TROTTIER DESAUNIERS, PIERRE (baptisé Antoine-Pierre), négociant et armateur, syndic des marchands de Québec, né à Montréal le 2 septembre 1700, fils de Pierre Trottier Desauniers, marchand, et de Catherine Charest, émigré en France en 1747.
Pierre Trottier Desauniers était issu d’une famille bien établie dans les affaires. Son oncle, Étienne Charest, le seigneur de Lauzon, possédait un gros commerce à Québec. C’est peut-être à la suggestion de celui-ci que Desauniers établit sa résidence dans cette ville. Le 27 décembre 1723, il épousait Marguerite Chéron, fille d’un conseiller du Conseil supérieur, Martin Chéron. Les débuts de la carrière de Desauniers demeurent inconnus, mais il semble déjà bien établi en 1730, puisqu’il vendait cette année-là une maison de pierre à deux étages, située rue Sous-le-Fort ; l’année suivante, il louait trois maisons appartenant à Pierre Perrot* de Rizy, major de la milice de Québec.
C’est au commerce maritime et à l’armement que Desauniers consacra ses plus grandes énergies. En 1733, il devait 1 365# en droits d’entrée au Domaine d’Occident, ce qui laisse supposer un commerce d’importation substantiel. Vers 1732, il s’était mis en affaires avec son cousin germain, François Martel de Brouague, pour le commerce des pêcheries. Détenteur d’une importante concession à la baie de Phélypeaux (baie de Brador) sur la côte du Labrador, Martel de Brouague s’occupait de l’exploitation sur place ; Desauniers, pour sa part, lui servait de fournisseur et voyait à la mise en marché des produits de la pêche du Labrador. Ceci demandait une bonne mise de fonds ; en 1735, les deux hommes formèrent une société pour laquelle Desauniers fournit 100 000#. Comme il fallait des bateaux pour faire la navette entre le Labrador et Québec et pour faciliter le commerce d’exportation, Desauniers voulut se lancer, en 1737, dans la construction navale. Mais, devant la difficulté de trouver le bois nécessaire, il ne put réaliser son projet immédiatement. En 1739, il commençait la construction, subissant toutefois la dure concurrence du chantier royal pour les bois et la main-d’œuvre. La pénurie de charpentiers avait, en effet, poussé l’intendant Hocquart* à affecter un certain nombre de ces ouvriers au chantier royal. Quelques autres furent libres de travailler pour des chantiers privés, mais l’intendant exigea en retour des constructeurs de navires qu’ils forment des charpentiers. En plus de la construction navale, Desauniers semble s’être intéressé également durant un certain temps à la fabrication de la colle de poisson.
En octobre 1740, Desauniers fut choisi syndic des négociants de Québec, fonction qu’il occupa jusqu’en 1746. Ceci démontre bien l’importance de ses affaires et témoigne de la confiance que lui portaient ses collègues. Représentant les intérêts commerciaux de Québec, Desauniers adressa en 1741 un mémoire au ministre de la Marine, Maurepas, demandant des émissions de monnaie de cartes au lieu de lettres de change pour faciliter le commerce de détail. Dans un autre mémoire au gouverneur Beauharnois et à l’intendant Hocquart, il transmettait les plaintes des marchands de Québec au sujet de la concurrence des « coureurs de côtes », de la rareté des effets de papier et de la difficulté de leur maniement. Il demandait aussi des contrats pour la construction de vaisseaux du roi ou des subventions pour la construction de vaisseaux privés. En 1744, Desauniers signait avec Louis Charly Saint-Ange, le syndic de Montréal, une autre doléance au ministre de la Marine sur les difficultés du commerce maritime en temps de guerre. Les syndics demandaient des escortes entre les ports français et Québec pour éviter de nouvelles pertes navales.
En 1744, le commerce de Desauniers avait atteint un niveau suffisant pour lui assurer une existence confortable. Il avait quatre domestiques pour le service de sa famille. Deux années plus tôt, il avait marié ses deux filles aînées à Étienne Charest et Joseph Dufy Charest, tous deux fils du riche seigneur de Lauzon. Sur ses navires, Desauniers faisait venir de France alcools et marchandises générales et il écoulait les produits de la pêche du Labrador aux Antilles d’où il rapportait du tabac. Mais la guerre de la Succession d’Autriche allait transformer cette carrière prometteuse de marchand colonial.
En 1745, la guerre maritime et la menace anglaise décuplaient les risques du commerce d’importation, faisant subir d’énormes pertes aux armateurs. Pour le négociant, la conjoncture économique s’assombrissait. Seule la marine de la métropole pouvait protéger le commerce maritime, et ses succès étaient inégaux. Consternés par la chute de Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), les militaires de Québec décidèrent de fortifier leur ville sans demander de Léry. Mais ces dépenses n’avaient pas été autorisées au budget de la colonie, et lorsque Maurepas en prit connaissance en, ou 1746, il ordonna la cessation des travaux jusqu’à ce que la colonie décidât si elle voulait les continuer et en défrayer elle-même le coût l’assentiment royal. Le 12 août 1745, la décision était prise, et Desauniers reçut le contrat de construction. Il obtint 60 000# d’avance « pour en faciliter davantage la prompte expedition » et se mit à l’œuvre selon les plans dressés par Gaspard-Joseph Chaussegros si elle préférait les abandonner. Les avis étant partagés, on s’en remit à la décision de Versailles et l’on interrompit les travaux. Desauniers voulut alors se faire payer le travail déjà accompli, ce qui selon les termes de son contrat s’élevait à 185 000#. Hocquart lui fit ddifficultés sur le paiement des dernières 5 000#. Cette somme constituait le tiers du profit de Desauniers sur l’ouvrage, profit qui n’était des éjà que d’environ 8 p. cent. Découragé, le négociant prit le parti de liquider ses affaires et de passer en France.
Le 8 septembre 1746, il vendait à son associé, Martel de Brouague, sa part du fief d’Argentenay (île d’Orléans). Le 7 novembre, ils dissolvaient leur société, et Desauniers retirait sa mise initiale de 100 000# plus 93 999# 7s. pour sa part des profits depuis 1735 ; il allait toucher cette somme de 193 999ª 7s. en France à même les fonds de la société. En octobre 1747, il s’embarquait pour la France avec ses deux fils, Pierre-François et Jacques, et son gendre Joseph Dufy Charest – ces trois derniers revinrent, semble-t-il, dès l’année suivante en Nouvelle-France. Ses affaires n’étant pas tout à fait réglées lorsqu’il quitta la colonie, Desauniers fut impliqué dans des causes entendues par la Prévôté et le Conseil supérieur en 1750, 1754 et 1755. Il y était alors dit « négociant à Bordeaux ».
Né à Montréal de famille bourgeoise, Desauniers s’était établi à Québec, siège du grand commerce, où il avait fait de bonnes affaires. À la suite de la crise provoquée par la guerre, il choisit de passer dans la métropole pour continuer ses activités commerciales. En cela il accomplissait une ambition chère à bien des marchands coloniaux du xviiie siècle.
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José Igartua, « TROTTIER DESAUNIERS, PIERRE (baptisé Antoine-Pierre) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/trottier_desauniers_pierre_3F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |