sont parfaitement satisfaits, comme l’indiquent les lettres flatteuses que nous avons reçues et qui attestent dans tous les cas la supériorité des produits que nous avons expédiés ».

La Scotia commença bientôt à livrer des barres et des cornières d’acier à des manufacturiers d’instruments aratoires du centre du Canada, dont la Massey Manufacturing Company de Toronto [V. Hart Almerrin Massey*] et la A. Harris, Son and Company de Brantford, en Ontario [V. John Harris*]. Bien que les tarifs aient été élevés des deux côtés de la frontière, elle trouva aussi des clients dans le Centre-Ouest américain. Trois facteurs expliquent cette réussite : Fraser insistait pour que la qualité se maintienne à toutes les étapes de la production, il arrivait à se procurer les matières premières au meilleur prix et il veillait sérieusement, par l’entremise de son principal vendeur, Thomas Cantley*, à ce que ses clients soient satisfaits. Au moins dès 1886, les produits en acier de la Scotia – râteaux, dents à ressort pour herses, timons de charrue – remportaient des médailles d’or et des éloges dans des expositions publiques.

Pourtant, tout n’allait pas pour le mieux. Fraser n’aimait pas partager la direction de l’entreprise avec ses collègues administrateurs et actionnaires, dont la plupart avaient peu d’expérience de la sidérurgie. En particulier, lui-même et James Drummond McGregor, marchand de New Glasgow et président de la Scotia, étaient en désaccord sur la question suivante : l’entreprise devait-elle acheter de grandes quantités de gueuse et de ferraille en prévision d’une hausse des prix du marché ou devait-elle consentir du crédit à long terme à ses principaux clients ? Fraser voulait faire les deux, ce que McGregor trouvait trop risqué sur le plan financier. Son président ayant eu gain de cause, Fraser se vengea en le qualifiant, devant ses plus proches associés, de « boîte à surprise au ressort cassé », d’« homme à l’esprit mesquin » et de « président inutile ». Il déclarait ouvertement attendre le jour où il pourrait se passer de son capital.

Hélas pour Fraser, ce jour ne viendrait jamais. En fait, plus la Scotia prit de l’expansion, plus elle eut besoin de capital de l’extérieur. En outre, le conflit entre Fraser et les autres administrateurs irait en s’intensifiant. Cependant, Fraser eut l’occasion d’exercer plus d’autonomie, du moins temporairement, lorsque la Scotia fusionna en 1888 avec la forge de Fraser et McKay et devint la Nova Scotia Steel and Forge Company Limited, car il remplaça McGregor à la présidence cette année-là. À ce moment, la Scotia employait 400 ouvriers et avait un actif de plus de 400 000 $.

La Scotia produisait son acier à partir d’acier de rebut (de vieux rails de chemin de fer, par exemple) et de gueuse importée. Cependant, comme les fluctuations des prix de la gueuse et de la ferraille étaient imprévisibles, Fraser voulait que la Scotia ait le contrôle sur son approvisionnement en gueuse. Quand on découvrit du minerai de fer près des gisements de houille du comté de Pictou, il décida d’acheter les terrains en question et de faire de la Scotia une entreprise parfaitement intégrée. Certains actionnaires, dont McGregor, s’opposèrent à son projet, ne voyant pas pourquoi il fallait risquer les bénéfices dans une nouvelle aventure. Fraser et quelques-uns des actionnaires les plus audacieux durent mettre sur pied une autre société, la New Glasgow Iron, Coal and Railway Company Limited, afin d’acheter les gisements de minerai de fer, de houille et de chaux, de bâtir un haut fourneau à Ferrona, non loin de là, et de construire un chemin de fer entre les mines et le haut fourneau. Constituée juridiquement en 1891, la compagnie avait un capital de un million de dollars. La moitié de cette somme était réservée à la nouvelle usine de gueuse, qui comportait des hauts fourneaux, des fours à coke et la première usine nord-américaine de débourbage de houille. Fraser obtint de la machinerie dernier cri d’Allemagne. Peu de temps auparavant, il s’était rendu dans ce pays pour observer des expériences sur ses échantillons de houille.

John Fitzwilliam Stairs, le grand financier de la compagnie, devint président dès la constitution de la New Glasgow Iron, Coal and Railway Company Limited. Fraser prit le poste de vice-président et, en tant que directeur général, il devait veiller à édifier et à faire fonctionner l’entreprise. Bien qu’il ait eu seulement une formation de forgeron, il fit de la New Glasgow Iron l’une des productrices de fer les plus avant-gardistes d’Amérique du Nord, du point de vue technique, car il était disposé à s’initier aux meilleures méthodes pratiquées dans d’autres pays et savait les adapter aux conditions locales. La New Glasgow Iron allait si bien que, lorsqu’elle fusionna avec la Scotia en 1895 pour former la Nova Scotia Steel Company Limited, elle avait un actif équivalent. Cette fusion marqua la réalisation du rêve de Fraser : édifier une entreprise intégrée d’acier brut et d’acier transformé. Les réserves de minerai de fer du comté de Pictou s’étaient bientôt révélées moins riches que prévu, mais Fraser avait rapidement mis la main sur des gisements à l’île Bell, à Terre-Neuve. À la veille de la victoire électorale de Wilfrid Laurier en 1896, la Scotia était l’une des plus grosses entreprises industrielles du pays. Elle comptait 1 400 employés et avait un actif de près de 3 millions de dollars. Ses propriétés étaient nombreuses : l’aciérie et la forge de Trenton, la fonderie de Ferrona, avec l’usine de débourbage de houille et le chemin de fer, des mines de fer et des carrières de chaux à la rivière East, des houillères situées à Marsh et les gisements de minerai de fer de l’île Bell.

Toutefois, la compagnie était devenue trop grosse pour le style de gestion utilisé par Fraser. Elle avait de tels besoins financiers, et Fraser connaissait si mal le financement par recours au marché des valeurs, qu’il se sentait tributaire de l’avis de Stairs. En 1897, il veilla à ce que Stairs soit nommé président et le remplaça à la vice-présidence. Bien que libéré des charges de la présidence, il continua de gérer les usines et les mines, et se trouva bientôt aux prises avec les problèmes causés par la dispersion croissante des activités de la compagnie.

Constatant que la houille du Cap-Breton donnait du coke de bien meilleure qualité pour les hauts fourneaux que la houille du comté de Pictou, Fraser commença à négocier l’acquisition des propriétés de la Général Mining Association près de Sydney. Après les avoir achetées en 1900, la Scotia se trouva devant l’alternative suivante : investir pour transporter dans le comté de Pictou le minerai de fer de Terre-Neuve et le charbon du Cap-Breton, ou investir dans une nouvelle usine d’acier brut qui se trouverait le plus près possible de ses matières premières. Fraser ayant opté pour le deuxième choix, la Scotia dut, à compter du début du xxe siècle, solliciter à l’extérieur d’énormes sommes d’argent, opération dans laquelle Stairs et son assistant à la direction, William Maxwell Aitken*,jouèrent un rôle primordial.

Pour renforcer la confiance des investisseurs, Stairs décida que la Scotia verserait régulièrement des dividendes, même si cette pratique l’obligeait à rassembler plus de capital qu’il n’en fallait pour la nouvelle usine et l’équipement de Sydney Mines. Il réorganisa les finances de la compagnie et, en 1901, la Nova Scotia Steel and Coal Company Limited fut constituée juridiquement. Le capital émis s’élevait à 5,6 millions de dollars ; une partie de cette somme était faite d’actions ordinaires données en prime aux promoteurs, preneurs fermes et courtiers qui moussaient la vente des obligations et des actions préférentielles de la Scotia. Ne comprenant pas tout à fait cette forme de financement à haut risque, dans laquelle les frais de prise ferme et de courtage étaient payés principalement avec des actions plutôt qu’avec des commissions en espèces, Fraser s’opposa aux méthodes de Stairs. Pour lui, une entreprise restait une simple société de personnes. Il voulait donc que les actionnaires renoncent à leurs dividendes pour une période indéterminée et que l’argent serve à financer les travaux de construction au Cap-Breton. Voyant que la majorité des administrateurs et un certain nombre de dirigeants soutenaient Stairs, il démissionna le 5 novembre 1903.

Bon nombre des administrateurs et des actionnaires furent surpris par la démission de Fraser, mais ils eurent un véritable choc en apprenant, moins de deux mois plus tard, qu’il avait accepté par contrat de diriger durant deux ans l’usine de la Dominion Iron and Steel Company Limited, le principal concurrent local de la Scotia. Fraser mit à profit ses remarquables compétences en sidérurgie pour améliorer le rendement de cette jeune société. Il amena les chefs de service à collaborer plus étroitement entre eux et modernisa l’équipement. Sous sa direction, une nouvelle usine de débourbage de houille entra en service, de même que des usines de billettes, de tiges et de rails. Ces améliorations réduisirent les coûts de production, si bien que, à la fin de son contrat, la compagnie faisait enfin un bénéfice.

Graham Fraser quitta la Dominion Iron and Steel Company Limited à la fin de 1905. Il retourna alors à New Glasgow, où il devint maire cinq ans plus tard. De temps à autre, l’hiver, il voyageait avec sa femme, mais il passait le plus clair de son temps à la maison, à dessiner et à construire des voiliers et des bateaux à moteur. Il mourut le jour de Noël 1915. Un demi-siècle plus tard, le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Robert Lorne Stanfield, dévoila à Trenton un cairn qui honorait la mémoire de Fraser et de McKay, pionniers de la sidérurgie canadienne.

Gregory P. Marchildon

Nous tenons à remercier Barry Cahill, des PANS, de son aide généreuse pour la préparation de la biographie qui précède.  [g. p. m.]

PANS, MG 1, 168 ; 1309 ; 2155 ; 3225, n3 ; MG 100, 201, n2.— J. M. Cameron, Industrial history of the New Glasgow district ([New Glasgow, N.-É., 1960]) ; « The Scotia steelmasters », Nova Scotia Hist. Soc., Coll. (Halifax), 40 (1980) : 31–56.— K. E. Inwood, « Local control, resources and the Nova Scotia Steel and Coal Company », SHC, Communications hist. (Ottawa), 1986 : 254–282.— L. D. McCann, « The mercantile-industrial transition in the metals towns of Pictou County, 1857–1931 », Acadiensis (Fredericton), 10 (1980–1981), n2 : 29–64.— L. [D.] McCann et Jill Burnett, « Social mobility and the ironmasters of late nineteenth century New Glasgow », People and place : studies of small town life in the Maritimes, L. [D.] McCann, édit. (Fredericton et Sackville, N.-B., 1987), 59–77.— Nova Scotia Steel Company, Reports of directors and financial statements, 1883–1910 (s.l., s.d. ; exemplaire aux PANS, Library).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Gregory P. Marchildon, « FRASER, GRAHAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fraser_graham_14F.html.

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Auteur de l'article:    Gregory P. Marchildon
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    28 novembre 2024