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RALE (Râle, Rasle, Rasles), SÉBASTIEN, prêtre, jésuite, missionnaire des Abénaquis, né à Pontarlier, diocèse de Besançon (France), le 4 janvier 1657, tué à Narantsouak (Norridgewock, actuellement Old Point, South Madison, Maine), le 23 août 1724.
Rale était entré dans la Compagnie de Jésus à Dole, le 24 septembre 1675. Il arriva à Québec le 13 octobre 1689, en même temps que Buade* de Frontenac. Envoyé d’abord à la mission du saut de la rivière Chaudière, que dirigeait le père Jacques Bigot, il y apprit la langue abénaquise. C’est là qu’il commença son dictionnaire abénaquis-français, comme l’indique le premier feuillet de son manuscrit conservé à Harvard University. En 1691, il alla aider un confrère, le père Jacques Gravier, à la mission des Illinois, à Kaskaskia.
Rappelé au bout de deux ans, il fut envoyé en Acadie, où il fonda, en 1694, la mission abénaquise de Narantsouak, sur la rivière Kennebec, presque vis-à-vis de l’embouchure de la rivière Sandy. Les Abénaquis entretenaient des relations commerciales avec les Anglais, plus rapprochés – d’eux que les Français, mais ils restaient attachés à ces derniers par les liens de la religion catholique. Quand la guerre de Succession d’Espagne éclata en Europe et s’étendit aux colonies d’Amerique, le gouverneur de Boston, Dudley, convoqua les Abénaquis à la baie de Casco en 1703 et leur proposa de rester neutres dans ce conflit. Moxus et Atecouando furent les principaux porte-parole des Indiens à la réunion. Rale affirma avoir assisté à ces pourparlers et avoir promis d’inciter les Indiens à maintenir la paix : « Ma religion et mon caractère de prêtre, m’engageaient à ne leur donner que des conseils de paix. » D’un autre côté, Dudley déclara que, à cette occasion, « leurs moines » [les missionnaires] n’avaient pas osé se montrer. Toutefois, les Abénaquis ne restèrent pas neutres. En août 1703, un groupe d’Abénaquis, qui avait été rattaché à un plus gros détachement, formé de Français et d’Indiens et commandé par Alexandre Leneuf de La Vallière, prit part à l’attaque contre le village de Wells. Rigaud de Vaudreuil déclara par la suite que les Abénaquis avaient été intégrés dans les troupes de l’expédition après que le père Rale lui eut assuré que ses Indiens seraient « prests a lever la hache contre les Anglois quand il [Vaudreuil] leurs ordonneroit ».
Il y eut des représailles de la part des Anglais. Au cours de l’hiver de 1705, 275 soldats ayant à leur tête le colonel Hilton furent envoyés à Narantsouak pour s’emparer du père Rale et saccager le village. Le père leur échappa, mais ils brûlèrent son église. C’est à la suite de cet événement qu’il revint fonder une mission à Bécancour pour les Abénaquis d’Amesoquanty (Amassokanty, près de Narantsouak, actuellement Farmington Falls, Maine) qui, menacés par la famine, avaient accepté l’invitation de Vaudreuil à venir s’établir sur les bords du Saint-Laurent. Le ministre Pontchartrain avait en effet écrit au père Pierre de La Chasse* au nom de Louis XIV pour faire revenir le père Rale, suspect de tiédeur à l’égard de la guerre. Rale était de retour à sa mission de Narantsouak en 1710.
Par le traité d’Utrecht (1713) qui mit fin à la guerre de Succession d’Espagne, la France céda l’Acadie conformément à ses « anciennes limites ». Mais les frontières de l’Acadie n’avaient pas été bien délimitées dans le traité, ce qui donna lieu plus tard à d’interminables controverses entre la France et l’Angleterre. Pour les Anglais, ces limites s’étendaient jusqu’à la rivière Saint-Georges et englobaient le territoire des Abénaquis. Ces derniers refusèrent d’accepter la domination anglaise [V. Mog] et les Français les encourageaient dans ce sens.
Les Anglais offrirent de rebâtir l’église de Narantsouak, si les Abénaquis consentaient à recevoir un ministre protestant et à renvoyer le père Rale à Québec. Effectivement, l’église fut rebâtie par la suite mais les ouvriers engagés firent, semble-t-il, un travail de piètre qualité. En 1720, le père Rale l’acheva avec l’aide financière du roi de France. De plus, le révérend Joseph Baxter fut envoyé comme missionnaire à l’île Arrowsic dans la rivière Kennebec. Les deux missionnaires, Rale et Baxter, échangèrent bientôt une correspondance acerbe au sujet de leurs missions respectives. On ne sait pas combien de temps Baxter passa à la rivière Kennebec, mais il ne semble pas avoir eu beaucoup de succès auprès des Abénaquis. Les Anglais réussirent toutefois à s’infiltrer dans le territoire des Abénaquis par le commerce. Ils obtinrent d’abord la permission d’y avoir des magasins, où ils vendaient des marchandises à bas prix. Puis ils y amenèrent des centaines de familles et érigèrent des forts pour les protéger. Rale craignait pour la foi des Indiens car, une fois installés dans ce territoire, les Anglais ne permettraient plus à aucun missionnaire catholique d’y rester.
L’expansion anglaise dans la région de la Kennebec motiva la tenue d’une conférence entre le gouverneur Shute du Massachusetts et les chefs des tribus de l’Est à l’île Arrowsic en août 1717. La délégation indienne se divisait, semble-t-il, en deux factions, l’une se montrant favorable aux Anglais, l’autre aux Français. Wowurna était le porte-parole de cette dernière. En dépit du fait que la faction favorable à l’alliance anglaise l’emporta finalement à la conférence et que les Indiens acceptèrent la présence des Anglais sur leurs terres, le père Rale incita les éléments à tendance antianglaise à continuer de résister. Il envoya les chefs de Narantsouak voir Vaudreuil à Québec, en octobre 1719, pour l’assurer que les Abénaquis s’opposaient aux empiétements des Anglais sur leur territoire. En 1720, Vaudreuil et l’intendant Bégon* écrivirent au ministre de la Marine que « le père Râlle continue à exciter les Sauvages de la mission de Narantsouak à ne point souffrir les Anglois de s’étendre sur leurs terres ». En juillet de la même année, le conseil du Massachusetts offrit une récompense de £100 pour la capture de Rale.
Vaudreuil et Bégon, dans une lettre datée du 8 octobre 1721, expliquent que, le printemps précédent, Rale, craignant qu’un nombre croissant d’Indiens ne tombent sous l’influence des Anglais, avait voulu s’assurer que « le parti des Sauvages bien intentionné fut le plus nombreux » aux pourparlers que les Anglais projetaient de tenir dans un avenir rapproché avec les Abénaquis. Dans ce but, il envoya à Québec six Indiens qui avaient pour mission d’inviter les Abénaquis du Canada et les Hurons de Lorette à se rendre à la conférence. Les émissaires réussirent à recruter assez d’Indiens aux missions de Saint-François, Bécancour et Jeune-Lorette (Loretteville) pour remplir plusieurs canots. Le père de La Chasse, qui fut délégué pour accompagner les Indiens à Narantsouak, en recruta encore une centaine dans d’autres missions d’Acadie. Plus de 250 Indiens accompagnés par les pères de La Chasse et Rale, qui tous deux appuyaient leur cause, arrivèrent aux pourparlers qui eurent lieu entre Anglais et Indiens à Georgetown à l’île Arrowsic le 28 juillet 1721. Ils présentèrent une lettre adressée à Shute dans laquelle ils demandaient que les Anglais se retirent de leurs terres. On fit porter la lettre au gouverneur.
Les Anglais voulurent se défaire de Rale, et Shute pressa en vain Vaudreuil de le rappeler, sous prétexte qu’un arrêt du parlement de la Grande-Bretagne et les lois de la province défendaient à tout jésuite ou prêtre catholique de prêcher ou même de demeurer dans tout endroit du royaume. Vers la fin de janvier 1722, pendant que les Abénaquis étaient à la chasse, 100 hommes conduits par le colonel Westbrook investirent le village de Narantsouak. Prévenu à temps par deux jeunes chasseurs indiens, Rale s’enfuit dans la forêt, où il échappa de justesse à ses poursuivants. Ceux-ci pillèrent son église et sa maison, et emportèrent son dictionnaire de la langue abénaquise et ses papiers. Ils trouvèrent, fixée à la porte de l’église de Narantsouak et censément écrite par Rale, une lettre qui contenait des menaces de représailles contre les établissements anglais de la région si l’église était détruite. Les Abénaquis, selon La Chasse, supplièrent le père Rale de se retirer à Québec pour quelque temps. Mais ce dernier refusa, disant : « Hé ! que deviendrait votre foi, si je vous abandonnais ? Votre salut m’est plus cher que la vie. »
Pour se venger de l’attaque contre Narantsouak, un groupe d’Abénaquis attaqua, en juillet de la même année, l’établissement de Brunswick situé à l’embouchure de la Kennebec. Cet acte décida le gouverneur Shute à déclarer la guerre le 25 juillet. Ainsi débutèrent les hostilités connues sous divers noms, tels que guerre de Dummer, de Lovewell, du père Rale, ou guerre de Trois ans. En février et en mars 1723, la troupe de Westbrook essaya encore, à deux reprises mais sans plus grand succès, de s’emparer du père Rale.
Toutefois, en août de l’année suivante, eut lieu une autre attaque contre Narantsouak qui se termina par la mort du père Rale. Les troupes de la Nouvelle-Angleterre, sous le commandement de Johnson Harmon et de Jeremiah Moulton*, quittèrent le fort Richmond (Richmond, Maine), sur le cours inférieur de la Kennebec le 19 août et arrivèrent à Narantsouak le 23. Le père Rale fut tué au cours de l’attaque et son scalp fut envoyé à Boston pour la prime. On note certaines divergences marquées entre les comptes rendus de l’épisode, selon qu’ils sont de source française ou de source anglaise. Du côté français, la principale relation est contenue dans une lettre du père de La Chasse datée du 29 octobre 1724 – sur laquelle Charlevoix* fonda son récit. Des Indiens, qui après avoir été témoins de l’attaque s’étaient enfuis à Québec, sont sans doute à l’origine de cette relation. Du côté anglais, le compte rendu a été établi par l’historien Thomas Hutchinson d’après les témoignages, recueillis plusieurs années plus tard, de différentes personnes de la Nouvelle-Angleterre qui avaient pris part à l’attaque. Selon le père de La Chasse, les effectifs des troupes de la Nouvelle-Angleterre s’élevaient à 1 100 hommes environ, d’après le récit de la Nouvelle-Angleterre, les assaillants n’auraient été qu’un peu plus de 200, dont une quarantaine avaient été laissés en aval du village pour assurer la garde des bateaux. Les Français prétendirent que Rale s’était avancé seul au milieu du village pour affronter les assaillants, dans l’espoir de sauver les Indiens en attirant sur lui l’attention des Anglais, et qu’il avait été tué par une balle en terrain découvert. Selon les Anglais, le père Rale fut tué dans une hutte pendant qu’il se défendait contre ceux qui l’attaquaient contrairement aux ordres de Moulton qui avait voulu que l’on capturât le prêtre vivant.
En 1833, Mgr Fenwick, de Boston, fit ériger un monument à la mémoire du père Rale, sur le lieu présumé de sa mort.
Sébastien Rale inspirait à la plupart de ses contemporains des sentiments violents et souvent opposés : pour les uns, il fut « un martyr [...] molé en haine de son ministère » (La Chasse) ; d’autres le qualifièrent de « brandon de discorde » (Penhallow). Les Français voyaient en lui un précieux allié, les Anglais un dangereux ennemi. Par la suite, de nombreux auteurs optèrent pour l’une ou l’autre de ces opinions. À l’époque, les Français et les Anglais étaient profondément attachés à leurs convictions religieuses et politiques, et les auteurs contemporains ont incontestablement subi l’influence de leur milieu respectif, de telle sorte qu’il est aujourd’hui impossible de reconstituer de façon tout à fait objective le personnage et son œuvre.
La mission de Rale à Narantsouak se trouva, pendant les quelque dix ans qui suivirent la signature du traité d’Utrecht, au centre même de la région où s’affrontaient les intérêts politiques et militaires de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre. L’action de Rale sur les Abénaquis de Narantsouak ne pouvait se limiter à son travail de missionnaire. Il appuya avec persistance les éléments qui, dans la tribu, s’opposaient aux Anglais, car l’établissement de ces derniers dans la région de la Kennebec allait en augmentant et constituait une menace pour les Abénaquis. Les Français, de leur côté, avaient besoin des Abénaquis comme alliés, car ceux-ci pouvaient assurer la sécurité des frontières à l’est de la Nouvelle-France. Les Français ne pouvaient pas les aider ouvertement à cette époque parce qu’officiellement ils étaient en paix avec l’Angleterre ; ils devaient plutôt compter, en grande partie, sur l’influence de leurs missionnaires. Rale fut entraîné bon gré mal gré, comme bien d’autres missionnaires, dans la grande lutte pour la possession des colonies qui se jouait dans le Nouveau Monde entre la France et l’Angleterre.
Le manuscrit du dictionnaire de Rale, conservé à Harvard University, n’a pas de page de titre. Rale commence ainsi son dictionnaire : « 1691. Il y a un an que je suis parmi les Sauvages, je commence a mettre en ordre en form de dictionaire les mos que j’apprens. » (V. Maine Hist. Soc. Coll., 2e sér., VI (1895) : 144ss.) Le dictionnaire fut édité en 1833 par John Pickering dans les Memoirs of the American Academy of Arts and Sciences (I : 375–574) sous le titre de « A dictionary of the Abnaki language in North America by Father Sebastian Rasle ».
AN, Col., B, 23, f.261; 48, f.853.— Charlevoix, History (Shea), I : 88s. V : 133, 167, 266–281.— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., III : passim. Correspondance de Vaudreuil, RAPQ, 1938–39, 16.— Documentary hist. of Maine, IX ; XXIII : 51–57, 89–93.— JR (Thwaites), LXVII.— [Pierre-Joseph de La Chasse], Une relation inédite de la mort du P. Sébastien Racle, 1724, NF, IV (1929) : 342–350.— Lettres édifiantes et curieuses escrites des missions étrangères par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus (30 vol., Paris, 1707–1773 ; nouv. éd., Paris, 1781), VI.— Mass. Hist. Soc. Coll., 2e sér., VIII (1826) ; 5e sér., III (1877) 245.— NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX : 936–939.— Penhallow, Hist. of wars with Eastern Indians (1824).— PRO, CSP, Col., 1720–21, 1722–23, 1724–25.— J. P. Baxter, The pioneers of New France in New England with contemporary letters and documents (Albany, 1894).— Campbell, Pioneer priests.— Coleman, New England captives.— F. Convers, Life of Rev. Sebastian Rale, The library of American biography, J. Spark, édit. (25 vol., Boston, 1834–1848), 2e sér., VII.— N.-E. Dionne, Le père Sébastien Rasles, jésuite, missionnaire chez les Abénaquis, 1657–1724, MSRC 2e sér., IX (1903) : 117–134.— M. C. Leger, The Catholic Indian missions in Maine, 1611–1820 (« Catholic Univ. of America studies in American church history », VII, Washington, 1929).— Parkman, A half-century of conflict (1893), I.— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, III : 434–436, 439–475, 530, 537.— J. F. Sprague, Sebastian Ralé, a Maine tragedy of the 18th century (Boston, 1906).
Thomas Charland, o.p., « RALE (Râle, Rasle, Rasles), SÉBASTIEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/rale_sebastien_2F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |