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WHITNEY, sir JAMES PLINY, avocat et homme politique, né le 2 octobre 1842 dans le canton de Williamsburgh, Haut-Canada, fils de Richard Leet Whitney et de Clarissa Jane Fairman ; le 30 avril 1877, il épousa à Cornwall, Ontario, Alice Park (décédée en 1922), et ils eurent un fils et deux filles ; décédé le 25 septembre 1914 à Toronto et inhumé près de Morrisburg, Ontario.
Fils d’un fermier et forgeron, James Pliny Whitney fit ses études élémentaires à la campagne. En 1860, il fréquentait la Cornwall Grammar School et appartenait à la milice volontaire de la localité. À la fin de sa scolarité, il entreprit un stage au cabinet des avocats John Sandfield Macdonald* et John Ban Maclennan à Cornwall. Très en vue sur la scène politique, Sandfield Macdonald avait des occupations plus importantes que la formation juridique de son jeune stagiaire, mais il ne fut pas avare de son temps. Par la suite, Whitney reconnaîtrait que son mentor l’avait aussi initié à la politique. D’après lui, Macdonald était un libéral baldwiniste qui, une fois Robert Baldwin* parti, s’était éloigné du Parti réformiste pour rejoindre le camp libéral-conservateur de John Alexander Macdonald*. Lorsque le conservateur Whitney accéderait à la fonction de premier ministre de l’Ontario, il se définirait comme un héritier spirituel de Sandfield et s’enorgueillirait d’être issu « d’une lignée libérale (tendance Baldwin) ».
Whitney vagabonda avant de se lancer pour de bon dans sa carrière d’avocat. Disparu de Cornwall à la fin des années 1860, il refit surface de temps en temps à la ferme paternelle, près d’Aultsville. De vagues rumeurs laissent entendre qu’il buvait. Si ses allées et venues demeurent un mystère, ce n’est pas le cas de ses opinions politiques : lorsqu’il réapparaît, c’est à titre de militant libéral-conservateur. Vers 1871, il se remit à l’étude du droit. Admis au barreau à l’âge de 33 ans, à la session de Pâques 1876, il ouvrit en mai un cabinet à Morrisburg, village d’environ 1 600 habitants situé près de l’un des canaux du Saint-Laurent et à cheval sur le chemin de fer du Grand Tronc. Bien vite, il se tailla une réputation de ténacité. En 1877, il jugea sa situation assez sûre pour épouser Alice Park, de Cornwall. Le nouveau marié semblait promis à l’aisance ; quant à Alice, elle était assez ferme pour l’empêcher de lever le coude.
À la fin des années 1870, Whitney songeait surtout à son foyer et à sa profession, mais peu à peu, l’appel de la politique se fit pressant. Lorsque le premier ministre libéral de la province, Oliver Mowat*, annonça la tenue d’élections en décembre 1886, Whitney, obscur militant conservateur depuis plus de dix ans, décida de se présenter dans Dundas, circonscription tory depuis 1875. Ainsi, sous la direction de William Ralph Meredith*, chef des conservateurs provinciaux, il se trouva propulsé dans une campagne dominée par des controverses sur l’éducation et la religion. Mowat se faisait accuser de gagner les suffrages des catholiques en se soumettant à leurs quatre volontés en matière d’instruction. Meredith essaya de ne pas s’aventurer sur ce terrain glissant, mais il s’y laissa entraîner par la rhétorique du Toronto Daily Mail, journal ultraconservateur [V. Christopher William Bunting*], si bien qu’on le taxa d’anticatholicisme. Toutefois, si Whitney perdit de justesse dans Dundas au profit de Theodore F. Chamberlain*, ce ne fut probablement pas surtout à cause des questions religieuses, mais parce qu’il ne faisait pas assez peuple. Après que les tories eurent contesté les résultats de ce scrutin pour cause de corruption, une élection complémentaire eut lieu en janvier 1888. Comme les délicates questions religieuses n’étaient pas à l’ordre du jour, Whitney, pour la première fois de sa longue carrière politique – mais assurément pas la dernière –, se posa en champion des bonnes mœurs politiques. Il reconquit Dundas pour les conservateurs par une majorité de 28 voix et se retrouva aux côtés de Meredith à l’Assemblée législative. Nul ne contribuerait davantage que le chef tory à transformer ce simple avocat de la campagne en premier ministre provincial.
Pour Whitney, l’intelligence de Meredith pourrait bien avoir semblé le seul avantage de sa présence dans l’opposition. Les conservateurs manquaient d’hommes, d’argent, d’organisation ; ils étaient divisés sur les questions religieuses, frustrés par leur défaite électorale, handicapés par la position des tories fédéraux sur les droits provinciaux. Les choses ne s’améliorèrent pas aux élections provinciales de 1890. Whitney fut réélu, mais les libéraux reprirent le pouvoir au terme d’une campagne où les conservateurs leur reprochèrent encore une fois de céder aux pressions des catholiques, surtout à propos des écoles séparées. Malgré la prudence avec laquelle Meredith formula cette critique, celle-ci ne fit que précipiter les catholiques conservateurs dans les bras de Mowat.
