RYAN, HENRY, ministre méthodiste, né le 22 avril 1775 dans le Massachusetts ; le 30 novembre 1794, il épousa Huldah Laird (Lord), et ils eurent au moins trois enfants ; décédé le 2 septembre 1833 à Gainsborough, près de Grimsby, Haut-Canada.

Présumément d’ascendance irlandaise, Henry Ryan fut peut-être baptisé dans l’Église catholique. Il avait de toute évidence quelque instruction, et le fait qu’il tint plus tard une ferme peut indiquer qu’il venait du Massachusetts rural. On ignore dans quelles circonstances il connut un réveil spirituel et se convertit au méthodisme. Autorisé à prêcher dès les années 1790, il fut pris à l’essai en 1800 par la Conférence de New York de l’Église méthodiste épiscopale. De 1800 à 1805, il servit dans des circonscriptions ecclésiastiques du Vermont et de l’état de New York. Admis sans réserve et ordonné ministre en 1804, il fut affecté l’année suivante avec William Case* dans la circonscription ecclésiastique de la baie de Quinte. Celle-ci se trouvait dans le district du Haut-Canada, qui relevait alors de la Conférence de New York.

Ryan était le genre d’homme qui, dans une petite collectivité comme celle du Haut-Canada, ne pouvait manquer de devenir une figure légendaire. Un de ses contemporains disait de lui : « Il mesurait tout près de six pieds, [il était] robuste [et] bien proportionné, [il avait] une musculature prodigieuse et [était] sans doute l’un des hommes les plus forts de son époque [...] Sa voix dépassait, en puissance et en portée, tout ce que j’ai jamais entendu sortir d’une gorge humaine. » Son énergie, sa détermination et sa combativité ne démentaient pas son allure et expliquent sans doute pourquoi on croyait couramment qu’il avait été boxeur dans sa jeunesse. Prédicateur puissant, il allait devenir un administrateur vigoureux, quoique autoritaire. Parlant de la première étape de la carrière de Ryan, Elijah Hedding, qui fut plus tard évêque au sein de l’Église méthodiste épiscopale, mentionnait que : « [c’était] un homme qui vouait un grand amour à la cause du Christ et [accomplissait] son œuvre pastorale avec beaucoup de zèle. C’était un Irlandais plein de courage, un homme qui se dépensait comme si les foudres du jugement allaient retentir à la fin de chacun de ses sermons. » Ryan avait l’habitude d’exhorter les fidèles en lançant : « Va, [mon] frère ! va ! Chasse le démon du pays ! Pousse-le dans les eaux du lac et noie-le ! » Pendant des années, il stimula ses collègues et se dévoua lui-même pour que l’Église méthodiste gagne de nouveaux adhérents et élargisse le champ de son influence.

Ryan passa une première période de cinq années dans le Haut-Canada, dont deux dans la circonscription de la baie de Quinte. En 1807, il fut affecté dans celle de Long Point puis, en 1808 au 1809, il travailla dans la circonscription adjacente, celle de Niagara, où il fit l’acquisition d’une ferme, qu’il habita plus tard. En compagnie de William Case et de Nathan Bangs*, deux grandes figures de l’histoire du méthodisme canadien, il tint en septembre 1805 la première assemblée religieuse en plein air dans le Haut-Canada. La foule qui se réunit à cette occasion sur la rive de la baie Hay connut d’intenses émotions religieuses. Lors des agapes fraternelles du dimanche matin, « la puissance de l’Esprit Saint se manifesta dans tout le campement et il ne se trouva guère de tentes qui ne devinrent pas un lieu de prière ». Le « moment de la séparation », rappela Bangs, fut « indescriptible. Les prédicateurs [...] s’enlaçaient avec force en pleurant et en riant tout à la fois [...] Tandis que les gens s’éloignaient dans des directions différentes, les chants de victoire emplissaient les routes. Grand fut le bien qui s’ensuivit. » Ce fut par des moyens de ce genre, dont Ryan se faisait un promoteur enthousiaste, que le méthodisme s’enracina dans les établissements loyalistes et post-loyalistes qui jalonnaient la région de Cornwall à Detroit.

En 1810 fut créée la Conférence de Genesee, qui regroupait les districts du Haut-Canada et de l’ouest de l’état de New York. Nommé ministre faisant office de président du district du Haut-Canada, lequel à ce moment déclara 2 603 membres, Ryan allait demeurer président de district jusqu’en 1824. À ce titre, il devait assister chaque année à quatre assemblées trimestrielles dans chacune des circonscriptions ecclésiastiques de son district, ce qui l’obligea sans doute à parcourir environ 4 000 milles par an. Comme les assemblées trimestrielles étaient aussi bien de « grandes fêtes religieuses » que des occasions d’organiser le travail pastoral, le président du district devait dans chaque cas prêcher, administrer les sacrements et entretenir l’esprit du renouveau religieux. Ryan se révélait alors, disait le révérend John Saltkill Carroll*, « l’homme de la situation. Il avait du zèle, de l’initiative, du courage, de la méthode, de la persévérance et ce genre de spontanéité rude qui était alors plus utile que toute autre qualité. De plus, il avait de l’autorité. » Il savait « attendrir les gens en s’adressant à eux le visage inondé de larmes. Il était communicatif et parlait beaucoup dans les conversations privées. » De plus, il se montrait très sensible aux côtés comiques de la vie quotidienne, ce qui le rendait cher à bien des gens. Son engagement religieux et son ardeur au travail en faisaient de toute évidence un homme respecté des évêques et des fidèles, d’où ses longues années à titre de président de district.

La guerre de 1812 marqua une rupture profonde dans l’évolution du méthodisme au Canada. Juste avant la déclaration du conflit, Ryan fut nommé de nouveau président du district du Haut-Canada et Bangs devint président de celui du Bas-Canada. Cependant, Bangs et les autres prédicateurs américains ne s’aventurèrent pas au delà de la frontière tandis qu’une partie de ceux qui restèrent dans le Haut ou le Bas-Canada abandonnèrent de toute évidence leur travail itinérant dans leur circonscription et s’y installèrent. Apparemment, Ryan était devenu sujet britannique ou on le considérait comme tel. Il démontra de toute façon qu’il tenait à la survie du méthodisme canadien en s’en occupant sans défaillance durant toute la guerre. Il existe peu de documents sur ses activités et sur l’état des sociétés haut-canadiennes durant le conflit. Il semble que Ryan convoqua chaque année une assemblée des ministres et parcourut son district pour s’acquitter de ses fonctions de président. Il arrondit son modeste revenu et, présume-t-on, démontra ses sentiments politiques en transportant des vivres par chariot ou par traîneau à partir de Montréal jusque dans la région ouest de la colonie. Lui-même et ses collègues retrouvèrent les ministres américains en 1815 lors de la session de la Conférence de Genesee. Pendant que Case devenait président du district du Haut-Canada, Ryan fut affecté dans celui du Bas-Canada, qui commençait aux environs de Prescott et s’étendait jusqu’à Québec, et fut élu délégué en prévision de la conférence générale qui devait se tenir l’année suivante.

Le rétablissement de l’autorité de l’Église méthodiste épiscopale au Canada en 1815 et la croissance subséquente des sociétés, surtout dans le Haut-Canada, masquèrent certains changements significatifs qui avaient eu lieu dans la conjoncture canadienne et qui allaient avoir des répercussions majeures sur l’avenir du méthodisme et sur la carrière de Ryan. Avant la guerre, même si la plupart des membres de l’élite gouvernante étaient hostiles aux États-Unis, le Haut-Canada ne constituait, sous bien des rapports, qu’une section de la frange pionnière américaine. Toutefois, à la fin du conflit, la colonie éprouvait un nouveau sentiment d’identité dont l’un des principaux éléments était une suspicion virulente à l’endroit des us et des valeurs des Américains. Le Haut-Canada ne vit pas arriver de nouvelles vagues de colons américains mais, à partir de 1815, il accueillit un nombre croissant d’immigrants venus du Royaume-Uni. Avec leurs traditions et leurs allégeances diverses, ceux-ci contribuèrent à créer dans l’opinion un climat probritannique qui ne favorisait nullement une distinction entre les Haut-Canadiens de naissance ou ceux qui, comme Ryan, avaient adopté la colonie, et ceux qui étaient réellement, sur le plan culturel et politique, identifiés aux États-Unis.

Dans ce milieu dont les chefs cultivaient les opinions anti-américaines et conservatrices, les sociétés méthodistes du Canada ne pouvaient manquer de devenir suspectes. En effet, en plus d’être rattachées à une institution américaine qui les gouvernait, d’avoir une théologie et des pratiques teintées d’enthousiasme, elles étaient animées par ce qu’on disait être des agitateurs sans instruction et sans titre qui se faisaient passer pour des ministres de l’Évangile. Cependant, ce ne fut pas l’élite coloniale, mais bien la Conférence wesleyenne britannique qui les attaqua la première. En 1814, par suite de plaintes déposées par des méthodistes bas-canadiens contre les positions politiques de leurs ministres américains, le Wesleyan Missionary Committee fonda une mission au Canada en envoyant le révérend John Bass Strong à Québec. Apparemment, celui-ci fit également valoir son autorité sur la société de Montréal et, l’année suivante, l’envoyé de la Conférence de Genesee dans cette ville fut empêché de prêcher dans la chapelle par les leaders de l’endroit et par Strong. Toujours en 1815, William Bennett*, surintendant des missions de l’est de l’Amérique du Nord britannique, mena une enquête sur la situation religieuse du Haut et du Bas-Canada.

Lorsque Ryan se rendit à Montréal en qualité de président du district, en septembre 1815, il savait déjà que Bennett avait parcouru la circonscription de l’Outaouais. Après un dur affrontement avec Richard Williams*, missionnaire wesleyen nouvellement arrivé, il fut admis dans la chapelle de la ville et recommanda de laisser les conférences britannique et américaine décider de quelle autorité relèveraient les sociétés de la colonie. Sa proposition ne fut pas entendue : « Ici et là dans la chapelle, écrivit-il plus tard à la Conférence britannique, des gens protestaient » en disant qu’ils étaient de vrais Britanniques. « Si, poursuivait-il, les liens nationaux constituent les limites de notre association, on nous arrachera aussi le Haut-Canada. » « Qui, lançait-il, a jamais prouvé que l’un de nous était un rebelle ? [...] Peut-il être prouvé que l’un de nous n’a pas prié consciencieusement pour les rois et pour tous ceux qui détiennent l’autorité ? [...] En conséquence, l’humanité, la religion, la justice, la miséricorde, la vérité et tout ce qui est sacré vous intime d’agir vraiment en hommes qui craignent Dieu et de rappeler immédiatement vos prédicateurs afin qu’ils quittent le Canada. »

À l’encontre de Ryan, mais sur un ton tout aussi ferme, Bennett et William Black de la Nouvelle-Écosse demandaient des missionnaires wesleyens pour le Canada. Pris entre deux feux, le comité missionnaire pressa donc l’évêque Francis Asbury de l’Église méthodiste épiscopale des États-Unis d’abandonner les dessertes du Bas-Canada car « de par [s]es habitudes et préjugés généraux, [la population] préf[érait] les prédicateurs anglais ». Black et Bennett furent convoqués à la conférence générale américaine de 1816 à titre de représentants de la Conférence britannique. La conférence générale, après avoir entendu l’opinion des délégués wesleyens ainsi que celle de Case et de Ryan, conclut qu’elle ne pouvait abandonner aucune des sociétés du Haut et du Bas-Canada « à la direction de l’Église britannique ». Comme il était à prévoir, le comité missionnaire rejeta cette décision et se mit à envoyer des missionnaires non seulement dans le Bas-Canada, mais aussi à Kingston, à Cornwall, à Stamford (Niagara Falls) et à York (Toronto), ce qui engendra une dure rivalité entre les prédicateurs américains et britanniques et leurs partisans respectifs. Redevenu président du district du Haut-Canada en 1816, Ryan allait jouer un rôle de premier plan dans cette querelle.

Les missionnaires britanniques alléguaient, sans doute avec raison, que bien des régions du Haut-Canada étaient dépourvues d’assistance religieuse et, qu’en fait, il y avait de la place pour tous. Ils affirmaient en outre que les prédicateurs itinérants de l’Église méthodiste épiscopale avaient une formation religieuse et des opinions politiques critiquables et qu’ils constituaient même un danger pour le Haut-Canada. Il s’agissait d’hommes « si ignorants et enthousiastes que leurs discours paraiss[ai]ent ridicules aux gens respectables et bien informés. Une grande partie de leur religion consist[ait] à faire beaucoup de bruit dans la maison de Dieu, après quoi il ne se pass[ait] plus rien jusqu’à la réunion suivante. » De plus, les prédicateurs s’avéraient aussi déloyaux qu’enthousiastes. Même William Case, ministre doux et apolitique, était qualifié d’« ennemi implacable et téméraire du gouvernement [de la province] ».

Plusieurs circonscriptions ecclésiastiques du Haut et du Bas-Canada, sans doute encouragées par Ryan, rédigèrent de vigoureuses protestations à l’intention du comité. Les leaders des circonscriptions de la rue Yonge et d’Ancaster demandaient : « pourquoi devrions-nous rejeter les prédicateurs que Dieu nous a envoyés pour le salut de nos âmes et nous jeter dans une grande dépense pour faire venir d’Angleterre des prédicateurs qui n’ont que le mérite d’être nés Britanniques ? » Certains signataires soulignaient qu’ils occupaient les fonctions d’officier de milice ou de juge de paix. Quand Ryan envoya ces pétitions à Londres, il fit valoir que les missionnaires britanniques ne pouvaient se rendre nulle part dans le Haut-Canada sans nuire au travail de leurs collègues canadiens. Par la suite, à la demande des conférences trimestrielles de Niagara et d’Ancaster, il publia un manifeste intitulé To the Methodists in Upper Canada : – District. « Ce doit être un motif bien singulier, écrivait-il, qui a poussé ces hommes [les missionnaires wesleyens] à essaimer hors d’Angleterre [...] et à exprimer par leurs agissements un désir de s’imposer au peuple du Canada, où une grande majorité de méthodistes s’opposent explicitement à eux. » À cela, il ajoutait : « certains d’entre eux ont été assez puérils pour dire à nos prédicateurs qu’ils risquaient de déplaire au gouvernement [...] Je suppose qu’ils ne savaient pas que nous avons ici autant de droits qu’eux. Le gouvernement nous a mis à l’épreuve, et cela dans des conditions bien difficiles. » Les wesleyens, selon lui, ne relevaient pas vraiment de la Conférence britannique, et ils étaient principalement intéressés à prêcher devant les gens prospères des régions bien établies. « Si les missionnaires nient ce dont on les accuse ici, les faits les contrediront. Si l’un d’eux entreprend de répondre à ceci sur le ton de la moquerie, je traiterai ses arguments comme ils traitent les gens des établissements de l’arrière-pays : ils leur montrent de l’indifférence. »

En 1819, le comité missionnaire pressa ses représentants d’éviter les conflits et la concurrence avec leurs collègues américains, mais il ne fut pas entendu. Un an plus tard cependant, sur l’initiative de la Conférence générale des États-Unis, la Conférence britannique accepta un partage du travail au Canada : la Conférence générale des États-Unis s’occuperait du Haut-Canada et la Conférence britannique, du Bas-Canada. Les missionnaires wesleyens reçurent un avis explicite : « nos buts sont purement spirituels et nos frères américains et nous-mêmes formons un seul corps de chrétiens issus d’une même racine, partageant les mêmes doctrines, appliquant la même discipline et travaillant en commun à répandre dans le monde entier la vraie religion ». Cette admirable injonction souleva dans le Haut-Canada de vigoureuses protestations de la part des partisans wesleyens et, contrairement à l’entente, Kingston demeura l’avant-poste wesleyen dans cette colonie.

Malgré la présence dérangeante des missionnaires britanniques, et peut-être à cause d’elle, le méthodisme se renforça dans les années d’après-guerre. On recruta de nouveaux itinérants et l’assemblée de la Conférence de Genesee à Elizabethtown (Brockville) en 1817 déclencha dans le Haut-Canada un vaste mouvement de revivalisme. En 1816, le Haut et le Bas-Canada comptaient quelque 2 500 membres, puis dès 1820, il y en avait plus de 5 000, sans doute en partie grâce au travail de Ryan et de Case, les deux présidents de district durant cette période. La multiplication des membres, l’affrontement avec les wesleyens, l’affinité évidente qui existait entre certains laïcs éminents des circonscriptions ecclésiastiques de l’Est et les missionnaires britanniques ainsi que le solide engagement d’hommes comme Ryan envers le Haut-Canada, tout cela contribua à la présentation d’une proposition lourde de sens, à savoir la création d’une conférence distincte dans le Haut-Canada. On en arrivait peut-être là parce qu’on posait l’existence d’un méthodisme canadien indépendant, notion qui, à tout le moins, dissiperait la croyance répandue selon laquelle les méthodistes formaient un groupe subversif.

Ryan et Case siégèrent parmi les délégués de la Conférence de Genesee à la session tenue par la conférence générale à Baltimore en mai 1820. En réponse à des pétitions du Haut-Canada, la conférence générale conclut qu’il ne serait pas indiqué, pour le moment, de créer une conférence distincte au Canada. Les évêques de la conférence furent cependant autorisés à le faire avant 1824, à la condition que la Conférence de Genesee approuve la chose. Une modification fut également apportée à la discipline : « tous les ministres chrétiens [sont] soumis à l’autorité suprême du pays où ils résident et [doivent] prescrire, par tous les moyens louables, l’obéissance aux pouvoirs en place ». En adoptant cette formule, la conférence espérait sûrement dissiper les doutes que les wesleyens avaient semés à propos de l’allégeance politique des ministres et des sociétés.

Cette assemblée fut également marquée par un débat intense sur une question qui influerait de manière décisive sur le rôle de Ryan dans le méthodisme haut-canadien. Selon les règles de l’Église méthodiste épiscopale, l’autorité législative appartenait aux conférences régionales et aux conférences générales, dont tous les membres étaient des ecclésiastiques. L’autorité administrative, quant à elle, revenait à l’épiscopat, dont les membres étaient élus et affectés par la conférence générale. Parmi les attributions des évêques, la plus visible et la plus importante résidait dans le droit de présider les réunions des conférences régionales annuelles, au cours desquelles ils nommaient les présidents de district et affectaient les ministres aux circonscriptions ecclésiastiques, sans appel. Même si en cela, l’Église constituait une oligarchie de ministres, les laïcs ne se trouvaient pas dépourvus d’influence. Les ministres itinérants, qui faisaient de la prédication, étaient assistés par des membres autorisés à prêcher, des prédicateurs et des class leaders ; les membres autorisés à prêcher étaient souvent ordonnés, ce qui cependant ne leur donnait pas le droit de voter aux conférences. De plus, les présidents de district, les membres autorisés à prêcher itinérants, les prédicateurs, les class leaders et les économes participaient régulièrement aux assemblées trimestrielles qui, en pratique, disposaient d’un certain pouvoir de consultation.

Presque dès le début toutefois, il y eut, au sein de l’Église méthodiste épiscopale, des tensions entre les évêques et les ministres itinérants, et entre les conférences et les membres laïques. En 1820, les conférences régionales demandaient d’élire les présidents de district, réclamation qui s’élargirait bientôt et porterait sur l’élection des membres laïques des conférences générales et des conférences régionales. À la conférence générale de 1820, un vif débat opposa le doyen des évêques, William McKendree (qui était malade), et les ministres au sujet de l’électricité des présidents. McKendree perdit la première manche mais persuada par la suite une majorité des conférences annuelles de ne pas consentir à ce changement. La conférence générale approuva également la tenue de conférences de district pour les membres autorisés à prêcher, car elle y voyait un moyen d’apaiser le mécontentement des laïcs et d’épouser les intérêts des régions. Ce faisant, elle créait par inadvertance un forum où auraient lieu de grandes discussions sur la démocratisation de l’organisation méthodiste épiscopale.

On ignore quelle part Ryan prit au débat de la conférence générale de 1820, s’il en prit une. Par la suite, il fut nommé président du district du Bas-Canada et, en 1821, 1822 au 1823, président du district de la baie de Quinte, qui englobait les circonscriptions ecclésiastiques situées entre Port Hope et la frontière du Bas-Canada. En 1822, la Conférence de Genesee reçut une résolution, dont deux des signataires se trouvaient de proches associés de Ryan, favorisant l’établissement rapide d’une conférence canadienne. Cependant, lors de sa session de 1823, sachant que l’électivité des présidents de district serait débattue l’année suivante à la conférence générale, la Conférence de Genesee décida de ne pas élire Case et Ryan, qui étaient des parties intéressées, comme délégués à cette assemblée.

Même si l’évêque Énoch George, président de la Conférence de Genesee en 1823, avait manifesté sa confiance à Ryan en le nommant de nouveau président du district de la baie de Quinte, il semble que Ryan, soit par ressentiment ou par conviction, résolut de se faire le champion de l’indépendance des méthodistes du Canada. Au terme de la session tenue par la conférence cette année-là, il convoqua ses collègues à une réunion officieuse au cours de laquelle il fit valoir qu’exiger l’électivité des présidents de district diviserait l’Église et que la population canadienne n’approuverait pas cette mesure. Par la suite, il tint à Hallowell (Picton), au cœur de son district, ce qu’il appela un congrès, au cours duquel fut adoptée une requête pressant la conférence générale d’établir une conférence indépendante au Canada. Ryan, Case et David Breakenridge, membre autorisé à prêcher ultra-conservateur de la région de Prescott, furent nommés à titre officieux délégués auprès de la conférence générale.

La conférence générale se réunit à Baltimore en mai 1824. Elle n’examina pas la requête de Ryan parce qu’il n’avait pas été choisi dans les règles et qu’un laïc l’accompagnait. À la fin, elle rejeta la représentation des laïcs, précipitant ainsi la création de l’Église méthodiste protestante aux États-Unis. Enfin, pour apaiser l’agitation qui régnait dans le Haut-Canada, elle décida d’y établir une conférence qui demeurerait sous son autorité, et demanda à la Conférence britannique d’adhérer à l’entente de 1820.

Furieux, de toute évidence, que la conférence générale n’ait pas créé au Canada une conférence entièrement indépendante, Ryan convoqua en juin 1824, à Elizabethtown, un deuxième congrès de membres autorisés à prêcher. Mais, pour une raison quelconque, il ne s’y présenta pas. Dans une proclamation imprimée et signée, les participants condamnèrent la conférence générale parce qu’elle n’avait pas pris au sérieux la requête antérieure en faveur de l’indépendance. Les signataires demandaient : « La raison ou la religion exigent-elles que nous nous soumettions à eux [les membres de la conférence générale] et qu’ainsi nous nous exposions à la ruine [?] La parole de Dieu n’exige-t-elle pas que nous cédions autant que possible aux souhaits du gouvernement sous lequel nous vivons, sans mettre en danger notre foi ni désobéir à notre conscience ? Elle l’exige certainement. » Donc, ils avaient décidé de créer un organisme indépendant, qui s’appellerait l’Église méthodiste épiscopale wesleyenne du Canada, et de se soustraire à l’autorité des conférences américaine et britannique. Leur nouvelle Église suivrait, à peu de chose près, la règle que s’était donnée en 1820 l’Église méthodiste épiscopale. Les participants au congrès invitaient les ministres itinérants du Haut-Canada à se réunir, à s’élire un président, et à prendre la direction de la nouvelle Église. Ils indiquaient en outre que, s’ils n’acceptaient pas la nouvelle organisation, les membres autorisés à prêcher assumeraient, pour l’heure, la responsabilité des sociétés.

Ce manifeste reflétait sûrement les positions de Ryan : sa volonté de voir les méthodistes haut-canadiens acquérir leur indépendance, son opposition à la représentation laïque et sa disposition à promouvoir la cause des membres autorisés à prêcher. L’agitation qui régnait parmi ces derniers provenait peut-être de ce que les laïcs étaient mécontents de l’organisation méthodiste. Elle indiquait probablement que l’Église méthodiste épiscopale avait créé une source de tensions dans ses rangs en permettant à certains membres autorisés à prêcher d’être ordonnés sans leur conférer tous les droits des ministres itinérants. De plus, Ryan et ses partisans souhaitaient peut-être honnêtement dissiper l’hostilité que le gouvernement colonial éprouvait envers les méthodistes parce qu’il les considérait comme un groupe étranger, et ils estimaient peut-être que l’Église n’agissait pas assez vite dans ce sens. Quoi qu’il en soit, la campagne de Ryan suscita des réactions favorables, surtout dans les circonscriptions de son district, et convainquit les évêques de tenter de la contrecarrer par une tournée officielle du Haut-Canada.

Les évêques Hedding et George ainsi que Nathan Bangs parcoururent une bonne partie de la colonie au cours de l’été de 1824 afin d’expliquer les agissements de la conférence générale. Ils persuadèrent apparemment les ministres et les sociétés qu’ils n’avaient guère de raisons de se plaindre. Quand Ryan rencontra finalement George et Case, il exprima des regrets pour ses actes. À la réunion suivante de la Conférence canadienne, à Hallowell, les évêques tentèrent de restaurer la paix dans l’Église. Comme il était à prévoir, Ryan ne fut pas nommé de nouveau président de district, fonction qu’il exerçait depuis 14 ans. Il fut plutôt affecté à une nouvelle circonscription missionnaire, qui s’étendait du voisinage de Niagara (Niagara-on-the-Lake) aux parties nord de la rivière Grand, ce qui allait lui permettre d’habiter sur sa ferme.

Les archives de la Conférence canadienne parlent abondamment de la détérioration des relations entre celle-ci et Ryan, mais la nature des forces en présence n’y est pas tout à faire claire. La session de 1825 fut marquée par une amère dispute entre Ryan et le président du district, Thomas Madden, qu’aggravait l’accusation selon laquelle Ryan avait négligé sa propre circonscription pour en visiter d’autres. On le blâma modérément, ce qui le poussa à demander un statut de retraité, qu’il obtint. Au cours de l’année suivante, il fit de nombreuses tournées dans le but avoué de promouvoir l’indépendance de la Conférence canadienne. On lui attribua largement la paternité d’un pamphlet anonyme qui accusait la conférence d’avoir mal agi dans l’affaire Madden et de promouvoir les intérêts égoïstes des prédicateurs. La conférence de 1826, où Ryan eut au moins quelque appui occulte, ne prit aucune mesure contre lui et le confirma dans son statut de ministre retraité.

À cette époque, l’établissement d’une conférence indépendante dans le Haut-Canada s’avérait de plus en plus populaire, et il semblait raisonnable de croire que l’Église mère ne s’y opposerait pas. Ryan cependant, sachant qu’aucune décision officielle ne pourrait être prise avant la conférence générale de 1828, fit valoir qu’en tant que fidèles sujets de la couronne britannique, les méthodistes canadiens ne pouvaient rester soumis à une organisation religieuse étrangère. Les prédicateurs, affirmait-il, se révélaient ambitieux et fiers ; l’Église, devenue mondaine, ne se préoccupait plus de revivalisme ; quant aux évêques, c’étaient des hypocrites qui ne se montraient pas réellement intéressés à protéger les droits des gens. Ces accusations et d’autres furent réunies dans un pamphlet anonyme, A lover of truth, dont Ryan était généralement considéré comme l’auteur et le diffuseur.

À la conférence de 1827, Ryan fut accusé par son ami et collègue William Case d’être l’auteur de A lover of truth. Il admit avoir lu le pamphlet en public à divers endroits mais allégua que son but était de prévenir les fidèles contre cette publication. La conférence eut la charité de l’acquitter, ce à quoi il répliqua en rejetant son autorité. Apparemment, l’évêque et d’autres personnes tentèrent de le dissuader de quitter l’Église. Finalement, il semble qu’il partit avec éclat en annonçant son intention d’appliquer la décision prise au congrès d’Elizabethtown en 1824.

Malgré ses longues délibérations sur le cas de Ryan, la conférence de 1827 ne négligea pas les autres questions. Une requête en faveur de l’établissement d’une conférence canadienne indépendante fut rédigée, et les délégués de la session suivante de la conférence générale reçurent l’instruction de demander qu’elle soit approuvée. En dépit de l’opposition de Bangs et d’autres, la conférence générale, lors de sa réunion de mai 1828, autorisa la Conférence canadienne à se constituer en organisation autonome et associée fraternellement à l’Église méthodiste épiscopale. La discipline fut modifiée pour renforcer la position des laïcs au sein de la conférence, ce qui, présume-t-on, visait à calmer l’élément démocrate des sociétés.

Ryan avait assisté dans les coulisses à la session de la Conférence canadienne, mais il ne fut pas apaisé par les événements. Peu après la réunion, il convoqua deux congrès à Copetown et à Hallowell, dans le but évident de faire entendre ses griefs contre la conférence. Il fit bien valoir qu’il se plierait aux décisions de ces assemblées irrégulièrement constituées. En vue des congrès, il publia un autre pamphlet dans lequel il affirmait que « certains prédicateurs [levaient] facilement le coude », ce que la conférence allait ranger au nombre de ses « épanchements de bile ». Par ailleurs, lors d’une réunion préparatoire à Kingston, il lança : « J’ai déclaré que je ne dirigerais jamais de parti, mais je n’ai jamais dit que je ne prêcherais pas pour un parti. Je vois maintenant qu’il y aura scission, et je suivrai mes amis. »

Les congrès se tinrent à Copetown et à Hallowell en décembre 1828 et janvier 1829. John* et Egerton* Ryerson assistèrent au premier, qui dura huit jours. À la fin, l’assistance conclut à l’unanimité que la conférence de 1827 avait examiné avec équité les accusations portées par Ryan. Le deuxième congrès, auquel Egerton Ryerson représenta de nouveau la conférence, se poursuivit pendant neuf jours. Au début, raconta Ryerson, la majorité des membres lui « tournèrent le dos », mais peu à peu ils se rendirent à ses arguments. Encore une fois, l’assistance « se prononça, à l’unanimité et dans le langage le plus ferme, contre les déclarations et procédés de M. Ryan ». En dépit de ces revers, celui-ci continua de semer l’agitation dans nombre de circonscriptions ecclésiastiques durant l’année 1829, et dans au moins un cas, il entra de force dans une chapelle méthodiste épiscopale pour tenir une réunion où furent adoptées des résolutions en sa faveur. Par la suite, il organisa un autre congrès où l’assistance, composée surtout de laïcs et de membres autorisés à prêcher, fonda l’Église méthodiste wesleyenne canadienne. Même s’il avait déjà protesté contre un changement à l’organisation méthodiste épiscopale, on résolut que les laïcs seraient représentés aux conférences annuelles de la nouvelle Église et que la présidence serait élective.

L’Église scissionniste connut d’abord un certain succès, en partie parce que Ryan n’hésitait pas à prendre la chaire de ses anciens collègues. Après sa mort en 1833, le révérend James Jackson* en assuma la direction. Dès 1835, elle comptait 21 ministres, 2 481 membres et 13 circonscriptions ecclésiastiques. Toutefois, en 1841, l’Église méthodiste wesleyenne canadienne s’unit à un groupe scissionniste britannique, la Conférence méthodiste New Connexion, et l’héritage de Ryan passa à cette confession relativement petite. Ce fut la Conférence méthodiste New Connexion qui, en 1855, prit l’initiative d’ériger un monument à la mémoire du « regretté et vénérable ministre Ryan, fondateur du système de représentation laïque au Canada ».

Durant la première phase de sa carrière, la personnalité et les méthodes autoritaires et dynamiques de Ryan firent manifestement de lui un ministre et un administrateur efficace. Sans son apport, le méthodisme aurait peut-être progressé plus lentement dans le Haut-Canada. En outre, contrairement à plusieurs de ses collègues qui passaient facilement du Haut-Canada aux États-Unis et qui choisirent finalement de rester au sein de l’Église mère, Ryan en vint à s’identifier totalement aux sociétés méthodistes du Canada. Dans les années 1820, comme dans la décennie précédente, il fut mû par le souci d’assurer l’accroissement de la communauté méthodiste épiscopale du Haut-Canada et semblait convaincu qu’elle n’avait de l’avenir que dans la mesure où elle deviendrait indépendante. La majorité des prédicateurs pensaient de même, et probablement bien des sociétés.

Les questions de l’indépendance ou de la répartition des droits entre le clergé et les laïcs n’expliquent cependant pas à elles seules que Ryan se soit trouvé en conflit avec ses collègues ou ait décidé de fonder un nouvel organisme méthodiste dans lequel les laïcs auraient plus de poids que dans l’Église méthodiste épiscopale. Il se peut que Ryan ait plutôt réagi aux importants changements qui touchaient la société et le méthodisme haut-canadiens. Dans les années 1820, de nouveaux chefs commençaient de s’imposer dans la conférence, surtout les frères Ryerson, James Richardson* et Anson Green*. Ryan sentait peut-être qu’il était sur le point d’être écarté, à peu près comme William Case le serait par les Ryerson en 1832. Ses plaintes à propos des « grandes corruptions » de l’Église, du déclin de l’esprit du renouveau religieux, des vêtements immodestes de la famille de son président de district et des habitudes studieuses des jeunes ministres indiquent qu’il se rendait compte que le Haut-Canada devenait une société plus stable et plus cultivée. Dans un contexte de ce genre, les hommes qui, à l’instar de Ryan, avaient une éducation limitée et une vision simpliste de la religion ne seraient pas aussi influents que par le passé. Le sentiment de frustration et d’aliénation qui en résultait, sans doute exacerbé par l’ambition déçue, aide à expliquer ses agissements.

Henry Ryan ne vécut pas jusqu’à un âge très avancé, mais dans la dernière décennie de son existence, il avait l’air vieux et amer. Les descriptions que ses collègues ont laissées sont peut-être très peu objectives, mais il est difficile de croire que Ryan ne se montrait pas tortueux et délibérément destructeur. On comprend qu’ils aient été convaincus, comme l’exprimait Carroll, qu’il disait des « choses perverses » pour « attirer des disciples ». Néanmoins, malgré les blâmes qui lui furent adressés, les méthodistes du Haut-Canada conservèrent, ainsi qu’il convenait, le souvenir de ses réalisations. Par son zèle, son courage et son talent d’administrateur, il contribua à propager de façon significative le méthodisme dans la colonie naissante et, par le fait même, participa à la création de l’un des principaux éléments de la culture religieuse du Haut-Canada.

Goldwin S. French

La pierre tombale de Ryan indique qu’il est mort le 4 août 1833. Cependant, les notices nécrologiques s’entendent pour dire qu’il est mort en septembre : l’Hallowell Free Press (Hallowell [Picton, Ontario]) du 16 sept. 1833 affirme qu’il est mort le 2 sept., et le Niagara Gleaner (Niagara [Niagara-on-the-Lake, Ontario]) du 14 sept. 1833, même s’il ne donne pas de date, dit qu’il faut « arrêter les presses » pour annoncer la mort de Ryan.

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Goldwin S. French, « RYAN, HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ryan_henry_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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