VERRIER, ÉTIENNE, ingénieur, né en France, à Aix-en-Provence, le 4 janvier 1683, fils de Christophe Verrier, maître sculpteur (décédé en 1709), et de Marguerite Ferrant (Ferran) ; il épousa en 1709 Hélène Papin qui lui donna au moins quatre enfants ; décédé le 10 septembre 1747 à La Rochelle.
Admis dans le corps du génie en 1707 à La Rochelle, Étienne Verrier y servit de même qu’à Rochefort pendant les 17 ans qui suivirent, si l’on excepte une expédition en 1720 aux îles Poulo Condore, au large de ce qui est aujourd’hui le Viêt-nam. Cette même année, il fut promu capitaine d’infanterie dans le régiment de Navarre et on lui décerna la croix de Saint-Louis. Maurepas demanda, en 1724, à Claude-François Bidal, marquis d’Asfeld, de lui prêter les services de Verrier, afin de l’envoyer à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), en qualité d’ingénieur en chef résident ; Verrier occupera cette fonction jusqu’au moment de la reddition de la forteresse aux mains des Anglais, en 1745. Verrier travailla sous les ordres de Jean-François de Verville*, directeur des fortifications, pendant une saison. Lorsque Verville fut transféré en France, à Valenciennes, le poste de directeur fut supprimé et, à partir de ce jour, Verrier dirigea lui-même les travaux.
Au cours des 20 années qui suivirent, il acheva la muraille des fortifications donnant sur l’intérieur de l’île, la batterie Royale et celle de l’Îlot, de même que les principaux édifices publics de la ville ; il fit les plans du phare et les refit à la suite d’un désastreux incendie ; il traça les plans et dirigea la construction de toute la promenade du port qui complétait l’enceinte ; il conçut et dirigea la construction des ouvrages et des bâtiments de première nécessité à Port-Dauphin (Englishtown, N.-É.), Port-Toulouse (St Peters, N.É.) et Port-La-Joie (Fort Amherst, Î.-P.-É.). Verrier souhaitait qu’on lui accordât le titre de directeur des fortifications de Louisbourg ou bien qu’on lui permît de rentrer en France pour y chercher de l’avancement dans le corps du génie. Il lui fallut attendre la chute de la forteresse pour réaliser ce dernier désir. Il surveilla les ouvrages de défense de la forteresse tout au long du siège que les Anglo-Américains lui firent subir en 1745. Il appuya la décision de Louis Du Pont* Duchambon de se rendre à Peter Warren et William Pepperrell. Après avoir sollicité en vain la charge de directeur des fortifications de La Rochelle, en 1746, il fut nommé ingénieur en chef de l’île d’Oléron, au large de la côte ouest de la France. Il mourut l’année suivante.
Lorsque Verrier débarqua à Louisbourg, sa réputation d’ingénieur était déjà solidement établie et on lui reconnaissait un sens esthétique inné. Sa façon d’aborder la construction des fortifications et des édifices publics était avant tout pratique. Il lui fallut procéder par tâtonnement, ignorant qu’il était des effets du climat, et il dut s’accommoder de mauvais matériaux de construction ; il lambrissa de planches les murs extérieurs afin de les protéger contre les gels et dégels successifs ; il se livra à des expériences pour déterminer la proportion des différents ingrédients entrant dans la composition du mortier ; partout où ce fut possible, il remplaça les matériaux dont la qualité laissait à désirer. Lorsque les plans étaient défectueux, comme ce fut le cas pour les casernes du bastion du Roi, il ne suggéra pas de recourir à de nouveaux plans onéreux ; il en corrigea les défauts du mieux qu’il put afin de parer aux inconvénients. Il lui parut plus sage de ne pas recommander de coûteuses améliorations tant à la cour qu’aux officiers supérieurs du corps du génie qui pouvaient avoir un mot à dire quant à son avancement.
