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KOÑWATSIˀTSIAIÉÑNI (Gonwatsijayenni, qui signifie quelqu’un lui prête une fleur, Mary Brant), Agnière, « capitainesse » des matrones des Six-Nations, née vers 1736, décédée à Kingston (Ontario) le 16 avril 1796.

On est peu renseigné sur la naissance et les parents de Mary Brant, de même que sur ses premières années. Elle naquit peut-être au village fortifié (celui d’en haut) de Canajoharie (près de Little Falls, New York), sur la Mohawk, d’où provenait sa famille ; ou, comme son frère puîné Joseph [Thayendanegea*], elle vit peut-être le jour à l’époque où ses parents résidaient dans la région de l’Ohio. Dans son Journal [...], John Norton* affirme que Joseph naquit à Cayahoga (près d’Akron, Ohio) et que, « tant du côté paternel que du côté maternel, il descendait de prisonniers wyandots adoptés par les Agniers ». William Allen, qui avait questionné Joseph, le fils de Joseph Brant, avançait, peut-être sur l’autorité de cet informateur, que le père de Brant était un chef onontagué. Cette allégation ne contredirait pas l’affirmation de Norton sur l’ascendance wyandotte et la nationalité agniére des Brant, puisque, dans la société matrilinéaire iroquoise, les enfants prenaient la nationalité de leur mère. Selon certaines sources, le père de Mary et de Joseph aurait été un sachem respecté ; au témoignage de Norton, il fut « un grand guerrier » et mourut alors que ses enfants étaient encore jeunes. Leur mère amena ensuite Mary et Joseph à Canajoharie, peu avant le début de la guerre de Sept Ans. Eleazar Wheelock, à l’école de mission duquel Joseph Brant étudia à un moment donné, dans le Connecticut, disait des Brant qu’ils étaient « une famille distinguée » parmi les Agniers.

Il y avait une tradition tenace, dans la vallée de la Mohawk, tant chez les Blancs que chez les Indiens, voulant que Mary et Joseph Brant fussent descendants de King Hendrick [Theyanoguin*]. Un historien et archiviste du xixe siècle, Lyman Copeland Draper, qui fit de minutieuses recherches sur la généalogie des Brant, trouva confirmation de cette parenté. Une Agnière du nom de Katy Moses, âgée de 77 ans en 1879 et « parente éloignée de la dernière femme de Brant », affirma « avoir appris, il y a de cela bien des années, de vieillards agniers, que la mère de Brant était une fille du vieux King Hendrick ». Charlotte, petite-fille de Joseph Brant, dit à Draper, quant à elle, que la mère de Joseph était une petite-fille de Hendrick.

Mary, ou Molly ainsi qu’on appelait généralement Mary Brant, fréquenta peut-être une des écoles de mission de l’Église d’Angleterre de la vallée de la Mohawk. Ses lettres postérieures, si elles sont bien de sa main, montrent qu’elle possédait une belle calligraphie et un style anglais correct. Il y a quelques indices, cependant, qui laissent croire qu’elle n’était qu’à demi instruite et qu’elle dictait ses lettres à un secrétaire.

Manifestement elle accompagna la délégation de 12 notables agniers qui, sous la conduite de Hendrick, se rendit à Philadelphie pendant l’hiver de 1754–1755, afin de discuter avec des fonctionnaires de la Pennsylvanie de la vente frauduleuse de terres, dans la vallée de Wyoming, à un groupe de spéculateurs du Connecticut [V. John Hendricks Lÿdius]. Christian Daniel Claus, qui avait accompagné la délégation, raconta que, à Albany, pendant le voyage de retour, un capitaine anglais « tomba en amour avec Ms. Mary Brant, qui était belle alors, n’ayant vraisemblablement pas eu la petite vérole ».

D’après une tradition de la vallée de la Mohawk, Molly attira pour la première fois l’attention de sir William Johnson à une inspection de milice, alors qu’elle sauta sur le dos d’un cheval derrière un officier et se cramponna à lui pendant que le cheval courait à fond de train sur le terrain, au grand amusement des spectateurs. Leur premier enfant, Peter Warren Johnson, naquit en 1759, l’année même où mourut Catherine Weissenberg, la femme de Johnson. Molly et sir William eurent sept autres enfants qui dépassèrent la première enfance. Bien que, dans son testament, Johnson parle d’elle comme de « sa prudente et fidèle ménagère », et des enfants comme de ses enfants naturels, une tradition tenace veut qu’ils aient été mariés selon les rites indiens, mariage dont la légalité n’était pas reconnue par les membres de la communauté blanche. Johnson la traitait avec le plus grand respect et lui donnait, ainsi qu’à ses enfants, tout le confort et tout le luxe qui convenaient à une famille de la haute société, et, dans son testament, il les pourvut généreusement. Il permit aussi aux enfants de porter son nom. L’aîné, qui reçut le nom de l’oncle de Johnson, sir Peter Warren*, fit probablement ses premières classes dans la vallée de la Mohawk, mais en 1772 on l’envoya étudier à Montréal. En 1773, Johnson l’envoya à Philadelphie, où il fit son apprentissage chez un commerçant en mercerie, tissus et nouveautés. On a une indication de son éducation de gentleman dans les requêtes qu’il adressa à son père en vue d’obtenir une montre afin d’être à temps aux invitations à dîner et au travail, des livres français et anglais pour ses moments de loisir, un livre en agnier de façon à ne pas oublier sa langue maternelle, et dans la demande d’aide qu’il lui fit en vue d’acquérir un violon. De sa mère, il réclama certains objets curieux, d’origine indienne, qu’il pût montrer à ses amis de Philadelphie. Ses lettres laissent entrevoir les rapports étroits et affectueux qui existaient entre Johnson, son épouse agnière et leurs enfants.

Mary Brant dirigeait la maisonnée avec intelligence et compétence, de même qu’avec beaucoup de grâce et de charme, administrant effectivement les biens de Johnson pendant ses absences nombreuses et prolongées. Un auteur contemporain la caractérisait ainsi : « fille d’un sachem indien, d’un extérieur agréable comme il s’en voit peu, et d’une bonne intelligence ». À cause de ses importants liens de famille avec les Iroquois, elle se révélait aussi d’un secours inestimable pour sir William quand il avait à négocier avec les Indiens.

Après la mort de sir William, en 1774, elle alla avec ses enfants s’établir à Canajoharie, la propriété de Johnson Hall étant passée aux mains de John Johnson*, le fils blanc de sir William. À Canajoharie, on lui montra le plus grand respect, tant parce qu’elle était la veuve de sir William qu’à cause des qualités qu’elle possédait de par ses origines. Elle continua de vivre confortablement dans une maison bien meublée, vêtue à l’indienne, mais d’étoffe de première qualité. Par testament, sir William lui avait laissé un lot dans le Kingsland Patent (dans le comté actuel de Herkimer), une esclave noire et £200, cours de New York. Avec son héritage, elle ouvrit un magasin en milieu indien, y faisant surtout le commerce du rhum.

Quand éclata la guerre entre la Grande-Bretagne et ses colonies, les Brant devinrent résolument loyalistes. Dès le début du conflit, Mary Brant fit tout ce qu’elle put pour nourrir et aider les Loyalistes qui avaient trouvé refuge dans les bois ; elle fit aussi parvenir des munitions aux partisans du roi. En août 1777, elle posa l’un de ses gestes les plus dignes de remarque en dépêchant des courriers indiens auprès des troupes de Barrimore Matthew St Leger, qui assiégeaient alors le fort Stanwix (Rome, New York), pour les avertir de l’approche d’un fort groupe de miliciens américains. Cette information à point nommé permit aux Indiens et aux Loyalistes de tendre avec succès une embuscade aux Américains, tout près de là, à Oriskany.

Après la bataille, les Oriskas, Indiens de la nation des Onneiouts, laquelle avait soutenu les Américains dans cette campagne, se vengèrent des Agniers et en particulier de Mary Brant, en attaquant et en pillant Canajoharie et Fort Hunter, New York, village fortifié (celui d’en bas) de la Mohawk. Mary Brant et sa famille, qui avaient perdu la plupart de leurs biens lors de cette attaque, se réfugièrent à Onondaga (près de Syracuse), la capitale de la ligue des Six-Nations ; elle y exposa ses doléances au conseil de la ligue qui promit réparation.

Mary Brant déménagea ensuite à Cayuga (au sud de l’actuel Cayuga, New York), où elle avait des parents éloignés ; et, pendant la période de découragement qui dura des mois après l’attaque du fort Stanwix, alors que les Indiens évaluaient leurs pertes et qu’ils hésitaient à continuer d’appuyer le roi, elle rendit des services incalculables en les encourageant et en les affermissant dans leur alliance. Au cours d’une importante réunion du conseil, elle alla jusqu’à blâmer publiquement le vénérable Kaieñˀkwaahtoñ, le grand chef de guerre de la ligue, pour avoir conseillé de faire la paix avec les Américains. Par ses instances elle rallia l’ensemble du conseil. Christian Daniel Claus rendit un compte exact de son influence sur les Iroquois : « un mot de sa bouche a plus de portée parmi eux qu’un millier de mots dans la bouche de n’importe quel Blanc, sans exception lequel doit en général acheter leur intérêt à un prix élevé ».

Peu de temps après, le major John Butler convainquit Mary Brant d’aller vivre au fort Niagara (près de Youngstown, New York) où elle pourrait être d’une grande utilité aux Britanniques, qui y avaient une importante base militaire, en intercédant auprès des Indiens et en les conseillant. Comme capitainesse d’une société de matrones iroquoises particulièrement écoutée des jeunes guerriers, elle était très estimée au sein de la ligue. Elle arriva au fort Niagara à la fin de l’automne 1777, et, pendant les quelques mois qui suivirent, elle y rendit des services inestimables comme diplomate et femme d’État. Les Indiens la consultaient sur toute question d’importance, et souvent elle les mettait en garde contre des propositions peu judicieuses qu’ils voulaient faire au commandant du fort.

En juillet 1779, à la suggestion du commandant, qui jugeait qu’on faisait trop appel aux ressources du fort, elle y laissa à contrecœur sa vieille mère et, avec ses enfants, s’en alla à Montréal où elle mit deux de ses filles pensionnaires dans une école. À l’automne de la même année, quand elle apprit les destructions auxquelles se livrait dans le pays iroquois l’expédition Sullivan-Clinton [V. Kaieñˀkwaahtoñ], elle partit en hâte en direction du fort Niagara pour y faire ce qu’elle pourrait. Mais elle ne s’y rendit pas, ayant accepté de rester plutôt à l’île de Carleton, New York, où vivait une grande colonie d’Indiens des Six-Nations, mécontents et pleins de ressentiment, qu’elle put réconforter pendant l’hiver désespérant de 1779–1780. Le commandant, Alexander Fraser, apprécia hautement ses qualités de chef pendant ces mois ; il affirma : « la bonne conduite peu ordinaire [des Indiens] est dans une grande mesure attribuable à l’influence qu’a sur eux Miss Molly Brant, et qui est supérieure de loin à celle de tous leurs chefs mis ensemble ». Femme de courage et parfois de caractère, elle resta férocement loyale à sa famille et à la mémoire de sir William, et implacable envers les rebelles américains qui les avaient arrachés, elle et son peuple, à leur terre natale.

En 1783, quand se termina la guerre, elle déménagea à Cataracoui (Kingston, Ontario) où Haldimand donna ordre de lui construire une maison. Elle passa le reste de sa vie à Kingston, fort respectée de ses voisins. En 1783 encore, Haldimand fixa sa pension à £100 par an, la plus élevée qui fût versée à un Indien. En outre, elle fut dédommagée par le gouvernement britannique des pertes qu’elle avait subies pendant la guerre. Elle retourna dans la vallée de la Mohawk en 1785 et visita Schenectady où les Américains tentèrent de la convaincre de revenir avec sa famille. Plusieurs années après, les Américains lui offrirent un dédommagement en argent pour les terres qu’on lui avait confisquées, à la condition qu’elle retournât avec ses enfants dans son ancienne patrie pour s’y établir,— proposition qu’elle « repoussa avec le plus grand mépris ».

On est peu renseigné sur ses dernières années, même si certains rapports de voyageurs la mettent occasionnellement en lumière. Le 13 septembre 1794, madame John Graves Simcoe [Elizabeth Posthuma Gwillim*] permit à Mary Brant, qui était malade, de faire avec elle le voyage du fort Niagara à Kingston sur le Mississauga. « Elle parle bien l’anglais, note Mme Simcoe dans son journal, et c’est une vieille femme courtoise et très sensée. » Au mois d’avril de l’année suivante, Mary Brant prescrivit avec succès un remède favori des Indiens, la racine du jonc odorant (acorus calamus), au gouverneur Simcoe*, très malade et affligé d’une toux persistante. Le remède soulagea son mal « en très peu de temps ».

Mary Brant resta toujours une fervente anglicane ; elle assistait régulièrement aux offices à l’église St George de Kingston, où elle « s’assoyait dans un lieu honorable parmi les Anglais ». Elle mourut le 16 avril 1796 et fut inhumée dans le cimetière (actuel cimetière de l’église St Paul) au cours d’une cérémonie présidée par le pasteur John Stuart*, qui avait déjà été missionnaire auprès des Agniers du fort Hunter. Ses filles, sauf une qui resta célibataire, épousèrent des Blancs, tous gens distingués du Haut-Canada. Son fils George Johnson, connu parmi les Indiens sous le nom de Big George, exploita une ferme et enseigna dans un externat, près de Brantford, pendant plusieurs années. Peter mourut en 1777, à Philadelphie, alors qu’il servait dans le 26e d’infanterie.

Femme d’une grande intelligence et d’une remarquable compétence, possédant deux cultures, Mary Brant était une illustration de la dignité et de l’influence auxquelles les mères respectées pouvaient atteindre chez les Iroquois. Dans cette société où les mères choisissaient les sachems et agissaient sur les guerriers, Mary Brant joua un rôle unique. La noblesse de son ascendance, sa liaison avec sir William Johnson et ses talents personnels lui permirent d’exercer un pouvoir considérable pendant une période critique. Ce pouvoir, à ses dépens souvent, elle le mit au service d’une cause qu’elle croyait juste. Sa loyauté envers sa famille et son peuple, comme envers l’alliance traditionnelle des Iroquois avec la couronne, fut inébranlable et constante. Les représentants de l’armée que eurent le plus affaire aux Indiens pendant la Révolution américaine reconnurent à quel point son leadership fut essentiel au maintien du moral et de la loyauté des Iroquois. Par la suite, l’histoire ne l’a pas bien servie, en oubliant souvent ses efforts et ses succès. Sans conteste, elle compta parmi les plus fervents Loyalistes.

Barbara Graymont

APC, MG 19, F1 ; RG 1, L3, 186.— BL, Add. mss 21 661–21 892 (copies aux APC).— Clements Library, Sydney papers, secret service payments, 1782–1791 ; Nepean papers, compensation for Joseph and Mary Brant, 31 mars 1786.— New York Public Library, Manuscripts and Archives Division, American loyalist transcripts, XXI : 331 ; XLIV : 107, 118 ; Schuyler papers, Indian boxes, 14.— N.Y. Hist. Soc. (New York), Misc. mss Haldimand, Haldimand à John Johnson, 27 mai 1783.— PRO, CO 42 (mfm aux APC).— Wis., State Hist. Soc. (Madison), Draper mss, ser. F.— Canada, Dept. of Militia and Defence, General Staff, A history of the organization, development and services of the military and naval forces of Canada from the peace of Paris in 1763, to the present time [...] (3 vol., [Ottawa, 1919–1920]), II.— [C. D. Claus], Daniel Claus’ narrative of his relations with Sir William Johnson and experiences in the Lake George fight, A. S. Walcott, édit. ([New York], 1904).— [A. MacV. Grant], Memoirs of an American lady [...] (2 vol., Londres, 1808).— [E. P. Gwillim (Simcoe)], The diary of Mrs. John Graves Simcoe [...], J. R. Robertson, édit. (Toronto, 1911 ; réimpr., 1973).— [S. A. Harrison], Memoir of Lieut. Col. Tench Tilghman [...] (Albany, N.Y., 1876 ; réimpr., New York, 1971).— Johnson papers (Sullivan et al.).— Kingston before War of 1812 (Preston).— [John Norton], The journal of Major John Norton, 1816, C. F. Klinck et J. J. Talman, édit. (Toronto, 1970).— NYCD (O’Callaghan et Fernow), VIII.— The Susquehannah Company papers, J. P. Boyd, édit. (4 vol., Ithaca, N. Y., 1962), I.— Eleazar Wheelock, A plain and faithful narrative of the original design, rise, progress, and present state of the Indian charity-school at Lebanon, in Connecticut (Boston, 1763).— William Allen, The American biographical dictionary [...] (3e éd., Boston, 1857), 131 s.— Notable American women, 1607–1950 : a biographical dictionary, E. T. James et al., édit. (3 vol., Cambridge, Mass., 1971), I : 229s.-Graymont, Iroquois.-W. L. [et W. L.] Stone, The life and times of Sir William Johnson, bart. (2 vol., Albany, N.Y., 1865).— H. P. Gundy, Molly Brant – loyalist, OH, XLV (1953) : 97–108.— M. W. Hamilton, Sir William Johnson’s wives, New York History (Cooperstown), XXXVIII (1957) : 18–28.— Jean Johnston, Ancestry and descendants of Molly Brant, OH, LXIII (1971) : 86–92.

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Barbara Graymont, « KOÑWATSIˀTSIAIÉÑNI (Gonwatsijayenni) (Mary Brant, Molly Brant) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/konwatsitsiaienni_4F.html.

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Auteur de l'article:    Barbara Graymont
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    2015
Date de consultation:    1 décembre 2024