SHIRREFF, CHARLES, homme d’affaires, auteur, fonctionnaire et juge de paix, né le 26 juillet 1768 à Leith, Écosse, fils de Robert Shirreff et de Barbara Menzies ; le 29 mai 1793, il épousa Jane Wilson, et ils eurent quatre fils et une fille, puis le 14 septembre 1808 Jane Coxon, et de ce mariage naquirent deux fils et deux filles ; décédé le 5 mai 1847 à Bytown (Ottawa).

Charles Shirreff est issu d’une famille écossaise de marchands et de constructeurs de navires qui avait fait le commerce du bois de la Baltique. En 1817, il quitta Leith, où il faisait des affaires, immigra dans le Haut-Canada et s’installa près de Smith’s Creek (Port Hope), sur le lac Ontario. Grâce à des relations dans l’administration provinciale, il obtint dans le haut de la vallée de l’Outaouais une concession de 5 000 acres sur laquelle il s’établit en 1818. Il se lança dans la promotion foncière et le commerce du bois, et fonda le village de Fitzroy Harbour ; il y construisit un moulin à farine en 1831. Un des premiers partisans du creusage d’un canal entre la rivière des Outaouais et le lac Huron ou le lac Simcoe, il publia la même année une brochure, Thoughts on emigration and on the Canadas, as an opening for it, dans laquelle il proposait notamment de faire venir des ouvriers pour construire des ouvrages publics, tel le canal du lac Huron, et de les établir ensuite comme fermiers. Cependant, ses propositions n’eurent guère d’échos, et ce fut plutôt dans le commerce du bois qu’il laissa sa marque.

Shirreff lui-même n’était pas un gros exploitant mais, en raison de sa connaissance des problèmes que les coupes illégales causaient aux marchands de bois, c’est lui qui, en leur nom, fit des représentations auprès des gouvernements haut et bas-canadiens afin d’obtenir une réglementation de l’abattage sur les terres publiques. Dans le cadre d’un système instauré en 1826, on recréa dans chaque province le poste d’inspecteur général adjoint des forêts, qui n’existait plus, afin de limiter les permis de coupe, en partie en restreignant la superficie des concessions forestières allouées aux entrepreneurs. On ouvrit une agence pour percevoir les droits ; le bureau, situé à Bytown, s’occuperait de la vallée de l’Outaouais et exercerait sa compétence sur les deux rives, sur les tributaires d’en amont des chutes des Chaudières de même que sur les rivières Gatineau et Rideau. Shirreff se vit offrir la direction de l’agence mais déclina l’offre en faveur de son fils Robert, qui entra en fonction en 1826. Il ne manqua pas de souligner qu’il faudrait deux fonctionnaires : l’un à Bytown pour mesurer le bois et recueillir les dépôts, l’autre à Québec pour percevoir les redevances au moment de la vente des trains de bois. Cependant, les gouvernements estimaient que, malgré l’incommodité de la chose, la perception des droits devait se faire à Bytown. Dès le début, sans nomination officielle, Charles s’occupa de l’agence à Bytown et Robert récolta les paiements à Québec.

Shirreff s’allia aux entrepreneurs forestiers pour préconiser la réforme de ce système et défendre les modifications qu’on y avait apportées. En 1832, on adopta un nouveau système, conçu par le grand marchand de bois George Hamilton mais proposé par Shirreff. Il permettait aux entrepreneurs de présenter au commissaire des Terres de la couronne une demande de concession dans laquelle ils précisaient les limites du territoire demandé et la quantité de bois qu’ils se proposaient de couper. Le bureau de Bytown prendrait à l’automne un acompte sur les droits prévus et on percevrait le solde au printemps à Québec. Ce système favorisait l’industrie puisque les entrepreneurs pouvaient sous-estimer leurs prévisions de coupe et réduire ainsi leur acompte, ce qui leur laissait plus de comptant pour l’hiver, saison pendant laquelle ils en avaient le plus besoin.

Malgré son appui à Hamilton, Shirreff n’était pas le valet des grands entrepreneurs, comme il le prouva au moment de la crise déclenchée par ce que l’on a appelé le monopole de la Gatineau. Une association d’entrepreneurs forestiers, composée notamment de Peter Aylen* et de la Hamilton and Low, tous détenteurs en bonne et due forme de concessions à la rivière Gatineau, avait commencé des travaux afin de faciliter le flottage. Pendant l’hiver de 1831–1832, ils constatèrent avec colère que plusieurs autres entrepreneurs faisaient illégalement de la coupe sur la rivière. De plus, protesta Hamilton en mars, Shirreff les encourageait à occuper des concessions en prévision de l’année suivante. Par la voix de Hamilton, l’association demanda en août qu’on soustrait la Gatineau au régime de vente publique des concessions, ce que fit le gouvernement bas-canadien trois mois plus tard.

La création de ce monopole souleva un tollé à Bytown. Certains entrepreneurs forestiers avaient entamé leur saison d’hiver sans permis régulier, et le bureau de Bytown ne les ennuyait pas. En novembre, Shirreff se plaignit avec force de ce que les concessions de la Gatineau, « un des hauts lieux du commerce du bois », échappaient à la concurrence, donc à son autorité. Il pressa le commissaire William Bowman Felton d’annuler le monopole afin d’empêcher la saisie des biens des entrepreneurs exclus, « qui ne se soumettr[aient] sûrement pas [...] sans combattre ». Malheureusement pour lui, une commission d’enquête formée en janvier 1833 conclut en faveur du monopole. Déjoué politiquement, il vit son pouvoir miné. Bientôt, sa réputation serait détruite.

Un scandale relatif à la perception des droits en fut la cause. En 1830, après le départ de Robert Shirreff pour un long voyage aux États-Unis et en Angleterre, Alexander Shirreff était venu aider son père à Bytown, et on avait conclu une entente avec une société de Québec, la Jones, Murray and Company, afin qu’elle s’occupe là-bas des affaires de l’agence. Quand, en 1833, cette compagnie fit faillite, on découvrit que Charles l’avait autorisée à accepter des billets à ordre au lieu de dépôts à titre de garantie pour les droits qu’elle percevait sur le bois et que les provinces avaient ainsi perdu environ £3 600. Certains historiens ont suggéré que les Shirreff avaient trompé les gouvernements et, peut-être, empoché des fonds publics avec des marchands locaux. Toutefois, l’accusation de fraude est difficile à comprendre. En 1836, devant un comité spécial du Haut-Canada, Charles témoigna que le gouvernement avait reconnu, dans des lettres, son rôle officieux dans le processus de perception. En outre, il semble que les autorités étaient au courant de la participation de la Jones, Murray and Company puisqu’elles s’étaient inquiétées de ce qu’une société privée agisse à la place des gens nommés pour remplir cette fonction.

Au fond, les problèmes de Shirreff provenaient peut-être de ses relations avec l’administration. Robert et lui n’avaient jamais été en bons termes avec le département des Terres de la couronne du Bas-Canada, et surtout pas avec Felton, lui-même accusé de fraude dans des transactions foncières. Tout à fait exaspéré par l’attitude des Shirreff dans l’affaire du monopole de la Gatineau et par le fait que Charles percevait des droits sur le bois coupé illégalement au lieu de le saisir, Felton était déterminé à restreindre la latitude dont celui-ci bénéficiait dans l’octroi des permis. Ce que le commissaire ne goûtait pas, c’est qu’en refusant de financer des levés précis le gouvernement entretenait le flou des limites des concessions forestières et encourageait les violations de propriété. Enfin, il avait acquis la conviction que la perception des droits devait se faire par un fonctionnaire mais, apparemment, il n’avait pas commandé à Shirreff de cesser d’employer la Jones, Murray and Company. Le problème n’était donc pas que Shirreff avait dissimulé ses activités, mais plutôt que celles-ci étaient si connues et si critiquées, surtout par Felton, qu’une situation critique avait pris les proportions d’un scandale.

Quant à l’hypothèse d’un détournement de fonds, elle est peu plausible. Shirreff, juge de paix depuis 1826, ne fut accusé ni de fraude ni de corruption durant l’enquéte de 1836. En fait, il n’y a pas de doute qu’il réussissait bien en dehors de son travail de percepteur : à titre d’agent, en quelque sorte, il dirigeait les colons éventuels vers les différentes régions et il recueillait des droits de glissoir à la chute du Chat, près de Fitzroy Harbour. Par contre, il s’était certainement montré négligent en n’exigeant pas de la Jones, Murray and Company qu’elle obtienne de solides garanties sur les droits perçus. Le comité spécial recommanda qu’à l’avenir on exige de telles garanties mais n’alla pas jusqu’à blâmer explicitement Shirreff. L’accusation d’incompétence fut cependant suffisante pour ruiner son autorité de percepteur. Robert et lui quittèrent le bureau de Bytown en 1836, soit de leur plein gré ou à la suite d’un congédiement. On considérait leur successeur, James Stevenson*, comme un homme plus perspicace que Charles dans le domaine financier ; toutefois on continua de prélever les paiements à Québec, ce qui prouve bien que cette méthode était la plus pratique.

Dès lors, Charles Shirreff se consacra à ses affaires commerciales et à ses entreprises de colonisation. En 1837, il construisit une scierie à Fitzroy Harbour ; en 1839, il avait un magasin. Il mourut à Bytown en 1847.

Robert Peter Gillis

Charles Shirreff est l’auteur de deux brochures : A few reasons against any change in the system of our colonial lumber trade ; et Thoughts on emigration and on the Canadas, as an opening for it, publiées à Québec en 1831.

ANQ-Q, E21/1877–1878.— AO, MU 3289.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 338-1 : 177, 179 ; 375-2 : 350–360 ; RG 1, L1, 30 :441, 450 ; L3, 458 : S11/237 ; 462 : S13/146, 150, 156–157 ; 463 : S14/80 ; RG 5, A1 : 68315–68318 ; RG 68, General index, 1651–1841 : 457.— H.-C., House of Assembly, App. to the journal, 1836, app. 54.— Packet (Bytown [Ottawa]), 8 mai 1847.— The Oxford companion to Canadian history and literature, Norah Story, édit. (Toronto, 1967), 609–610.— Lucien Brault, Ottawa old & new (Ottawa, 1946).— M. S. Cross, « The dark druidical groves : the lumber community and the commercial frontier in British North America, to 1854 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1968), 272–273.— S. J. Gillis, The timber trade in the Ottawa valley, 1806–54 (Parcs Canada, Direction des parcs et lieux hist. nationaux, Manuscript report, no 153, Ottawa, 1975).— R. S. Lambert et Paul Pross, Renewing nature’s wealth ; a centennial history of the public management of lands, forests & wildlife in Ontario, 1763–1967 ([Toronto], 1967), 41–42.

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Robert Peter Gillis, « SHIRREFF, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/shirreff_charles_7F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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