FELTON, WILLIAM BOWMAN, propriétaire foncier, colonisateur, fonctionnaire, juge de paix, officier de milice et homme politique, né en 1782 à Gloucester, Angleterre, fils de John Felton, officier dans la marine royale, et d’Elizabeth Butt ; décédé le 30 juin 1837 à sa résidence, Belvidere, près de Sherbrooke, Bas-Canada.
William Bowman Felton est l’un des officiers à la demi-solde qui vinrent en Amérique du Nord britannique à la fin des guerres napoléoniennes pour s’établir comme propriétaires terriens. De 1800 à 1812, il avait été commissaire du bord en Méditerranée, dans la flotte britannique, puis, jusqu’en 1814, agent pourvoyeur à Gibraltar. Il quitta ce poste permanent parce qu’il croyait devenir consul général en Toscane (Italie), mais le ministère des Affaires étrangères rejeta la recommandation de lord William Cavendish Bentinck, commandant des troupes britanniques en Sicile. Ne sachant trop que faire, Felton offrit au ministère des Colonies d’investir, avec des membres de sa famille, £20 000 dans une vaste terre d’Amérique du Nord britannique sur laquelle ils s’installeraient. Le secrétaire d’État aux Colonies, lord Bathurst, accepta de concéder 5 000 acres à Felton et 1 200 acres à chacun de ses associés, soit ses frères Charles Bridgeman et John, ainsi que ses beaux-frères William et Charles Whitcher. Au printemps de 1815, Felton s’embarqua avec sa femme, Anna Maria Valls, qu’il avait épousée à Minorque en 1811, et leur premier enfant, William Locker Pickmore*.
À son arrivée à Québec, Felton apprit avec stupeur que la concession n’était plus que de 4 000 acres et que lui-même n’en aurait que 2 000. Néanmoins, il alla visiter les Cantons-de-l’Est, région à population clairsemée sur laquelle Bathurst avait attiré son attention parce qu’elle était vulnérable aux attaques américaines. Comme le colonel Frederick George Heriot établissait une colonie militaire, Drummondville, près de l’embouchure de la rivière Saint-François, Felton choisit un lieu plus en amont et plus proche du cœur de la région, le canton d’Ascot. Au printemps de 1816, il installa sa famille à plusieurs milles de Hyatt’s Mill (Sherbrooke), sur une éminence de terrain qu’il baptisa Belvidere. Grâce au travail de 59 ouvriers britanniques venus avec lui pour remplir un contrat de trois ans, ainsi qu’à l’aide de plusieurs Canadiens embauchés à Trois-Rivières, Felton put annoncer dès l’automne qu’il avait défriché et labouré 1 000 acres. Sur ce, Bathurst autorisa l’octroi des 5 800 autres acres promises et garantit en plus 100 acres à chaque ouvrier britannique qui souhaiterait s’établir à l’échéance de son contrat.
À l’instar des autres fermiers de cette région économiquement isolée, Felton élevait du bétail, car il n’y avait aucun moyen de transporter le grain jusqu’aux marchés, mais il avait, pour la propriété foncière, un appétit qui le poussait à vouloir accumuler beaucoup plus de terres que n’en aurait exigées n’importe quelle activité agricole. Dès 1818, il possédait la plupart des moulins et emplacements de moulin de Sherbrooke, qu’il avait payés plus de £5 000 ; pourtant, devenir marchand ou industriel ne l’intéressait pas, puisqu’il louait la plus grande partie de ces propriétés à un entrepreneur de l’endroit, Charles Frederick Henry Goodhue. Il négligea, fort à propos, de signaler qu’il avait déjà obtenu la totalité des terres promises à l’origine et, en 1821, il se mit à en demander d’autres, sous prétexte qu’il avait investi les £20 000 convenues. Non seulement Bathurst donna-t-il son aval, l’année suivante, à une autre concession de 5 000 acres mais, en 1826, il ajouta encore 5 000 acres à l’intention des enfants et des ouvriers de Felton, en imposant, sans toutefois les préciser, les « restrictions habituelles ». En 1830, Felton avait des titres de propriété sur 15 813 acres, principalement dans le fertile canton d’Ascot, tandis que ses enfants en avaient sur 10 861 acres dans le canton voisin, celui d’Orford.
