BULMER, JOHN THOMAS, avocat, bibliothécaire, bibliophile et réformateur social, né en 1845 ou en 1846 à Nappan, Nouvelle-Écosse, fils de Thomas Bulmer et de Mary Jane Ripley Lowther ; le 3 juillet 1877, il épousa dans le comté d’Annapolis, Nouvelle-Écosse, Eleanor Jane McHeffey, et ils eurent cinq fils, dont deux moururent enfants ; décédé le 9 février 1901 à Halifax.
John Thomas Bulmer naquit dans une modeste famille de cultivateurs de la région d’Amherst, en Nouvelle-Écosse. Il était issu de méthodistes du Yorkshire qui avaient contribué à peupler le comté de Cumberland au xviiie siècle. Diplômé de l’Amherst Academy, il partit en 1871 pour Halifax, où il fit un stage de quatre ans chez l’avocat Howard Maclean (McLean), aux côtés, notamment, de John James Stewart. Il appartint au groupe de discussion appelé Halifax Law Society [V. Robert Sedgewick] et fut admis au barreau le 21 juillet 1875. Il allait toujours pratiquer le droit à Halifax et se tailler une réputation enviable en défendant des accusés au criminel, sa compassion pour les défavorisés le portant à préférer cette clientèle. Énergique promoteur de l’amélioration des normes de sa profession, il fut, en 1896, l’instigateur d’une association canadienne du barreau. Cette dernière disparut toutefois après trois assemblées annuelles et ne ressuscita, sous sa forme actuelle, qu’en 1914. Bulmer avait déclaré en 1896 que la formation juridique était meilleure dans sa province que dans le reste du Canada et que « cela ne servait pas à grand-chose d’essayer de rehausser les normes en Nouvelle-Écosse étant donné la médiocrité [qui régnait] alentour ». Inutile de dire que son chauvinisme bluenose ne galvanisa pas le barreau du dominion...
Autodidacte remarquable, Bulmer avait, depuis son jeune âge, la passion des livres et des bibliothèques. Aussi faisait-il souvent des excursions dans les provinces centrales du Canada et surtout en Nouvelle-Angleterre (il vouait une admiration sans bornes aux bibliothécaires de Harvard et de Yale). Promoteur enthousiaste d’une bibliothéconomie efficace et scientifique, il se plaignait constamment du piètre état de la profession au Canada. Il tenta de fonder une association canadienne de bibliothécaires en 1876, c’est-à-dire 70 ans avant qu’une organisation de ce genre ne voie effectivement le jour. Rassembler et conserver tous les documents publiés dans les Maritimes et à Terre-Neuve ou relatifs à ces régions, voilà ce qui l’intéressait particulièrement. Il fut secrétaire-archiviste et bibliothécaire de la Nova Scotia Historical Society (fondée en grande partie sur son initiative en janvier 1878) et prépara l’édition du premier volume des Collections (1878) de cet organisme. L’état lamentable dans lequel se trouvait la bibliothèque de l’Assemblée législative en inquiétait plusieurs et entraîna sa nomination au poste de bibliothécaire de la province à l’été de 1879. Lorsqu’il la prit en charge, la collection comptait environ 6 000 volumes, dont un bon nombre d’une valeur douteuse ; après son passage, elle en comptait plus de 25 000, parmi lesquels figuraient beaucoup de livres rares et un éventail inestimable d’anciens périodiques néo-écossais. Selon certaines sources, dès 1882 cette bibliothèque se rangeait, par sa richesse, au deuxième ou au troisième rang de toutes celles du dominion. Bulmer réalisa son exploit sans dépenser un sou, en sollicitant des dons et en faisant des échanges. Vu le rythme prodigieux des acquisitions, il fallut engager un assistant au catalogage. En 1882, on confia le poste, par favoritisme, à quelqu’un que Bulmer jugeait incompétent ; il protesta en remettant sa démission.
Quand l’école de droit de la Dalhousie University ouvrit ses portes, en 1883 [V. Robert Sedgewick], le poste de bibliothécaire échut tout naturellement à Bulmer. Encore une fois, il déploya ses extraordinaires talents de collectionneur et constitua une bibliothèque fort respectable qui faisait l’envie des autres facultés de la Dalhousie University. Son poste disparut au bout d’un an, pour des raisons financières et non politiques, mais on présume qu’il continua de remplir les fonctions de bibliothécaire tout en étudiant le droit en 1884 et en 1885. (L’école de droit allait avoir un bibliothécaire à temps plein et rémunéré seulement à compter des années 1950.) En 1884, par suite de la mort d’Alpheus Todd*, Bulmer sollicita la charge de bibliothécaire du Parlement du dominion. Sa candidature fut écartée en faveur de celle d’un autre Haligonien, Martin Joseph Griffin, dont la nomination, selon Bulmer, aboutirait à un « suicide de la bibliothèque ».
