DRAPEAU, JOSEPH, marchand, seigneur et homme politique, né le 13 avril 1752 à Pointe–Lévy (Lauzon et Lévis, Québec), fils de Pierre Drapeau, cultivateur, et de Marie–Joseph Huard, dit Désilets ; le 14 octobre 1782, il épousa à Saint–Antoine–de–Tilly (Québec) Marie–Geneviève Noël*, et ils eurent six filles ; décédé le 3 novembre 1810 à Québec.
Sans être misérable, Joseph Drapeau ne possédait probablement pas grands biens lorsqu’il quitta Pointe–Lévy où son père cultivait un lopin de terre de 90 arpents afin d’assurer la subsistance de sa nombreuse famille. Il s’installa à Québec vraisemblablement au début des années 1770. Il servit dans la milice durant l’invasion américaine de 1775–1776 [V. Benedict Arnold ; Richard Montgomery*]. En avril 1779, il obtint un permis pour vendre des spiritueux, puis, deux ans plus tard, une licence d’hôtelier. Au moment de son mariage, il possédait une maison et un magasin général sur la place du Marché (place Notre–Dame), dans la basse ville, dont l’inventaire fut évalué à £1 066. Sa jeune épouse de 16 ans, fille du seigneur de Tilly, Jean–Baptiste Noël, apporta 4 000# dans la communauté. Toutefois, le manque d’informations sur les premières années de sa carrière ne permet pas de savoir comment il arriva à devenir marchand, ni de connaître les conditions et les moyens qui lui permirent d’établir son commerce.
Les opérations marchandes de Drapeau débordèrent rapidement la basse ville. En 1788, il s’associa avec Louis Bourdages*, marchand de la haute ville, qui s’engagea, en contrepartie de capitaux, à écouler à son magasin les marchandises que lui fournirait Drapeau. Ce dernier contracta une association semblable en 1793 avec Louis Bélair, marchand de Baie–Saint–Paul, qu’il approvisionnait de produits importés et manufacturés en retour des surplus de la production céréalière de la région. Leur commerce florissant nécessita même l’achat d’une goélette, la Marie, qui navigua de Québec à Baie–Saint–Paul jusqu’en 1804, année où prit fin l’entente commerciale.
En 1794, Drapeau négocia la construction d’un bateau au chantier de Louis Garennes à l’île aux Grues. En mars 1795, le sloop Saint–Pierre, commandé par Louis Bodoin à qui Drapeau avait recommandé d’ « etre actif et autant vigilent qu’il Soit [...] afin de rendre la dite navigation la plus lucrative possible », transportait marchandises et passagers entre les ports de Montréal, de Québec, de Baie–Saint–Paul et de Rimouski.
En 1799, Drapeau possédait son propre chantier de construction navale à Baie–Saint–Paul. Il engageait lui–même les charpentiers et les calfats qu’il payait 4 shillings par jour « d’un soleil à l’autre excepté le tems nécessaires pour prendre les repas », et retenait sur leurs gages « deux jours de salaire pour chaque jour perdu ». En juillet, le brick General Prescott sortit du chantier. Drapeau, qui s’approvisionnait auprès des maisons d’affaires britanniques établies à Québec, notamment celles de John Blackwood et d’Adam Lymburner*, décida de commercer directement avec l’Europe. Il équipa le General Prescott pour faire un voyage à Halifax, puis à Liverpool, Bristol et Londres, en Angleterre, et ensuite à Lisbonne. En novembre 1801, le Denault, jaugeant 235 tonneaux, quitta Baie–Saint–Paul pour Londres où il fut vendu. L’année suivante, trois goélettes, la Marguerite, l’Amelia, et la Marie, sortirent du chantier. La première fut vendue en 1802 ; les deux autres servirent à Drapeau pour son commerce jusqu’à leur vente en 1808 et 1809. À son quai de la rue du Sault–au–Matelot à Québec, Drapeau fit construire, en 1803, une goélette qu’achetèrent, cette année–là, François Vassal* de Montviel et Jacques Voyer* en déboursant £600. En 1805, Martin Chinic*, moyennant £450, se porta acquéreur de la goélette la Clairet, construite à Québec l’année précédente.
