LE MOYNE DE SERIGNY ET DE LOIRE, JOSEPH, officier de marine, chevalier de Saint-Louis, commandant conjoint de la Louisiane, gouverneur de Rochefort ; baptisé le 22 juillet 1668 à Montréal et décédé à Rochefort le 12 septembre 1734. Il était le sixième fils de Charles Le Moyne* de Longueuil et de Châteauguay et de Catherine Thierry, et un des frères cadets de Pierre Le Moyne d’Iberville. Serigny épousa Marie-Élisabeth Héron, à Rochefort, et on lui connaît deux fils et une fille.

Joseph Le Moyne de Serigny entra dans la marine en 1686 et, le 28 mai, il était nommé garde-marine à Rochefort. En novembre 1687, il servit d’interprète aux Iroquois qui, plus tôt dans l’année, avaient été faits prisonniers pendant la campagne du gouverneur Brisay de Denonville et expédiés à Marseille pour y servir sur les galères du roi. On corrigea l’année suivante la bévue qu’avait commise Denonville en expédiant ces Indiens en France et, en 1689, on désigna Serigny pour escorter les Iroquois de Marseille à La Rochelle d’où ils s’embarquèrent pour retourner en Nouvelle-France.

Il est difficile de préciser avec certitude combien de temps Serigny passa encore à Rochefort ; il se peut fort bien qu’il ait pris part aux préparatifs des campagnes qu’Iberville voulait mener contre les Anglais du fort York à la baie d’Hudson en 1690 et 1692, campagnes qui n’eurent d’ailleurs paslieu. Le 1er janvier 1692, il fut promu enseigne de vaisseau et en 1693 on l’affecta au navire que commandait son frère, le Poli. Finalement, quand en 1694 l’expédition devint réalité, Iberville prit de nouveau le commandement du Poli et Serigny celui de la Salamandre. Les deux frégates quittèrent Rochefort en mai 1694 et se rendirent d’abord à Québec où les deux frères entreprirent de recruter 110 Canadiens qui participeraient à l’expédition, puis dressèrent les contrats d’engagement. Ils levèrent l’ancre le 10 août et, le 13 octobre, après avoir procédé à une reconnaissance des installations anglaises, Iberville s’estimait en position d’exiger la reddition du fort. Le lendemain, le commandant, Thomas Walsh, « se rendit lâchement ». Un des frères de Serigny, Louis*, sieur de Châteauguay, qui était son enseigne sur la Salamandre, mourut au combat. Après avoir passé l’hiver au fort Bourbon (fort York), Iberville et Serigny tirent voile vers la France en septembre 1695 ; Serigny arriva devant La Rochelle le 11 octobre avec une prise de 80 tonneaux en remorque.

Serigny, qui avait été promu lieutenant de vaisseau le 1er janvier 1696, reçut l’année suivante l’ordre de se rendre à la baie d’Hudson pour ravitailler le fort Bourbon et tenter de s’emparer du fort Sainte-Anne (fort Albany), le seul poste du Nord aux mains des Anglais, que James Knight avait reconquis en 1693. Serigny quitta La Rochelle le 9 mai 1696, laissa Iberville à Plaisance (Placentia) le 21 juin, et le 8 juillet mit le cap sur la baie d’Hudson avec deux vaisseaux le Hardi et le Dragon. Les glaces retardèrent l’avance des vaisseaux qui n’atteignirent le fort Bourbon que le 2 septembre ; une fois rendus, ils constatèrent qu’une escadre anglaise les avait devancés de deux heures. Après avoir croisé pendant plusieurs jours en vue du fort Bourbon et de la flotte ennemie, Serigny dut admettre qu’il serait vain de tenter une attaque. Laissant le fort Bourbon à ses propres ressources, il fit voile vers la France et atteignit l’île d’Aix en octobre 1696.

Leur rapide éviction du fort Bourbon n’avait pas démonté les autorités françaises qui décidèrent sur-le-champ de tenter une seconde fois de s’emparer du poste de la baie d’Hudson où la traite des fourrures était le plus profitable. Au cours de l’hiver suivant, Serigny fit les préparatifs pour conduire à Terre-Neuve l’escadre de cinq navires dont Iberville allait prendre le commandement à Plaisance. De là, les deux frères mirent le cap sur le Nord et, après un rude voyage, le Palmier que commandait Serigny perdit son gouvernail sur un banc de sable et atteignit le fort York de justesse pour prendre part au siège. À deux reprises dans la journée du 12 septembre, on le délégua pour sommer les Anglais de se rendre. Après avoir essuyé un premier refus, il retourna l’après-midi pour avertir le commandant Henry Baley « que ce seroit la dernière fois qu’il le feroit ». Le lendemain le drapeau français flottait à nouveau sur le fort Bourbon.

Serigny aurait dû partir immédiatement avec Iberville, mais comme il lui fallait attendre de recevoir de France un autre gouvernail pour remplacer celui qui avait été endommagé, il ne put lever l’ancre avant l’automne suivant. Dans l’intervalle, à titre d’officier le plus haut gradé, il prit le commandement de la baie d’Hudson. Malgré son peu d’expérience dans le commerce, il avait suivi d’assez près les entreprises de ses frères pour être en mesure de se livrer pendant un an à la traite des fourrures pour son propre compte. Quand, l’été suivant, arrivèrent 50 hommes d’équipage et le gouvernail tant attendu, Serigny se rendit d’abord à Québec puis gagna La Rochelle où il jeta l’ancre en novembre 1698.

Au printemps de 1699, on donna à Serigny l’ordre de conduire une frégate à la baie d’Hudson afin d’évacuer le fort Bourbon qui, conformément aux termes du traité de Ryswick, était échangé contre les postes de la baie James. Cependant, au moment de mettre à la voile, il reçut un contre-ordre lui enjoignant de conduire des renforts à Iberville qui venait de se lancer dans l’aventure de la Louisiane. Néanmoins, il ne semble pas que Serigny se soit rendu en Louisiane avant 1701 ; il y accompagna alors son frère qui en était à son troisième voyage. Il quitta la France en septembre de l’année 1701 sur le Palmier dont il prit une fois de plus le commandement. Après avoir construit un entrepôt et d’autres bâtiments sur l’île Dauphine, et aussi sans doute avoir fait du commerce, Serigny quitta la Louisiane pour la France en avril 1702.

Tout comme Iberville, il ne revint pas en Amérique avant 1706. Il n’y a pas d’indice qu’il ait été au service du roi pendant cette période, mais il y a lieu de croire que son voyage en Louisiane lui avait été fort profitable car il se lança dans d’importantes transactions. Il fit l’achat notamment de la seigneurie de Loire en Aunis et, de concert avec Iberville, il acquit du trésor royal un certain nombre de « capitaineries garde-costes ». Comme il fallait s’y attendre, les Le Moyne commençaient à susciter la jalousie : membres d’une famille étroitement unie, ils étaient engagés dans des carrières où ils remportaient d’éclatants succès et ils avaient accumulé de grandes richesses au cours de leurs expéditions dans ces nouvelles et lointaines colonies. Il y a, en fait, de nombreux indices qui permettent de croire qu’ils ont réalisé des profits illégaux.

Lorsque, en 1706, Iberville prit le commandement d’une flotte qui se rendait harceler les Anglais dans les Antilles, Serigny commandait le Coventry, un des 12 vaisseaux de la puissante escadre. Après qu’une partie des forces eut ravagé Saint-Christophe (St. Kitts), Iberville se lança, le 1er avril 1706, à l’attaque de la petite île de Nevis qu’il pilla sans merci. L’implication de Serigny dans une série d’entreprises frauduleuses influença plus directement le déroulement de sa carrière que la mise à sac de Nevis. À la suite de certaines accusations de malversations, le gouvernement mena une enquête minutieuse qui démontra la culpabilité certaine de Serigny et d’Iberville, de même que celle de leurs agents et de leurs armateurs en France et d’à peu près tous les officiers de l’escadre. Il devint évident que Serigny, en étroite association avec Iberville, avait réalisé des profits illicites sur la vente de marchandises et de provisions que le gouvernement avait fournies pour les besoins de l’expédition et sur la vente du butin saisi à Nevis. La conduite de Serigny en cette occasion apporte un exemple des agissements auxquels il se livrait : après la prise de Nevis, au lieu d’aller porter directement en Louisiane les approvisionnements dont la colonie avait un si pressant besoin, il fit escale à Vera Cruz où il déchargea, en plus de sa part du butin de Nevis, une grande partie des provisions destinées à la colonie du Mississipi. Il réalisa ainsi des bénéfices qu’on estimera plus tard à 60 000 piastres. Nonobstant des preuves aussi accablantes, Serigny se servit de tous les expédients possibles pour se soustraire à d’onéreuses restitutions. Le mécontentement et la méfiance que ces irrégularités avaient engendrés en Louisiane, en Nouvelle-France et surtout au ministère de la Marine, compromirent pendant plusieurs années l’avancement de Serigny et de ses frères, Jean-Baptiste*, sieur de Bienville, et Antoine, sieur de Châteauguay. Aux yeux du ministre, c’est Serigny qui, après la mort d’Iberville en juillet 1706, incarnait l’esprit de fraude dans laquelle s’était déroulée toute la campagne.

On ignore à peu près tout de Serigny pendant les quelque dix années qui suivirent ; ce n’est qu’en 1716 ou 1717 qu’on retrouve des indices d’une rentrée dans les bonnes grâces du ministre. En juillet 1718, on lui donna ordre de conduire un navire de la Compagnie des Indes occidentales en Louisiane et d’assumer, pour une période de deux ans, conjointement avec Bienville, le commandement de la colonie. Son fils, le chevalier de Loire, garde-marine à Rochefort, l’accompagnait dans ce voyage. La guerre sévissait entre la France et l’Espagne ; peu après son arrivée, en mai 1719, Serigny attaqua le poste espagnol de Pensacola avec trois vaisseaux montés par 150 hommes. Il remporta une victoire facile mais, au mois d’août suivant, son frère Châteauguay, devant une force supérieure, dut rendre la place forte ; une escadre française nouvellement arrivée la reconquit dès septembre. À la suite de cette campagne, Serigny fut promu au grade de capitaine de vaisseau et, à peu près à la même époque, il reçut la décoration tant recherchée qu’était la croix de Saint-Louis. Il devait retourner en France en 1720, mais en avril le Conseil de Commerce de la Louisiane le pria de retarder son départ jusqu’à ce que les officiers les plus qualifiés de la colonie fussent rentrés de leur captivité à La Havane. La date de son départ de la Louisiane est imprécise ; cependant il est certain qu’il quitta alors l’Amérique pour n’y plus revenir.

De retour en France, Serigny se fixa dans la région de Rochefort. On le nomma gouverneur de cet important port de mer en 1723 ; comme c’était le port d’attache d’un grand nombre de navires qui se rendaient en Amérique, Serigny conserva sans doute un intérêt particulier pour tout ce qui touchait le Canada et la Louisiane.

Les renseignements concernant les dernières années de Serigny sont assez vagues ; il semblerait toutefois qu’au moment de sa mort survenue à Rochefort, le 12 septembre 1734, il en était toujours le gouverneur. Il fut inhumé à Loire.

Bernard Pothier

Archives de la Charente-Maritime (La Rochelle), E, Minutes Rivière et Soulard.— Archives Maritimes, Port de Rochefort, 1E, 340.— AN, V7, carton 214 ; Col., B, 19, 20, 33, 39, 42bis, 59 ; Col., C11A, 8, 10, 13, 14, 15 ; Col., C13A, 1–6 ; Marine, B2, 183, 187 ; Marine, B3, 132 ; Marine, C1, 161 (dossier de Le Moyne de Serigny).— BN, mss, Fr. 31 700 ; mss, NAF 9 294, 22 811, 22 814, 22 815.— Charlevoix, Histoire de la N.-F. (1744), III.— Découvertes et établissements des Français (Margry), IV.— HBRS, XI, XX (Rich et Johnson) ; XXI (Rich).— [Nicolas Jérémie], Relation du Détroit et de la Baie d’Hudson par Monsieur Jérémie, avec introduction par J.-H. Prud’homme, Bulletin de la Société historique de Saint-Boniface, II (1912).— Jug. et délib., III.— Kelsey Papers (Doughty et Martin).— La Potherie, Histoire (1753), I.— MPA (Rowland et Sanders).— Le Jeune, Dictionnaire. Guy Frégault, Pierre Le Moyne dIberville (Montréal, [1968]).— Charles Gibson, Spain in America (New York, [1966]).— Giraud, Histoire de la Louisiane française, I, II.— Pierre Heinrich, La Louisiane sous la compagnie des Indes, 1717–1731 (Paris, [1908]).— A. Jodoin et J.-L. Vincent, Histoire de Longueuil et de la famille de Longueuil (Montréal, 1889).— Thérèse Prince-Falmagne, Un marquis du grand siècle, Jacques-René de Brisay de Denonville, gouverneur de la Nouvelle-France, 1637–1710 (Montréal, [1965]).

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Bernard Pothier, « LE MOYNE DE SERIGNY ET DE LOIRE, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/le_moyne_de_serigny_et_de_loire_joseph_2F.html.

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Auteur de l'article:    Bernard Pothier
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    28 novembre 2024