Après le scrutin, Whitney acquit sans cesse de l’importance parmi les députés tories. Il devint le critique et le principal porte-parole conservateur en matière d’éducation, d’administration judiciaire et de corruption électorale. Par ailleurs, au début des années 1890, des forces plus considérables commençaient à modifier le paysage politique de l’Ontario. L’économie s’essoufflait. Le gouvernement fédéral semblait désorienté par la mort de John Alexander Macdonald, survenue en 1891. L’animosité régnait entre catholiques et protestants, Canadiens français et Canadiens anglais. Le tarif protecteur irritait les fermiers. L’alcool, on en était sûr, engendrait de plus en plus de fléaux sociaux. Le mécontentement régnait dans les classes inférieures de l’Ontario. Deux nouveaux partis politiques se formèrent en vue de canaliser l’expression de ce malaise : un mouvement de protestation issu du milieu agricole, les Patrons of Industry, et une organisation anticatholique, la Protestant Protective Association [V. George Weston Wrigley* ; D’Alton McCarthy*]. Whitney dénonça l’apparition de ces groupes qui déstabiliseraient le système bipartite. Conscient des dangers politiques de l’extrémisme protestant, il réserva pourtant ses paroles les plus sévères aux Patrons of Industry. Selon lui, il n’y avait pas lieu de transformer en parti politique une organisation d’agriculteurs potentiellement utile. Aux élections de juin 1894, il remporta la victoire sur son seul adversaire, candidat des Patrons of Industry.
En octobre, après sa cinquième défaite consécutive contre Mowat, Meredith accepta le siège de juge en chef de la Cour des plaids communs, ce qui donna à Whitney une nouvelle occasion d’avancement. Il jongla avec l’idée de se présenter à la direction du Parti conservateur, mais il savait que le nouveau chef devrait tenter de collaborer avec les Patrons of Industry pour embarrasser Mowat et conclut qu’il n’était pas l’homme de la situation. La direction du parti passa à George Frederick Marter*, qui réussit à faire inscrire au programme l’abolition des écoles séparées et la prohibition, mais dut se raviser parce que ces propositions provoquèrent un tollé. Cette volte-face, très désagréable à Whitney, permit pourtant au parti de perdre peu à peu sa vieille réputation d’hostilité envers le catholicisme et les écoles séparées.
Bien que Whitney ait continué de trouver Marter encombrant, sans doute parce que celui-ci l’empêchait de soulever des questions comme l’approbation des manuels scolaires et la certification des enseignants des écoles séparées, il faisait abstraction de ses sentiments à l’Assemblée. Il empêcha le parti de s’empêtrer dans le débat sur les écoles du Manitoba en 1896 [V. Thomas Greenway*] en avançant que la question ne relevait pas des députés ontariens. Le fait que, dans ce cas, il réussit à tenir en bride la plupart des membres du caucus pourrait expliquer en partie pourquoi celui-ci le choisit comme chef quand Marter tira sa révérence en avril 1896. Désormais, c’était à Whitney qu’incomberait la tâche d’insuffler une nouvelle vie au Parti conservateur, apparemment condamné à rester perpétuellement dans l’opposition.
Pour commencer, Whitney participa à la campagne fédérale de 1896, qui serait déterminante pour l’avenir des tories provinciaux. Il parcourut tout le sud de l’Ontario en proclamant qu’Ottawa devait adopter une loi réparatrice pour solutionner le problème des écoles confessionnelles du Manitoba. Ainsi, lui-même et ses partisans provinciaux donnèrent encore moins prise à l’accusation d’hostilité envers les catholiques. Les élections fédérales eurent pour les tories ontariens une autre conséquence plus importante. L’invincible Mowat se laissa convaincre d’entrer au gouvernement libéral de Wilfrid Laurier et quitta la scène provinciale, ce qui dégagea l’horizon devant Whitney et son parti.
Le chef conservateur avait tout de même beaucoup de pain sur la planche. Pour rebâtir le parti, il fallait le doter d’un appareil plus efficace, le distancier suffisamment des tories fédéraux pour qu’on ne l’accuse pas de lui être soumis, tendre la main aux conservateurs catholiques, visiter le sud-ouest de l’Ontario, bastion des grits, et hâter la chute des Patrons of Industry, qui battaient de l’aile. Bien que Whitney ait pu se féliciter des progrès accomplis sur tous ces fronts en 1896–1897, ni lui-même ni le parti n’avaient des raisons d’escompter recevoir assez d’argent pour financer leur quête du pouvoir. En même temps, le revenu de son cabinet d’avocat à Morrisburg avait diminué à cause de ses activités politiques. Les efforts déployés par Whitney à la tête de son parti engendraient des frais, et les conservateurs devaient les assumer s’ils voulaient être prêts pour les prochaines élections provinciales, convoquées pour mars 1898 par le nouveau premier ministre libéral, Arthur Sturgis Hardy*.
Au cours de cette campagne, Whitney fit un geste en faveur des catholiques afin de renforcer son parti. Il veilla à ce que James Joseph Foy, éminent avocat catholique et membre du comité des finances de la Liberal-Conservative Union of Ontario, soit choisi candidat dans Toronto South. Ainsi, il fit entrer dans ses troupes quelqu’un qui pouvait témoigner que le temps de l’anticatholicisme, réel ou imaginaire, était révolu. Il renforça cette impression en ne parlant pas du tout des écoles séparées. Plus terne que les précédentes, la campagne conservatrice fut donc aussi beaucoup plus adroite. Foy fut élu et les Patrons of Industry disparurent de la carte. Certes, les libéraux reprirent le pouvoir de justesse, mais le chef tory avait maintenant un lieutenant catholique et avait réduit l’avance des grits, ce qui ne pouvait que le réconforter.
Dans les mois suivants, Whitney contesta des élections dans le vain espoir d’évincer les libéraux et s’en prit sans relâche au laxisme de leurs mœurs politiques. Cette stratégie faisait de la publicité aux conservateurs, mais elle comportait un inconvénient : Whitney, commençait-on à murmurer, ne connaissait à peu près qu’une rengaine, la corruption. Néanmoins, son caucus l’appuyait fermement. En 1899, George William Ross, depuis longtemps ministre de l’Éducation, accéda au poste de premier ministre. Comme Ross était un leader plus énergique que Hardy et inspirait une loyauté certaine à ses partisans, Whitney aurait dû s’inquiéter, mais ce ne fut pas le cas semble-t-il.
Whitney finit par réagir aux reproches de ne pas avoir grand-chose de constructif à proposer. En 1901, sans doute sous l’influence de Meredith, devenu en 1900 chancelier de la University of Toronto, alors aux prises avec des difficultés financières, il présenta un plan concret qui visait à consolider les assises de cet établissement d’enseignement en le finançant à même les droits de succession perçus par la province. En outre, il insista pour que le gouvernement ne se mêle pas de l’administration interne de l’université ni des nominations. La même année, il fit sa première grande déclaration sur la production d’hydroélectricité aux chutes du Niagara, thème attrayant pour les masses et sur lequel il aurait l’habileté de mener une croisade progressiste. Il souligna que l’énergie provenant du côté ontarien devait être produite par et pour les Canadiens et se dit méfiant envers les monopoles qui contrôlaient une richesse naturelle dont le peuple de la province était le propriétaire légitime.
Pendant qu’il précisait le programme tory, Whitney était aux prises avec des difficultés qui culminèrent en 1901 par une contestation de son leadership. Notamment avec l’aide de Foy, il sortit de cette épreuve en tenant bien les rênes du parti et de sa nouvelle organisation, l’Ontario Liberal-Conservative Association, formée en janvier 1901. En cours de route, il dut aussi faire face aux tentatives d’amener Foy sur la scène fédérale, calmer Marter, plus imprévisible que jamais, résister aux efforts visant à lui faire quitter Morrisburg avec sa famille pour un domicile permanent à Toronto, voir son cabinet d’avocat réduit à presque rien et être quasi obligé de mendier pour rester chef de parti. Toutes ces difficultés nuisirent à sa santé et assombrirent son caractère ; pendant un temps, lui qui était déjà d’un naturel brusque et distant devint irascible. Cependant, une fois qu’il eut réaffirmé son autorité sur le parti, l’espoir de vaincre les libéraux aux prochaines élections le ragaillardit. L’Ontario Liberal-Conservative Association commençait à se révéler utile : elle produisait des analyses de la position du parti dans les circonscriptions. Grâce à des fonds de son frère le capitaliste Edwin Canfield, Whitney put traverser quelques mauvaises passes. Puis l’argent commença à entrer dans les coffres du parti, tranquillement mais en quantité suffisante pour éponger les dettes et permettre à Whitney de faire une tournée de conférences dans la province à l’automne de 1901. Le fait de ne pas être inondé de contributions lui donnait un avantage qu’il n’appréciait peut-être pas toujours à sa juste valeur : n’étant redevable à personne, il jouissait d’une certaine liberté.
Au cours de la session législative de 1902, les tories définirent leur politique sur l’hydroélectricité. L’opinion publique s’intéressait de plus en plus à la question parce que les chutes du Niagara représentaient pour l’Ontario une source d’énergie immense et que l’utilisation du courant alternatif avait réglé le problème de la transmission sur de longues distances. En plus, la province – Toronto et Hamilton surtout – s’industrialisait de plus en plus, mais elle était pauvre en charbon. L’hydroélectricité offrait donc la promesse d’une énergie économique et accessible, perspective qui éblouissait à la fois l’industriel, le propriétaire de chemin de fer et le simple citoyen [V. John Patterson]. Du côté ontarien des chutes, deux sociétés énergétiques appartenant à des Américains avaient signé des contrats en 1902 avec la Queen Victoria Niagara Falls Parks Commission. En plus, William Mackenzie*, Henry Mill Pellatt* et Frederic Nicholls* étaient en train de former une organisation canadienne pour conclure une entente sur la production d’énergie. Tenant compte de tous ces facteurs, les conservateurs firent valoir à l’Assemblée que, dans les ententes futures, la commission des parcs devrait réserver à la province le droit de stopper la transmission à la frontière canadienne et que, comme le permettaient les contrats déjà signés, le gouvernement devrait mettre en valeur l’énergie hydratilique en vue de produire, au plus faible coût possible, de l’électricité qu’il vendrait aux municipalités au prix coûtant. Bien que la motion exprimant cette argumentation ait été battue le 5 février au cours d’un vote selon les lignes de parti, elle témoignait clairement de l’engagement des tories en faveur de l’étatisation de la production énergétique. Et Whitney ne manquait pas une occasion de défendre cette position, même si d’aucuns estimaient qu’il l’avait adoptée à contrecœur.
Plein d’entrain grâce à la session de 1902, Whitney, après avoir attaqué les grits au point d’en arriver presque à occulter son propre programme, fit campagne avec confiance en prévision des élections de mai. Les questions religieuses ne furent pas du tout abordées. Dans un discours, il conclut sa condamnation des irrégularités électorales des libéraux par cette retentissante déclaration, typique, selon beaucoup, de l’avocat de Morrisburg : « Nous sommes assez audacieux pour être honnêtes, nous sommes assez honnêtes pour être audacieux. » Mais Whitney avait beau avoir de l’autorité sur son parti et bien maîtriser les dossiers, ce n’était pas suffisant. Tout en obtenant plus de suffrages que les libéraux, les conservateurs remportèrent 48 sièges alors que leurs adversaires en eurent 50. Ils furent victorieux dans les grands centres urbains, mais Ross gagna grâce à l’appui des régions rurales. Et Whitney n’était pas au bout de ses peines. Des contestations d’élection se soldèrent par des gains pour les libéraux. Puis, en mars 1903, Robert Roswell Gamey, député conservateur de la circonscription de Manitoulin, passa publiquement dans le camp gouvernemental, après quoi, à l’inauguration de la législature, il déclara avoir reçu pour cela 2 000 $ des grits. Une commission formée par le premier ministre Ross exonéra les libéraux et discrédita Gamey, mais Whitney refusa que les choses s’arrêtent là. On ne l’écoutait plus guère quand il dénonçait les méfaits des grits ; L’affaire Gamey lui donnait de nouvelles munitions. Inquiet des conséquences de cette histoire pour le Parti libéral, Ross offrit à Whitney, en vain, de former un gouvernement de coalition. L’affaire Gamey ne mit pas un terme aux malheurs des libéraux. Un témoignage entendu à l’occasion de la contestation de l’élection tenue dans Sault-Sainte-Marie en 1903 révéla que les grits avaient largement recours à l’usurpation de votes, au whisky et à l’argent. Ce témoignage donna lieu à un procès l’année suivante.
Afin de purger et de revitaliser son parti, Ross remania son cabinet et tint un congrès libéral à la fin de 1904. Ensuite, il convoqua des élections pour le 25 janvier 1905. Flairant la victoire, Whitney piaffait d’impatience ; le parti uni derrière lui, il monta à l’assaut en dénonçant encore une fois la corruption des grits. Le scrutin donna aux tories une majorité de 40 sièges ; même leur chef en fut secoué. Ross déclara avoir perdu en grande partie à cause du débat sur la tempérance et avoir amorti les attaques conservatrices sur la corruption. Son explication sous-estime l’importance de cette dernière question : en fait, plusieurs libéraux éminents, dont Samuel Hume Blake et John Stephen Willison*, étaient passés dans le camp conservateur parce qu’ils en avaient assez des combines. En outre, Whitney pouvait compter sur une meilleure organisation et n’était entravé ni par des liens avec Ottawa ni par des dissensions religieuses. Enfin, en parlant d’étatisation de l’énergie, d’assistance à la University of Toronto et de gouvernement honnête, il avait fait davantage figure de réformateur imaginatif que Ross.
Pour remporter un succès appréciable, tout personnage politique doit évoluer à mesure qu’il gravit les échelons. À la grande surprise de certains de ses détracteurs, Whitney avait su le faire en tant que chef de l’opposition. Il s’épanouirait encore plus dans le rôle de premier ministre. Lorsque les conservateurs provinciaux l’avaient choisi comme leader, John Ross Robertson, de l’Evening Telegram de Toronto, avait déclaré narquoisement que, en jetant une pierre par la fenêtre de n’importe quel barrister de la campagne, on aurait frappé une meilleure tête que celle de l’avocat de Morrisburg. Les événements de 1905 lui apportaient un démenti éclatant. Cette année-là, non seulement Whitney mena-t-il son parti à un triomphe et devint-il premier ministre, mais il forma un cabinet exceptionnellement fort où l’on retrouva finalement des hommes de toutes les régions de l’Ontario et de toutes les principales confessions religieuses, dont deux catholiques, Foy et le Franco-Ontarien Joseph-Octave Réaume. Par la suite, lorsque ce cabinet regorgeant de talents, de personnalités très affirmées et d’individus au moi hypertrophié débattirent de questions litigieuses, Whitney se révéla ferme et sûr de lui. Règle générale, ses paroles brusques, son ton pince-sans rire, ses poses ennuyées ou son regard glacial suffisaient à calmer ou à intimider les indisciplinés, y compris le flamboyant Adam Beck*.
Seule la mort délogerait Whitney du fauteuil de premier ministre. Réélu en 1908, en 1911 et en 1914, il obtiendrait l’appui d’une majorité croissante d’électeurs ontariens tout en conservant une majorité de sièges. Il en avait fait du chemin depuis sa victoire dans une élection partielle en 1888, depuis cette époque où la politique était animée de querelles religieuses apparemment interminables. Et la province, gouvernée en 1905 par les conservateurs pour la première fois depuis la Confédération, avait bien changé. Peuplée d’environ deux millions et quart d’habitants, elle était en bonne voie d’industrialisation ; presque la moitié de tous les capitaux investis dans l’industrie manufacturière du Canada s’y concentrait. Les habiles manœuvres de Whitney en vue de concilier les groupes adverses dans la bataille pour l’étatisation de l’hydroélectricité, manœuvres visant notamment à éviter l’effondrement des intérêts privés, seraient d’une importance capitale, tout comme ses efforts constants pour garder la confiance des milieux financiers canadiens et britanniques.
Néanmoins, tout n’était pas rose en Ontario. Les conditions de travail étaient souvent dures, la sécurité d’emploi quasi inconnue. L’assistance sociale était administrée de manière irrégulière et parcimonieuse par les municipalités. L’agriculture demeurait très importante dans le tableau socio-économique de la province ; or, la mécanisation et l’agrandissement des fermes contribuaient à la dépopulation rurale, déjà déclenchée par l’industrialisation des grandes et des petites villes. C’était une époque de changement que celle où le député de Dundas devint premier ministre, mais cet homme dont le tempérament autocratique dissimulait une réelle sensibilité au pouls de l’opinion y était aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau.
Une des premières interventions de Whitney après son accession au poste de premier ministre porta sur les problèmes de la University of Toronto [V. James Loudon]. Cette intervention était sans aucun doute attribuable à Meredith, encore chancelier. Depuis longtemps, l’université recevait de maigres subventions provinciales ; en plus, Queen’s Park se mêlait de son administration. Dès sa première session législative, Whitney lui accorda des crédits – et lui en promit d’autres pour l’avenir – afin de lui permettre de lancer un programme de construction et de stabiliser sa situation financière. Puis, en octobre 1905, il forma, sous la présidence de Joseph Wesley Flavelle*, une prestigieuse commission d’enquête sur la gestion et la structure de pouvoir de l’université. Dès la remise du rapport, en 1906, Whitney s’empressa de faire adopter une loi qui en reprenait presque toutes les principales recommandations. Ainsi, l’université fut dotée d’un nouveau conseil d’administration nommé par le gouvernement mais à l’abri des ingérences politiques, d’un rectorat plus puissant et d’une première subvention annuelle d’un quart de million de dollars. Les mesures de Whitney, qui mirent l’université sur la voie de l’expansion, rompaient totalement avec la politique étouffante des libéraux en matière d’enseignement supérieur [V. sir Daniel Wilson*].
Trois mois avant de commander l’enquête sur l’université, Whitney avait formé une commission dont le mandat était d’examiner à peu près tous les aspects de l’hydroélectricité dans la province : sources, production, coût, transmission et distribution. Adam Beck, ministre entêté et défenseur charismatique de l’étatisation de l’énergie, présidait cette commission, avec l’assistance d’un ingénieur professionnel et expert reconnu en la matière, Cecil Brunswick Smith. En moins d’un an, le gouvernement reçut trois rapports de ce groupe, plus un rapport de la commission chargée par Ross d’examiner la possibilité de faire collaborer les municipalités à la transmission et à la distribution de l’énergie. Traduire en textes législatifs la politique énergétique des conservateurs donna sûrement lieu à de vifs débats entre les membres du cabinet. Par ailleurs, les intérêts privés du secteur énergétique exercèrent des pressions auxquelles Whitney résista de manière généralement conciliante, mais parfois rude. Tout ce travail déboucha en 1906 sur l’adoption d’une loi créant un organisme permanent, la Commission d’énergie hydroélectrique de l’Ontario. Cette commission aux pouvoirs immenses était habilitée à acquérir les terres, les eaux, l’énergie hydraulique et les installations nécessaires, à conclure des contrats avec les municipalités, à contrôler les tarifs fixés par les entreprises de production et de distribution de même qu’à exproprier, s’il le fallait, des sociétés énergétiques privées. Beck devint président de cette nouvelle commission. Les autres membres étaient Smith et John Strathearn Hendrie*, autre ministre du cabinet, choisi par Whitney pour faire contrepoids au populisme radical de Beck.
Une société privée, l’Electrical Development Company, combattit sans relâche l’instauration de l’organisme gouvernemental, mais la population ne partageait pas ses vues. En 1907, les électeurs de 19 municipalités, dont Toronto, autorisèrent leurs conseils à négocier avec la commission des contrats de livraison d’hydroélectricité. L’année suivante, la commission signa un contrat pour la construction d’une ligne de transmission reliant Niagara à Dundas et de lignes secondaires allant à Toronto et dans des municipalités du Sud-Ouest. Entre-temps, des sociétés énergétiques privées s’étaient mises à fomenter des poursuites judiciaires pour contester le droit des municipalités de conclure pareils contrats. Whitney riposta en légiférant pour suspendre toutes les poursuites et valider tous les contrats entre les municipalités et la commission. D’aucuns prétendirent que l’Ontario glissait allègrement sur la voie du socialisme – « sinistre blague », dit Whitney en 1909. Pour lui, il n’y avait pas de doute : il faisait tout simplement en sorte que l’étatisation de l’énergie se réalise de façon ordonnée. À l’automne de 1910, les lignes construites par la commission de Niagara à Berlin (Kitchener) transmirent de l’électricité pour une cérémonie de mise en circuit. Elle témoignait que l’on se rapprochait de l’objectif. De fait, aucune autre province ni aucun État ne s’engagea aussi totalement que l’Ontario envers la cause de l’étatisation de l’électricité.
Le gouvernement Whitney n’intervint pas dans l’économie uniquement par l’intermédiaire de la commission sur l’énergie. En partie à cause d’une vilaine querelle entre Toronto et les chemins de fer interurbains, dont les propriétaires souhaitaient avoir facilement accès à la ville, il dut légiférer dans le secteur du rail. La chose pressait d’autant plus que, à l’époque, presque toutes les questions ferroviaires étudiées par le Parlement ontarien nécessitaient une mesure législative distincte, ce qui prenait beaucoup de temps. En 1906, le gouvernement fit donc adopter deux lois. L’une portait sur les relations entre les propriétaires de lignes ferroviaires urbaines et les municipalités ; elle ordonnait de standardiser l’équipement et d’améliorer la sécurité. La seconde créait l’Ontario Railway and Municipal Board, dont le mandat était d’appliquer la première loi. Doté de pouvoirs étendus, cet organisme était autorisé à approuver ou à refuser les annexions municipales, à confirmer les règlements municipaux sur les finances et les services publics, et à agir comme conseil d’arbitrage en cas de grève ou de lock-out dans les chemins de fer. Un tel organisme, complètement indépendant du pouvoir législatif, n’avait jamais existé auparavant dans l’histoire de l’Ontario, et sa création marquait une nouvelle étape dans la manière de gouverner la province. Cependant, à ses débuts, son palmarès ne fut pas impressionnant. Ainsi, le premier ministre dut lui ordonner d’intervenir dans la violente grève des tramways de Hamilton en novembre 1906 [V. John Wesley Theaker].
À tout prendre, la bagarre, en politique, plaisait à Whitney. Par la suite, John Stephen Willison rappellerait que, en Chambre, il « improvisait et se laissait souvent aller à des déclarations violentes et excessives », contrairement à George William Ross. « Mais, ajoutait-il, il était si transparent que la population comprenait ses emportements et s’en régalait. » Si quelque chose gâchait le plaisir de Whitney, c’était la prohibition, pour la simple raison que selon lui, ni les partisans ni les adversaires du régime sec n’étaient jamais contents de ce que le gouvernement faisait. Il tenta d’en arriver à des compromis dans un domaine où ils étaient inacceptables. À son avis, imposer la prohibition dans toute la province était hors de question et, pour être efficace, la prohibition locale devait avoir l’appui de la majorité. Le nouveau projet de loi sur l’alcool présenté en 1906 par William John Hanna, méthodiste et secrétaire de la province, était en grande partie fidèle à la pensée de Whitney. Il eut pour effet d’augmenter radicalement, selon une échelle graduée en fonction de la population, les droits des permis délivrés aux tavernes et aux magasins. Une foule de règlements de moindre importance vinrent resserrer le contrôle des ventes d’alcool. Dans une municipalité, 25 % des électeurs pouvaient réclamer un vote sur la prohibition locale, après quoi 60 % devaient se prononcer en faveur de cette mesure pour que le conseil local puisse l’imposer. Cette règle du 60 %, en particulier, irritait les prohibitionnistes, mais Whitney y tenait : pour faciliter l’implantation de la prohibition locale, un appui sans équivoque était essentiel. La réglementation de l’alcool resta donc ainsi jusqu’à la fin de sa carrière.
Le gouvernement Whitney consacra beaucoup de temps à ces mesures importantes, mais il intervint aussi de plusieurs autres manières en 1906–1907 pour changer les choses en Ontario. En 1906, il forma une commission d’enquête sur les manuels scolaires. Elle conclurait un an plus tard qu’ils coûtaient trop cher – parce qu’on ne faisait pas d’appels d’offres – et étaient de moindre qualité que les manuels britanniques et américains. Le gouvernement adopterait rapidement le système des appels d’offres. Toujours en 1906, le ministre de l’Éducation, Robert Allan Pyne*, augmenta les salaires des enseignants de la campagne et prit des mesures pour éliminer les écoles modèles et multiplier les écoles normales, le tout dans le but de rehausser les normes pédagogiques. Le gouvernement entreprit aussi de réformer l’administration de l’exploitation forestière [V. Aubrey White] ais il commit l’erreur de négliger l’application des lois sur la protection des forêts. Mis en vedette par une intense activité minière dans le nord de l’Ontario, dont le boom de Cobalt en 1905, Francis Cochrane, premier titulaire des Terres et des Mines dans le gouvernement Whitney, produisit en 1906 une loi uniformisant le droit minier de la province. L’année suivante, pour remplacer le système des redevances, inefficace, il présenta un projet de loi qui contenait une nouvelle formule d’imposition pour l’industrie minière, ce qui suscita un tollé. En outre, des pénalités plus sévères furent imposées dans les cas avérés de corruption électorale. Whitney impressionnait les Ontariens par son honnêteté et son intégrité. Il dénonçait ouvertement le partage de l’assiette au beurre et trouvait détestables les solliciteurs de postes. Certes, le parti recourait toujours abondamment au favoritisme [V. John Irvine Davidson*] ais Whitney tentait de l’utiliser avec retenue et d’en atténuer les excès. Toutefois, il y a certains secteurs où la volonté réformatrice de son gouvernement ne s’exerça pas. Le premier ministre n’essaya guère d’améliorer le sort des pauvres des villes ; il laissait cette corvée aux œuvres de bienfaisance publiques et privées de chaque municipalité. En outre, les revendications fréquentes et bien étayées en faveur de la concession aux femmes du droit de vote dans la province ne le touchaient pas ; pour lui, la politique était bel et bien une affaire d’hommes.
Un mois après son triomphe électoral de juin 1908, Whitney fut créé chevalier par le prince de Galles qui, en visite à Québec pour le tricentenaire de la ville, conférait les honneurs accordés par son père, Édouard VII. (Ce n’était pas la première fois que Whitney recevait une reconnaissance officielle : on lui avait décerné des diplômes honorifiques en 1902 et en 1903.) Il profita de l’occasion pour définir le Canada comme un « grand royaume auxiliaire au sein de l’Empire », formule qui, dans son esprit, ménageait de la place au développement du pays tout en affirmant la nécessité de maintenir un lien avec la Grande-Bretagne. Périodiquement, il sourcillait de voir celle-ci s’entendre avec les États-Unis aux dépens du Canada et de constater que le premier ministre du pays, sir Wilfrid Laurier, n’exerçait pas de pressions en faveur du libre-échange entre les parties de l’Empire. Préoccupé par la solidité du lien avec la métropole, il surveillait de près les événements à l’échelle impériale. Ainsi, en 1909, à l’occasion du débat à la Chambre des communes d’Ottawa sur la course navale entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, il soutint la création d’une marine canadienne et dit que son pays devait aussi être prêt à donner à la Grande-Bretagne un ou deux cuirassés de type dreadnought. En janvier 1911, lorsque le ministre des Finances William Stevens Fielding* présenta aux Communes des propositions en faveur de la réciprocité avec les États-Unis, Whitney s’empressa de les condamner, y voyant le spectre d’une union politique. Une résolution formelle soutenue par les tories à l’Assemblée ontarienne vint appuyer cette condamnation. Après que les libéraux fédéraux eurent été forcés de tenir des élections sur cette question, Whitney se lança dans la bataille avec son cabinet et son organisation politique. Il consentit même à ce que des députés conservateurs provinciaux briguent des sièges aux Communes, ce qu’ils firent avec un succès remarquable. Sans doute, Whitney et son appareil furent pour beaucoup dans le triomphe de Robert Laird Borden* en Ontario. Le chef fédéral l’en remercia d’ailleurs en le consultant sur la composition de son cabinet.
Whitney lui-même remporta aisément la victoire en 1911, mais pendant la campagne, le débat sur les écoles francophones de l’Ontario, sans être déterminant, faillit rompre l’harmonie entre groupes ethniques et religieux de la province. En 1910, des signes avaient montré que cette question, à laquelle s’était buté George William Ross quand il était ministre de l’Éducation, donnerait du fil à retordre au gouvernement Whitney. Certains catholiques de langue anglaise, surtout ceux qui vivaient à proximité de leurs coreligionnaires francophones, étaient de plus en plus convaincus que les écoles bilingues servaient davantage à entretenir le nationalisme canadien-français qu’à préserver la religion catholique. Ce sentiment dominait dans le diocèse d’Alexandria, situé dans l’Est ontarien, et était particulièrement aigu dans la région d’Ottawa, où les catholiques irlandais étaient devenus minoritaires dans leur Eglise et leurs écoles à cause des Franco-Ontariens. La qualité de l’enseignement dans ces écoles, celui de l’anglais surtout, soulevait des doutes.
Les Franco-Ontariens eux-mêmes étaient très conscients des déficiences de leurs écoles. En 1910, le Congrès d’éducation des Canadiens français de l’Ontario exigea du gouvernement l’approbation d’un programme rationnel sur les écoles bilingues, l’établissement d’écoles normales et d’écoles secondaires ainsi que la redistribution des taxes entre écoles séparées et écoles publiques. Les militants protestants ripostèrent en exigeant le rejet de ces revendications. Les catholiques anglophones, qui se croyaient à la veille d’obtenir un meilleur financement pour leurs écoles, étaient presque aussi irrités. L’évêque de London, Michael Francis Fallon*, se rangea de leur côté et réclama l’élimination des écoles bilingues. Assailli de toutes parts, Whitney demanda à l’inspecteur en chef des écoles, Francis Walter Merchant*, d’enquêter sur les écoles bilingues de la province. Le rapport de Merchant, remis opportunément en 1912, donc bien après les élections provinciales de l’année précédente, contenait peu de surprises. Basé sur des faits bruts – bon nombre d’instituteurs étaient sous-qualifiés et l’efficacité de l’enseignement de l’anglais était laissée au hasard –, il recommandait que la langue d’enseignement soit le français seulement dans les petites classes, que l’anglais le remplace peu à peu dans les classes supérieures et que des mesures soient prises pour améliorer la qualité de l’enseignement.
Whitney et le département de l’Éducation allèrent bien au delà des propositions de Merchant en imposant, dès l’année scolaire 1912–1913, la « Circular of Instructions, 17 ». Avec quelques réserves pour les enfants déjà à l’école, elle exigeait que l’enseignement en français cesse après les premières années du secondaire. Ce règlement déclencha une bataille rangée entre, d’une part, le gouvernement et la plupart des résidents anglophones de l’Ontario, catholiques compris, et, d’autre part, une forte proportion de la minorité francophone ontarienne, les francophones de la province de Québec et leurs journaux. Entre les deux camps se tenaient quelques pédagogues, dont le surintendant de l’Éducation John Seath, sceptique quant à la possibilité, pour les élèves, d’apprendre assez d’anglais dans les trois premières années du secondaire pour passer ensuite à un enseignement donné exclusivement en anglais. Le gouvernement était convaincu d’agir pour le bien des jeunes Franco-Ontariens et de commencer à corriger une situation déplorable. Le premier ministre Whitney ne pouvait comprendre ni les aspirations des Canadiens français, ni la colère engendrée par les nouvelles règles. Enfin, en 1913, après une année de protestations, de débrayages d’élèves et de refus d’obtempérer, le gouvernement battit en retraite : l’élève qui ne maîtrisait pas assez l’anglais après les premières années du secondaire pourrait continuer ses études en français. Cependant, le mal était fait et, durant des années encore, les Canadiens français citeraient le Règlement 17 en exemple de l’oppression anglo-canadienne. Il était dommage que Whitney, après avoir travaillé si fort à mettre son parti à l’abri des querelles religieuses, ait dirigé l’Ontario au moment de cette crise.
Vers la fin de son régime, Whitney eut d’autres sujets de préoccupation en plus des relations impériales et des écoles bilingues. Après son élection en 1905, le gouvernement s’était penché sur la politique de la main-d’œuvre, sans faire grand-chose de concret en matière de prévention des accidents du travail. Toutefois, il s’occupa de l’indemnisation des accidentés du travail. Les lois en vigueur obligeaient ceux-ci à prouver que leur employeur s’était rendu coupable de négligence. En 1910, Whitney confia à son vieux mentor, William Ralph Meredith, la mission d’étudier toute la question des accidents du travail et de la responsabilité, puis de préparer une loi à ce sujet. Meredith reçut des mémoires de toutes les parties intéressées, et se rendit en Angleterre et en Europe pour étudier les solutions adoptées là-bas. Il rédigea un projet de loi que Whitney entendait déposer en 1913 mais dont il retarda la présentation parce que les employeurs s’opposaient à la proposition d’exempter les ouvriers de cotiser à la caisse d’indemnisation. Finalement, après avoir résisté à leurs pressions, le gouvernement (mais non Whitney lui-même, trop malade pour assister à la session) présenta le projet de loi en 1914 et le fit adopter. Qualifiée de socialiste par les manufacturiers, la nouvelle loi prévoyait la création de la Commission des accidents du travail, bureau chargé d’appliquer ce qui, selon l’Industrial Banner de Toronto, était « la loi de la plus grande portée jamais adoptée par un gouvernement au Canada dans l’intérêt des travailleurs ».
À la fin de la session législative de 1913, en mai, Whitney était épuisé. Son état ne s’améliora pas vraiment dans les mois suivants. Vers la fin de l’année, il se rendit au sud de la frontière pour se mettre au repos complet, mais il eut au moins une crise cardiaque. Après une première période de récupération à New York, on le transporta en janvier 1914 dans le nouveau bâtiment du Toronto General Hospital, construit grâce à l’aide de son gouvernement. Sa convalescence se déroulait si bien qu’il décida de tenir des élections en juin. Les piliers du parti savaient que ce serait son dernier tour de piste. Bien qu’il n’ait été présent qu’à une seule assemblée publique – une réunion chargée d’émotion au Massey Music Hall de Toronto –, les électeurs lui témoignèrent un solide appui aux urnes. Dans le courant de l’été, il retrouva un peu de son ancienne vigueur, mais il se dépensa trop et mourut sept semaines après le début de la Première Guerre mondiale.
Le décès de sir James Pliny Whitney mit fin à une période remarquable dans la politique ontarienne, période marquée par l’adoption de lois importantes sur des sujets aussi divers que la University of Toronto, l’indemnisation des accidentés du travail, la tempérance, l’hydroélectricité et le transport urbain. Le petit gars de la campagne est-ontarienne, préparé au rôle de premier ministre par Meredith, avait fait intervenir le gouvernement dans de nouveaux secteurs qui témoignaient de l’urbanisation croissante de la province. En un temps où les personnages politiques avaient une grande liberté d’offrir des lois novatrices, il avait fait en sorte que l’État contribue à améliorer la vie des Ontariens.
La biographie qui précède est basée en grande partie sur les papiers de James Pliny Whitney conservés aux AO (F 5 et RG 3-2). On trouve aussi des renseignements utiles dans d’autres collections conservées aux AN, notamment dans les papiers Borden (MG 26, H), W. L. Mackenzie King (MG 26, J), Laurier (MG 26, G), Macdonald (MG 26, A), et J. S. Willison (MG 30, D29). D’autres sources sont citées dans notre étude intitulée « Honest enough to be bold » : the life and times of Sir James Pliny Whitney (Toronto, 1985). [c. w. h.]
Charles W. Humphries, « WHITNEY, sir JAMES PLINY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/whitney_james_pliny_14F.html.
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Auteur de l'article: | Charles W. Humphries |
Titre de l'article: | WHITNEY, sir JAMES PLINY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |