JACQUIN, dit Philibert, NICOLAS, négociant, héros de la légende du Chien d’Or, né en 1700 dans le bourg de Martigny (Martigny-les-Bains, dép. des Vosges, France), fils de Jean-Claude Jacquin, négociant, et d’Anne Perrot, décédé à Québec le 21 janvier 1748.
Nous ignorons le moment où Nicolas Jacquin, dit Philibert, vint s’installer en Nouvelle-France. En 1733, il était déjà établi à Québec où, le 23 novembre, il épousait Marie-Anne Guérin, fille du tailleur d’habits Louis Guérin. De ce mariage naîtront quatre enfants, dont l’aîné, Pierre-Nicolas, deviendra l’un des personnages du fameux roman de William Kirby*, The Golden Dog. Marchand très à l’aise – il eut à son emploi huit domestiques – Nicolas Jacquin semble avoir joui d’une certaine notoriété auprès de la classe dirigeante ; il fut également fournisseur des troupes durant plusieurs années et, selon certains documents, il aurait été munitionnaire du roi. Mais c’est d’abord et avant tout par la légende créée autour de son nom qu’il est passé à l’histoire.
Le 20 janvier 1748, le bourgeois Philibert eut une altercation assez violente avec Pierre-Jean-Baptiste-François-Xavier Legardeur* de Repentigny, officier des troupes de la Marine, au sujet d’un billet de logement reçu par ce dernier et lui permettant d’être hébergé par Philibert. Celui-ci, ne voulant pas le loger, serait allé chez une dame Lapalme (peut-être Marie-Geneviève Pelletier, veuve de Pierre Janson, dit Lapalme) où habitait déjà le militaire, et lui aurait demandé de garder chez elle le sieur de Repentigny. N’ayant pu s’entendre sur le prix à payer pour la chambre, il aurait dit à la dame qu’il allait faire changer le billet. C’est alors que le militaire serait, intervenu et aurait dit au négociant, entre autres choses, « qu’il était un nigaud de vouloir faire ce changement ». Philibert aurait mal pris la chose et « non content de proférer les injures les plus grossières [...] lui porta un coup de bâton ». Emporté par la colère, le militaire aurait « tiré son épée, et en aurait donné un coup au dit Philibert qui en serait mort quelque temps après ». Telle est la version qu’on peut lire dans les lettres de grâce données à l’assaillant par le roi l’année suivante. Une autre version qu’on trouve dans une lettre des marchands François Havy et Jean Lefebvre adressée à un correspondant de Montréal sept jours après l’incident rend un son de cloche différent. Selon ces témoins, le sieur de Repentigny aurait commencé à accabler le marchand d’injures et la discussion se serait poursuivie sur un ton très vif. Finalement, l’officier aurait poussé le marchand hors de la maison, serait ensuite allé prendre son épée à sa chambre et aurait couru après Philibert pour lui donner le coup dont il mourut le jour suivant. Poursuivi en justice, le sieur de Repentigny, qui s’était enfui au fort Saint-Frédéric (Crown Point, N.Y.), fut condamné par contumace le 20 mars 1748 à avoir la tête tranchée. Il obtint sa grâce en avril 1749 après que sa famille eut versé à la veuve de la victime 8 675# 10s. en dommages et intérêts.
C’est cet incident, mis en relation par la suite avec une inscription datée de 1736, soit 12 ans avant la mort de Philibert, sur la façade de sa maison, qui donna naissance à la légende du Chien d’Or. Cette inscription, qui s’accompagnait d’un bas-relief représentant un chien tenant un os entre ses pattes, se lisait comme suit :
Je svis vn chien qvi ronge lo
En le rongeant je prend mon repos
Vn tems viendra qvi nest pas venv
Qve je morderay qvi mavra mordv
En 1759, l’officier anglais John Knox*, dans son Historical Journal, fait la première allusion à l’énigmatique inscription. N’ayant pu obtenir aucun renseignement sur son origine, il risque une explication pour le moins fantaisiste : le chien serait le symbole de la fidélité de la colonie à défendre le pays contre les Indiens. En 1829, le pasteur George Bourne publia la première version de la légende qui sera reprise avec des variantes par James Pattison Cockburn* en 1831 et par Alfred Hawkins* en 1834. Selon cette version, Philibert aurait placé cette inscription sur la façade de sa maison à l’intention de l’intendant Bégon selon Hawkins ou de Bigot* selon Bourne et Cockburn. L’intendant irrité aurait fait assassiner Philibert par le sieur de Repentigny et aurait ensuite permis à l’officier de s’enfuir aux Indes. Plus tard, un frère de la victime aurait rejoint l’assassin à Pondichéry (Inde) et l’aurait tué au cours d’un duel.
William Kirby, dans son roman paru en 1877, reprend les principaux éléments de la légende qu’il incorpore à sa vaste fresque et auxquels il ajoute certains détails empruntés à James MacPherson Le Moine*. L’ouvrage, par les nombreuses éditions qu’il a connues, a certainement contribué à populariser la légende du Chien d’Or.
Quant à l’enseigne, qui orne encore aujourd’hui la façade du Bureau de poste situé à l’angle de la Côte de la Montagne et de la rue Buade (où était située la maison de Philibert), la meilleure explication qui a été donnée sur son origine est sans doute celle de Benjamin Sulte*. La maison en question fut habitée avant 1700 par le chirurgien Timothée Roussel*, originaire de Montpellier en France. Or, selon Sulte, à une quarantaine de kilomètres de là, à Pézenas, se trouvait une inscription datant de 1561 et qui était à peu de chose près identique à celle de Québec. On peut supposer avec assez de vraisemblance que le chirurgien a voulu reproduire l’enseigne qu’il avait vue dans son enfance et conserver ainsi un souvenir de son pays natal. Toujours selon Sulte, le millésime 1736 aurait été inscrit par Philibert alors qu’il ajouta une aile à sa nouvelle maison.
Knox, Historical journal (Doughty), 206s. Recensement de Québec, 1744 (RAPQ), 22, 29.— Tanguay, Dictionnaire.— George Bourne, The picture of Quebec (Québec, 1829).— [J. P. Cockburn], Quebec and its environs ; being a picturesque guide to the stranger (Québec, 1831).— Alfred Hawkins, Picture of Quebec with historical recollections (Québec, 1834).— William Kirby, The Golden Dog (Rouses Point, N.Y., 1877).— P.-G. Roy, Toutes petites choses du régime français (2 sér., Québec, 1944), 2e sér., 79–81.— Léonce Jore, Pierre, Jean-Baptiste, François-Xavier Le Gardeur de Repentigny, RHAF, XV (1961–1962) : 556–571.— L’origine du « Chien d’Or », BRH, XXII (1916) : 15.— P.-G. Roy, L’histoire vraie du Chien d’Or, Cahiers des Dix, X (1945) : 103–168.— Benjamin Sulte, Le Chien d’Or, BRH, XXI (1915) : 270–273.
Jean-Claude Dupont, « JACQUIN, dit Philibert, NICOLAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/jacquin_nicolas_3F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |