Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3215795
FRASER, CHRISTOPHER FINLAY, avocat, homme politique, officier de milice, homme d’affaires et fonctionnaire, né le 16 octobre 1839 à Brockville, Haut-Canada, fils de John S. Fraser et de Sarah M. Burke ; le 10 janvier 1866, il épousa Mary Ann Lafayette, et ils eurent un fils et une fille ; décédé le 24 août 1894 à Toronto et inhumé dans sa ville natale.
Le père de Christopher Finlay Fraser, Écossais des Highlands et cordonnier, immigra dans le Haut-Canada vers 1835 et s’établit à Brockville. En 1838, il épousa Sarah M. Burke, dont la famille venait du comté de Mayo (république d’Irlande). L’aîné d’une famille catholique de dix enfants, Christopher Finlay ne fréquenta guère l’école. À huit ans, il était déjà livreur au journal réformiste Brockville Recorder. Par la suite, et durant son adolescence, il fut apprenti chez l’éditeur-imprimeur de ce journal, David Wylie.
En 1859, Fraser entra au cabinet de l’avocat Albert Norton Richards, membre important de l’establishment réformiste local. Reçu au barreau en 1864, il pratiqua d’abord seul, puis avec un certain M. Mooney, et pendant quelque temps à Prescott. Il consolida sa position en 1874, en s’associant à Albert Elswood Richards. Fraser fut nommé conseiller de la reine en 1876 ; l’année suivante, Edmund John Reynolds se joignit au cabinet. Contrairement à Richards, qui partit pour le Manitoba en 1880, Reynolds demeurera l’associé de Fraser jusqu’à la mort de celui-ci.
Jeune avocat prometteur de Brockville, Fraser se fit diverses relations dans la localité. Il fit partie du conseil municipal de 1867 à 1873, se distingua comme joueur de crosse et accéda à la présidence de la Roman Catholic Literary Association. En épousant Mary Ann Lafayette, fille de John Lafayette, homme d’affaires protestant bien placé, il put fréquenter la meilleure société de Brockville. Au fil du temps, il fit l’acquisition d’une lieutenance dans la milice locale, d’une belle maison rue James et d’une villa à Union Park, un endroit de villégiature à la mode situé près de Brockville. Sa participation à la réorganisation financière de la Brockville and Ottawa Railway, à la fin des années 1860, montre que le cercle de ses relations d’affaires s’élargissait. C’est à lui que l’on attribue le mérite d’avoir réalisé un transfert complexe de valeurs d’actif et de passif entre le gouvernement provincial, la compagnie de chemin de fer (qui détenait des droits sur de riches concessions forestières) et les municipalités qui avaient des hypothèques sur la compagnie. Par ailleurs, il fut affilié plus longtemps encore à la Banque d’Ontario, dont l’expansion s’était révélée trop ambitieuse au moment de la crise économique de 1874–1879. Au plus tard en octobre 1881, dans le cadre de la réorganisation qui visait à la sauver, Fraser entra au conseil d’administration. La banque se tira d’affaire sans plus de difficultés pendant son mandat d’administrateur.
Même si le cheminement de Fraser correspond au modèle victorien, c’est-à-dire entrer en politique par le droit et les affaires, sa participation aux entreprises ferroviaires et aux banques ne fut jamais le moteur de son activité politique. Il apprit les rudiments de l’organisation électorale durant les campagnes d’Albert Norton Richards, son maître réformiste. En septembre 1867, il se présenta pour la première fois au Parlement provincial, dans Brockville, sous la bannière réformiste.
Sa candidature était le produit de deux courants qui coïncidaient avec la Confédération. Le parti réformiste entamait une campagne soutenue afin de regagner la minorité catholique, qu’il s’était aliénée pendant les querelles confessionnelles des années 1850 [V. George Brown*]. En même temps, des leaders catholiques laïques issus d’une nouvelle génération essayaient de persuader leurs coreligionnaires irlandais d’abandonner leur infructueux soutien au parti conservateur pour une position politique plus indépendante. Fraser fit le pont entre ces deux courants et, parmi les hommes politiques catholiques qui prônaient une alliance avec le parti libéral, c’est lui qui, finalement, aura le plus de succès.
En juin 1867, Fraser avait assisté au congrès réformiste de Toronto, où lui-même et d’autres catholiques figurèrent parmi les vedettes d’une première réconciliation publique. Le mois suivant, un congrès de catholiques se tint à Toronto. Même si elle se prononça pour le parti réformiste en vue des prochaines élections fédérales et provinciales, cette assemblée n’était pas qu’une affaire partisane. Elle attira des catholiques laïques – dont Frank Smith*, maire de London et politiquement indépendant – qui réclamaient une reconnaissance politique plus concrète de la minorité catholique de l’Ontario. Cependant, les efforts qui visaient à regrouper les catholiques au sein d’une organisation ostensiblement neutre, l’ « Ontario Electoral Association », furent bientôt détournés au profit d’une stratégie partisane. John O’Donohoe amena les catholiques demeurés fidèles au parti réformiste, même sous George Brown, à s’assurer de la présence à l’assemblée du plus grand nombre possible de sympathisants et à soutenir ce parti aux élections suivantes. Catholique d’origine modeste ayant bénéficié de relations réformistes à Brockville, Fraser pouvait à la fois promouvoir les intérêts des catholiques irlandais et se présenter à titre de candidat réformiste sans qu’il y ait contradiction ni conflit d’intérêts.
Au congrès de juillet, la hiérarchie catholique condamna l’initiative des catholiques laïques, et Fraser connut la défaite dans Brockville. La stratégie électorale de rapprochement des catholiques et des réformistes s’en trouva désorganisée, mais pas pour longtemps. Moins de deux ans plus tard, Smith et O’Donohoe participaient à une autre entreprise laïque, à visée politique : la formation de l’Ontario Catholic League. Fraser était l’un des membres fondateurs de cette ligue et contribua sans doute à en maintenir le cap sur le parti réformiste. En apparence bipartite, la ligue, par son existence même, défiait l’alliance des catholiques et des conservateurs favorisée par le clergé. Elle se montra toutefois plus prudente que les catholiques ne l’avaient été en 1867 et s’inclina devant les évêques. Les circonstances favorisaient cette manœuvre : en 1870, la hiérarchie en général et l’archevêque de Toronto John Joseph Lynch* en particulier étaient déçus du parti conservateur et du peu de reconnaissance qu’il accordait à la minorité catholique. Certaines concessions des conservateurs, dont la nomination de Smith au Sénat et de John O’Connor* au cabinet, empêchèrent qu’une rupture ne se produise sur la scène fédérale mais ne mirent pas fin au désenchantement de la hiérarchie catholique devant le gouvernement de coalition de John Sandfield Macdonald* à Toronto.
C’est dans ce contexte que Fraser fit sa deuxième campagne électorale : candidat libéral dans la circonscription provinciale de Grenville South en 1871, il fut de nouveau battu. Dans l’ensemble toutefois, ces élections modifièrent sensiblement la position des partis, et le gouvernement de Macdonald se désintégra, surtout à cause de la défection du catholique Richard William Scott*. La formation d’un gouvernement libéral sous Edward Blake* semblait faire pencher l’équilibre politique du côté que favorisaient O’Donohoe et Fraser depuis 1867. En 1872, l’organisation des libéraux provinciaux chercha à accroître le nombre de députés catholiques, ce qui favorisa l’investiture de Fraser dans la circonscription de Grenville South, devenue vacante à la mort du député conservateur cette année-là. On annula son élection pour cause d’irrégularités, mais il remporta l’élection partielle tenue aussi en 1872. Il devenait ainsi le seul membre important de l’Ontario Catholic League à siéger à l’Assemblée législative, puisque le président de la ligue, O’Donohoe, avait été battu dans Peterborough East. Réélu dans Grenville South en 1875, Fraser serait défait de justesse dans cette circonscription en 1879, mais gagnerait dans Brockville, où il remporterait encore la victoire en 1883, 1886 et 1890.
Quand Fraser entra à l’Assemblée, en 1872, il dut composer avec Mgr Lynch, catholique irlandais politiquement actif qui parlait invariablement de lui comme d’un « Écossais catholique », et avec le nouveau premier ministre libéral Oliver Mowat*. Dès 1873, la présentation par le conservateur Herbert Stone McDonald de projets de loi d’intérêt privé qui visaient à constituer en société civile l’ordre d’Orange, donna à Fraser l’occasion de prouver sa valeur. Résolu à profiter de ce débat pour mettre son influence à l’épreuve, Lynch informa sèchement Mowat que le gouvernement ne pourrait plus compter sur l’appui des catholiques si l’ordre d’Orange était légalement constitué. Comme il était impossible d’empêcher l’adoption des projets de loi, Fraser se fit le porte-parole de l’opposition catholique qui existait au sein du gouvernement de manière à rassurer Lynch tout en donnant une marge de manœuvre à Mowat. Il s’acquitta de cette tâche avec beaucoup d’efficacité, démontrant, à l’occasion de ce premier débat sérieux, son talent d’orateur parlementaire. Son argumentation, conçue avec soin, visait à désamorcer les rancunes interconfessionnelles en dénonçant sur un ton nettement partisan la duplicité des conservateurs et la méthode utilisée pour présenter le projet de loi. Pour lui manifester son soutien, Lynch lui remit un portrait des Pères du concile du Vatican. Mowat fut impressionné lui aussi. Le 25 novembre 1873, il nommait Fraser secrétaire de la province et, le 4 avril 1874, il lui confiait le portefeuille clé du gouvernement en ce qui a trait aux dépenses, celui de commissaire des Travaux publics.
Fraser se tailla vite une réputation de bon administrateur et d’« ennemi du gaspillage et de l’extravagance ». Les 20 ans qu’il passa à la direction du département des Travaux publics se déroulèrent sans embarras ni scandale public et contribuèrent grandement aux réalisations du gouvernement Mowat. Fraser supervisait la construction des barrages, écluses et ponts, ainsi que l’érection et l’entretien des édifices provinciaux. Approuver le financement des programmes d’assèchement et des routes de colonisation qui menaient dans le nord de l’Ontario était aussi de son ressort. De plus, son ministère devait approuver les primes que le département des Terres de la couronne prélevait dans le fonds provincial du rail pour la construction des chemins de fer. Cette responsabilité partagée est un exemple des mécanismes que le gouvernement de Mowat utilisait pour resserrer l’administration et empêcher que la distribution des faveurs de l’État ne vienne déclencher un scandale. Ainsi les entrepreneurs n’étaient payés que si leurs travaux respectaient les normes.
Lorsque Fraser assuma ses fonctions, les dépenses du département augmentaient rapidement depuis plusieurs années. Sans tarder, il appliqua des règles d’économie strictes. Même si le budget de son département connut des hauts et des bas selon l’approche des élections, ce n’est pas avant 1889, soit vers le milieu de la construction du nouvel édifice du Parlement de Queen’s Park, que les dépenses excédèrent celles de 1873. Ce projet de construction, lancé en 1877 et terminé en 1894, s’avéra le plus grand défi auquel Fraser eut à se mesurer à titre d’administrateur. Le retard dans sa réalisation s’explique en partie par l’écart qui séparait les crédits initiaux de 500 000 $, adoptés en 1880, et les soumissions, toutes supérieures à un million. La construction elle-même commença en 1886. Le gouvernement prétendit que c’était le seul grand édifice public contemporain dont le coût n’avait pas dépassé les prévisions, mais ce n’était pas tout à fait exact : en 1893, on accorda de nouveaux crédits pour parvenir au coût total de 1 257 000 $. Néanmoins, Fraser fit valoir avec succès que ce bel édifice avait coûté moins cher que tous les autres du même genre, dans la province de Québec et dans plusieurs États américains. Certes, ses adversaires chicanèrent régulièrement sur l’emplacement, les plans et les soumissions, mais jamais un scandale financier ou un cas douteux de favoritisme n’éclata au grand jour.
Pendant une brève période, Fraser eut aussi la responsabilité de la législation du travail et des usines. Il présida un comité spécial de révision du Workmen’s Compensation for Injuries Act de 1886. Les modifications adoptées en 1887 sur la recommandation de ce comité soumettaient à la loi les compagnies de chemin de fer et d’autres employeurs même s’ils avaient déjà leurs propres sociétés d’assurance volontaire. Cependant, ces modifications ne libéraient pas les ouvriers du fardeau d’entamer des poursuites au civil et de prouver qu’il y avait eu négligence en vue d’obtenir des dommages-intérêts de l’employeur. Le ministère de Fraser devait veiller à l’exécution de la loi novatrice qu’était l’Ontario Factories Act de 1884 dès l’adoption des règlements d’application, en 1887 ; l’année suivante, on transféra cette responsabilité au département de l’Agriculture. De toute façon, la législation sociale d’avant-garde ne convenait pas au tempérament politique de Fraser : « Il détestait toutes les lois d’ingérence et de protection », rappela plus tard sir John Stephen Willison*.
Fraser était un parlementaire brillant, quoique parfois acerbe ; il possédait les talents d’orateur et de tacticien ainsi que le sens de l’humour nécessaires pour imposer le respect à l’Assemblée. À la stupéfaction de ses contemporains, il inventa la formule « brawling brood of bribers » (engeance de bruyants corrupteurs) pour qualifier les membres du parti conservateur qui, en 1884, tentèrent maladroitement de corrompre assez de députés libéraux d’arrière-ban pour faire tomber le gouvernement. Mais ce fut très sérieusement qu’il dirigea les manœuvres discrètes destinées à piéger les conservateurs mêlés à cette affaire [V. Christopher William Bunting]. Il présida aussi le comité des projets de loi d’intérêt privé, où il avait la délicate et importante responsabilité des mesures législatives qui visaient à doter d’une charte et d’une constitution juridique des sociétés privées de chemin de fer.
Tout en vaquant à ses occupations ministérielles et parlementaires, Fraser se mêlait directement d’organisation politique. Il fut coordonnateur régional du parti libéral aux élections provinciales et fédérales tenues dans les circonscriptions de la vallée du Saint-Laurent à l’est de Kingston. Cependant, ce rôle comptait moins que sa position de représentant des catholiques au cabinet provincial. Les principaux aspects de son rôle d’intermédiaire demeurèrent discrets, dans l’ombre de ce que l’on a appelé le concordat Lynch-Mowat.
Pour comprendre la fonction de Fraser, il faut savoir que la minorité catholique de l’Ontario ne formait pas un bloc. Même si l’on parlait de « vote catholique », les électeurs ne soutinrent jamais tous le même parti. Les tensions (évidentes dès 1883) croissaient entre Irlandais catholiques et Franco-Ontariens, les groupes nationalistes irlandais ne s’entendaient pas sur la stratégie à suivre et les laïques contestaient de plus en plus l’autorité que s’arrogeait le clergé ; tout cela venait encore exacerber les rivalités. Les évêques eux-mêmes étaient divisés sur la question des alliances politiques et sur les moyens d’appliquer les directives papales. Le fossé entre le pragmatique Lynch et l’autoritaire James Vincent Cleary, évêque ultramontain de Kingston, était particulièrement grand. Pour s’imposer comme intermédiaire, il fallait jongler avec toutes ces tendances et ne pas perdre de vue l’écrasante majorité des Ontariens anglo-protestants.
La nomination de Fraser au cabinet était le symbole extérieur de l’influence politique des catholiques et la condition essentielle de la coopération de Lynch, mais Fraser n’était pas pour autant la marionnette de la hiérarchie catholique. Son rôle était très diversifié. Il défendit les droits des catholiques dans divers débats publics : contre la constitution en société civile de l’ordre d’Orange lorsque cette question revint sur le tapis en 1874 ; en faveur de l’enseignement français aux Franco-Ontariens ; contre les efforts déployés par des laïques catholiques et des militants protestants, de 1878 à 1894, pour imposer le scrutin secret au moment du choix des administrateurs des écoles séparées ; pour la défense de l’intégrité du système des écoles séparées. Fraser joua aussi un rôle plus discret mais d’une importance considérable en faisant pression pour que la minorité catholique obtienne des mesures législatives conçues à son avantage en matière d’écoles séparées, de droit matrimonial ou de distribution de subventions aux sociétés de bienfaisance. Il rédigea et présenta d’ailleurs une loi sur cette dernière question. À l’occasion d’un banquet public en 1879, année d’élections, le parti libéral rendit hommage à son ministre catholique. Fraser demanda publiquement à ses coreligionnaires de soutenir le gouvernement, en leur faisant valoir que c’était là le meilleur moyen de garantir leurs droits en tant que minorité et d’obtenir un traitement juste de la part des protestants. En privé, avant les élections législatives de juin, il convainquit Mowat de recruter plus de candidats catholiques.
Comme membre catholique du cabinet, Fraser devait apaiser les hommes d’Église dans les cas fréquents où Mowat ne pouvait se rendre à leurs demandes. En 1874, il avait conseillé au père John O’Brien, de Brockville, de se montrer patient sur la question des modifications au droit matrimonial. Deux ans plus tard, l’évêque John Walsh, de London, lui écrivit pour lui faire part de son mécontentement devant l’acquiescement de Lynch aux nouveaux règlements scolaires. En 1879, dans sa correspondance avec Walsh, Fraser défendit les modifications que le ministre de l’Éducation, Adam Crooks*, avait apportées à la loi sur les écoles séparées et en 1886 il rassura de nouveau l’évêque de London en lui faisant valoir que le gouvernement manifestait de la sagesse en différant les modifications à la législation sur les écoles séparées.
Par ailleurs, Fraser pouvait concevoir des stratégies politiques afin d’aider la hiérarchie catholique à atteindre ses objectifs. Au cours du farouche débat sur l’introduction du scrutin secret pour l’élection des administrateurs des écoles séparées, en 1878–1879, les évêques (fermement opposés à cette idée) se rendirent à sa proposition de présenter promptement une contre-requête, au début de 1879, pour mettre le gouvernement en position de résister à la revendication. En 1887, face encore une fois à l’agitation des laïques, les évêques acceptèrent, comme Fraser le recommandait, de retarder la campagne de pétitions projetée. De même, durant la croisade du Toronto Daily Mail contre les écoles séparées, en 1886, Fraser avait aidé les évêques Walsh et Lynch à rédiger leur réponse publique.
Mowat et Lynch traitaient directement des questions de favoritisme, mais il semble qu’à partir de 1885 c’est Fraser qui reçut les demandes de faveurs adressées par l’évêque Cleary de Kingston. Ce n’était là qu’un des aspects de ses rapports avec cet ultramontain irlandais peu commode et très attaché aux principes. Quand la campagne d’opposition aux écoles séparées s’intensifia, à compter de 1885, Cleary devint bien malgré lui l’allié des libéraux provinciaux. Cependant, ses appuis dogmatiques les embarrassaient tellement qu’ils durent s’en dissocier. Au cours des campagnes électorales de 1890 et 1894, lorsque Cleary réclama avec indignation des rétractations publiques d’Arthur Sturgis Hardy*, commissaire des Terres de la couronne dans le gouvernement de Mowat, ainsi que du Globe, c’est Fraser qui servit de modérateur.
Fraser s’avéra plus que jamais indispensable au maintien de la fragile alliance catholico-libérale dans l’affaire du « programme biblique de Ross », où Cleary joua un rôle de protestataire. En décembre 1884, le gouvernement publia de nouveaux règlements qui imposaient l’utilisation, dans les écoles publiques, d’une sélection officielle de textes bibliques et de prières. En préparant les règlements, Mowat et son ministre de l’Éducation, George William Ross*, avaient pris la précaution de soumettre le choix des textes à Lynch et de s’assurer qu’il ne s’opposait pas à cette initiative protestante. Ce dernier ne fit que quelques suggestions mineures, qu’ils acceptèrent. Mowat comptait sur lui pour obtenir l’adhésion de ses collègues de l’épiscopat. Quand, le 31 décembre, Lynch tenta de présenter les règlements comme un fait accompli qui ne menaçait ni les droits ni la doctrine des catholiques, Cleary prit la tête du groupe des évêques et lança une offensive appuyée sur de solides bases doctrinales. Isolé, Lynch dut accepter une série de résolutions qui désavouaient le programme biblique de Ross, réclamaient une rencontre immédiate entre Mowat et une délégation d’évêques conduite par Cleary et menaçaient, si le programme n’était pas annulé, de faire appel à Rome et de prononcer une condamnation publique.
En janvier 1885, tout en cherchant à gagner du temps, Mowat et Lynch chargèrent Fraser de trouver un compromis qui satisferait Cleary, Walsh et l’évêque de Hamilton, James Joseph Carbery, tout en évitant au gouvernement de perdre la face. Fraser négocia d’abord une entente partielle avec Cleary les 28 et 29 janvier, amena ensuite Walsh et Carbery à accepter cette entente comme base d’une solution ; il manœuvrait ainsi pour convaincre Cleary, plus récalcitrant. Les nouvelles instructions aux inspecteurs d’écoles, tout à fait à l’opposé de deux importants articles des règlements initiaux, garantissaient que les élèves et instituteurs catholiques ne participeraient pas au programme biblique, ce que les évêques jugeaient essentiel. Cette entente empêcha que ne dégénère la controverse confessionnelle qui secouait déjà la scène publique provinciale. Le fait que la population n’eut jamais connaissance de l’intervention. de Fraser, comme de la plupart de ses activités, montre bien son habileté.
L’influence politique de Fraser atteignit son apogée au cours des années qui suivirent la crise déclenchée par Cleary. À titre d’intermédiaire entre les catholiques et les libéraux, il avait déjoué tous ses rivaux potentiels dans la province ou leur avait survécu. Grâce aux sénateurs catholiques Frank Smith et John O’Donohoe (passé au parti conservateur en 1877–1878), à l’ancien député provincial John O’Sullivan et au compétent avocat torontois James Joseph Foy, les conservateurs fédéraux conservaient l’appui de presque tous les Irlandais catholiques de l’Ontario, mais ces hommes ne pouvaient défier le réseau catholico-libéral que Fraser avait tissé dans la province. Lorsque Timothy Blair Pardee*, bras droit de Mowat, devint incapable d’exercer ses fonctions en 1886, puis mourut en 1889, l’importance de Fraser au cabinet s’accrut encore. Ross et Hardy, les seuls qui auraient pu lui disputer la place de principal lieutenant de Mowat, n’avaient ni ses nombreux talents politiques ni son expérience.
Cependant, dès 1885, l’efficacité de Fraser en qualité d’intermédiaire catholique avait sérieusement restreint sa carrière. L’intolérance anglo-protestante croissante faisait de lui la cible de dénonciations partisanes ou confessionnelles haineuses et limitait le rôle public qu’il aurait pu jouer. À la fin des années 1880, pendant une procession catholique à Toronto, des hommes de main protestants lui lancèrent même des pierres. Les stratégies appliquées par le parti conservateur ontarien pendant cette période furent telles que les évêques catholiques renforcèrent leur appui aux libéraux provinciaux, mais elles permirent aussi à des conservateurs catholiques comme Foy de courtiser les laïques qui continuaient de contester l’autorité du clergé. Tant Fraser que le gouvernement de Mowat, qui prenait de l’âge, devaient s’appuyer davantage sur une hiérarchie dont l’influence politique baissait. Parallèlement, de 1884 à 1894, la réaction des militants protestants obligeait le gouvernement libéral à adopter une attitude défensive dans le débat sur les écoles séparées, ce qui affaiblissait ses liens avec la hiérarchie catholique. En outre, les interventions inopportunes de Cleary au cours des campagnes électorales de 1890 et 1894 firent beaucoup pour transformer l’alliance catholico-libérale en un fardeau pour le gouvernement libéral. Pour Fraser, tous ces facteurs compliquèrent son rôle délicat d’intermédiaire à compter du moment où les conservateurs abandonnèrent leurs cris de ralliement antipapistes.
Toutefois, l’influence de Fraser ne déclina pas seulement en raison de la conjoncture sociale et politique. Sa « grande capacité de travail et sa passion » pour ses fonctions l’épuisèrent. Comme il le dit en août 1894 en grommelant : « Je ne quitte pas mon poste, c’est mon poste qui me lâche. » Des rapports indiquent que sa santé laissait à désirer au moins depuis 1877, mais il semble que le surmenage aggrava son état en 1885–1886. Ses problèmes cardiaques empirèrent et devinrent chroniques vers l’époque de la campagne électorale de 1890. Il manqua la session de 1892 pour aller refaire ses forces dans le Sud-Ouest américain ; en 1894, il était sujet à des « évanouissements » depuis au moins cinq ans. Pourtant, quand il offrit sa démission en 1891, puis en 1893, Mowat refusa de se séparer d’un ministre aussi utile.
Fraser accepta de rester jusqu’à ce que la construction de l’édifice du Parlement soit terminée. Il participa donc à la session législative de février à mai 1894. Le 21 février, prévoyant que l’opposition et la Protestant Protective Association [V. Oscar Ernest Fleming*] lanceraient une offensive contre la loi sur les écoles séparées, le libéral catholique James Conmee, avec l’appui de Richard William Scott, de Wilfrid Laurier* et de nombreux laïques catholiques irlandais, présenta un projet de loi qui proposait, si les contribuables d’une localité le demandaient, la tenue d’un scrutin secret pour l’élection des administrateurs des écoles séparées. Le 23 avril, dans son dernier discours à l’Assemblée, Fraser défendit l’intégrité du système des écoles séparées et le rôle du clergé dans son administration sans pour autant rejeter l’option que proposait le projet de loi de Conmee. La scène fut « pathétique » : naguère grand orateur, Fraser s’arrêta court trois fois avant de renoncer à exprimer intégralement sa position. Ce dernier discours, l’adoption du projet de loi et la défaite de deux motions en faveur d’un vote secret obligatoire (l’une du chef conservateur William Ralph Meredith*, l’autre de Peter Duncan McCallum, membre de la Protestant Protective Association) permirent au gouvernement d’amorcer la campagne électorale sans avoir à se prononcer sur cette question controversée. Fraser termina sa carrière parlementaire de la même façon qu’il l’avait commencée, en jouant le rôle d’intermédiaire entre les catholiques et les libéraux.