À l’exemple des autres marchands et négociants de cette époque, Drapeau est amené à faire crédit à une partie de ‘sa clientèle. Entre 1780 et 1806, il détenait des créances pour au delà de £5 000. Les sommes dues par obligation, variant entre £3 et £1 500 et payables à date fixe, portaient intérêt légal à 6 p. cent. Les débiteurs venaient principalement des régions de Québec et de Baie–Saint–Paul, et de localités aussi éloignées que Rivière–Ouelle, Rimouski, Saint–Ours, Carleton ou Caraquet (Nouveau–Brunswick). Le créancier exigeait de solides garanties. Il n’hésitait pas à recourir à tous les moyens légaux et à saisir les biens de débiteurs trop lents à rembourser : la terre d’un propriétaire foncier, le bâtiment d’un navigateur, et même les droits successoraux ou les prétentions au douaire de veuves. Il usait de tous les moyens, procurations ou poursuites judiciaires, pour obtenir son dû.
Dès 1784, Drapeau avait commencé à investir ses profits dans la propriété foncière. Cette année–là, il déboursa £450 pour une maison de pierre à trois étages, sise rue de la Montagne. L’année suivante, il acquit, par adjudication devant la Cour des plaids communs, un emplacement de grève sur le Saint–Laurent, lequel comportait une maison de pierre à deux étages et un quai. En 1797, il acheta de James Tod trois lots rue du Sault–au–Matelot. En 1803, les religieuses de l’Hôtel–Dieu de Québec lui cédèrent une portion de grève sur le Saint–Laurent et une autre sur la rivière Saint–Charles.
Gestionnaire consciencieux, Drapeau s’appliqua à faire fructifier ses biens immobiliers. En mai 1795, il loua, moyennant £17 par année, le rez–de–chaussée de la maison qu’il occupait place du Marché. Il augmenta ce loyer à £42 dès l’année suivante, puis à £100 en 1805. En 1797, il transforma sa maison de la rue du Sault–au–Matelot en boulangerie et en retira cinq piastres espagnoles par mois, puis £30 par année à partir de 1798. Il loua la maison qu’il possédait rue Saint–Pierre et perçut un loyer annuel de £45. Sa maison de la rue de la Montagne, louée £27 par année, fut donnée à bail à des chapeliers, en 1804, qui la transformèrent en boutique et en magasin, déboursant £50 annuellement. Les baux détaillés précisaient l’état des bâtiments et l’aire propre au locataire dans les hangars ou les écuries. Ils décrivaient minutieusement les obligations des preneurs et fixaient avec exactitude les modalités de paiement. Le plus souvent, les locataires devaient se plier à des exigences formelles comme rénover la toiture, réparer un mur ébréché, déneiger les galeries, creuser un canal ou bien placer les cordes de bois dans un endroit précis de la cour. Si les locataires tardaient à effectuer leurs paiements, Drapeau résiliait le bail et trouvait nouveau preneur.
À l’instar de nombreux marchands, Drapeau lorgna du côté de la propriété seigneuriale. Dix ans lui suffirent pour se constituer un patrimoine foncier considérable. En février 1789, il acheta la seigneurie de Champlain. En août de l’année suivante, il versa £300 à Simon Fraser et à John Young pour acquérir la seigneurie de Lessard, appelée aussi La Mollaie ou Pointe–au–Père. La même année, il se porta acquéreur de la seigneurie de Nicolas–Riou, connue sous le nom de Baie–du–Ha ! Ha ! Au même moment, il commença à effectuer d’habiles transactions foncières avec les nombreux héritiers de René Lepage, qui le rendirent propriétaire de quatre autres seigneuries : Rimouski et Saint–Barnabé, Grand–Métis (Lepage, Thivierge, Anse–aux–Coques, Pointe–aux–Bouleaux ou Mitisses), Pachot ou Rivière–Mitis, et Sainte–Claire. Pendant les années 1791 et 1792, il traita avec les propriétaires de Rivière–du–Gouffre et en devint seigneur en titre. En août 1793, Drapeau, malade et craignant de laisser sa femme et ses filles dans « l’Embarras ou l’Infortune faute de pouvoir, ou Savoir faire valoir, et gerrer les dits Biens », vendit la quasi–totalité de ses propriétés foncières à Louis Bélair, moyennant £6 950. Dès le mois suivant, ayant probablement recouvré la santé, il résilia cette vente. En décembre 1797, Drapeau se départit de sa seigneurie de Champlain au profit d’Alexander Ellice qui lui versa £525. Dès l’année suivante, il réinvestit son capital en achetant la moitié de la seigneurie de l’Île–d’Orléans. En 1805, Drapeau réussit à s’approprier le douzième des seigneuries de Rigaud–Vaudreuil, de Gentilly, de Perthuis, de Beauvais, de Rivière–Duchesne, de Sainte–Barbede–la–Famine, propriétés d’Alexandre–André–Victor Chaussegros de Léry. Toutefois, il dut s’en départir quatre ans plus tard lorsque le frère du vendeur, Louis–René Chaussegros* de Léry, exerça son droit de retrait lignager. Drapeau parvint tout de même à gagner £118 17 shillings grâce à cette transaction.
