KEEN, WILLIAM, marchand, juge de paix, décédé à St John’s, Terre-Neuve, le 29 septembre 1754.

William Keen était originaire de Boston. Il s’établit à Terre-Neuve en 1704 en qualité d’agent des marchands de la Nouvelle-Angleterre engagés dans le commerce des approvisionnements. À partir de 1713, il commença à trafiquer à son propre compte. L’un des premiers à exploiter les pêcheries de saumon le long de la côte, dite « française », au nord du cap Bonavista, il exerça une puissante influence sur le développement de la colonie anglaise dans cette région. En 1740, il entretenait avec la Nouvelle-Angleterre, l’Angleterre et le sud de l’Europe un commerce considérable, qui consistait dans l’échange de poisson, et possiblement de fourrures, contre des provisions et des produits manufacturés. Au moment de sa mort, il possédait une propriété considérable à St John’s, à Harbour Grace et à Greenspond.

Plus que son habileté dans le commerce, c’est le rôle de premier plan qu’il joua dans l’organisation de la justice à Terre-Neuve qui lui valut de passer à l’histoire. En 1699, le gouvernement anglais avait permis une colonisation limitée dans l’île de Terre-Neuve, sans en encourager l’expansion. On créa un système judiciaire rudimentaire qui donnait pleins pouvoirs aux « amiraux de la flotte de pêche » se rendant tous les ans à Terre-Neuve durant la saison de pêche et un droit d’appel aux commandants – également de passage – des convois qui escortaient les flottes de pêche venues d’Europe. Le principe de ce système était qu’un gouvernement stationnaire encouragerait inévitablement l’accroissement de la population, détruisant ainsi la « pépinière » migratoire de marins si chère à la marine royale d’Angleterre. Cette justice rudimentaire était probablement inefficace et corrompue, même pendant le séjour des amiraux à Terre-Neuve, et, après le départ des convois et des bateaux de pêche à la fin de la saison, il n’existait aucun appareil judiciaire pour les colons qui passaient l’hiver dans l’île. Avec ce système, tout homme accusé de crime capital devait aller subir son procès en Angleterre en compagnie de deux témoins. Il n’est pas étonnant que peu d’individus aient jamais été accusés de crimes capitaux, et, à partir de 1715, la portion « respectable » des résidents de Terre-Neuve commença à manœuvrer vigoureusement pour obtenir une organisation judiciaire qui protégerait leur vie et leur propriété contre les serviteurs sans loi et les « vagabonds » durant l’hiver.

Plusieurs commandants de convois navals, se méfiant des amiraux de la flotte de pêche et détestant l’illégalité, ressentaient eux aussi le besoin d’un système judiciaire permanent, et, en 1718, l’un d’eux, le commodore Thomas Scott, recommanda que des « juges d’hiver » soient nommés chaque année et qu’ils siègent jusqu’au retour de la flotte l’année suivante. Le premier candidat qu’il proposa à ce poste fut William Keen qui, « bien qu’originaire de la Nouvelle-Angleterre, sembl[ait] intéressé au développement des pêcheries [...] et a[vait] suffisamment de caractère ». Le Board of Trade refusa de modifier sa politique, mais, en 1720, le meurtre d’un éminent colon, Thomas Ford, suscita une nouvelle crise. Keen arrêta les suspects et les envoya en Angleterre avec des témoins sur un de ses navires, à ses propres frais, tout en soulignant que cette façon de procéder, par trop onéreuse, décourageait les habitants « respectables » d’appréhender les criminels. Les habitants de Petty Harbour recommandèrent dans une pétition que l’on nommât des juges d’hiver et que « l’on soutienne des hommes aussi utiles et compétents que M. Keen ». Une fois de plus, le Board of Trade refusa d’agir. Au cours de l’hiver de 1723–1724, les colons de St John’s, en désespoir de cause, en vue de se protéger mutuellement, se regroupèrent en une « société » lockiste [V. John Jago*] qui, bien qu’elle fût rapidement démembrée, démontra une fois de plus aux autorités qu’une population grandissante allait inévitablement exiger un système judiciaire régulier fonctionnant toute l’année. Encore en 1728, Keen envoya devant les tribunaux d’Angleterre un individu coupable d’un crime capital, tout en observant que les rebelles, sachant qu’ils risquaient peu d’être reconnus coupables de leurs crimes, devenaient de plus en plus violents et que les « habitants raisonnables » seraient bientôt forcés de quitter le pays.

Les efforts de Keen étaient maintenant grandement secondés par les rapports et les exposés de lord Vere Beauclerk, le commandant du convoi en 1728, qui fut découragé de voir l’anarchie régnant à St John’s et l’incurie des amiraux de la flotte de pêche. Il lui semblait surtout que seuls des juges civils siégeant de façon permanente pouvaient enrayer les déprédations commises par Samuel Gledhill*, commandant de la garnison à Placentia. Lorsqu’il quitta Terre-Neuve à l’automne, Beauclerk chargea Keen de lui faire rapport de tout délit commis. Keen rédigea selon les formes prescrites plusieurs lettres sollicitant la nomination des juges, tout en présentant sa propre candidature. En 1729, le gouvernement anglais reconnut la nécessité d’une justice en émettant un arrêté ministériel qui faisait du commandant du convoi naval un « gouverneur » (quoiqu’il demeurât itinérant) et en sanctionnant la nomination de juges de paix « d’hiver » qui ne devaient assumer leurs fonctions qu’en l’absence des amiraux de la flotte de pêche et n’entendre que des causes criminelles mineures. William Keen fut l’un des premiers à être nommé magistrat ; il occupa ce poste presque tous les ans jusqu’à sa mort.

En fait le premier « gouverneur », le capitaine Henry Osborn*, incita les juges à entendre des causes à longueur d’année et à régler également les litiges civils. Jusqu’en 1732, il y eut plusieurs conflits entre les nouveaux juges et les amiraux de la flotte de pêche. Ces derniers avaient la loi pour eux, tandis que les magistrats jouissaient de l’appui concret des gouverneurs, tels que George Clinton, et de l’acquiescement tacite des autorités anglaises. En 1735, les marchands itinérants, dont un certain nombre hivernaient dans l’île, soit qu’ils devinrent eux-mêmes magistrats ou qu’ils exercèrent une influence dominante sur ceux qui étaient nommés à ce poste, cessèrent toute opposition à cette mesure innovatrice. En tant que chef de file de ceux qui avaient prôné une magistrature, Keen devint alors une figure de première importance à Terre-Neuve. L’un après l’autre, les gouverneurs, nommés seulement pour une année ou deux et ne passant que quelques mois dans l’île, comptaient beaucoup sur ses conseils et son aide ; Keen fut ainsi en mesure de s’emparer de tous les postes officiels, de quelque peu d’importance qu’ils fussent, créés durant sa vie : c’est ainsi qu’il devint commissaire de la cour de la vice-amirauté en 1736, officier de marine à St John’s en 1742 et commissaire des prises en 1744. Sa conduite en tant que magistrat donna souvent prise à la critique –, ainsi en 1753, Christopher Aldridge (fils), commandant de la garnison de St John’s, accusa Keen d’avoir emprisonné certains de ses soldats sans procès. Keen apparaissait aux marchands de son époque comme un homme qui se servait de son influence de fonctionnaire pour son avancement et son profit personnels et se montrait « soucieux de rester en bons termes avec les commodores ». Bien qu’il fasse peu de doute qu’il ait tiré tous les avantages possibles de sa position, il est difficile d’imaginer comment un homme de cette époque aurait pu agir de façon différente.

L’arrêté ministériel de 1729 avait créé une justice permanente à Terre-Neuve, mais les procès pour crimes capitaux restaient encore l’apanage des tribunaux d’Angleterre. Durant les années 30, les gouverneurs, tels que Fitzroy Henry Lee, insistèrent pour qu’une cour d’assises fût mise sur pied à Terre-Neuve, et, en 1737, le Board of Trade fut sur le point d’en établir une. On ne prit cependant aucune initiative, et la guerre de 1740–1748 força les « gouverneurs » et les autorités anglaises à détourner leur attention ailleurs. En 1750, un nouvel arrêté ministériel stipulait que les juges de paix de St John’s pouvaient agir comme commissaires de la cour d’assises dans tous les causes, sauf s’il s’agissait de trahison, n’étant toutefois autorisés à siéger qu’en présence du gouverneur. William Keen fut le premier commissaire à être nommé à ce poste.

Par une ironie du sort, l’un des premiers procès pour homicide à être jugé par la nouvelle cour fut celui de Keen lui-même, qui fut tué par des soldats et des pêcheurs au cours d’un vol en septembre 1754. Quatre des neuf personnes impliquées dans le meurtre furent pendues, tandis que l’on accorda un sursis aux autres. Le fils de Keen, William, hérita du commerce de son père et de son poste comme magistrat, mais il fut éclipsé en matière d’influence politique par un autre immigrant de la Nouvelle-Angleterre, Michael Gill*. En 1760, il était installé à Teignmouth, dans le Devonshire en Angleterre, et avait déménagé le centre de son commerce de Terre-Neuve plus au nord, à Greenspond. Toutefois, les propriétés de Keen à St John’s et à Harbour Grace restèrent dans les mains de la famille jusqu’en 1839.

Keith Matthews

APC, MG 18, F23, F24.— Dorset County Record Office (Dorchester, Angl.), doc. 2 694 (récit de la vie de John Masters, 1687–1755, s.d. [probablement écrit entre 1755 et 1770]).— PRO, Adm. 1/3 738, 1/3 881 ; CO 194/7, ff.21–23 ; 194/8 ; 194/9 ; 194/12 ; 194/13, IT 164–168 ; CSP, Col., 1717–18 ; 1728–29 ; 1730 ; JTP, 1708/9–1714/15 ; 1754–1758.— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., II : 538s.— Newfoundlander (St John’s), juin 1839.

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Keith Matthews, « KEEN, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/keen_william_3F.html.

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Auteur de l'article:    Keith Matthews
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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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