LESTER, BENJAMIN, fonctionnaire, agent commercial et homme d’affaires, né le 13 juillet 1724 à Poole, Angleterre, quatrième fils de Francis Lester, marchand et tonnelier de Poole, et de Rachel Taverner, fille de William Taverner* ; vers 1750, il épousa à Trinity, Terre-Neuve, sa cousine Susannah Taverner, fille de Jacob Taverner, de Trinity ; décédé le 25 janvier 1802 à Poole, il laissa un fils et trois filles.

Le père de Benjamin Lester avait été maire de Poole en 1716. Dans les années 1730, il possédait au moins un navire affecté au commerce de Terre-Neuve, et se consacrait apparemment à des transactions relatives à l’huile. Benjamin Lester se rendit lui-même à Terre-Neuve vers 1737, de toute évidence comme employé de John Masters et de son associé irlandais Michael Ballard. Masters était un marchand éminent faisant affaire entre Poole et Terre-Neuve, qui avait épousé une autre fille de William Taverner. La mort du père de Benjamin, en 1737, avait présumément obligé celui-ci de prendre en main sa propre carrière, et sa jeunesse tout autant que le manque probable de capitaux se traduisirent pour lui par son incapacité à se mettre à son compte dans le secteur de la pêche. En 1749, il fut nommé juge de paix à Trinity, et, en 1750, il travaillait comme agent de Ballard pour l’approvisionnement de la garnison de Trinity.

Masters et Ballard moururent en 1755 et 1756 respectivement, et Lester par la suite s’imposa comme marchand à son propre compte. Il finit par acquérir une part substantielle des pêches terre-neuviennes, en société avec son frère aîné Isaac. Ce dernier, qui avait apparemment hérité de la tonnellerie de son père, demeura à Poole. Il y était bien placé pour veiller au côté britannique de leur entreprise, recrutant la main-d’œuvre et procurant les navires et les fournitures nécessaires à la pêche. Jusqu’à son départ de Terre-Neuve en 1776, Benjamin Lester passa normalement les saisons de pêche à Trinity où il construisit une grande maison de brique. Son commerce, dont le siège était à Trinity, s’étendait aux baies de la Trinité et Bonavista, et jusqu’à Fogo, de même qu’aux pêches sur le Grand-Banc. Il avait des postes à Scilly Cove (Winterton), Tickle Harbour (Bellevue) et Bonavista. Lester eut de même des exploitations sur la côte du Labrador à partir de 1767 et, en 1778, il fut le premier à recourir à des chaloupes pour y pêcher le phoque en mer, de façon à tirer pleinement parti de la saison de pêche du printemps. Dans les années 1770, il possédait au moins 12 navires, et, en 1793, sa flotte en comptait près de 30 – probablement la plus considérable alors possédée par un marchand de Poole. Il construisit beaucoup de ses navires à Trinity et, en 1790, il y fit construire deux vaisseaux de sixième rang pour la marine royale.

C’est à Lester qu’incomba la responsabilité de rendre Trinity aux Français lors de l’attaque contre Terre-Neuve, commandée par Charles-Henri-Louis d’Arsac* de Ternay, en 1762. Critiqué par certains habitants, qui avaient à tout le moins parlé de résister, il dut renoncer à sa commission de juge de paix à la demande du gouverneur Thomas Graves, mais il fut peu après disculpé de toute accusation de collaboration. On doit dire, à sa défense, que sa conduite pendant l’occupation réduisit sans aucun doute au minimun ses propres pertes, mais aussi celles de la communauté en général.

Il ne semble pas que le commerce de Lester ait grandement souffert au cours de la guerre d’Indépendance américaine, malgré la difficulté d’approvisionner Terre-Neuve et malgré les déprédations des corsaires américains au large des côtes. Durant les années de rapide expansion de la décennie 1780, Lester connut une grande prospérité. En 1787, ses 8 morutiers, avec à leur bord 87 hommes, prirent 9 000 quintaux de morue. Pendant la saison de 1789, Lester expédia en Europe 50 087 quintaux de poisson nouveau, 2 469 quintaux de poisson de l’année précédente – soit près de 7 p. cent de tout le poisson pris à Terre-Neuve cette année-là – en plus d’expédier 1 183 tierçons de saumon. En outre, il vendit aux Antilles près de 4 000 quintaux de poisson de l’année précédente. Plus que la guerre d’Indépendance américaine, les guerres de la Révolution française constituèrent une sérieuse menace pour ses intérêts économiques. Il perdit sept de ses navires, de 1795 à 1798, et souffrit de la fermeture du marché italien et de la baisse des marchés espagnol et portugais, mais son entreprise put survivre à ces difficultés. En 1800, à Poole, on évalua à £3 000 les droits qu’il dut payer sur ses importations et exportations – de loin le montant le plus élevé pour un marchand de cette ville – et, en 1801, ses postes de l’île Venison et d’autres endroits prirent 2 900 des 8 084 phoques pêchés au Labrador cette année-là.

Les relations de Lester avec d’autres marchands de Poole établis dans la région de Trinity et commerçant sur le même territoire, connurent des hauts et des bas. Ses rapports paraissent avoir été amicaux au départ avec Samuel White, Joseph White et Peter Jolliffe. Mais, à la fin des années 1760, Lester se querella sur des questions d’affaires avec Richard Waterman, de Trinity, et Jeremiah Coghlan*, de Fogo. Environ une décennie plus tard, il devint l’adversaire de John Jeffrey, de Poole, qui hérita de l’entreprise des White, mais ses relations avec Thomas Street, quelque temps associé de Jeffrey, furent généralement bonnes. En 1776, il eut une dispute avec John Slade*, de Twillingate, quand ce dernier engagea des hommes qui s’étaient déjà mis au service de Lester.

En 1773, Lester était devenu le porte-parole des marchands de Poole engagés dans le commerce à Terre-Neuve, au cours de leurs discussions avec le gouvernement. C’est lui qui fit valoir leur opposition à l’établissement d’un bureau des douanes à St John’s. En 1775, en dépit de l’opposition qui se manifestait à Poole, il assura l’envoi d’une requête appuyant l’exclusion des Américains du commerce terreneuvien. Il fournit, de plus, devant la chambre des Lords, des preuves à l’appui d’un projet de loi visant à cette exclusion. Après son retour définitif en Angleterre en 1776, il se servit de l’influence politique acquise par son frère à Poole pour se faire élire maire de la ville. Il le fut en 1779, puis de 1781 à 1783. Il siégea aussi comme député au Parlement, où il représenta la circonscription de Poole, de 1790 à 1796. En vue d’obtenir de meilleures conditions pour la conclusion de la paix, en 1783, il s’en prit aux concessions faites sur la côte française de Terre-Neuve et à la conservation par la France des îles Saint-Pierre et Miquelon. Il accorda son appui à lord Sheffield, une des principales autorités en matière de commerce, en s’opposant aux droits des Américains de commercer avec les colonies britanniques. Puis, en qualité d’un des représentants de Poole au comité de commerce du Conseil privé chargé d’enquêter, en 1785, sur le commerce américain, il prôna avec insistance la limitation de ce commerce avec Terre-Neuve. Toutefois, le gouvernement persuada Lester et les autres marchands de Poole d’accepter comme nécessaires les importations de nourriture des États-Unis à Terre-Neuve. En 1788, ils en étaient venus à la constatation que les ravitaillements américains étaient de fait essentiels, à telle enseigne qu’ils protestèrent quand le gouvernement chercha à mettre fin aux approvisionnements américains en faveur de ceux qui provenaient de la province de Québec. Lester fit entendre une nouvelle protestation lorsqu’en 1791 le gouvernement tenta de nouveau de restreindre l’importation d’approvisionnements américains. En 1793, Lester fut membre du comité d’enquête de la chambre des Communes sur le commerce de Terre-Neuve. S’activant aussi à obtenir des postes, dans le gouvernement de Terre-Neuve, pour ses relations, il avait aidé Richard Routh à devenir percepteur des douanes en 1782, et D’Ewes Coke à accéder au poste de contrôleur des douanes en 1783.

Le fils unique de Benjamin Lester, John, ne s’intéressant guère à la firme familiale, à la mort de son père, l’entreprise terre-neuvienne passa effectivement au gendre de Lester, George Garland, qui l’avait antérieurement aidé à gérer son commerce, et ensuite aux fils de Garland, George* et John Bingley. Se lançant dans la carrière avec apparemment peu de moyens, Benjamin Lester avait fait montre de beaucoup d’énergie et d’un grand esprit d’entreprise en exploitant la pêche et le commerce terre-neuviens. S’il en vint à changer d’idée sur des questions comme celles d’un bureau des douanes et du commerce américain avec Terre-Neuve, son attitude envers le commerce et le gouvernement de l’île s’avéra fondamentalement traditionaliste et typique des conceptions des marchands du sud-ouest de l’Angleterre. Ceux-ci croyaient savoir mieux que le gouvernement et les missionnaires comment diriger les affaires de l’île, et désiraient être aussi libres que possible de toute ingérence dans la conduite de leurs affaires à Terre-Neuve. D’une façon caractéristique, en 1764, Lester promit que le ministre anglican nouvellement nommé à Trinity, James Balfour, ne serait pas « privé de [son] aide tant qu’il se condui[rait] comme un gentleman du clergé ». En ses dernières années, il s’opposa à l’extension du gouvernement civil à Terre-Neuve, disant au premier ministre William Pitt, en 1792, que la création d’une cour suprême à St John’s [V. John Reeves*] ferait de Terre-Neuve « une colonie remplie d’avocats ; ce sera[it] la fin de toute harmonie, et la ruine de ce riche domaine commercial de la pêche sera[it] fatale à ce pays ».

Derek F. Beamish

BL, King’s Maps CXIX, 107b.— Dorset Record Office, 2694 (histoire de la vie de John Masters) ; D365 ; P227/RE3-RE10, reg. of christenings, marriages, and burials, 1722–1812.— Poole Borough Arch. (Poole, Angl.), no 226 PBA, Town dues, 1731–1732.— PRO, BT 1/2 : f.165 ; C 194/12 : f.184 ;194/21 : ff.35, 84 ; PRO 30/8, bundle 151.— USPG, B, 6, no 157.— The parliamentary history of England from the earliest period to the year 1803, William Cobbett et John Wright, compil. (36 vol., Londres, 1806–1820), 18 : 426s.— Derek Beamish et al., Mansions and merchants of Poole and Dorset (Poole, 1976).— McLintock, Establishment of constitutional government in Nfid., 67–74.— E. F. J. Mathews, « The economic policy of Poole, 1756–1815 », (thèse de ph.d., Univ. of London, Londres, 1958).— A. C. Wardle, « The Newfoundland trade », The trade winds : a study of British overseas trade during the French wars, 1793–1815, C. N. Parkinson, édit. (Londres, 1948), 227–250.

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Derek F. Beamish, « LESTER, BENJAMIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lester_benjamin_5F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
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