BRÉARD, JACQUES-MICHEL, contrôleur de la Marine, marchand et membre du Conseil supérieur de Québec, baptisé le 7 décembre 1711 à Rochefort, France, fils de Jacques Bréard, notaire et caissier de la Marine, et de Marie-Anne Marcellin, décédé le 22 mars 1775 et inhumé dans l’église paroissiale de Saint-Mandé-sur-Brédoire (dép. de la Charente-Maritime, France).

Jacques-Michel Bréard entra dans la Marine, comme cadet, en mars 1730 et y devint écrivain en décembre. On sait qu’en 1731–1732 il se rendit à la Martinique et à Saint-Domingue (île d’Haïti) ; par la suite, il se vit confier plusieurs postes à Rochefort. Le 1er janvier 1748, il fut nommé contrôleur de la Marine à Québec, avec le mandat de surveiller les finances, les magasins, les constructions et le recrutement. Il arriva à Québec le 26 août avec le nouvel intendant Bigot, à bord du Zéphyr. Sa tâche principale était d’avoir l’œil sur tous les biens et les fonds de la Marine, en vérifiant chaque transaction de l’intendant, des agents des trésoriers généraux de la Marine et des colonies (Jacques Imbert* et Alexandre-Robert Hillaire de La Rochette, entre autres) et d’autres fonctionnaires au moyen des doubles de tous les documents pertinents, qu’il devait conserver à cette fin. Les fonctions du contrôleur étaient d’autant plus nécessaires que les agents de Québec n’étaient pas des fonctionnaires royaux mais des employés salariés des trésoriers généraux de la Marine, administrant des fonds qu’on leur avait confiés selon des modalités équivalentes à celles d’un système bancaire privé.

À l’instar de la plupart des administrateurs œuvrant sous les Bourbons, Bréard ne se considérait pas tenu moralement de travailler uniquement pour la couronne, en retour d’un maigre salaire qui, même en 1756, n’était que de 1800#, et il est évident qu’il consacra une grande partie de son temps à des entreprises plus payantes. Tout au début de son séjour au Canada, il détenait déjà un cinquième des actifs d’une compagnie de commerce transatlantique mise sur pied avec Bigot et une société juive de Bordeaux, David Gradis et Fils, par contrat du 10 juillet 1748, renouvelé en 1755. Les associés se partageaient les profits d’au moins une cargaison annuelle de quelque 300 tonnes de marchandises expédiées de Bordeaux à Québec. Bréard et Bigot, en outre, armèrent quelques navires de moindre tonnage pour le commerce avec les Antilles – détail prévu dans leur contrat d’association. Effectivement, Bréard fit construire, à Québec, plusieurs goélettes pour le commerce de la Martinique. Selon Jean-Victor Varin de La Marre, Bréard fut également associé à Michel-Jean-Hugues Péan, Bigot et lui-même, entre 1755 et 1757. Entre-temps, le 1er mai 1749, il devint membre du Conseil supérieur, aux appointements annuels de 450# et, la même année, il acquit un cinquième des actions dans la pêcherie aux phoques et aux marsouins à la baie des Châteaux, sur la côte du Labrador, en s’associant avec Jean-François Gaultier*, propriétaire de la concession, et Charles-François Tarieu de La Naudière. Le 5 novembre 1748, on avait accordé à Bréard et à Guillaume Estèbe une concession de pêche et de commerce des fourrures d’une durée de neuf ans sur la rivière Thekaapoin, située entre les concessions octroyées auparavant à Jean-Baptiste Pommereau* et à François Margane* de Lavaltrie. Cette propriété s’avérant peu rentable à cause du mouvement constant des marées parmi les îles qui en faisaient partie, Bréard put par la suite entrer en possession, le 6 avril 1751, de la concession de Saint-Modet, qui avait été exploitée jusque-là par Pierre Constantin*. Au Canada, Bréard, avec la protection du gouverneur La Jonquière [Taffanel*], se lança dans la vente des congés de traite pour les postes de l’Ouest, et en particulier pour ceux de Détroit ; cette entreprise se révéla si lucrative qu’il en tira 1 100 000#. Il obtint les fonds nécessaires de relations qu’il avait en France et confia à Estèbe la direction de l’affaire.

Le frère de Bréard, Marcellin-Nicolas (1714–1785), écrivain de la Marine, puis petit fournisseur de bois à la Marine, était enfin devenu, en avril 1758, l’agent à Rochefort des trésoriers généraux de la Marine – poste qu’il conserva jusqu’en 1768. Nous ignorons si ce frère de Bréard prit directement part aux affaires de ce dernier à Québec, mais il était bien placé pour le faire. Il devait régler tous les comptes officiels des colonies à Rochefort, payant, par exemple, 144 969# pour des cargaisons expédiées au Canada en 1760 à bord de trois navires de Bordeaux, le Machault, la Fidélité et le Marquis de Malauze. Ce poste permit à Marcellin-Nicolas de faire passer sa fortune de quelque 40 000# à environ un demi-million, et, comme sa charge était garantie par un cautionnement de 60 000# consenti par Jacques-Michel en 1758, nous pouvons raisonnablement conjecturer que les deux frères faisaient des affaires ensemble. Ces conjectures ne sont en rien affaiblies par la découverte que l’intendant de la Marine à Rochefort, Charles-Claude de Ruis-Embito de La Chesnardière, était l’ami et le protecteur de Marcellin-Nicolas, qui avait obtenu, grâce à lui, le poste d’agent des trésoriers généraux.

Ayant fait fortune à Québec, Jacques-Michel Bréard se prit à regretter le climat doux et le régime amène de l’ouest de la France où, par contrat notarié du 7 février 1753, il avait acheté un manoir appelé Les Portes dans la paroisse Saint-Mandé-sur-Brédoire, aux confins du Poitou et de la Saintonge. En plus, il se sentait mal à l’aise à Québec depuis qu’on s’était plaint au ministre, à Versailles, de ses pratiques commerciales. Depuis 1752 il souffrait, disait-on, d’une « maladie de langueur et d’Elizie », et, avec l’autorisation de ses supérieurs de Québec, il partit le 29 octobre 1755. Arrivé à La Rochelle le 19 décembre, il y apprit que, la veille de son départ de Québec, l’Aimable Rose, de Honfleur, qui transportait tous ses biens en France, dans sept grandes caisses, avait été saisie et conduite à Portsmouth comme prise de guerre. Peut-être est-il rentré en possession de ses papiers, puisqu’il possédait, à sa mort, une série de comptes pour chacune des années passées au Canada. Le 9 février 1756 un ordre du ministre pour son retour à Québec poussa Bréard à organiser avec Abraham Gradis une expédition de marchandises destinées à être vendues au Canada ; mais, sur l’avis de son médecin, Bréard fut à la fin autorisé à rester en France ; on l’assigna à Marennes le 15 août 1757, au poste de commissaire des classes. Déjà, le 18 mai 1756, il avait acheté l’office royal de trésorier de France ; il avait fait d’autres placements, surtout en prêtant de l’argent à des particuliers.

Bréard et sa famille pouvaient maintenant satisfaire leurs ambitions sociales. Il avait épousé Marie Chassériau, fille d’un gentilhomme de la petite noblesse saintongeaise, en octobre 1741 ; ils eurent deux fils qui accédèrent eux-mêmes à la petite noblesse. L’aîné, Jean-Jacques Bréard, né à Québec le 11 octobre 1751, devint conseiller en l’élection de Marennes, puis maire de la ville, et finit par jouer un rôle, à la Révolution française, comme membre de la Convention et du Comité de salut public en se montrant intéressé plus particulièrement aux affaires maritimes. Les Bréard eurent de plus deux filles, nées à Québec elles aussi, qui épousèrent des nobles sans fortune ; pour le premier de ces deux mariages, Jacques-Michel porta la dot à pas moins de 80 000#. Sans les malheurs de l’Affaire du Canada, les Bréard eussent pu connaître la même efflorescence que bon nombre d’autres familles françaises dont les débuts avaient été semblables aux leurs.

Soudain, le 24 avril 1762, ordre fut donné d’arrêter Bréard, qui fut emprisonné à la Bastille avec les autres fonctionnaires du Canada. Bréard et ces derniers avaient souvent été dénoncés pour leur rapacité en affaires, au Canada, depuis 1748, et ils auraient bien pu être arrêtés plus tôt. Mais nos normes actuelles relatives à la conduite des fonctionnaires – et même l’idée de fonction publique – datent du xixe ; le xviiie siècle ne voyait rien de mal à ce qu’un fonctionnaire royal fît, en marge de ses fonctions, des affaires pour son propre compte, pourvu que cela ne nuisît en rien au service du roi ou ne portât point atteinte aux intérêts de la couronne ou aux droits légaux d’autrui. Bréard, tout comme Bigot et Joseph-Michel Cadet, devint le bouc émissaire de la couronne pour la perte de sa colonie du Canada et pour son refus d’honorer les dettes engagées tant par le bureau des Colonies que par le ministère de la Marine en général. Les dates des procès furent habilement fixées pour détourner la colère publique sur la tête de ces fonctionnaires. Le jugement général du 10 décembre 1763 bannissait Bréard de Paris pendant neuf ans et lui imposait une amende de 500# et une restitution à la couronne de 300 000#. Bréard avait, certes, fraudé l’État et le public, mais pas plus qu’on n’avait l’habitude de le faire en France à l’époque. Il serait difficile de nier les raisons politiques qui sous-tendaient son procès, devant les lettres royales de réhabilitation qui le disculpèrent le 27 décembre 1771.

Depuis longtemps déjà, Bréard avait adopté le train modeste du gentilhomme campagnard, vivant de ses rentes et redevances sur sa terre des Portes. Il avait quelques serviteurs et tenanciers, des chevaux et du bétail varié, des vignes ; il fréquentait un cercle local de fonctionnaires subalternes, d’officiers et de petits gentilshommes. Il possédait une bibliothèque contenant des livres sur bon nombre de sujets, en particulier l’histoire, mais aussi des ouvrages de Rousseau, Voltaire, Pascal, Bossuet et les classiques du théâtre français. Son petit manoir, ayant subi bien des modifications, était encore entre les mains de ses descendants en 1971 ; leur métayer en montrait avec plaisir les murs épais et deux foyers ouvragés. Et les paysans parlaient encore des anciens liens de la famille Bréard avec le Canada.

J. F. Bosher

AD, Charente-Maritime (La Rochelle), État civil, Saint-Mandé-sur-Brédoire, 24 mars 1775 ; Minutes Audouin (Aulnay), 17 juin 1775 (inventaire après décès de Bréard). Je tiens à remercier M. et Mme Lemercier, notaires à Aulnay, pour leur aide généreuse et pour avoir acquiescé à ma suggestion de déposer leurs vieilles minutes aux AD, Charente-Maritime [j. f. b.] ; Minutes Bietry (Saint-Just), 6 oct. 1741 (contrat de mariage de Bréard) ; Gironde (Bordeaux), Minutes Dufaut (Bordeaux), 28 juill. 1784.— AN, T, 5901–4 (papiers des frères et des descendants de Bréard) ; V1, 391 (concerne l’office de trésorier de France de Bréard) ; Col., C11A, 98 (spécialement Bréard au ministre, 28 oct. 1752) ; Marine, C7, 44 (dossier Bréard).— PRO, HCA 32/162, Aimable Rose (incluant un bordereau d’embarquement pour les effets de Bréard et d’autres informations).— Docs. relating to Canadian currency during the French period (Shortt), II : 783–786n.

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J. F. Bosher, « BRÉARD, JACQUES-MICHEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/breard_jacques_michel_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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