Afin de mettre en valeur ses immenses propriétés, Felton tenta de briser l’isolement des Cantons-de-l’Est. En 1817, à titre de commissaire, il administra les £50 000 allouées à la construction d’une route entre le canton d’Ascot et Drummondville mais, cinq ans plus tard, ce chemin était à peine carrossable, et il n’eut pas de succès lorsque, par la suite, il proposa de superviser d’autres travaux de voirie. Comme les propriétaires absentéistes et le régime des réserves de la couronne et du clergé comptaient parmi les principaux obstacles au peuplement et à la construction d’un réseau routier praticable, Felton décida en 1825 de former une compagnie de colonisation qui acquerrait une bonne partie des terres en friche et investirait dans la région. En suivant le modèle de la Canada Company, créée depuis peu [V. John Galt], il recruta de gros entrepreneurs bas-canadiens qui convinrent d’amasser £1 000 000 (cours d’Angleterre) dans la colonie et en Grande-Bretagne. La Lower Canada Land Company – tel était le nom de leur société – devait tenter d’obtenir toutes les terres de la couronne et un tiers des réserves du clergé situées au sud du Saint-Laurent, dans les districts de Montréal et de Trois-Rivières, puis construire des routes, des ponts, des écoles, des églises, des presbytères et des moulins tout en recrutant des colons britanniques. Felton négocia à Londres une association avec une compagnie sœur et une entente officieuse avec le ministère des Colonies, mais le gouverneur en chef, lord Dalhousie [Ramsay], dénonça les entreprises monopoleuses de ce genre. Même si le sous-secrétaire d’État aux Colonies, Robert John Wilmot-Horton, appuyait le projet avec enthousiasme, la panique financière de l’automne de 1826 élimina toute chance de réunir le capital nécessaire. Quand, en 1833, on relança l’entreprise sous le nom de British American Land Company, Felton ne s’en occupait plus. D’ailleurs son titre de commissaire des Terres de la couronne, obtenu en 1827, lui interdisait toute participation directe ; en outre, il souhaitait désormais que le ministère des Colonies s’occupe davantage de peuplement. La participation du ministère accroîtrait l’importance de son propre rôle, tandis que la présence d’une compagnie aurait l’effet contraire. Toutefois, lorsque le ministère lui demanda d’identifier les terres qui pourraient convenir à la compagnie, Felton désigna les Cantons-de-l’Est, choix qui avantagerait inévitablement ses propres investissements.
Si Felton eut peu de succès dans ses projets de voirie et de colonisation, il parvint en revanche à influer sur l’établissement des institutions judiciaires qui allaient assurer l’ordre public dans la région et encourager le développement capitaliste. Des deux côtés de la frontière du Bas-Canada et du Vermont, nombre de colons se livraient à la contrebande, à la contrefaçon et au vol de bétail : il s’en plaignit aux autorités. Il devint, avec des membres de son clan, juge de paix ; en 1821, il obtint un grade de lieutenant-colonel dans la milice locale. Finalement, en 1823, on créa le district judiciaire de Saint-François et, grâce à l’influence de Felton, Sherbrooke devint le siège du tribunal ; son frère Charles Bridgeman et son beau-frère Charles Whitcher recevaient respectivement les charges de protonotaire et de shérif du district. Avec Whitcher et Moses Nichols, il se vit confier en 1824, à titre de commissaire, la responsabilité de construire un édifice permanent qui abriterait la prison et le palais de justice. Les travaux durèrent cinq ans, et les trois hommes amassèrent eux-mêmes les fonds pour les payer, soit £2 660. En 1832, l’impôt judiciaire qu’ils avaient eu l’autorisation de percevoir à titre de remboursement n’avait rapporté que £210 ; pourtant, le chef patriote Louis-Joseph Papineau* s’opposait à ce que le gouvernement assume une part quelconque du coût de l’immeuble.
L’intransigeance de Papineau avait probablement pour cause, entre autres, l’alliance que Felton avait nouée avec l’élément tory du Conseil législatif dès sa nomination à cet organisme, le 4 avril 1822. Les vues impérialistes de ce dernier avaient l’avantage de coïncider avec les intérêts des marchands de Montréal et de Québec, bien que des conflits aient surgi à l’occasion. Felton affronta aussi les conseillers plus conservateurs que lui au moment de la présentation d’un projet de loi en faveur de la rémunération des députés – mesure qu’il appuya tout en faisant valoir qu’elle nuirait à ses parrains radicaux en libérant les fermiers de l’emprise des avocats absentéistes, des notaires et des « petits marchands ». Il défendit de nouveau les petits propriétaires contre les députés petits-bourgeois en s’attaquant aux efforts de l’Assemblée pour renforcer les sanctions contre les ouvriers agricoles qui rompaient leurs engagements. Ces gens ne formaient pas une classe servile, déclara-t-il ; ils étaient les fils des propriétaires terriens les plus pauvres, et les incarcérer en ville ne ferait que précipiter leur déchéance. Felton n’était cependant pas un agrarien inconditionnel : il s’opposa avec véhémence au projet de loi sur les fabriques [V. Louis Bourdages*] qui selon lui réduirait l’influence salutaire de l’Église catholique dans les campagnes. Paradoxalement – d’autant plus qu’il prônait le renforcement de l’influence britannique dans le Bas-Canada – Felton ne se souciait pas du tout de la préservation des privilèges de l’Église d’Angleterre, dont il était membre. Non seulement s’opposa-t-il aux réserves du clergé, mais il préconisa l’extension des privilèges civils aux différentes sectes protestantes. Il n’était donc pas un ultra-tory (il tenta même de persuader le ministère des Colonies d’accéder aux principales revendications de l’Assemblée en 1826) mais, en général, il s’opposait fermement aux concessions qui pouvaient affaiblir la position politique de la minorité anglo-protestante du Bas-Canada.
Felton fut le premier commissaire bas-canadien des Terres de la couronne, et il joua là son principal rôle sur la scène publique. Probablement devait-il sa nomination à sa très vaste expérience, acquise notamment, à compter de 1822, en qualité d’agent local des Terres de la couronne ; peut-être était-ce aussi une compensation pour la perte de sa compagnie de colonisation. En fait, la vente publique des terres de la couronne, qu’il dirigeait, devait servir de solution de rechange à la compagnie. Felton, qui voyageait beaucoup pour s’acquitter de ses fonctions, percevait rigoureusement les paiements, mais il n’hésitait pas à écarter les instructions qui auraient rendu la vie plus difficile aux colons, soit celles qui exigeaient des frais d’intérêt ou abolissaient le régime de redevances mis en place pour les immigrants pauvres. Après 1828, il s’aliéna la Clergy Reserves Corporation en exigeant moins que le prix du marché pour les réserves qu’il vendait et en refusant de mettre de côté des bénéfices paroissiaux. Si opposé qu’il ait été à l’absentéisme, il demeurait un allié naturel des grands propriétaires terriens. Par la suite, le gouverneur lord Durham [Lambton] l’accusa d’avoir vendu la plupart des réserves du clergé à des spéculateurs ; du moins sait-on qu’il arriva à plusieurs reprises que ses agents, en vendant aux enchères des terres de la couronne, assignent tout un bloc de 1 200 acres à un seul acheteur, ce qui suscitait du ressentiment parmi les petits propriétaires de la région.
Le gouverneur et le secrétaire d’État aux Colonies défendaient Felton contre les attaques de la Clergy Reserves Corporation et des résidents mécontents des Cantons-de-l’Est, mais finalement son goût immodéré pour la propriété foncière donna à ses ennemis le moyen de le détruire. En 1835, l’arpenteur général Joseph Bouchette, que Felton avait ouvertement accusé de très grande incompétence, sinon de corruption, remit des documents compromettants à Bartholomew Conrad Augustus Gugy*, député de Sherbrooke, qui avait eu maille à partir avec le clan Felton. À titre de président du comité permanent des griefs de l’Assemblée, Gugy accusa Felton d’avoir profité de son poste d’agent local des Terres de la couronne pendant les années 1820 pour vendre certains lots du canton d’Ascot comme s’ils lui avaient appartenu. Il avait fait délivrer des lettres patentes au nom des acheteurs en expliquant, à ceux qui s’inquiétaient de cette méthode, qu’elle était plus rapide et plus économique que celle qui aurait consisté à obtenir un titre à son propre nom puis à le transférer à ses clients. Le comité de Gugy et l’Assemblée exigèrent sa destitution immédiate, mais le gouverneur, lord Gosford [Acheson], jugea qu’il fallait d’abord lui donner l’occasion de se défendre. Felton répondit qu’à ses yeux les lots en question faisaient partie de la commission de 5 % qu’il touchait à titre d’agent des Terres de la couronne. Cette explication ne convainquit pas Gosford ; toutefois, on ne put ni la confirmer ni l’infirmer, puisque Felton n’avait jamais précisé, dans une réclamation, les lots qu’il s’était réservés. Gosford dut donc abandonner les poursuites judiciaires intentées contre lui, mais en août 1836 il le suspendit de son poste de commissaire des Terres de la couronne.
En fait, Felton était devenu gênant pour les autorités britanniques, car même la presse tory des Cantons-de-l’Est lui attribuait la montée du radicalisme dans la région. Peut-être aurait-il pu échapper à la colère de ses supérieurs, mais la manière dont il s’y prit pour que ses enfants obtiennent des terres de la couronne leur fit perdre toute confiance en lui. En 1828, il demanda 1 200 acres pour chacun de ses neuf enfants, mais le ministère des Colonies ne leur en accorda que 200. Or, pour une raison quelconque, le cabinet du procureur général avait inscrit neuf parcelles de 1 200 acres chacune dans le canton d’Orford sur les brouillons des titres de propriété que le nouveau gouverneur, lord Aylmer [Whitworth-Aylmer], avait signés en toute bonne foi. Felton n’avait rien dit en constatant ce changement inattendu ; par la suite, il allait prétendre avoir supposé que l’administrateur sir James Kempt* avait eu un élan de générosité juste avant de quitter le Bas-Canada en octobre 1830. Le premier à remarquer cette bizarrerie fut le secrétaire d’État aux Colonies, Edward George Geoffrey Smith Stanley, en revoyant, en 1834, les concessions foncières accordées aux conseillers législatifs du Bas-Canada. Le successeur de Stanley, Thomas Spring-Rice, ne fut nullement impressionné par l’explication de Felton ; comme il ne le croyait pas coupable de falsification des documents, il décida donc de ne pas demander son renvoi, mais exigea cependant l’annulation immédiate des concessions octroyées en trop. Felton accepta cette condition avec empressement en janvier 1835 ; cependant, comme la plupart de ses enfants étaient encore mineurs, le transfert des titres souleva des difficultés juridiques. Par la suite, le Conseil exécutif accepta que Felton, comme il le proposait, achète les terres au prix du marché. Toutefois, l’évaluation fut retardée d’un an et, au printemps de 1836, le gouverneur n’était plus en position de se montrer indulgent, car l’Assemblée réclamait que Felton soit démis du poste de commissaire des Terres de la couronne. Gosford exigea une révocation complète de l’octroi des acres supplémentaires, et Felton accepta encore de coopérer, mais il semble que sa suspension, en août, le fit changer d’avis. Démis de ses fonctions à la fin de 1836, il mourut dès le début de l’été suivant, après avoir subi une dernière humiliation : la victoire de Bouchette, qui l’avait poursuivi en justice pour diffamation. Les poursuites contre ses héritiers traînèrent pendant de nombreuses années ; ce n’est qu’en 1876 qu’on abandonna la dernière.
En 1838, la veuve de William Bowman Felton dut vendre la plupart des propriétés de Sherbrooke à la British American Land Company. Trois ans plus tard, réduite à la pauvreté, elle loua Belvidere et alla s’établir à Québec avec ceux de ses enfants qui étaient toujours à sa charge (les Felton avaient eu en tout 12 enfants). Son fils aîné, l’avocat et homme politique William Locker Pickmore, demeura dans la région, et la plupart de ses filles épousèrent des membres de l’élite provinciale, mais le rêve de Felton – fonder une famille de propriétaires terriens – s’évanouit avec lui. Dans les Cantons-de-l’Est, on ne lui en voulut sans doute pas plus pour ses agissements que pour ce que lui-même et les autres fonctionnaires anglais incarnaient, soit la méfiance et le dédain du gouvernement britannique envers les colons américains, venus les tout premiers s’établir dans cette région.
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J. I. Little, « FELTON, WILLIAM BOWMAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/felton_william_bowman_7F.html.
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Auteur de l'article: | J. I. Little |
Titre de l'article: | FELTON, WILLIAM BOWMAN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
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Date de consultation: | 1 décembre 2024 |