IRWIN, THOMAS, instituteur, arpenteur, philologue et auteur ; décédé en 1847 près de Naufrage, Île-du-Prince-Édouard.

On ignore quand Thomas Irwin quitta son Irlande natale pour immigrer à l’Île-du-Prince-Édouard et comment il y gagna sa vie avant de recevoir, en 1830, un permis d’instituteur puis, en 1835, un autre d’arpenteur. Linguiste accompli, il obtint une copie manuscrite d’une grammaire en langue micmaque que le père Pierre Maillard* avait composée un siècle plus tôt. En étudiant cette langue, Irwin en vint à faire siens les malheurs des Micmacs. Il était catholique et gaélophone, et très tôt on l’avait contraint d’apprendre l’anglais, langue des oppresseurs protestants de sa patrie. À ses yeux, les Micmacs formaient aussi un peuple dominé, spolié et menacé d’assimilation. Ils souffraient de ce dont lui-même avait souffert, et il jura de consacrer sa vie à les aider.

Irwin figure pour la première fois dans les annales en 1829 ; il vivait alors à la baie Rollo. Cette année-là, il envoya une copie d’un ouvrage qu’il avait compilé sur « les rudiments de la langue micmaque » au rédacteur en chef du Free Press de Halifax en lui demandant de le publier par tranches, au rythme qui lui conviendrait. Il offrit aussi de publier dans cette langue un recueil de prières matinales et vespérales ainsi qu’un catéchisme. Tous ces projets échouèrent. Les Micmacs, faisait valoir Irwin, étaient un peuple supérieur car leur langue reflétait des facultés mentales de tout premier ordre. Instrument aux ressources quasi infinies, cette langue avait « toute la douceur melliflue de l’italien, la gravité solennelle et majestueuse de l’espagnol [...] l’abondance de l’une et l’autre [langues] et une syntaxe plus philosophique et plus belle qu’aucune des deux ». Dès juin 1830, il était prêt à publier une grammaire micmaque, un ouvrage de près de 300 pages qui, annonçait-il, serait imprimé et vendu à un dollar l’exemplaire dès que le nombre de commandes suffirait.

Peut-être pour mousser les commandes, Irwin publia de juin à décembre 1830 huit extraits de sa grammaire dans le Prince Edward Island Register de James Douglas Haszard* puis dans le journal qui le remplaça, la Royal Gazette. Dans ces publications, et deux ans plus tard dans le Novascotian, or Colonial Herald de Joseph Howe*, il condamna les Blancs qui, du cap Horn au Groenland, accusaient les autochtones de cruauté et de déloyauté tout en leur volant leurs terres et en les menant à l’extinction. Il prônait la formation de « sociétés philo-indiennes » qui gagneraient la confiance des autochtones de la colonie et leur enseigneraient l’agriculture. Cet appel n’eut pas plus d’échos que les plans de publication de sa grammaire n’eurent de suites. Malgré de sérieux efforts de promotion, les commandes demeurèrent insuffisantes pour rendre la parution possible.

En avril 1831, Irwin essaya une autre tactique. Au nom des Indiens, il présenta à la chambre d’Assemblée une requête qui demandait qu’on leur dispense l’instruction et qu’on leur donne des terres où ils pourraient s’établir et s’initier à l’agriculture. On chargea un comité d’étudier les moyens de les aider. Entre-temps, en juillet, Irwin brigua les suffrages dans la circonscription de Kings à une élection partiel le, mais il la perdit au profit de William Cooper*. À l’inauguration de la session suivante, en janvier 1832, Louis Francis Algimou et quatre autres chefs présentèrent une pétition qu’Irwin avait rédigée ; ils réclamaient des terres et des « livres pour montrer de bonnes choses à [leurs] enfants ». L’Assemblée examina rapidement la possibilité d’acheter des terres et alloua £50 au bureau d’Éducation pour des livres de niveau élémentaire en langue micmaque. Irwin affirma alors qu’il avait un ouvrage de ce genre « en préparation », à partir d’un syllabaire standard de l’époque, dans lequel se trouvaient aussi des prières que les missionnaires catholiques du siècle précédent avaient traduites en langue micmaque. Faisant fi d’Irwin, le bureau annonça qu’il ne pouvait trouver aucun livre élémentaire dans cette langue et décida de ne pas accorder la subvention. Candidat dans Kings en 1834, Irwin fut défait encore une fois.

En février 1840, Irwin pressentit de nouveau l’Assemblée, cette fois pour l’impression de son manuel élémentaire. Un comité étudia son manuscrit et exprima des inquiétudes quant à son exactitude étant donné que personne n’était qualifié pour l’évaluer, puis recommanda d’allouer un maximum de £50 au lieutenant-gouverneur, sir Charles Augustus FitzRoy*, pour l’embauche d’instituteurs qui enseigneraient en anglais aux Micmacs. Trois ans plus tard, Irwin fit une dernière tentative : il offrit d’enseigner gratuitement aux Micmacs dans leur langue pendant un an à l’aide de son manuel élémentaire si l’Assemblée en payait l’impression. L’Assemblée au grand complet débattit cette requête le 20 mars 1843 et la majorité des députés conclurent que les Indiens devaient apprendre l’anglais. Toutefois, comme la Nouvelle-Écosse comptait plus de Micmacs que l’Île-du-Prince-Édouard, la chambre offrit à Irwin de le défrayer des coûts de son voyage s’il voulait bien aller tenter de vendre son livre à Halifax.

À bout de patience, Irwin publia le ler avril 1843 une lettre rageuse dans le Colonial Herald, and Prince Edward Island Advertiser. « Ce pays, disait-il, est le patrimoine légitime des Indiens ; la main du pouvoir le leur a arraché, et on ne leur a rien donné d’équivalent en échange. » À présent, l’« esprit de domination des Anglais » exigeait même la destruction de leur langue. Les « Saxons dominateurs » avaient assassiné « les bardes gallois », pillé « les archives d’Écosse » et tenté récemment au Canada d’« éliminer les Français ». Jamais, s’il pouvait contribuer à empêcher cela, la douce langue des Micmacs ne serait supplantée par la « macédoine bâtarde » que parlaient les Saxons. En outre, il suivit le conseil de l’Assemblée et écrivit de nouveau à Howe pour lui demander son aide. Mais celui-ci, devenu commissaire aux Affaires indiennes en Nouvelle-Écosse, croyait lui aussi que les Micmacs devaient apprendre l’anglais. Leur correspondance cessa donc en juin 1843. Il semble bien qu’Irwin ignorait l’intérêt que portait alors Moses Henry Perley* aux Indiens du Nouveau-Brunswick et qu’il ne chercha pas à obtenir son aide.

Les efforts d’Irwin en faveur des Micmacs se soldèrent tous par des échecs. Pendant près de 20 ans, il fut le seul Blanc de l’Île-du-Prince-Édouard à manifester publiquement quelque sympathie aux Indiens. Comme il était catholique, toutes ses propositions soulevaient des réactions partisanes et, par ailleurs, le clergé de son Église ne le soutenait pas. Pourtant son œuvre ne fut pas tout à fait vaine. Le révérend Silas Tertius Rand*, ministre baptiste arrivé à Charlottetown à l’été de 1846, forma la Micmac Missionary Society selon les principes qu’Irwin avait énoncés autrefois. Reconnu mondialement à titre de spécialiste de la langue et de la tradition orale des Micmacs, il reconnaissait avoir d’abord puisé son savoir dans les extraits de la grammaire d’Irwin qu’avaient publiés le Register et la Royal Gazette.

En 1830, Thomas Irwin avait écrit dans le second journal : « Je conclus que j’ai encore 50 années à vivre (si l’on écarte les accidents en mer et sur terre). » Ce fut justement un accident de cette sorte qui mit fin à ses jours 17 ans plus tard. On le vit vivant pour la dernière fois le 14 février 1847, sur un plan d’eau appelé Big Pond ; il se rendait vers l’est en longeant la côte à partir de Naufrage. Près d’un mois plus tard, on trouva son corps sur les glaces du golfe Saint-Laurent, à quelque distance du rivage. Une enquête conclut qu’il s’était écarté de son chemin et qu’en raison du « temps alors très inclément, [il] était mort de froid ». Depuis au moins dix ans, il habitait St Peters ; il ne laissait aucun parent dans l’île.

L. F. S. Upton

Aucun manuscrit de Thomas Irwin ne semble avoir été conservé. Deux manuscrits, l’un de 65 pages de son manuel élémentaire et l’autre de 124 pages de sa grammaire, ont été offerts à l’encan, à Paris, en 1884 quand le savant français Alphonse-Louis Pinart vendit la collection décrite dans Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés, principalement sur l’Amérique et sur les langues du monde entier [...] (Paris, 1883) ; leur localisation actuelle est inconnue.

PANS, RG 1, 432 : 159–161, 178–179, 188–194, 216–221.— P.E.I. Museum, File information concerning Thomas Irwin.— Supreme Court of P.E.I. (Charlottetown), Estates Division, papers of administration for Thomas Irwin estate.— Î.-P.-É., House of Assembly, Journal, 8–9 avril 1831, 4, 7 janv. 1832, 19 févr. 1840, 20 mars 1843.— Colonial Herald, and Prince Edward Island Advertiser (Charlottetown), 29 févr., 11 avril 1840, 18 févr., 4, 25 mars, 1er avril 1843.— Islander, 26 mars 1847.— Novascotian, or Colonial Herald, 29 août, 5 sept. 1832.— Prince Edward Island Register, 2 févr., 27 avril, 4–18 mai, juin, 13, 27 juill., 3–17 août 1830.— Royal Gazette (Charlottetown), 24–31 août, 14, 28 sept., oct., 2 nov., 7 déc. 1830, 31 janv., 7 févr. 1832, 15 oct. 1833, 25 nov., 2, 23 déc. 1834, 13 janv., 24 févr. 1835, 28 mars, 4 avril 1843, 23 mars 1847.— P.E.I. calendar, 1837–1847.— Upton, Micmacs and colonists.— James Bambrick, « Days of Bishop McEachern, 1790–1836 », Prince Edward Island Magazine (Charlottetown), 3 (1901–1902) : 151.— L. F. S. Upton, « Indians and Islanders : the Micmacs in colonial Prince Edward Island », Acadiensis (Fredericton), 6 (1976–1977), no 1 : 21–42 ; « Thomas Irwin : champion of the Micmacs », Island Magazine (Charlottetown), n° 3 (automne–hiver 1977) : 13–16.

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L. F. S. Upton, « IRWIN, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/irwin_thomas_7F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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