Le 28 février, Mowat avait annoncé officiellement que Fraser démissionnait du cabinet mais demeurait commissaire des Travaux publics. Pour ajouter à la nouveauté de cet arrangement, Meredith demanda au gouvernement de confier à Fraser une charge « importante » et digne de ses grands talents. Après avoir démissionné des Travaux publics le 30 mai, il assuma en juin les fonctions d’inspecteur des bureaux d’enregistrement, mais fit une crise cardiaque dans son bureau en août, au retour d’une tournée d’inspection. Il mourut le 24, et on exposa sa dépouille une journée à Queen’s Park.
Les contemporains de Christopher Finlay Fraser s’entendaient dans leurs éloges sur trois points : c’était un excellent parlementaire, un représentant digne et indépendant de la minorité catholique, et un administrateur efficace qui avait été, durant toute sa vie publique, d’une honnêteté inattaquable. Ces jugements sont incomplets car ils négligent la dimension cachée de sa carrière. Sir John Alexander Macdonald avait fait observer dès 1882 : « jusqu’à maintenant, la force [de Mowat] a été Fraser, l’archevêque [Lynch] et le vote catholique ». Comme Macdonald le comprenait si bien, Fraser avait contribué de façon toute particulière à la longévité politique de Mowat. Il semble à propos qu’on ait sculpté ses initiales dans la pierre qui coiffe les six colonnes situées à droite de l’entrée principale du Parlement. À l’image du rôle qu’il joua durant ses 25 années de vie publique, elles sont cependant quasi invisibles.
Trois discours de Christopher Finlay Fraser ont été publiés : Speech of the Honourable C. F. Fraser, delivered in the Legislative Assembly of Ontario, February 25th, 1878, on the Orange Incorporation Bill (Toronto, 1878) ; The Fraser banquet : magnificent tribute of respect and confidence rendered to the Honorable C. F. Fraser, commissioner of public works [...] eloquent speech by the guest of the evening ([Toronto, 1879]) ; et A speech delivered by Hon. C. F. Fraser, commissioner of public works, in the Legislative Assembly, March 25th, 1890, on separate schools and the position of the Roman Catholic electors with the two political parties (Toronto, 1890).
AN, MG 27, I, E12.— AO, MU 4756, no 7.— ARCAT, L, AD01, 03, AE12, AF02, AG04, AH21, AO03, 14, 20, 27–28, AP01 ; W, AB02, AD01 ; aussi quelques documents de Walsh conservés sous la cote L, AO27.— Arch. of the Archdiocese of Kingston (Kingston, Ontario), DI (E. J. Horan papers, corr.), 5C29, 37, 8C41, 13C4, 11ED11 ; FI (J. V. Cleary papers, corr.), 1C13–14, 16, 23, 25, 2C1, 27, 41, 8ER3–4.— St Francis-Xavier Roman Catholic Church (Brockville, Ontario), Reg. of baptisms, marriages, and burials.— Brockville, the city of the Thousand Islands, Thomas Southworth, compil., avec des croquis à la plume de F. C. Gordon (Brockville, 1888).— Brockville Evening Recorder, 25 mai 1893, 31 août 1894.— Dent, Canadian portrait gallery.— A. M. Evans, « Oliver Mowat and Ontario, 1872–1896 : a study in political success » (thèse de ph.d., 2 vol., Univ. of Toronto, 1967).— D. M. Grant, Discovering old Brockville, Ontario : the historic core (Brockville, 1979).— T. W. H. Leavitt, History of Leeds and Grenville, Ontario, from 1749 to 1879 [...] (Brockville, 1879 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).— G. W. Ross, Getting into parliament and after (Toronto, 1913).— F. A. Walker, Catholic education and politics in Ontario [...] (3 vol., Toronto, 1955–1987 ; réimpr. des vol. 1–2, 1976).
Brian P. N. Beaven, « FRASER, CHRISTOPHER FINLAY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fraser_christopher_finlay_12F.html.
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Auteur de l'article: | Brian P. N. Beaven |
Titre de l'article: | FRASER, CHRISTOPHER FINLAY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |