STEWART, ALEXANDER, avocat, homme politique et juge, né le 30 janvier 1794 à Halifax, Nouvelle-Écosse, aîné des trois enfants de James Stewart et d’Elizabeth Bremner ; il épousa à Halifax, le 26 juin 1816, Sarah Morse qui donna naissance à sept enfants et mourut en février 1893 ; décédé à Halifax, le 1er janvier 1865.

Alexander Stewart n’avait que cinq ans lorsque son père mourut. Même s’il y a lieu de croire que la famille était dans l’indigence, Stewart n’en fréquenta pas moins la Halifax Grammar School. Il travailla pendant une brève période en qualité de commis au service de l’Intendance militaire, avant d’entrer dans la maison de commission et d’enchères de John Moody. Il devint l’associé de ce dernier en novembre 1814, à l’âge de 20 ans. Après un an et demi dans la société Moody et Stewart, il était déjà pécuniairement en mesure d’entreprendre son apprentissage comme avocat, d’abord à Halifax et plus tard à Amherst, dans le cabinet de son beau-frère, James Shannon Morse. Lorsque l’entreprise de Moody fit faillite, en 1817, Stewart fut tenu responsable des dettes de celle-ci, parce qu’il avait négligé d’officialiser sa dissociation d’avec la firme, et il fut obligé de céder tous ses biens. Il fut quand même en mesure de terminer sa formation juridique et fut reçu avoué le 14 juillet 1821 et avocat en 1822. Ayant à peine « dix sous en poche », il ouvrit un cabinet à Amherst mais il se fit rapidement une vaste clientèle dans le comté de Cumberland et dans le comté voisin de Westmorland, Nouveau-Brunswick. Il alla se fixer à Halifax en 1834 et entra en société avec son frère James.

La carrière politique de Stewart débuta en 1826, au moment où il fut élu député de Cumberland ; il fut réélu en 1830. Sa réputation de libéral ne fut pas longue à s’établir à l’Assemblée. Vers la fin des années 20, il soutint que le gouvernement anglais devrait abandonner sans compensation le droit de percevoir les redevances sur les terres. Il préconisa également la reconnaissance des droits civils aux catholiques de la province et se prononça en faveur d’une aide financière substantielle aux écoles publiques. Il demanda, en outre, que l’entière responsabilité du service des douanes passe à l’Assemblée. À la suite des élections de 1830, faites sur la question des droits sur les alcools (Brandy Election), il prit la tête du mouvement qui s’opposait au Conseil de la Nouvelle-Écosse. Les conseillers désiraient avoir droit de regard sur les projets de loi relatifs aux finances, prérogative que la chambre des Lords avait abandonnée ; Stewart réussit à obtenir de ce même conseil l’acceptation de l’imposition de droits d’entrée supplémentaires sur l’eau-de-vie [V. Enos Collins*]. Le 27 mars 1833, Stewart prépara une adresse à l’intention de la couronne sollicitant le transfert à l’Assemblée de tous ses revenus occasionnels et territoriaux en échange d’une juste liste civile garantie.

En 1834, Stewart dénonça le nombre et la diversité des fonctions du conseil et fut à l’origine de résolutions demandant sa réforme : il voulait que le public soit admis à ses délibérations ; il recommanda avec vigueur la création de deux conseils afin de séparer les fonctions législatives des fonctions judiciaires ; les conseillers devaient, selon lui, être choisis dans l’ensemble de la province et non pas dans la seule ville de Halifax. Partisan convaincu de la libéralisation du commerce, il se fit le porte-parole de l’Assemblée devant le gouvernement anglais, au cours de l’été de 1834, pour obtenir l’ouverture de ports francs dans la province ; ses efforts lui valurent la reconnaissance de la population de la Nouvelle-Écosse.

Stewart, malgré ses tendances whigs, commençait à se sentir mal à l’aise devant la montée du mouvement populaire de réforme. En novembre 1834, il se montra fermement opposé à la formation, dans le comté de Cumberland, d’un groupe à caractère politique qui se donnait pour mission « d’instruire [le peuple] sur la manière d’amener ses dirigeants à tenir compte de ses désirs et de ses opinions ». En décembre, le ressentiment de Stewart éclata au grand jour lorsque Joseph Howe* s’opposa, dans les pages du Novascotian, à la proposition de Stewart touchant la commutation des redevances en une contribution annuelle de £2 000 de la province au traitement du lieutenant-gouverneur. Stewart déclara à l’Assemblée que quoi qu’elle fît, elle serait toujours « en butte aux attaques inconsidérées de ses protecteurs et défenseurs naturels », c’est-à-dire la presse, et que les électeurs, « les imbéciles », ne feraient que l’accabler de leur mépris. Howe répliqua que si les membres de l’Assemblée étaient devenus méprisables, ceux-ci ne devaient pas en chercher la cause dans la représentation erronée des faits par la presse ou dans la stupidité des gens, mais bien « dans leurs propres actions et opinions ». Malgré ces propos, Stewart fut parmi les premiers qui offrirent leurs félicitations empressées à Howe pour « la splendide défense » qu’il avait opposée à une accusation de libelle en mars 1835.