Verrier était sûrement très conscient des réalités politiques. Lorsque ses vues ne coïncidaient pas avec celles de Saint-Ovide [Monbeton], gouverneur de l’île Royale de 1718 à 1739, il se gardait bien d’affronter celui-ci carrément. Ses rapports avec les autres hauts fonctionnaires de la colonie, tels que Jacques-Ange Le Normant de Mézy et son fils, Sébastien-François-Ange*, de même que François Bigot*, tous trois commissaires ordonnateurs, furent sans histoire. Il soutint fidèlement ses collaborateurs, Jean-Baptiste de Couagne* et Pierre-Jérôme Boucher, de même que les entrepreneurs François Ganet et David-Bernard Muiron. Il se porta à la défense de ces deux derniers lorsqu’on critiqua leurs travaux dont les faiblesses, à son avis, échappaient à leur responsabilité. Lorsque arriva le temps de renouveler le contrat de l’entrepreneur général, en 1737, il accorda sa préférence à Ganet plutôt qu’à Muiron, mais ce dernier ayant été le soumissionnaire choisi, Verrier recommanda qu’on confie à Ganet les travaux auxiliaires. Toutefois, il n’en travailla pas moins en bonne intelligence avec Muiron. La cour le mit en garde, comme elle le faisait avec tous ses ingénieurs, contre toute collusion avec les entrepreneurs ; néanmoins, rien ne permet de croire que cet avertissement ait été particulièrement nécessaire dans le cas de Verrier.
Malgré sa finesse diplomatique, Verrier finit quand même par prêter flanc à la critique pour sa gestion des finances. Ce que les autorités avaient surtout à lui reprocher, c’était son habitude de sous-évaluer les coûts. Ainsi, en 1730, il estima que les frais de construction du phare s’élèveraient à 14 000ª mais en 1731 il dut reviser ses chiffres pour les établir à 26 000#. Il avait d’abord prévu qu’il en coûterait 6 000# pour transformer sa résidence officielle (ce bâtiment à l’origine n’était pas un logis) mais la facture s’éleva à 28 000#. Le ministre de la Marine le réprimanda sévèrement pour avoir soumis des états financiers incomplets et erronés et pour avoir, après dix ans à Louisbourg et à l’encontre des instructions officielles reçues, suivi les traces de Verville dans sa pratique de ne pas présenter de rapports annuels sur les travaux terminés. Verrier s’appliqua donc à suivre les recommandations à la lettre, cependant il résista énergiquement lorsqu’on tenta de lui faire soumettre prématurément les chiffres définitifs nécessaires au règlement des comptes entre la couronne et les héritiers de Michel-Philippe Isabeau*, qui avait été entrepreneur général de 1720 à 1724. Il soutint qu’il était impossible de déterminer les sommes que la succession devait à la couronne, et, inversement, aussi longtemps que les travaux ne seraient pas terminés ; il gagna son point. Le toisé définitif nécessaire fut soumis en septembre 1731.
En sa qualité d’ingénieur en chef, Verrier était l’officier de la garnison qui détenait le poste le plus important pour ce qui touchait la défense de la forteresse. Il avait été formé dans le corps du génie en France et il avait acquis une vaste expérience en Europe ; lorsque survint l’attaque anglaise de 1745, il dirigeait depuis 20 ans la construction des ouvrages de défense permanents de Louisbourg. Un secteur important de sa formation que, effectivement, il avait eu peu d’occasions de mettre à l’épreuve touchait les tactiques défensives de la guerre de siège. Sébastien Le Prestre de Vauban, dont les théories servaient à la formation de base des ingénieurs français, avait écrit : « On auroit tort de croire qu’avec tous les secrets de l’Art et tous les avantages de la Nature on puisse rendre une Place imprenable ; elles sont toutes sujettes à tomber au pouvoir d’un Ennemi qui joint la force et la résolution. Tout ce que j’enseigne ici ne renferme que des moïens de defense, qui absolument ne délivrent point une Place ; mais qui peuvent fort contribuer à rendre un Siège long et pénible, et peut-être à le faire lever par d’heureux hazards. » Jusqu’à l’arrivée de John Henry Bastide, dix jours avant la capitulation, Verrier, qui était un professionnel de l’art du siège, n’eut à faire face qu’à de simples amateurs dans ce domaine. De prime abord, une large part des responsabilités de la chute de Louisbourg semble donc reposer sur les épaules de Verrier. Néanmoins, c’est dans une perspective plus nuancée qu’il faut voir la situation. La force navale française était insuffisante pour assurer la protection et le ravitaillement de la garnison, et la garnison elle-même était lamentablement insignifiante en regard des forces assiégeantes. Verrier ne peut être tenu responsable de ces lacunes. Aucun des retranchements, toutefois, ne semble avoir accru l’efficacité des assiégés ; si les ouvrages de défense avaient été adéquats en nombre et en qualité, les défenseurs, même sensiblement moins nombreux que les assaillants, auraient pu tenir beaucoup plus longtemps avant de battre en retraite derrière les murs de la forteresse.
Toutefois, l’erreur la plus grave qu’on peut imputer à Verrier est certes sa prise de position touchant la batterie Royale. Le 11 mai 1745, au conseil de guerre, il vota en faveur de son abandon sans coup férir et, seule voix dissidente, il se prononça contre sa démolition. Après le siège, il défendit son attitude devant Maurepas, en alléguant que les modifications importantes commencées sur l’ordre du gouverneur, alors décédé, Jean-Baptiste-Louis Le Prévost Duquesnel, pendant que lui, Verrier, était en congé en France en 1743–1744, n’avaient pas été terminées et laissaient la batterie sans défense du côté intérieur de l’île. Les épaulements, en particulier, avaient été démolis pour augmenter le nombre d’embrasures et permettre l’installation des canons additionnels ramenés de la « pièce » de la Grave. Verrier avait écrit au ministre, en novembre 1744, que la démolition avait été inutile et toute l’affaire imprudente en raison de la position exposée de l’ouvrage. Néanmoins, il avait annoncé que les travaux de reconstruction seraient terminés au printemps de 1745, c’est-à-dire, en moins d’un mois et demi. Sa prédiction se révéla trop optimiste comme il en convint après le siège : « au mois d’avril je n’ay peu faire rétablir ces murs d’épaulement ny les palissades du chemin couvert, attendu que pendant ce mois la chaux et le terrain étoient gelés, cette batterie étant dans ce désordre, ce auroit été sacrifier près de deux cens hommes qui [...] étoients [au siège] et qu’ils auroient été de moins dans Louisbourg ».
Roger Wolcott, commandant originaire du Connecticut, avait une opinion contraire. Étant donné que les pivots des canons étaient toujours montés sur les tours de la batterie, quoique les murs de défense fussent rasés, « deux cents hommes pouvaient tenir la batterie contre cinq cents hommes sans artillerie », écrivit-il. Un des défenseurs du siège tint le même langage et l’ingénieur anglais, Bastide, laissa entendre implicitement qu’il partageait le même avis. Il est loisible de présumer que derrière des abris temporaires du genre gabions et fascines et séparés des assiégeants par un glacis et une tranchée de 10 pieds de profondeur sur 12 de largeur, les artilleurs auraient pu tenir un certain temps contre l’attaque de l’infanterie venue des collines à l’arrière, après quoi on aurait pu tenter une évacuation ordonnée des hommes et de l’armement. Verrier, n’ayant pas prévu cette éventualité, opta pour l’abandon. Une fois le retrait décidé, la démolition devenait la suite logique. De toute évidence, Verrier ne pouvait se résigner à détruire délibérément un ouvrage qui avait coûté si cher au roi et qui à ses yeux, en tant qu’ingénieur en chef, représentait son œuvre, un ouvrage qui, après tout, pouvait encore revenir à la France après la guerre. On a là une idée de l’importance que revêtait Verrier aux yeux des défenseurs de Louisbourg ; sa seule voix dissidente réussit à dissuader Duchambon d’ordonner la démolition de la batterie Royale. Le soir du 11 mai, le commandant de celle-ci, François-Nicolas de Chassin de Thierry, l’abandonna en toute hâte. Craignant de ne pas avoir le temps voulu pour enlever les canons ou pour les enclouer solidement, la garnison laissa la batterie dans un état tel que les Anglo-Américains sous le commandement de Samuel Waldo purent se servir avec profit de quelques-uns des canons et des munitions pour tirer sur la ville, longtemps avant que leur propre artillerie de combat ne puisse être amenée à force de bras à travers les marais à l’ouest de la ville jusqu’à Green Hill. L’abandon de la batterie a sans doute hâté la chute de la forteresse. Les rapports que Verrier avait soumis au conseil de guerre avant le 26 juin faisaient état des dommages sérieux que les bombardements ennemis avaient fait subir aux défenses du côté de la terre. Le conseil de guerre, déjà ému par la misère des civils, se laissa convaincre par ces rapports et, le 26 juin, vota à l’unanimité pour la reddition.
La compétence d’ingénieur militaire de Verrier fut mise à rude épreuve par les événements du printemps de 1745 – il avait d’ailleurs à cette époque plus de 60 ans – mais il méritait, sans conteste, de passer à la postérité pour ses réalisations dans le domaine de l’architecture et de l’aménagement de la ville. On retrouve dans les bâtiments publics de Louisbourg ce sens architectural caractérisé par l’élégance des lignes qui était l’apanage de la France au xviiie siècle. Les plans originaux conçus par Verrier dépassent la centaine et sont conservés aux Archives Nationales, à la Bibliothèque Nationale, aux archives du Comité technique du Génie et dans d’autres dépôts d’archives de Paris. On y trouvera plusieurs plans de l’hôpital du roi, de la porte Dauphine, du phare, de la porte Maurepas et des magasins du roi, de même qu’une vingtaine de plans de la ville. Verrier avait dessiné les plans d’une église paroissiale mais celle-ci ne fut jamais construite. On lui doit également les plans d’un certain nombre de bâtiments et de forts à Port-Dauphin, Port-Toulouse et Port-La-Joie. Toutefois, c’est son fils, Claude-Étienne, qui est l’auteur de cette aquarelle bien connue qui représente Louisbourg en 1731. Les successeurs de Verrier, à Louisbourg, tentaient toujours, en 1750, de se faire remettre par la femme de ce dernier tous les plans de l’île Royale et de ses dépendances qu’il avait ramenés avec lui en France après la capitulation.
Verrier vécut sans sa femme pendant presque toute la période de 21 ans qu’il passa à Louisbourg. Celle-ci, avec sa fille, goûta brièvement à la vie coloniale entre 1732 et 1735 mais regagna La Rochelle à cause de son mauvais état de santé. En 1735, lui-même souffrait déjà de sciatique et ressentait les effets d’un trop long séjour dans le service colonial. Il obtint, en 1743, un congé de maladie qu’il passa en France, puis retourna à Louisbourg au printemps de 1744. Pendant une bonne partie du temps qu’il vécut à l’île Royale, il fut secondé par son fils, Claude-Étienne, jusqu’à ce que ce dernier, admis dans le corps du génie en 1734, soit rappelé en France en 1736, pour y prendre du service. Un autre fils de Verrier lui succéda, celui qu’on dénommait le « chevalier ».
La grande majorité des cartes dressées par Verrier se trouve dans leur forme originale aux AN, Col., C11A, 126 ; Section Outre-Mer, Dépôt des fortifications des colonies, Am. sept. ; et au CTG, Archives, art. 14. Il existe des copies de plusieurs d’entre elles aux APC, Collection nationale de cartes et plans. AD, Bouches-du-Rhône (Aix-en-Provence), État civil, Sainte-Madeleine d’Aix-en-Provence, 4 janv. 1683 ; Charente-Maritime (La Rochelle), Greffe de Me Hirvoix, 19 août 1709 ; État civil, Notre-Dame de La Rochelle, 12 sept. 1747.
AN, Col., B, 46–50, 52–55, 57–59, 61, 63–66, 68, 70, 72, 74, 76, 78, 84, 86 ; Col., C11A, 126 ; Col., C11B, 7–27 ; Col., C11C, 11–13, 16 ; Col., D2C, 222/2, p. 305 (copies aux APC) ; Col., F1A, 23–35 ; Col., F3, 50 ; Marine, C7, 344 (dossier Verrier) ; Section Outre-Mer, G3, 2 046 ; Dépôt des fortifications des colonies, Am. sept. nos 150–180, 184–214, 248–253, 264–267, 272–274.— CTG, Archives, arts 3, 14 ; Bibliothèque, mss in fol., 205b, ff.8–10 ; 208.— Archives Maritimes, Port de Rochefort, 1E, 103, 105.— PRO, CO 5/44, ff.136–141 ; 5/900, ff.234–235 ; WO 55/352B, ff.2–3 ; 55/1 813, ff.10–11v.— SHA, Xe, 4, 5 ; Ya, 183.— Sébastien Le Prestre de Vauban, Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges et dans la défense des places [...] (Leiden, 1740), traduit et édité par G. A. Rothrock et publié sous le titre de A manuel of siegecraft and fortification (Ann Arbor, Mich., 1968), 131.— A.-M. Augoyat, Aperçu historique sur les fortifications, les ingénieurs et sur le corps du génie en France [...] (3 vol., Paris, 1860–1864), II : 45.— McLennan, Louisbourg, 45, 86–87, 102, 150.— Bulletin de l’Association pour l’avancement des méthodes de préservation ([Ottawa]), IV (1972).
F. J. Thorpe, « VERRIER, ÉTIENNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/verrier_etienne_3F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
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