Drapeau payait rarement ses acquisitions comptant. Il préférait contracter une obligation, verser le paiement sous forme de rente viagère ou régler en marchandises les sommes qu’il devait. Il s’arrangeait toujours pour tirer parti d’une saisie, d’une vente par le shérif ou d’une adjudication en obtenant à bon prix des biens qu’il revendait avec profit.
Après s’être empressé de porter foi et hommage pour la seigneurie de Champlain en mai 1789, Drapeau fit entreprendre la construction d’un moulin en juin. Trois ans plus tard, il fit ériger semblable bâtiment à Rivière–du–Gouffre. Dans ces marchés de construction, il manifesta un grand souci de rentabilité, exigeant des garanties de solidité, fixant les délais de livraison, prévoyant même des sanctions en cas d’insatisfaction. Lorsqu’il afferma ses moulins de Baie–Saint–Paul, de Rimouski, de Rivière–du–Gouffre ou de l’Île–d’Orléans, il prit soin de décrire précisément leur état et de consigner les obligations des meuniers.
Dès l’acquisition de ses propriétés, le seigneur Drapeau s’empressait de les inventorier. En janvier et février 1791, le notaire Alexandre Dumas délivra en son nom 54 titres nouveaux de concession à des tenanciers de la seigneurie de Champlain. Au printemps, Dumas parcourut les terres de Rimouski pour donner des titres de concession, percevoir les cens et rentes et rédiger le terrier. Les notaires Jean Néron et Barthélemy Faribault arpentèrent la seigneurie de Rivière–du–Gouffre en rédigeant titres nouveaux ou baux à cens.
Drapeau n’hésitait pas à saisir la terre d’un tenancier endetté, incapable de débourser les redevances seigneuriales, comme à résilier une vente de terre si le vendeur l’avait berné en faussant la grandeur et la condition des bâtiments, ou bien à s’immiscer dans les affaires des censitaires, par exemple en précisant dans une vente que le nouvel acquéreur ne pourrait « donner a Bail le Susdit terrein, à aucun personnes quelconques, faisant Métier de Cabaretier, sans l’exprêt Consentement et permission par Ecrit ». À Joseph–Alexandre Raux, son intendant à Champlain, il conseilla « de contraindre par Justice competante tant par Jugement et condamnation Personnels, que par Saisie et Exécution de leurs Biens », les tenanciers qui tardaient à payer leurs redevances. Il confia à ses beaux–frères, Louis Bélair à Baie–Saint–Paul et Augustin Trudel à Rimouski, l’administration de ses seigneuries.
Ni scandale ni coup d’éclat ne marquèrent la vie publique de Drapeau. En 1785, en tant que membre de la communauté marchande, il soutint le lieutenant-gouverneur Henry Hamilton* lorsque celui–ci fut rappelé en Angleterre. Préoccupé par les problèmes d’éducation, il signa, en 1787, la requête adressée à lord Dorchester [Guy Carleton] demandant qu’il fasse tout en son pouvoir pour assurer la réouverture du collège des jésuites. En 1790, il devint membre de la Société du feu de Québec et de la Société d’agriculture. Au cours de l’année suivante, il s’enrôla comme enseigne dans la milice de la ville et banlieue de Québec, et signa, en avril, une pétition au roi en faveur de la remise des lods et ventes. Il signifia sa loyauté à la couronne britannique en se joignant à l’Association formée en 1794 pour supporter la constitution et le gouvernement. Trois ans plus tard, il fut membre du jury de la Cour du banc du roi de Québec.
Durant la campagne électorale de 1804, Drapeau s’en prit au candidat de la circonscription d’Orléans, Jérôme Martineau, qu’il accusa publiquement d’avoir extorqué 40 000# au séminaire de Québec. Sous la menace d’une poursuite judiciaire, Drapeau se rétracta et blanchit la réputation de l’accusé. En 1809, Drapeau brigua les suffrages des électeurs de la circonscription de Northumberland. Élu le 23 novembre, il appuya le parti canadien, votant notamment en faveur de l’exclusion des juges de la chambre d’Assemblée du Bas–Canada [V. sir James Henry Craig ; Pierre–Amable De Bonne. Toutefois, sa carrière politique fut de courte durée, puisqu’il mourut le 3 novembre de l’année suivante.
Faute de documents, la vie familiale de Drapeau reste peu connue. Il habita d’abord place du Marché, puis rue du Sault–au–Matelot à partir de 1798. Sa maisonnée comprenait un ou deux domestiques et probablement quelques esclaves. Sa femme participa à la gestion des affaires, l’accompagnant à de multiples reprises chez le notaire pour parapher des transactions. Drapeau eut certaines largesses pour les membres de sa famille. Il hébergea sa sœur infirme, paya les études de notariat de son frère Charles, concéda des terres à ses frères et sœurs, et fit instruire ses filles au couvent des ursulines. Toutefois, il se montrait parcimonieux lorsqu’il s’agissait de souscrire à une cause quelconque. Il refusa par exemple de contribuer à la construction de l’église de Rimouski, et les habitants s’en plaignirent à Mgr Plessis* qui prit toutefois sa défense.
Joseph Drapeau fut un homme d’affaires intelligent qui investit dans des secteurs de l’économie susceptibles de lui rapporter. Il tira des revenus de son commerce, des intérêts de ses prêts, des loyers de ses maisons, de ses droits seigneuriaux et de la construction navale. Il veilla scrupuleusement à la gestion de ses biens, et c’est sans doute grâce à son habileté autant qu’à sa parcimonie qu’il parvint à amasser une fortune appréciable que sa veuve et ses filles continuèrent de gérer.
ANQ–Q, CE1–19, 13 avril 1752 ; CN1–26, 10 juin 1800, 23 févr., 6, 23 sept. 1803, 23 janv., 27 juill., 3 nov. 1804 ; CN1–63, 24 sept. 1810 ; CN1–83, 22 juill. 1786, 28 janv. 1789 ; CN1–92, 8, 16 mai 1788, 22 juin 1789, 17 août 1790, 6, 15 févr., 15–16 mai, 14 sept., 14 oct. 1791, 4 oct. 1792, 15 juin, 12 août 1793, 28 avril, 24 oct. 1794, 20 mars, 29 mai, 5 sept. 1795, 30 janv., 28 août 1797, 8 janv. 1798, 11 févr. 1799, 16 août 1800 ; CN1–99, 13–17 mai, 8 sept. 1797, 1er févr., 21 mars 1798, 28 août 1805 ; CN1–147, 6 juin 1804, 21 déc. 1805, 9 sept. 1806 ; CN1–178, 27 mai 1809, 8 juin 1810 ; CN1–224, 30 oct. 1782 ; CN1–230, 30 déc. 1797, 24 mai 1800, 22 mai 1805, 5 avril 1809 ; CN1–245, 4 juill. 1784 ; CN1–262, 23 sept. 1803 ; CN1–284, 12 déc. 1796 ; CN1–285, 1 e oct. 1799, 5 févr., 27 oct. 1800, 17 nov. 1801, 24 juin 1802 ; CN4–16, 10–15 sept. 1792 ; P1000–32–592.— APC, MG 30, D56 ; RG 1, L3L : 37980–38083 ; RG 42, sér. 1, 183 : 11, 15, 34, 48, 57, 63, 68, 79, 91 s.— La Gazette de Québec, 29 avril 1779, 17 mai 1781, 20 juin 1782, 28 janv., 22 avril 1790, 28 avril 1791, 3 juill. 1794, 6 avril 1797, 24 janv. 1799, 7 juin 1802, 8 nov. 1810.— Almanach de Québec, 1791.— F.-J. Audet, « Les législateurs du B.-C. ».— Bouchette, Topographical description of L.C.— Desjardins, Guide parl., 135.— P.-G. Roy, Inv. concessions.— J.-A. Lavoie, La famille Lavoie au Canada, de 1650 à 1921 (Québec, 1922).— P.-G. Roy, L’île d’Orléans (Québec, 1928) ; Toutes petites choses du Régime anglais (2 sér., Québec, 1946).— J. W. M., « Notes sur les seigneuries du district de Rimouski », BRH, 17 (1911) : 237–246, 257–267, 312–320, 331–338, 353–368.— « Les seigneuries du négociant Drapeau », BRH, 43 (1937) : 81s.
Céline Cyr et Pierre Dufour, « DRAPEAU, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/drapeau_joseph_5F.html.
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Auteur de l'article: | Céline Cyr et Pierre Dufour |
Titre de l'article: | DRAPEAU, JOSEPH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
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