Malgré toute l’énergie qu’il consacrait à ses deux professions, Bulmer trouvait le temps de se dévouer à une troisième activité, peut-être la plus importante à ses yeux : la réforme sociale. Conservateur passablement partisan tout d’abord, il s’éloigna peu à peu des partis traditionnels dans les années 1880. Il se vouait passionnément à la cause de la tempérance, et aux élections fédérales de 1887, il se porta candidat prohibitionniste dans la circonscription de Cumberland contre William Thomas Pipes et sir Charles Tupper*. Battu, il continua de travailler pour la cause en fondant le magazine hebdomadaire Canadian Voice en 1888 à Halifax. La prohibition obligatoire se trouvait à la base de son programme radical, qui prônait le suffrage féminin, l’égalité des salaires pour les hommes et les femmes occupant des emplois différents mais « également serviles », et une distribution plus équitable des richesses. À sa mort, un journal le qualifia de « partisan zélé des principes socialistes ». À compter du moment où les enfants de race noire se virent interdire de fréquenter les écoles publiques de Halifax, en 1876, il participa à la campagne qui déboucha, en 1884, sur la révocation de cette décision. Il aida la communauté noire d’autres façons [V. Jane Bruce], et appuya le premier avocat noir de la Nouvelle-Écosse, James Robinson Johnston*. Bon nombre des contemporains de Bulmer qui partageaient ses préoccupations appartenaient au mouvement Social Gospel, mais lui-même n’était pas, à ce qu’il semble, particulièrement religieux. Le droit, plutôt que la religion, était la voie par laquelle il escomptait réaliser sa vision de la société.
John Thomas Bulmer connut plus souvent l’échec que la réussite, mais il ne se laissa jamais abattre. Certains observateurs attribuaient sa carrière en dents de scie à des travers personnels : impatience, égotisme, insensibilité. Ses amis, dont sir John Sparrow David Thompson*, voyaient les qualités de ses défauts – son esprit subversif, sa verve, son attendrissante rudesse. Ils inventèrent même l’adjectif « bulmeresque » pour décrire une certaine forme d’extravagance. L’historien est tenté de porter un jugement plus sévère sur les défauts de la société dans laquelle il vivait que sur sa personnalité, et d’admirer la persévérance avec laquelle il affrontait les défaites et l’indifférence. La fin du xxe siècle a fait siennes bon nombre de ses préoccupations, mais pour ses contemporains, il était un Don Quichotte néo-écossais.
John Thomas Bulmer a publié une brochure intitulée Testimoniale of John T. Bulmer (Halifax, 1882), après avoir démissionné de son poste de bibliothécaire de la province.
AN, MG 26, A : 2059–2069, 37533–37571 ; D : 3393, 16319.— Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, n° 5417 (mfm aux PANS).— PANS, MG 1, 1504, nos 17, 61–62.— Daily News (Amherst, N.-É.), 11 févr. 1901.— Halifax Herald, 11 févr. 1901.— Morning Chronicle (Halifax), 21 janv. 1899, 11 févr. 1901.— A. G. Archibald et R. C. Weldon, The inaugural addresses, &c., delivered at the opening of the law school in connection with Dalhousie University [...] (Halifax, 1884).— Canada Law Journal, 32 (1896) : 533, 551.— Canadian Bar Assoc., Report of the proc. (Toronto), 1896–1898.— Philip Girard, « His whole life was one of continual warfare » : John Thomas Bulmer, lawyer, librarian and social reformer », Dalhousie Law Journal (Halifax), 13 (1990) : 376–405.— D. C. Harvey, « The contribution of the Nova Scotia Historical Society to the Legislative Library », N.S. Hist. Soc., Coll., 26 (1945) : 115–130.— Legal News (Montréal), 19 (1896) : 290–291, 296–300.— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1881, 1883, 1892 (rapports annuels du bibliothécaire).— Benjamin Russell, « John Thomas Bulmer », Dalhousie Rev., 9 (1929–1930) : 68–78.— Waite, Man from Halifax, 123s.— John Willis, A history of Dalhousie law school (Toronto, 1979), 32.
Philip Girard, « BULMER, JOHN THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bulmer_john_thomas_13F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
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