Aux élections de 1836, Stewart eut comme adversaires Gaius Lewis et Andrew McKim, qui prônaient des réformes sacrilèges aux yeux de Stewart, telle l’électivité du conseil. Il remporta le deuxième siège dans Cumberland, mais sa majorité était si faible qu’il eut à faire face à une contestation en justice sur laquelle le jugement ne fut pas rendu au cours de la session de 1837 et, en définitive, McKim l’emporta en février 1838. Dans l’intervalle, Stewart ressentit tout l’inconfort de sa position dans une Assemblée où il y avait Howe et une majorité de députés désireux d’apporter des réformes qu’il considérait indésirables. Le libéralisme à tendance whig qui en avait naguère fait un des leaders de l’Assemblée constituait maintenant un anachronisme. Lorsqu’on passa au vote sur les 12 résolutions de Howe, en 1837, il se tint généralement du côté de l’opposition, particulièrement sur la question de l’électivité du conseil, et il exprima son horreur pour toutes les innovations qui avaient un relent de républicanisme à l’américaine, réaffirmant sa fidélité au modèle britannique. Stewart décida de quitter une chambre où il avait perdu de la considération et où son siège n’était pas assuré, en dépit du souhait exprimé par Howe que l’Assemblée puisse continuer à bénéficier de sa vigoureuse intelligence, « qu’il soit à mes côtés, disait-il, ou qu’il lutte dans les rangs de l’opposition ». C’est vraisemblablement avec soulagement que Stewart accueillit sa nomination au tout nouveau Conseil législatif, le 16 janvier 1838.

L’attitude politique de Stewart commençait maintenant à susciter de l’amertume. L’Assemblée, qui avait échoué dans ses revendications constitutionnelles, délégua William Young* et Herbert Huntington* à Londres après la session de 1839 pour faire valoir son point de vue ; le Conseil législatif laissa au lieutenant-gouverneur, sir Colin Campbell*, le soin de choisir ses délégués et celui-ci désigna nul autre que Stewart. Aussi les réformistes profitèrent-ils de la circonstance pour punir celui qu’on accusait d’être transfuge ou traître et ils en firent leur bête noire, d’autant plus qu’à Londres Young et Huntington remportèrent un succès mitigé. Le passage de Stewart du presbytérianisme à l’anglicanisme, au cours de cette période, contribua peut-être à éveiller davantage leur méfiance. Le 4 juin 1840, Stewart entra au Conseil exécutif en dépit de la résolution adoptée par l’Assemblée en mars précédent, sur la proposition de Howe, voulant qu’ « il y ait peu d’hommes en Nouvelle-Écosse qui jouissent si peu de sa confiance et [... qu’] on devrait considérer sa nomination comme une injure directe à cette chambre ».

Chose surprenante, face au mépris des tories et à la critique des réformistes comme Huntington, Howe se joignit à Stewart dans le gouvernement de coalition formé par lord Sydenham [Thomson*] et mis en place par le nouveau gouverneur, lord Falkland [Cary*], en octobre 1840. Il se révéla que les partisans de la réforme, collègues de Howe, avaient vu juste, car Stewart fit plus que quiconque pour détruire la coalition. En 1841, pendant que Howe se réjouissait devant l’Assemblée des progrès marquants, réalisés sous la coalition, en vue de l’avènement d’un gouvernement responsable, Stewart avertissait le Conseil législatif que l’instauration d’un « gouvernement responsable dans une colonie était un geste irresponsable – c’était l’indépendance ». On réussit à concilier ces deux positions sans dommage pour le gouvernement ; cependant, beaucoup plus grave fut la déclaration de Stewart devant le Conseil législatif, en 1843 ; il disait, en substance, que suivant le « véritable principe du gouvernement colonial », le gouverneur était responsable devant la reine des actes de son gouvernement et que les membres du Conseil exécutif l’étaient devant le gouverneur. « Toute autre forme de responsabilité, affirma-t-il, est incompatible avec la nature des rapports d’une colonie avec la mère patrie. » Le ministère de coalition s’employa à rédiger une déclaration de compromis dont Edmund Murray Dodd* fut l’instigateur et dont les termes étaient acceptables pour tous les membres ; on y disait que le conseil était responsable à la fois devant le gouverneur et devant l’Assemblée. Par la suite, toutefois, le ministère se maintint mais de façon assez précaire.

Dans l’intervalle, Stewart avait frappé la coalition d’un autre coup. Vers la fin de 1842, lorsque les divergences d’opinions entre Howe et James William Johnston* touchant l’aide aux collèges confessionnels éclatèrent au grand jour, Stewart, dit-on, pressa James Boyle Uniacke*, réformiste, quoiqu’autrefois d’allégeance tory, « d’embarquer dans le même bateau que lui-même et M. Johnston, de faire le pont entre les tories et les baptistes [...] et déjeter Howe par-dessus bord ». Stewart n’apporta pas de démenti officiel à ces rumeurs avant février 1844 et l’histoire fut largement diffusée pendant toute l’année 1843, étayant davantage l’opinion générale suivant laquelle les membres du Conseil exécutif manquaient de loyauté les uns envers les autres. Aussi personne ne s’étonna de voir crouler la coalition en décembre 1843.

Stewart demeura jusqu’au début de juin 1846 dans le gouvernement tory de Johnston qui avait pris la relève ; à cette date, il prêta serment en qualité de quatrième et dernier maître des rôles et juge de la Cour de vice-amirauté. L’année précédente, sur la recommandation de Falkland, il avait été nommé conseiller de la reine. À titre de maître des rôles, Stewart entreprit de réaliser ce que ses deux prédécesseurs avaient omis de faire ; s’autorisant des pouvoirs que lui conférait une loi adoptée en 1833, il simplifia les procédures de la Cour de la chancellerie, débarrassant ainsi le rôle d’un grand nombre de causes pendantes et éliminant les retards indus ; cependant il n’était pas de son ressort de réglementer efficacement les onéreux frais de cour.

Il était tout naturel pour les réformistes, lorsqu’ils prirent le pouvoir en 1848, de prendre des mesures contre la Cour de la chancellerie, qu’ils n’avaient cessé de qualifier de « régime de vol à la tire, abominable et accablant ». Il s’en trouvait parmi eux qui étaient visiblement bien décidés à régler de vieilles dettes avec Stewart. Ce n’est pas avant 1855, toutefois, qu’ils réussirent à faire abolir la cour et à transférer la juridiction à la Cour suprême. Comme c’était la coutume, les autorités britanniques insistèrent pour que Stewart reçoive une compensation, et on lui offrit de combler une vacance à la Cour suprême. Mais comme on ne faisait pas remonter son ancienneté à sa nomination comme maître des rôles, le toujours orgueilleux Stewart préféra accepter plutôt une pension inférieure au traitement de juge de la Cour suprême. Informé de l’intention possible du gouvernement de Londres d’honorer Stewart pour ses services, le Conseil exécutif, d’allégeance libérale, toujours animé d’un profond ressentiment à l’endroit de Stewart, protesta, disant que d’autres hommes publics étaient beaucoup plus méritants que lui. Quoi qu’il en soit, Stewart reçut le titre de compagnon de l’ordre du Bain au palais de Buckingham, le 22 février 1856. Stewart prétendit qu’en abolissant la Cour de la chancellerie, la législature n’avait pas compris les fondements sur lesquels pouvait s’effectuer la fusion de la loi et de l’équité et qu’en conséquence la confusion régnait dans l’administration de la justice. Mais lorsque la législature remit en vigueur une forme de justice selon l’équité à la Cour suprême, en 1864, ce fut en partie pour créer un poste pour le chef du parti conservateur et premier ministre, James William Johnston, et on n’offrit pas à Stewart de réintégrer ses fonctions. Il lui arriva occasionnellement, jusqu’à la fin de sa vie, de présider le tribunal de la Cour de vice-amirauté.

Compétent, redoutable dans les débats, vigoureux dans sa propre défense, Alexander Stewart atteignit les plus hautes fonctions mais n’en demeura pas moins, à certains égards, une figure de tragédie. Ses opinions politiques s’apparentaient à celles des whigs et il était, sous certains aspects, d’un libéralisme plus grand que certains réformistes mais on en était venu à le considérer comme le plus implacable des tories. D’une inflexibilité qui ne se démentait pas, il rejetait carrément l’idée d’un gouvernement responsable pour une colonie. Indifférent aux réactions d’autrui, il donna l’impression d’avoir traîtreusement renié ses opinions politiques premières. Comme conséquence, il fut un des hommes politiques les plus détestés de la Nouvelle-Écosse.

J. Murray Beck

PANS, Vertical mss file, The Stewart family of Halifax and Amherst, N.S., C. St C. Stayner, compil.— Beck, Government of N.S., 32–34, 130s.-C.J. Townshend, Life of Honorable Alexander Stewart, C.B., N.S. Hist. Soc., Coll., XV (1911) : 1–114.

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J. Murray Beck, « STEWART, ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/stewart_alexander_9F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1977
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