CHARTRAND, JOSEPH-DAMASE (baptisé sous le prénom de Joseph, généralement connu sous le nom de capitaine Chartrand ou de Chartrand des Écorres), militaire, comptable, écrivain, propriétaire d’une revue et professeur, né le 23 novembre 1852 à Saint-Vincent-de-Paul (Laval, Québec), fils de Joseph Chartrand, menuisier, et de Virginie Lacasse ; le 1er décembre 1883, il épousa à Grenade-sur-Garonne, France, Ernestine de Latour, et ils eurent trois enfants ; décédé le 2 avril 1905 à Kingston, Ontario.
Après des études classiques au collège Masson de Terrebonne, dans le Bas-Canada, Joseph-Damase Chartrand, l’aîné d’une famille de sept enfants, part pour Toronto à l’âge de 16 ans sous prétexte d’apprendre l’anglais. On le retrouve ensuite à Chicago, puis au Texas. Sous le nom de Charles Carter, il se joint en 1868 aux Texas Rangers, qui lui enseignent les rudiments de la vie militaire.
Revenu à Montréal en 1872, Chartrand s’enrôle dans la milice canadienne et fait partie du contingent envoyé à la Rivière-Rouge, au Manitoba, pour y maintenir la paix [V. Alexander Morris*]. Au retour, pour regarnir sa bourse, il fait la drave sur la rivière L’Assomption, puis devient comptable au National et au Bien public, à Montréal.
Parce qu’il voue à la France, sa chère « ancienne mère-patrie », un amour sans borne, Chartrand abandonne en 1876 son titre de capitaine chez les Carabiniers Mont-Royal et les études en droit qu’il avait entreprises. Il s’embarque à New York sur l’Amérique, à destination de la France. À l’école militaire spéciale de Saint-Cyr, on le refuse parce qu’il est citoyen britannique. Il s’engage alors comme simple soldat dans le Régiment étranger d’Afrique, en Algérie, où son endurance le fait successivement passer caporal, caporal-fourrier, sergent-fourrier, puis sergent-major.
Pour pouvoir continuer d’avancer en grade, Chartrand se fait naturaliser Français en 1881 et s’inscrit à l’école militaire d’infanterie de Saint-Maixent. De 1886 à 1890, il enseigne à l’école militaire de Saint-Hippolyte-du-Fort. Promu lieutenant au 161e régiment d’infanterie à Nice, puis au 27e bataillon de Chasseurs alpins à Menton, il est parmi les premiers Canadiens à devenir officiers dans l’armée française et à recevoir la croix de chevalier de la Légion d’honneur. On reconnaît ainsi ses 14 ans de service et ses blessures subies en Algérie et en Indochine. Enfin, en 1894, il est nommé capitaine du 7e bataillon de Chasseurs alpins, à Antibes.
Chartrand et sa femme se font un plaisir de recevoir des visiteurs du Canada : Joseph-Adolphe Chapleau*, Honoré Mercier*, Honoré Beaugrand, Hector Fabre, Narcisse-Henri-Édouard Faucher* de Saint-Maurice et bien d’autres. Chartrand correspond aussi avec ses amis canadiens, notamment Joseph-Étienne-Eugène Marmette, Laurent-Olivier David*, Benjamin Sulte* et Louis Fréchette.
Tout au long et à la suite de sa carrière militaire, Chartrand écrit. Il publie trois volumes à Paris : en 1887, Expéditions autour de ma tente ; en 1888, Saint-Maixent, souvenirs d’école militaire ; en 1892, Au pays des étapes, notes d’un légionnaire. Il fait deux études également, fort appréciées de ses supérieurs : l’une sur les cadres de l’infanterie, l’autre sur les écoles militaires préparatoires. De plus, quelque mille articles paraissent entre 1880 et 1905 dans différents journaux et revues en Algérie, en France, aux États-Unis et au Canada, sous divers pseudonymes : Ch. des Écorres, R. de la Pignière, Un ancien officier français, Un ancien légionnaire, Bibliophile, Patriote, Caliban.
Que raconte Chartrand ? Il décrit avec humour sa vie de tous les jours, ses joies et ses peines dans un texte parsemé de réflexions. Même lorsqu’il fait l’éloge de la vie militaire, on sent toujours un ton ironique en contrepoint, voilé seulement par le brio qui domine et caractérise son style. Il sait rire de lui-même et son humour est toujours d’actualité : « J’espère bien que vous ne pensez pas qu’un Canadien français puisse rester à mi-chemin de la gloire. Nous avons tous du génie au Canada. » La presse parisienne accueille favorablement cette prose où se côtoient tour à tour la tristesse et la gaieté, la blague et la gouaillerie. Le président de la Société des gens de lettres de France, Jules Claretie, l’invite même en 1889 à devenir membre adhérent de la société.
Toutefois, malgré ses succès militaires et littéraires, Chartrand rêve de revenir au Canada. Il veut revoir son cher pays où « les rivières [sont] si fraîches, si limpides, si vastes et si profondes, où les hivers sont si froids, si blancs et si longs ». Chartrand est fondamentalement un passionné. Ayant obtenu un congé à l’été de 1894 pour venir au Canada, il décide d’y rester. Il fait venir sa femme et ses deux enfants, et s’attaque aussitôt avec optimisme et ardeur à la création d’une revue mensuelle illustrée, littéraire, indépendante, qui sera la grande entreprise de sa vie.
Comme l’époque baigne alors dans un fort courant de nationalisme, Chartrand baptise sa revue la Revue nationale et choisit comme devise À l’épée la force, à la plume la prudence. Toutefois la Revue nationale s’éteint après 14 numéros (février 1895 à mars 1896), où ont été publiés 207 articles par 66 écrivains, dont Arthur Buies, William Chapman* et Robertine Barry. Elle aurait peut-être survécu si la Revue canadienne ne lui avait fait une guerre aussi acharnée. De même format, cette revue, qui préconise une littérature soumise à la religion et à la patrie, baisse son prix d’abonnement pour le faire passer de 3,00 $ à 2,50 $, puis à 2,00 $ ; on est assuré que le chanoine Paul Bruchési* en épongera les déficits. De plus, inquiet de l’infiltration dans les foyers d’une littérature autonome non conforme à l’idéologie traditionnelle de l’Église, Bruchési déconseille en chaire la lecture de la Revue nationale et demande aux curés des paroisses d’en faire autant. Dans ce contexte, la lutte s’avère impossible.
Profondément découragé après avoir reçu tant d’invitations, d’encouragements et de promesses, Chartrand se cherche vainement un emploi au Québec. Finalement, le 1er septembre 1897, le Royal Military College of Canada, à Kingston, lui offre un poste de professeur de français, qu’il accepte.
Malgré ses activités d’enseignant et les articles qu’il écrit pour le Daily British Whig et le News and Times, tous deux publiés à Kingston, pour la Patrie et pour le Canada, de Montréal, malgré le bridge et le billard, l’homme actif et humaniste qu’était Chartrand se sentira exilé et malheureux dans cette province où il avait élu domicile. Atteint autant d’anxiété que de la maladie de Bright, il est transporté à l’Hôtel-Dieu de Kingston et meurt le 2 avril 1905, à l’âge de 52 ans. Tout Kingston est atterré. Qui ne connaissait pas le capitaine Chartrand qui exhortait dans ses écrits les universités à créer des écoles de journalisme, qui préconisait les cours pour adultes, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines, et qui s’affligeait de voir Montréal refuser les 150 000 $ que lui offrait le philanthrope américain Andrew Carnegie pour fonder des bibliothèques tandis qu’Ottawa les acceptait ?
Pendant 25 ans, de 1880 à 1905, les chroniques de Joseph-Damase Chartrand ont rafraîchi l’atmosphère du Québec : « Je crie par-dessus les toits, je fais du tapage, j’avertis, je mets en garde, j’attire l’attention [...] c’est tout ce que je puis faire – n’étant ni capitaliste, ni homme politique – mais je le fais le plus souvent et le mieux possible. » Aussi divertissants soient-ils, ses écrits sont plus que documents d’époque : ils ont contribué à l’avancement culturel du pays. Chartrand fait partie de notre patrimoine national et son rôle en tant qu’écrivain a été celui d’un éveilleur d’esprits. Peu de journalistes, autant que lui, méritent ce titre.
Joseph-Damase Chartrand est l’auteur, sous le pseudonyme de Ch. des Écorres, d’Expéditions autour de ma tente, boutades militaires (Paris, 1887) ; Saint-Maixent, souvenirs d’école militaire (Paris et Limoges, France, 1888) ; et Au pays des étapes, notes d’un légionnaire (Paris et Limoges, 1892). Il a aussi collaboré à de nombreux journaux pour la rédaction d’environ 1 000 articles sous différents pseudonymes ; on trouve la liste complète des journaux et des pseudonymes dans notre thèse, « le Capitaine J.-D. Chartrand (1852–1905) » (thèse de m.a., univ. d’Ottawa, 1975). [c. m. b.]
ANQ-M, CE1-59, 23 nov. 1852.— AUL, P209/25/8/43 à 53.— Centre de recherche en civilisation canadienne-française (Ottawa), P 224/1.— Le Monde illustré (Montréal), 6 sept. 1890, 19 nov. 1892.— Honoré Beaugrand, Lettres de voyage : France – Italie – Sicile – Malte – Tunisie – Algérie – Espagne (Montréal, 1889).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898), 182.— N.-H.-É. Faucher de Saint-Maurice, Loin du pays : souvenirs d’Europe, d’Afrique et d’Amérique (2 vol., Québec, 1889).— L.-A. Lapointe, « le Capitaine J.-D. Chartrand », BRH, 38 (1932) : 242–244.— Cosette Marcoux-Boivin, « le Capitaine Joseph-Damase Chartrand des Écorres », l’Outaouais généalogique (Hull, Québec), 3, no 1 (janv. 1981) : 8s. ; Chartrand des Écorres (Hull, 1979).
Cosette Marcoux-Boivin, « CHARTRAND, JOSEPH-DAMASE (baptisé Joseph) (capitaine Chartrand, Chartrand des Écorres) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chartrand_joseph_damase_13F.html.
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Auteur de l'article: | Cosette Marcoux-Boivin |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |