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McGREGOR, GORDON MORTON, manufacturier et fonctionnaire municipal, né le 18 janvier 1873 près de Windsor, Ontario, deuxième fils de William McGregor et de Jessie Lathrup Peden ; le 2 novembre 1898, il épousa à Detroit Harriet (Hattie) Dodds, et ils eurent trois filles et deux fils ; décédé le 11 mars 1922 à Montréal et inhumé à Windsor.
Gordon Morton McGregor vit le jour dans la maison familiale, au sud de Windsor, sur la rivière Detroit. Son père connut des hauts et des bas dans les affaires, ainsi que dans ses occupations de maire de Windsor et de député libéral fédéral d’Essex. Élevé au sein d’une famille presbytérienne écossaise, Gordon Morton étudia à Windsor et à Winnipeg, où les McGregor habitèrent pendant un certain temps. Il travailla dans un magasin de vêtements pour hommes à Detroit, puis avec son père dans une agence de Windsor spécialisée dans l’immobilier et les assurances. Dès 1897, il commença à participer à des activités politiques du côté des libéraux. Reconnu pour ses qualités de chanteur et son aisance en société, il épousa la fille d’un grossiste en pharmacie de Detroit, où il s’occupait également de la tenue de livres pour la Photokrome Company. En 1902, lorsque son père devint percepteur des douanes, Gordon Morton fut nommé, même s’il n’avait aucune expérience, responsable de l’usine de fabrication de chariots à Walkerville (Windsor) dont son père et le banquier John Curry avaient fait l’acquisition.
Dans cette ville, McGregor fut témoin de quatre mouvements convergents : la prolifération d’usines de sociétés américaines dans le but d’éviter les tarifs douaniers imposés par le Canada ; la croissance des métiers liés à l’entretien des machines découlant de l’engouement pour les bicyclettes ; la naissance de l’industrie automobile au Michigan ; le déclin des usines de fabrication de chariots après le décès de William McGregor en 1903. N’arrivant pas à soutenir la production à titre de président, Gordon Morton vit les dettes s’accumuler et les activités cesser en juillet 1904. Dès le mois de janvier, apparemment, parce que Curry le pressait de réduire les obligations de la société, il avait envisagé de convertir l’usine pour en faire une succursale d’un fabricant d’automobiles. Il misa sur Henry Ford, de Detroit, qui était l’objet de poursuites pour une question de brevet, mais avait connu un succès retentissant avec de petites voitures à essence. Montrant d’abord peu d’intérêt, Ford, qui en vint vraisemblablement à admirer la profonde rigueur de McGregor, vit rapidement dans cette initiative l’occasion d’étendre ses activités et d’exploiter l’accès du Canada aux marchés impériaux. Il avait d’ailleurs déjà tâté le terrain. En 1903, la Canada Cycle and Motor Company, à Toronto, avait commencé à vendre le premier modèle Ford et, au printemps de 1904, Ford avait effectué un voyage de promotion en Ontario. Même si McGregor avait bon espoir qu’une succursale bénéficierait de l’appui du gouvernement fédéral libéral, qui avait haussé les tarifs douaniers sur les automobiles, son projet était risqué : le marché n’était pas établi et la recherche de capitaux constituait un immense défi. Néanmoins, motivé par la promesse d’actions supplémentaires qu’il avait habilement exigées comme forme de rétribution, McGregor réunit la somme de 125 000 $. Le 10 août, une entente fut conclue ; à l’occasion d’un échange déterminant, Ford partagerait ses brevets et ses plans. À la réunion inaugurale de la Ford Motor Company of Canada Limited, le 29 août, McGregor fut nommé secrétaire délégué.
Dès la fin de l’année, 25 exemplaires du modèle C furent assemblés à Walkerville à partir de châssis fabriqués au Michigan et des annonces parurent dans des publications canadiennes. Au Salon de l’auto qui eut lieu au Madison Square Garden, à New York, en janvier 1905, McGregor constata l’effet que provoquaient des présentations audacieuses ; il dut se rendre compte du caractère modeste de sa propre usine. Il prit part à la petite exposition de la Canada Cycle and Motor Company en février et occupa un deuxième emploi ; parallèlement, la recherche de représentants de commerce et de fabricants de pièces en Ontario progressait lentement. À cette époque, l’Evening Record de Windsor commença à promouvoir cette industrie naissante et McGregor.
En 1906, McGregor soutint consciencieusement Ford, qui fit une incursion dans le domaine des voitures de luxe, mais c’est par la production concomitante du modèle N que l’entreprise renoua avec la volonté de son créateur de produire une « voiture légère [et] à bas prix ». Il y avait des ventes de Vancouver à Fredericton. Envoyé à Walkerville cette année-là pour diriger la production, George Dickert se souviendrait de McGregor comme d’un homme affable, persuasif, qui était déterminé et disposé pour la « vente ». L’atmosphère qui régnait à Walkerville paraissait banale aux visiteurs, mais les premiers jalons de l’industrie automobile s’y posaient. La production grimpa à 327 véhicules en 1907. Cette année-là, à l’Industrial Exhibition de Toronto (qui devint plus tard l’Exposition nationale canadienne), McGregor exposa ses produits pour la première fois séparément de la Canada Cycle and Motor Company, dont Thomas Alexander Russell* avait pris le contrôle pour créer une automobile entièrement canadienne. McGregor comprit que son entreprise avait une double identité : elle était présentée comme une société canadienne au sein du dominion, tandis qu’aux États-Unis et dans certains territoires britanniques, où les consuls américains s’avéraient de grands promoteurs, l’affiliation avec Detroit était mise en valeur. Lorsqu’il commença ses exportations en 1906 vers l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Natal (Afrique du Sud), il eut recours aux expéditeurs de la société Ford de Detroit.
Dès 1907–1908, l’initiative de McGregor porta fruit. Son salaire augmenta, il racheta des actions d’investisseurs nerveux, les paiements dus à l’ancienne entreprise de fabrication de chariots furent respectés et il s’aventura plus avant dans la vie publique. Avec d’autres personnes, il tenta en 1906 de raviver le défunt Bureau de commerce de Windsor ; en 1908, il fut président du conseil formé dans le but de bâtir l’église First Presbyterian de Walkerville. Facteur des plus satisfaisants, l’industrie automobile progressait vers la maturité, comme en témoignait l’émergence de revues spécialisées et d’organisateurs d’expositions, notamment Robert Miller Jaffray. McGregor, qui voyait les régions du Canada accueillir l’automobile de différentes façons, était très troublé par la tendance des provinces et des municipalités à en réglementer l’usage. À l’instar de ses essayeurs, au milieu des émanations et des bruits désagréables, il aimait conduire vite. En 1908, il s’unit à d’autres constructeurs d’automobiles et à des dirigeants de la nouvelle Ontario Motor League – peut-être le plus ancien groupe de pression de cette nature au Canada – pour demander à un comité de l’Assemblée législative de réduire les multiples modifications aux règlements. Leurs craintes n’étaient pas fondées : les contrôles étaient régulièrement enfreints et la population vint à s’accommoder de cette « voiture du diable ». De plus, la réglementation tendait à stimuler les appels en faveur de meilleures routes, mouvement que soutint McGregor. À la fin de septembre, il déclara des profits annuels de plus de 18 500 $.
Le très utilitaire modèle T, annoncé par Ford Canada cet automne-là, ferait la réputation de McGregor et révolutionnerait les transports au Canada en réduisant considérablement temps et distances. Les spécifications commencèrent à arriver en février 1909 et les châssis, en mars ; dès le début, des carrosseries et d’autres pièces fabriquées au Canada entrèrent dans l’assemblage. Entre août 1909 et janvier 1910, de concert avec Ford Detroit qui développait ses propres marchés extérieurs, McGregor se rendit en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Inde et au Ceylan (Sri Lanka) pour y consolider ses réseaux. Au pays, les « Border Cities » ou villes frontière (Windsor, Walkerville, Sandwich et Ojibway) commencèrent à prospérer en tant que centre canadien de fabrication de véhicules et de pièces d’automobiles. En 1910, puis en 1911–1912, McGregor entreprit de construire de nouvelles installations en utilisant du béton armé, récente percée technologique ; les vastes machines-outils essentielles à la production en série suivirent ; le premier « convoyeur électrique » apparut autour de 1911. Durant le reste de sa carrière, McGregor prendrait part à de multiples changements structurels et mécaniques. Au cours de la forte augmentation de production, qui passa de 1 280 véhicules en 1910 à 6 388 en 1912, sa compagnie fut reconstituée en société à charte fédérale.
Une photographie de McGregor portant des lunettes, prise à cette époque à Detroit, témoigne de son opulence. En 1910, il acheta un terrain pour un chalet à proximité de Kingsville, refuge estival sur le lac Érié. L’année suivante, avec des voisins, il fit pression auprès des autorités de cette ville afin de faire annexer leur secteur et ainsi de l’approvisionner en eau et d’avoir accès à un service de protection contre les incendies. Ambitieux sur le plan social, il était membre du Oak Ridge Golf Club, qui fut constitué sous le nom d’Essex Golf and Country Club Limited en 1910. Le débat sur la réciprocité et les élections de 1911 mirent ses convictions politiques à l’épreuve. Conscient du rôle que jouaient les tarifs douaniers dans le développement de l’industrie, le Bureau de commerce de Walkerville prit position contre la réciprocité, tout comme certains constructeurs d’automobiles d’allégeance libérale tels que Russell et Robert McLaughlin, d’Oshawa. McGregor, en revanche, estimait qu’il s’agissait là de la « meilleure proposition » jamais offerte au Canada. C’était une position partisane qu’il pouvait se permettre d’adopter : les tarifs douaniers sur les automobiles seraient peu réduits et ses marchés ne seraient pas menacés. Lorsque le premier ministre sir Wilfrid Laurier* visita la région en septembre, McGregor fit fièrement office de chauffeur pour ce dernier à l’occasion d’un défilé et prit place sur l’estrade pendant les discours qui suivirent. Malgré la défaite des libéraux, il en vint à maîtriser la politique de couloir (avec une influence qui s’exerçait jusqu’à la Chambre des communes) et il gagna en prestige. Il acheta une demeure majestueuse à Windsor en 1912, quelques édifices commerciaux et une propriété en vue d’installer une concession de modèles Ford.
Le réel défi de l’entreprise de McGregor était la nécessité de créer un réseau de distribution national afin d’absorber le nombre sans cesse croissant de nouvelles automobiles Ford (11 584 en 1912–1913). McGregor confia cette tâche à Augustin Neil Lawrence, jeune et brillant directeur des ventes qui, après consultation avec McGregor et le directeur adjoint, Wallace Ronald Campbell, mit au point une « formule de vente organisée ». Des représentants parcouraient en voiture chaque recoin rural et urbain du pays, notant méthodiquement les conditions économiques et physiques des lieux, puis calculant des objectifs de ventes et de recrutement de concessionnaires. Dans le contexte de ce tour de force de mise en marché, la publicité fut remaniée (de façon considérablement différente de celle de Ford Detroit sous certains aspects) et, en 1913, le dynamique Ford Sales Bulletin (destiné aux concessionnaires) et l’édition canadienne du Ford Times furent créés.
La production en chaîne toujours plus rapide, fondement de l’approche adoptée par Ford Canada pour atteindre ses objectifs et exécuter les commandes, suscita un fort roulement du personnel et de nouvelles exigences en matière de relations du travail. De façon traditionnelle, McGregor donnait son appui aux clubs et aux équipes sportives d’employés. Devant une pénurie de logement, il demanda au conseil de ville en 1912 l’autorisation d’héberger ses employés dans des tentes. Un autre événement éprouva l’empressement de McGregor envers son entreprise en avril 1913 lorsque, malgré son opposition, Arsas Drouillard obtint un permis pour ouvrir une taverne à proximité de la sortie de l’usine Ford. Ne voulant pas céder, McGregor fit en sorte que le permis soit refusé grâce au veto opposé par le secrétaire provincial, William John Hanna*, qui était également l’un des administrateurs de l’Imperial Oil Company Limited, fournisseur de Ford Canada. En mai, McGregor s’engagea avec confiance dans un litige entourant les actions qui lui avaient été promises en 1904, cause qui serait portée devant le comité judiciaire du Conseil privé, en Angleterre. Dans un article de l’Evening Record relatant son témoignage initial, on soulignait sa lutte des premiers jours et sa « persévérance » virile ; c’était le début d’une légende.
McGregor commençait à être connu sur la scène nationale. En septembre 1913, il assista à l’assemblée annuelle de l’Association des manufacturiers canadiens, à Halifax. Des revues spécialisées dans les domaines de la fonderie et de la machinerie témoignèrent de ses réalisations, mais jusqu’après la guerre, la presse quotidienne lui accorda peu d’attention. La version américaine du Ford Times faisait état de ses marchés – qui présentaient un intérêt exotique –, mais, à la manière de la « famille Ford », l’usine de McGregor y était intégrée à l’entreprise américaine. Ce dernier était l’objet de poèmes et de caricatures dans le Ford Times, de belle façon d’ailleurs, mais jamais dans la version canadienne de cette publication, où il était de mise d’honorer Henry Ford et ses principes simples. À l’échelle locale, McGregor continua de se faire connaître. Il donna son appui à l’éphémère Ontario Border Development Bureau en 1913 et il dirigea le projet qui consistait à amener Ontario Hydro à s’installer à Walkerville.
D’une manière qui deviendrait une habitude chez lui, McGregor orchestra soigneusement l’assemblée des actionnaires en octobre 1913. La décevante décision de ne pas verser un dividende, expliqua-t-il avec une feinte gravité, était attribuable à la « situation financière » de la société. L’Evening Record fut amené à laisser entendre que, tout comme en 1904, McGregor se trouvait dans une situation très précaire. En réalité, il avait besoin de liquidités pour instaurer la journée de travail réduite, ramenée à neuf heures, et augmenter les salaires ainsi que les primes déjà en vigueur chez Ford Detroit afin de freiner le roulement de personnel et de parer aux premiers signes de militantisme syndical. Néanmoins, les affaires prospérèrent et, suivant la « politique américaine », l’assemblage final et les coûts furent relayés aux succursales, ce qui réduisit les pressions exercées sur l’usine principale de Ford City, nouvelle municipalité issue de Walkerville. Des concessionnaires furent obligés d’accepter des livraisons hâtives. D’autres pressions semblables s’exercèrent outre-mer ; dans le cas du Honduras britannique (Belize), Lawrence s’en prit vertement au ministère fédéral du Commerce en 1914 (même après le déclenchement de la guerre), auquel il reprochait de ne pas avoir fourni des renseignements appropriés sur les routes et les marchés potentiels. Sur ce fond de scène de croissance – 38 % des voitures immatriculées au Canada en 1914 étaient de fabrication Ford –, McGregor et sa femme eurent le plaisir de participer à des activités sociales, à des parties de golf, à des rassemblements organisés par l’entreprise et de passer leurs vacances dans des lieux de villégiature aux États-Unis. Ils surmontèrent stoïquement la perte d’un jeune fils en janvier 1914.
Dès les premiers mois de la Grande Guerre, McGregor était dans une position pour devenir le pivot de l’effort de guerre du côté civil dans les villes frontière. Au départ, Ford Detroit, en accord avec la neutralité des États-Unis (jusqu’en 1917) et la position de Henry Ford, personnellement opposé au conflit, ne fabriqua pas de matériel de guerre. McGregor emboîta le pas. Plutôt, il reprit le thème « fabriqué au Canada », qui circulait dans le milieu industriel depuis des années, et en fit un brillant outil de mise en marché qui combinait production accrue, contenu canadien croissant du modèle T et patriotisme fervent. Entre les mois d’octobre 1914 et de mars 1915, son usine fut « pratiquement arrêtée », mais ce fut en raison de la construction d’une autre annexe. La culture d’« efficacité » dans les secteurs de la production et des ventes avait une portée morale aussi bien que patriotique. En avril, après discussion avec Ford et le secrétaire délégué de ce dernier, James Joseph Couzens (natif de Chatham, en Ontario), McGregor établit la journée de travail de huit heures rémunérée à 4 $. Ce régime de « partage de profits » était assorti, non pas de formulations en vue de futurs bénéfices, mais de conditions d’admissibilité pour adhérer à des modes de vie exemplaires supervisés par de nouveaux services d’embauche « sociologiques » centralisés. Diverses autorités, particulièrement la National Civic Federation de New York, considérèrent que ce régime constituait une hausse de salaire flagrante.
En juin 1915, les villes frontière furent secouées par la déflagration d’explosifs qui avaient été posés dans un atelier de fabrication d’uniformes. Craignant un sabotage similaire, McGregor ne souffla mot à personne des détectives privés de l’agence Pinkerton dont il retint les services de juillet 1915 à janvier 1916 pour faire enquête sur de « présumées déprédations » observées dans son usine. Il y avait un autre facteur tout aussi épineux : la façon cavalière dont Henry Ford traitait son entreprise canadienne. La promesse non tenue par ce dernier de construire une usine de tracteurs locale laissa McGregor vulnérable à l’appropriation de la marque Ford pour les tracteurs et le poussa à obtenir un avis juridique pour déterminer si son contrat de 1904 l’autorisait à en fabriquer – ce n’était pas le cas. C’est au sujet de la guerre, toutefois, que Ford devint synonyme de cauchemar sur le plan des relations publiques. Ses déclarations malhabiles en irritèrent plus d’un en Ontario. Gêné par cette attitude et menacé de boycottage par des acheteurs municipaux, McGregor, qui ne s’adapterait jamais facilement à la mauvaise publicité, répondit que son entreprise détenue à 78 % par des intérêts canadiens était « absolument en faveur des alliés ». Il persuada Ford de tenir des propos conciliatoires et de faire un don à la Croix-Rouge ; or, Ford n’était pas homme à agir sous la contrainte. « Toutes les menaces de boycottage que brandissent les [hommes] politiques canadiens n’affecteront nullement la demande de la population à l’égard des voitures Ford », déclara-t-il au Globe de Toronto. Heureusement pour McGregor, les réactions à l’idée de Ford d’envoyer un « navire de paix » et à son rêve d’une conférence de paix ne visèrent pas Ford Canada. D’ailleurs, dominée en nombre par le personnel de Ford, la section de Ford City du Fonds patriotique canadien, que McGregor avait aidé à mettre sur pied, comptait parmi ses nombreuses réussites. Ce dernier obtint de la part d’un conseiller municipal qu’il exerce des pressions auprès du bureau de contrôle de Toronto, il offrit une généreuse subvention pour l’agrandissement du club de golf d’Essex, un spectaculaire dividende de 100 % fut déclaré et le comité judiciaire du Conseil privé confirma son droit de réclamer ses actions de Ford, qui valaient alors quelque 200 000 $. En décembre, il s’estima en mesure de se démarquer du manque d’intérêt de la compagnie mère en matière de philanthropie et demanda à Couzens, qui s’était dissocié de Ford d’une vilaine manière en octobre, de venir en aide à l’Essex Health Association ; celle-ci avait besoin d’argent pour son sanatorium. Couzens refusa carrément.
En février 1916, McGregor se rendit à Ottawa pour s’entretenir avec des hauts fonctionnaires au sujet du budget fédéral, plus particulièrement du projet de taxer les profits d’affaires excédentaires. D’abord en faveur de la proposition (le fait de s’y conformer donnait une bonne image), il en vint à détester cette taxe avec intensité et cupidité. La congestion des services ferroviaires au Canada attribuable à la guerre, tandis que son entreprise cherchait à assurer le transport de 18 771 autos en 1915 et de 32 646 en 1916, posa un problème plus grave. Fait étonnant, McGregor ne fit pas marche arrière. La production fut portée à de nouveaux sommets ; en 1917, Ford fut le seul exportateur de voitures du Canada. Des ciné-actualités et des documentaires touristiques commandités par la compagnie (dont bon nombre montraient des modèles T dans diverses contrées de l’Empire britannique) eurent pour effet de placer Ford dans la culture des films populaires partout au Canada et de proclamer Windsor plaque tournante de l’industrie automobile. Dans une réclame inhabituelle publiée dans le Canadian Motorist de Toronto en 1916, l’accent était mis sur « McGregor de Ford ». En 1917, son bureau prendrait en charge toutes les publicités des concessionnaires dans la presse.
Les activités industrielles de McGregor l’empêchèrent de prendre part à guerre, mais il soutint totalement la carrière militaire de son frère Walter Leishman qui, en 1916, devint lieutenant-colonel du 241st Infantry Battalion (Canadian Scottish Borderers), unité à laquelle la famille voulait fournir le tartan des McGregor. Sa participation accrue dans le milieu municipal le contraignait également. En 1916, il fut élu membre de la nouvelle Essex Border Utilities Commission pour représenter Ford City ; cette commission avait été autorisée en vertu d’une loi provinciale à créer un réseau régional d’aqueduc et d’égouts. L’année suivante, il en devint le président. Presque aussitôt, l’esprit commun en faveur de cette cause s’effrita en raison des intérêts divergents des commissions municipales et des conseillers en place irrités par la vision régionale, la répartition des coûts et l’approche de McGregor inspirée du monde des affaires. Une forme d’appui vint de la Chambre de commerce des villes frontière, constituée en janvier à partir du Bureau de commerce de Windsor. McGregor devint administrateur en mars et fut nommé au comité responsable des relations du travail.
Ces initiatives et querelles municipales s’estompèrent devant les tristes nouvelles de guerre et la libre expansion des manufacturiers à l’échelle locale, notamment l’arrivée d’autres succursales telles que la Champion Spark Plug Company of Canada Limited. Des reportages sur la Russie à l’heure de la révolution avivèrent la crainte à l’égard du bolchevisme et intensifièrent l’antagonisme envers les travailleurs européens, préoccupations partagées par Ford Canada. À l’automne de 1917, une autre phase de souscription nationale pour la guerre, en l’occurrence les emprunts de la Victoire, amena McGregor à contribuer d’une nouvelle manière. Il constituait le choix naturel pour mener la campagne dans Essex : il disposait des relations, avait le sens de l’organisation et pouvait compter sur des ressources de l’entreprise. Des comptables de Ford s’occupèrent des finances, des équipes de tournage de McGregor furent dépêchées partout et l’on s’attendait à une contribution de la part des employés. La campagne de souscription comporta des rassemblements populaires, des feux d’artifice, la participation du Marine Band de John Philip Sousa, en provenance des États-Unis, ainsi que des spectacles de variétés ; les objectifs furent constamment revus à la hausse. McGregor amassa 4 915 000 $, somme qui ne fut dépassée que dans les villes de Toronto, Hamilton, Ottawa et London.
Cette campagne fortement acclamée ajouta au prestige de McGregor à l’échelle municipale. Au sein de l’Essex Border Utilities Commission, au début de 1918, il fit avancer le débat lentement, en partie par le fait qu’il souligna la pollution découverte par la Commission mixte internationale. Ses actifs personnels furent raffermis par l’achat et la réorganisation, avec d’autres personnes, de la National Spring and Wire Company, qui fabriquait des clôtures et des sièges pour les usines Ford. En avril, au sujet de l’adoption par le fédéral d’une loi concernant l’heure avancée, de multiples usines, groupes de travailleurs et conseils municipaux appuyèrent Ford Canada dans sa résistance, mais lorsque McGregor, dont les idées avaient beaucoup de poids, changea inexplicablement son fusil d’épaule, tous lui emboîtèrent le pas. En juillet, le gouverneur général, le duc de Devonshire, s’émerveilla devant son usine, comme tous les visiteurs le faisaient.
Cherchant des retombées possibles au Canada, McGregor observait les répercussions de la guerre sur l’industrie automobile aux États-Unis. En 1917, la puissante Chambre de commerce nationale de l’automobile avait résisté aux tentatives destinées à réduire la production d’automobiles et l’approvisionnement en acier. Inquiet à l’idée que le gouvernement du Canada allait imposer des restrictions, McGregor réunit en janvier 1918, dans un but de « coopération », 34 producteurs d’automobiles, de pièces et de pneus afin de créer l’Automotive Industries of Canada, dont il devint le premier président. Cet organisme était une pâle imitation de la Chambre de commerce nationale de l’automobile. Certains efforts furent déployés en vue d’annuler des salons d’automobiles (sauf dans le cas de l’Exposition nationale canadienne) comme moyen d’entrave. McGregor pouvait être plus efficace en comptant sur ses propres ressources. En février, il réussit à convaincre la nouvelle Commission du commerce en temps de guerre, à Ottawa, de renoncer à une taxe s’appliquant à toutes les automobiles et d’adopter plutôt, en juin, une taxe sur les produits importés seulement et de sonner l’arrêt des importations de biens de luxe. Pour ce qui est de l’acier, ce sont les sociétés canadiennes Ford, Chalmers et Studebaker, installées dans les villes frontière, ainsi que les succursales d’autres industries lourdes qui persuadèrent le War Industries Board des États-Unis de lever l’embargo sur les exportations. L’approvisionnement en acier demeura toutefois limité et la production de Ford Canada chuta. Malgré tout, les revenus de l’entreprise furent stimulés par le démarrage de la fabrication de camions, la vente de tracteurs Fordson et de pièces et, de concert avec Ford Detroit, en février, l’augmentation du prix des modèles T, qui suscita de l’anxiété chez les consommateurs.
Ce que McGregor ne pouvait pas pleinement maîtriser, c’était les revirements des travailleurs de l’automobile. La chambre de commerce, dont il devint vice-président et sur laquelle d’autres administrateurs de Ford avaient la mainmise, pouvait aborder des questions récurrentes, telles que l’imposition transfrontalière des travailleurs qui faisaient la navette et gagner la faveur de la population en s’en prenant aux immigrants. Dans les usines d’automobiles, la diminution du travail imputable à la pénurie de matières premières causa des ennuis ; à la même époque, les gouvernements des deux pays levèrent leurs restrictions touchant les activités syndicales. Dans les villes frontière, avant l’ère des syndicats durables des travailleurs de l’automobile, c’était l’Association internationale des machinistes qui était la plus présente. Le 28 juin 1918, une délégation défila dans le bureau de McGregor et, enhardie par une campagne d’adhésion, des grèves déclenchées à Toronto et à Detroit, ainsi que des augmentations de salaire obtenues à Detroit, elle présenta une pétition pour exiger un salaire de 5 $ par journée de huit heures de travail. Le mécontentement s’exprima aussi, auquel s’ajouta l’appui des employés revenant de la guerre, quant à l’embauche d’Européens chez Ford, malgré le fait que peu d’entre eux auraient accepté de travailler dans les usines de traitement thermique, où les conditions étaient à peine tolérables. Lorsque McGregor mit ses travailleurs en lock-out le 6 juillet, les deux parties s’empressèrent de gagner l’appui du ministre du Travail fédéral, Thomas Wilson Crothers. L’Association internationale des machinistes affirmait, à juste titre, que le lock-out était illégal et que McGregor, contrairement à ce qu’il avait professé et alors qu’il ne voulait pas produire du matériel de guerre au Canada, avait fait des pièces pour les chars et les navires de guerre fabriqués par Ford Detroit. Ottawa, toutefois, refusa de reconnaître que cet incident cachait plus que des mises à pied. Le 12 août, McGregor, non sans calcul, capitula ; la plupart des gens soupçonnèrent qu’il avait gardé comme atout la hausse de salaire consentie par Detroit.
L’image publique de McGregor n’aurait pu être plus éclatante : à son club de golf (où il fut président en 1917–1918), dans le débat au sujet du réseau d’aqueduc et d’égouts, à titre de responsable de la création d’une section destinée aux manufacturiers au sein de la chambre de commerce et, en septembre 1918 à Toronto, à l’occasion de l’assemblée annuelle de l’Automotive Industries of Canada. On porta peu attention aux plaintes du Canadian Motorist au sujet de ses démarches en vue d’annuler les salons de l’auto pendant la guerre, qui touchait à sa fin de toute façon, et aux critiques exprimées dans la presse quant au revirement de Ford en matière de prix. Après le lock-out, McGregor s’affaira à rétablir la place de Ford dans l’effort de guerre. Parmi les films tournés par Ford que faisait circuler le ministère du Commerce, l’un était consacré à la Commission canadienne du ravitaillement ; y étaient amalgamées des images illustrant le mouvement Greater Production, la Border Manufacturers’ Farmers Association, les tracteurs Fordson et des routes en bon état.
Pour la campagne des emprunts de la Victoire qui se déroula en octobre et novembre, McGregor imagina de nouveau un programme fortement empreint de théâtralité. Les récits qu’on fit de son annonce de l’armistice, au bureau de la campagne, après laquelle il sauta sur une chaise afin de diriger la foule pour le chant Praise God from whom all blessings flow, évoquèrent une scène émouvante. Une épidémie de grippe ne fit que temporairement obstacle à la campagne et il s’écoulerait un certain temps avant que les preuves de défaut de paiement et de détournement de fonds par un comptable de Ford ne fassent surface. Pendant l’après-guerre, McGregor dut surmonter des problèmes plus graves. L’Essex Border Utilities Commission tout comme la chambre de commerce se heurtaient continuellement à de l’opposition. En janvier 1919, la ville de Windsor se retrouva avec quatre conseillers favorables au milieu syndical, dont Archibald Hooper, machiniste du domaine ferroviaire et porte-parole batailleur de l’Association internationale des machinistes, qui reprocha à la chambre de commerce sa promotion de la région qui ne garantissait ni logement ni emplois. McGregor et l’Essex Border Utilities Commission s’attiraient ses foudres. La querelle s’intensifia lorsque des projets techniques divergents furent discutés, mais les résultats de scrutins portant sur des règlements administratifs connexes laissent supposer que la population attacha peu d’importance à ce dossier. La commission, toutefois, avait l’appui de l’Ontario Railway and Municipal Board et, en juillet, la province élargit les pouvoirs de l’Essex Border Utilities Commission pour qu’elle englobe la fonction de bureau de santé régional.
Quand Ford Canada s’enfonça dans le marasme d’après-guerre qui frappa toute l’industrie, McGregor, passé maître dans la façon de présenter les choses en affaires, demeura optimiste. Une augmentation de salaire en mai et la création, sur son initiative, d’un fonds affecté au bien-être et au logement des employés, en septembre, évitèrent des actions de l’Association internationale des machinistes. McGregor avait été réélu à la barre de l’Automotive Industries of Canada, organisme où il s’entendait bien avec le vice-président, Robert Samuel McLaughlin*, lui-même de General Motors of Canada, qui gagna du terrain par rapport à Ford grâce à son usine de fabrication lourde de Walkerville. En octobre, Ford Canada réagit en faisant l’acquisition de la Dominion Forge and Stamping Company Limited, fournisseur important. Le mois précédent, McGregor s’était rendu à Ottawa pour représenter, avec d’autres, les employeurs à la Conférence industrielle nationale des gouvernements fédéral et provinciaux, mais il ne considéra pas cet événement comme important. Le milieu syndical fit des éloges à l’endroit de Henry Ford, non des critiques. McGregor s’empressa de rédiger des déclarations sur le partage de profits, affirma que l’industrie avait fait sa part pour améliorer les conditions de vie et se plaignit des difficultés qu’il éprouvait avec la main-d’œuvre en Australie.
McGregor fut invité à diriger la dernière campagne pour les emprunts de la Victoire en octobre et en novembre 1919, ce qui était prévisible, mais il se fit excuser. S’il prétendit être occupé par ses affaires, qui englobaient maintenant une compagnie hôtelière, il savait que l’enthousiasme patriotique avait cédé la place à l’inquiétude suscitée par le coût de la vie et la chute des dons de charité : il avait essayé, sans succès, d’organiser une campagne en faveur du financement d’un hôpital pour l’Armée du salut. En revanche, toujours emballé à l’idée d’accueillir l’aristocratie, il s’occupa d’organiser les activités sociales entourant la visite du prince de Galles en octobre, ce qui englobait la délicate tâche de réduire les listes d’invités. À l’occasion d’élections rapprochées, au provincial en octobre 1919 et au municipal en janvier 1920, il joua un rôle dynamique sur la scène politique, mais il ne se porta jamais candidat, sauf pour l’Essex Border Utilities Commission. Grâce à l’appui de son cercle d’influence, le candidat libéral de Windsor (et ancien pasteur de McGregor) résista au balayage des Fermiers unis de l’Ontario. McGregor déclina l’invitation de se présenter à la mairie de Windsor, mais accepta avec empressement d’agir comme président de la nouvelle Municipal Electors’ Association, qui cristallisa un moment le désir des gens d’affaires de réformer la politique municipale d’après des expériences tentées aux États-Unis. Les conseillers municipaux de Windsor issus du milieu syndical étaient contrariés par ce défi lancé de façon impétueuse et non démocratique ; on aurait dit Ford lui-même en pleine campagne électorale. McGregor prit l’initiative de nommer des candidats aux postes de conseillers municipaux ; pour les commissions sur l’eau, il voulait des postulants favorables à sa cause. Le dossier concernant les égouts pourrait être épineux. Au cours d’une réunion qu’il présida le 30 décembre dans une école juive, le candidat Charles Robert Tuson (ancien maire et adversaire dans le dossier du réseau d’égouts) fut assailli par l’accusation d’avoir établi des restrictions concernant la vente de propriétés à des Juifs. En 1920, McGregor fut reconduit au poste de président de l’Essex Border Utilities Commission. En mars, il largua une « bombe » dans les rangs de cet organisme lorsqu’il en recruta le secrétaire pour le placer au poste de directeur de la publicité de Ford Canada. Il accrut son effort de philanthropie dans la campagne menée par sa femme pour reconstruire le sanatorium de l’Essex Health Association.
Cet automne-là, l’équipe de McGregor se présenta en force à l’Exposition nationale canadienne, accompagnée de Henry Ford et de son secrétaire, Ernest Gustav Liebold. Ford Canada ne souffrit pas autant que la compagnie mère du marasme économique du début des années 1920, mais McGregor dut tout de même se montrer prudent, pour ne pas dire manipulateur. En 1919, puis de nouveau l’année suivante, il repoussa des projets d’expansion ; en public, il en imputa la cause au fardeau fiscal fédéral. En parallèle, il prit des mesures comptables pour mettre à l’abri des regards indiscrets, au gouvernement et dans les milieux syndicaux, les véritables soldes de caisse de son entreprise ; il demanda à son responsable du transport de mettre en question les tarifs ferroviaires et, plus tard, il prit probablement part à une entente intervenue entre les constructeurs de voitures canadiens et américains en vue de bloquer l’exportation d’automobiles fabriquées au Canada, sauf celles de Ford. En 1920, il surmonta diverses épreuves personnelles. Sa mère et l’une de ses sœurs moururent et, en novembre, après avoir participé à une réunion des administrateurs de la Banque des marchands du Canada, à Montréal, il fut opéré pour une appendicite, semble-t-il.
Pendant que McGregor se rétablissait, les auditions de la commission fédérale sur les tarifs rouvrirent le débat quant aux prix pratiqués par Ford Canada. Sur son autorisation, le 30 novembre, le directeur adjoint Wallace Ronald Campbell prit la parole pour réfuter les allégations selon lesquelles Ford profitait du protectionnisme pour maintenir des prix qui dépassaient le coût des automobiles Ford aux États-Unis. La production à plus petite échelle entraînait des coûts différents, affirma-t-il, mais cet argument fut contrebalancé par le témoignage d’autres dirigeants du secteur automobile et de représentants de groupes d’agriculteurs. Sur le plan politique, la position de Ford n’amena personne à changer d’opinion et, pour ce qui est des perceptions à son égard, d’autres préjugés circulaient peut-être. Hors du contexte de la commission, les villes frontière avaient peine à expliquer leur affinité avec Detroit : « Il semblerait presque que nous vivons ici dans un petit royaume à part et, dans une certaine mesure, isolés et loin du monde extérieur », conjectura le commissaire industriel F. Maclure Sclanders dans la publication Canadian Machinery and Manufacturing News de Toronto.
McGregor, affaibli, retourna à Windsor en janvier 1921, où il constata que la politique entourant les services publics s’était embrasée et que la chambre de commerce tout comme ses propres interventions « dictatoriales » étaient l’objet d’autres attaques. On ne sait trop comment il réagit, mais Archibald Hooper, qui avait dirigé la campagne menée par la ville de Windsor pour se retirer de l’Essex Border Utilities Commission, perdit mystérieusement son emploi dans le domaine ferroviaire et Queen’s Park rejeta la demande de cette municipalité. Après quelques efforts de conciliation, McGregor, sur recommandation de son médecin, démissionna de l’Essex Border Utilities Commission en mars. Pendant près de cinq ans, il avait promu un programme, unique en Ontario, concernant les importants mais ternes dossiers de la planification régionale. Les soucis d’affaires l’accablaient tout autant. Lorsque McGregor n’était pas occupé à répondre à des demandes banales de Henry Ford – les renseignements qu’il obtint alors sur les opérations bancaires relatives aux actifs personnels de Ford au Canada jetèrent également la lumière sur l’emploi stratégique des banques par Ford Canada –, il devait régler des problèmes du côté de l’entreprise. Il autorisa une campagne publicitaire pour contrer la concurrence de General Motors et la résistance de l’entreprise vis-à-vis des mesures prises par les concessionnaires concernant les remboursements de taxes d’accise et les réductions de prix des pneus, résultat de pressions exercées par Ford sur les fournisseurs. En avril, il commença à perdre des employés clés à cause de l’économie, des purges effectuées par Henry Ford et d’un possible déplacement de l’équilibre des pouvoirs entre McGregor et Campbell, que Ford avait tenté d’attirer à Detroit.
Ce printemps-là, McGregor passa du temps dans un lieu de villégiature en Virginie occidentale, puis à son chalet. Sur une photographie prise à cette époque, il tient une canne, montre des signes d’embonpoint, mais est tiré à quatre épingles, comme toujours. De retour chez lui, il fit partie de comités associés à l’aménagement d’un club de golf public et au sanatorium de l’Essex Health Association. À l’automne, il s’acquitta d’autres tâches pour Henry Ford. Il s’occupa de ses intérêts dans l’hydroélectricité ontarienne et les trains, et, devant le risque de poursuites en justice, il mit les dividendes et salaires canadiens de Ford à l’abri d’une imposition locale. De plus, il donna son appui à l’antisémitisme exprimé dans le Dearborn Independent, fit distribuer par son personnel des extraits de cette publication diffusée par Ford en 1920–1921 sous le titre The international Jew : the world’s foremost problem et tint Liebold au courant des activités de la communauté juive à Windsor. Il ne fut pas le seul à avoir fermé les yeux sur une telle attitude : l’Union chrétienne de tempérance des femmes, entre autres, reproduisit dans son bulletin des textes contre les Juifs tirés du Dearborn Independent.
Vers la fin de 1921, l’attention de McGregor fut de nouveau détournée par la question des prix. Malgré les coupures de prix effectuées par son entreprise en septembre et la reprise de la demande, la question fut soulevée par William Edgar Raney*, homme à l’esprit batailleur et procureur général de l’Ontario. Au cours de sa campagne, qui précéda les élections fédérales de décembre, Raney apporta personnellement tout son soutien aux progressistes et à leur programme agraire, antiprotectionniste. Dans un discours qu’il prononça le 18 novembre, il s’en prit aux tarifs s’appliquant aux automobiles, aux prix élevés et à la complicité présumée de Ford Canada. Ses propos se répandirent rapidement dans les journaux canadiens. Incapable de résister, McGregor se lança dans les campagnes menées dans Essex North et Essex South, tâche imposante pour un homme en mauvaise santé. Ses railleries caractéristiques amusaient les auditoires, qui restaient par ailleurs figés devant ses exposés économiques alambiqués. Les libéraux gagnèrent avec de très fortes majorités.
McGregor parvint encore à assumer une lourde charge de travail ; notamment, il s’occupa de la planification complexe d’un important projet d’agrandissement de l’usine. En janvier 1922, Ford Canada annonça la reprise de la production à temps plein et le lancement de sa « plus vaste campagne de vente de tous les temps » pour promouvoir ses coupés et ses berlines, voitures à habitacle fermé – l’entreprise n’avait jamais considéré que le modèle T était immuable. À la suite de réunions tenues à Montréal au sujet de la prise de contrôle de la Banque des marchands, McGregor s’acquitta d’autres menues tâches à la demande de Ford et de Liebold. Le Border Cities Star, successeur de l’Evening Record, avait longtemps accordé à McGregor une place de choix dans la « Motoropolis », même si la réputation qu’il lui faisait ne cadrait pas toujours avec l’opinion de consommateurs, de radicaux du milieu agraire, d’éditeurs de revues syndicales et de dirigeants subalternes du secteur automobile ayant leurs propres points de vue. En janvier 1922, par exemple, la femme d’un plombier de Walkerville adressa à Henry Ford une lettre virulente dans laquelle elle expliquait vouloir désespérément se procurer une voiture d’occasion Ford, mais être indignée par leur prix exorbitant et les profits excessifs de « millionnaires » tels que McGregor. Le 4 mars, McGregor se rendit pour la dernière fois à son bureau, décoré de bois de chêne. Comme il ne se sentait pas bien, il passa des radiographies et fut envoyé à l’hôpital Royal Victoria de Montréal, où il mourut.
Le Border Cities Star annonça le décès de Gordon Morton McGregor en manchette, avec des caractères d’une taille peu usitée, même pendant la guerre. Le décès fut attribué à des troubles intestinaux découlant d’une vieille blessure subie dans un accident de train. La famille crut qu’il s’agissait d’un cancer ; les résultats d’un examen pathologique laissent supposer un trouble rare des vaisseaux sanguins. L’élite du monde de l’automobile assista aux gigantesques funérailles de McGregor, qui fut littéralement canonisé dans le Border Cities Star. Une large part de sa succession, évaluée à plus de 1 235 500 $, fut transmise à sa veuve, dont le retrait de la vie sociale prit fin lorsqu’elle revint s’affairer à la rénovation de l’église St Andrew, à Windsor, projet qu’elle et Gordon avaient envisagé. Comme il fallait s’y attendre, Ford Canada fut considéré comme l’« œuvre maîtresse » de McGregor. Campbell prit la direction des affaires pour mener à terme le projet d’agrandissement destiné à surmonter la « concurrence » nuisible de la compagnie mère. Entre avril et juin 1922, le Border Cities Star publia une série d’articles sur l’impact des activités de Ford Canada à l’échelle régionale et nationale, sorte de résumé, si l’on en juge par le choix du moment, de l’héritage laissé par McGregor. Au milieu de cette série d’articles, un portrait particulièrement élogieux l’éleva au rang de véritable emblème. En cherchant un moyen de transport rapide pour rendre le pays accessible, « Henry Ford [avait] réglé le problème pour le monde entier. Feu Gordon McGregor l’[avait] réglé pour le Canada. » Même si l’on tient compte du modeste apport de l’entreprise de McGregor sur le plan technologique et du travail essentiel accompli par ses chefs de service, cette affirmation présente une part de vérité si l’on établit un rapprochement entre l’homme et ses voitures.
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David Roberts, « McGREGOR, GORDON MORTON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mcgregor_gordon_morton_15F.html.
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Auteur de l'article: | David Roberts |
Titre de l'article: | McGREGOR, GORDON MORTON |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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