HUTTON, sir EDWARD THOMAS HENRY, officier, né le 6 décembre 1848 à Torquay, Angleterre, fils d’Edward Thomas Hutton, banquier, et de Jacintha Charlotte Eyre ; le 1er juin 1889, il épousa à Knighstbridge (Londres) Eleanor Mary Paulet (décédée le 27 mars 1950), et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 4 août 1923 à Chertsey, Angleterre.
Edward Thomas Henry Hutton étudia à l’Eton College et, en 1867, il obtint une commission d’enseigne dans le 60th Regiment. Sa participation à la guerre des Zoulous en 1879, à la première guerre anglo-boer en 1880–1881, à la campagne d’Égypte en 1882 et à l’expédition du Nil en 1884–1885 lui procura de l’avancement. Son mariage avec Eleanor Mary Paulet, cousine du marquis de Winchester, et son appartenance à la coterie des officiers carriéristes de lord Wolseley* lui apportèrent d’influents appuis. Dans le cercle de Wolseley, il se fit le champion d’une « infanterie à cheval ». Promu colonel et nommé aide de camp de la reine Victoria en 1892, il prit, l’année suivante, la tête des forces militaires en Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie).
Hutton était un officier au tempérament compulsif, et sa propension à faire des déclarations publiques le perdrait. Il remodela l’état-major du quartier général de la colonie, adjoignit du soutien administratif aux unités de combat et prit le secrétaire militaire sous son propre commandement. En outre, il insista sur la nécessité d’être prêt à participer à la défense de l’Empire. En prônant sans le moindre tact l’intensification des engagements en matière de défense, il s’aliéna le gouvernement colonial, qui était en difficulté. Lorsque ses supérieurs le rappelèrent, en 1896, il se prenait pour un héros, en était un aux yeux de ses amis et avait envie d’une mission de plus grande ampleur. De fait, en juillet 1898, après une courte période de service en Irlande, il fut nommé officier général commandant de la milice au Canada, où il tenterait de répéter l’expérience amorcée en Nouvelle-Galles-du-Sud. Cette nomination lui donna le grade local de major-général. À la fin d’août, il s’installa à Ottawa avec sa femme.
Les alliés de Hutton au ministère de la Guerre avaient protesté parce que le ministère des Colonies avait essayé de faire obstacle à sa sélection. Ce dernier avait cédé à la condition que Hutton soit rappelé s’il causait des ennuis. Wolseley et sir Redvers Henry Buller, qui avaient tous deux servi au Canada, conseillèrent à Hutton de flatter les coloniaux au lieu de les rudoyer. L’idée ne lui souriait pas : il avait la conviction d’être « le très humble instrument d’une toute sage Providence ». Par chance, l’année de son arrivée au Canada, son ami le comte de Minto [Elliot*], à la fois naïf et inexpérimenté, obtint le poste de gouverneur général. Minto défendait bon nombre des mêmes causes que lui.
Promouvoir le service militaire, réorganiser l’état-major du quartier général, améliorer la formation, encourager le bilinguisme, fixer des critères rigoureux de nomination et d’avancement, et former des unités hors rang qui soutiendraient les unités de combat : ce que le général Hutton faisait en vue de ces objectifs, son patron civil, Frederick William Borden*, ministre de la Milice et de la Défense, l’appuyait. Il soutenait aussi les efforts déployés par Hutton pour créer une force autonome, capable de jouer le rôle d’une « petite armée canadienne en campagne ». Cependant, il réprouvait ses méthodes arrogantes et n’avait pas l’intention de le laisser s’approprier l’autorité exclusive sur l’administration militaire. De surcroît, bon nombre des collègues ministériels de Borden s’irritaient d’entendre Hutton rappeler publiquement les obligations du Canada envers l’Empire, surtout pendant la controverse qui précéda la participation du pays à la guerre des Boers.
Le général et le ministre se querellèrent d’abord au sujet de la nomination de Napoléon Chevalier au poste de médecin à l’école d’infanterie de Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu), dans la province de Québec. Sans tarder, Hutton sollicita l’assistance de Minto, fraîchement arrivé, dont l’appui nourrissait ses prétentions. En 1899, la prolongation du commandement du lieutenant-colonel James Domville au 8th (Princess Louise’s New Brunswick) Regiment of Cavalry donna lieu à un différend plus complexe qui fit du tort à toutes les parties en cause. Dédaigneux à l’endroit des « civils ignorants », Hutton et Minto avaient tendance à considérer la moindre intervention ministérielle comme une manifestation de politique partisane. Ils ne voyaient pas que Borden était l’« élément réformateur le plus puissant dans le gouvernement [de sir Wilfrid Laurier*] ».
De leur côté, beaucoup de libéraux estimaient que Hutton favorisait les conservateurs dans les nominations de la milice. Sa bataille avec Samuel Hughes, député conservateur aux Communes et lieutenant-colonel dans la milice de l’Ontario, montra qu’il n’avait cure de l’allégeance politique de personne, surtout quand elle menaçait d’entraver ses propres ambitions. Hutton et Hughes étaient tous deux des officiers compétents, mais c’étaient aussi des hommes vaniteux et excessifs qui aspiraient à monter en grade et pour qui la guerre était un moyen d’y parvenir. Leur altercation la plus violente porta sur le commandement des troupes que le Canada pourrait décider d’envoyer en Afrique du Sud advenant un conflit armé. Hutton s’était mis en tête de commander une force mixte de Canadiens et d’Australiens, et il tenta d’y arriver en insistant pour la création d’un contingent canadien officiel. Hughes, craignant que Hutton l’ait écarté de tout rôle important dans quelque contingent que ce soit, offrit de recruter et de commander une unité de volontaires. Toutefois, Hutton refusa de transmettre l’offre de Hughes au gouvernement de Londres et, en août 1899, il demanda à Minto d’empêcher le Canada d’appuyer cette proposition. Avec l’énergie du désespoir, Hughes dénonça Hutton et Minto et leur rappela les bourdes commises par les soldats réguliers de l’armée britannique au cours des âges. Sa communication donna à Hutton l’impression qu’il était un peu fou. En fait, nul ne ressemblait plus à Hutton que Hughes. Après que ce dernier eut annoncé qu’il cherchait des volontaires, Hutton l’accusa d’enfreindre le British Army Act, qui interdisait le recrutement sans autorisation, et il menaça de lui retirer son commandement dans la milice. Lorsque le Canada déciderait – le 13 octobre, deux jours après l’éclatement de la guerre en Afrique du Sud – d’envoyer un contingent officiel, Borden interviendrait afin de permettre à Hughes d’accompagner ce contingent en costume civil et de chercher un poste militaire dans une autre unité. Étant donné les lettres vindicatives adressées par Minto et Hutton à des officiers supérieurs britanniques, Hughes avait peu de chance de trouver à se placer.
Le gouvernement assista incrédule à cette controverse qui se déroulait au grand jour. Les membres du cabinet opposés à l’envoi d’un contingent, dont Joseph-Isräel Tarte* et Richard William Scott*, étaient certains que Hutton et Minto agissaient de connivence avec le secrétaire d’État aux Colonies, Joseph Chamberlain, pour forcer le Canada à engager des troupes. Ils avaient tort. Aucune entente n’existait ; même Hutton et Minto divergeaient d’opinion sur la nécessité de la guerre. Pendant l’été de 1899, Hutton chauffa « à blanc […] le patriotisme et l’enthousiasme des militaires » dans les camps de la milice. Minto entretint le flou autour de sa position jusqu’à ce que la guerre éclate. En fin de compte, la décision d’envoyer des soldats fut prise à contrecœur, pour des raisons politiques : le gouvernement capitula pour faire taire les cris des faucons canadiens. Cependant, les rumeurs selon lesquelles Hutton avait affirmé qu’il devrait peut-être renverser le gouvernement, comme il prétendait l’avoir fait en Nouvelle-Galles-du-Sud, n’avaient pas aidé.
La crise du contingent envenima les relations de Hutton avec le gouvernement et préluda à son renvoi pour insubordination. Les antagonismes se manifestèrent à l’occasion des cérémonies qui marquèrent le départ du contingent. Au banquet des officiers tenu le 28 octobre à la garnison de Québec, Hutton, enivré par sa propre rhétorique, prédit que le Canada enverrait de 50 000 à 100 000 hommes pour défendre l’intégrité de l’Empire. Or, le gouvernement avait proclamé que l’envoi d’un contingent de 1 000 hommes ne constituait nullement un engagement à faire d’autres contributions dans l’avenir. Le lendemain du banquet, Hutton se disputa avec Borden, prit la mouche et quitta en vitesse le terrain de parade.
Entre-temps, un désaccord avait éclaté entre Hutton et lord William Frederick Ernest Seymour, le commandant des troupes britanniques à Halifax. Ce qui n’avait été en juin 1899 qu’une insignifiante affaire de protocole avait tourné à la vengeance personnelle. En cas de guerre, Seymour, à titre d’officier supérieur britannique au Canada, devait assumer le commandement des forces canado-britanniques. Hutton refusa de lui remettre un rapport secret et des renseignements courants sur les soldats britanniques réguliers qui servaient dans la milice canadienne. Un tel échange, estimait-il, porterait atteinte à l’autonomie du Canada. Il parut encore plus alarmé lorsque Seymour s’adressa à lui par l’entremise de Borden. Finalement, Seymour demanda à Borden d’intervenir pour freiner l’insubordination croissante de Hutton et envoya en secret au ministre une note condamnant la conduite tenue par Hutton pendant qu’il commandait la milice. Minto en référa au ministère de la Guerre à propos de Seymour. Celui-ci démissionnerait en 1900 après avoir pris connaissance de l’évaluation du ministère, mais par la suite, une enquête militaire se conclurait en sa faveur.
Plus la guerre avançait, plus Hutton devenait bizarre. Même Minto se disputa avec lui au sujet de la composition d’un deuxième contingent. Hutton était résolu à recruter, dans la cavalerie de la milice, des hommes à cheval, confiant que leur succès rejaillirait sur son commandement. Minto, lui, proposa des recrues du Nord-Ouest qui savaient monter à cheval, étaient bons tireurs et avaient l’habitude des terrains accidentés. En désespoir de cause, il expliqua à son ami du ministère de la Guerre, lord Lansdowne [Petty-Fitzmaurice], combien Hutton était devenu déraisonnable : « Il est obsédé par l’image publique de l’organisation et pense beaucoup aux chapeaux qu[e] [les hommes] vont porter. » Minto sollicita même l’intervention du premier ministre Laurier.
Une petite chicane au sujet de l’achat de chevaux pour le deuxième contingent hâta la rupture entre Hutton et le gouvernement en janvier 1900. Hutton ayant refusé de communiquer des renseignements, Borden obtint l’appui du cabinet pour le congédier. Minto poussa la bêtise jusqu’à envisager de forcer son gouvernement à démissionner pour cette raison. Voyant la résistance de Laurier, il fit part de ses plans au ministère des Colonies. La réaction du ministère ne se fit pas attendre. Convaincu que Hutton était « inapte par [son] tempérament et [ses] manières » à exercer sa fonction, il le rappela ; la décision entrait en vigueur le 12 février.
Grâce à des amis au ministère de la Guerre, Hutton fut nommé, en Afrique du Sud, commandant de la 1st Mounted Infantry Brigade. Composée en grande partie de soldats canadiens, australiens et néo-zélandais, cette unité ressemblait au rêve qu’il avait caressé bien des années plus tôt. Cependant, les soldats canadiens le détestaient et, apparemment, c’était réciproque. Selon lui, l’armée britannique ne comptait pas pires voleurs qu’eux ; une fois, ils lui avaient volé son cheval. Les Canadiens ne tardèrent pas à découvrir que les officiers britanniques avaient eux aussi une piètre opinion de Hutton. Ils le trouvaient « un peu excentrique et assez peu [doué de] sens pratique ».
Créé en 1900 chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, Hutton devint, l’année suivante, le premier officier général commandant des forces terrestres du nouveau commonwealth d’Australie. Ni sa mission ni ses méthodes ne comportaient de surprises : il s’employa à créer, souvent malgré l’opposition des milieux politiques, une force intégrée et bien équipée qui réunirait des troupes sédentaires et des effectifs de combat et qui pourrait servir sur place et à l’étranger. Il renforça les milices des États et prépara une politique de défense nationale. Le remplacement du général officier commandant par un conseil supérieur de l’armée, décidé au cours d’une révision de cette politique en 1904, le poussa à démissionner ; un différend sur le paiement d’un câble secret avait déclenché la crise. Lorsque le ministère de la Guerre apprit l’incident, le secrétaire d’État exprima ainsi sa répugnance à rappeler Hutton : « comme [il] ne peut pas tenir sa langue, [il] nous mettrait dans le pétrin une fois par semaine ». Cependant, il fallait bien faire quelque chose de Hutton, alors le ministère de la Guerre le nomma commandant de la 3e division britannique. Avant de prendre sa retraite en 1907, Hutton fut promu lieutenant-général et, en 1912, il reçut le titre de chevalier commandeur de l’ordre du Bain. Il reprit du service pendant la Grande Guerre – il organisa et commanda la 21e division – mais en 1915, un accident de cheval le força à se remettre à la retraite. Il mourut huit ans plus tard à sa maison de Chertsey, Fox Hills, et fut inhumé non loin de là, à Lyne.
Sir Edward Thomas Henry Hutton était un homme dynamique et ambitieux, un grand organisateur qui avait à cœur la défense du domaine impérial. Il considérait les colonies comme un laboratoire d’expériences en matière de relations entre civils et militaires et comme un moyen d’avancement. Sa vanité, sa manie des déclarations publiques, son mépris pour les civils, son irrespect pour les institutions démocratiques et son manque de tact se révélèrent des faiblesses fatales et lui donnaient, selon l’expression d’un ex-officier général commandant, l’air d’un « dangereux pète-sec ». Sa tumultueuse carrière mina l’influence impériale sur la défense du Canada et constitua un argument pour la nomination d’un Canadien au commandement de la milice.
BAC, MG 26, G ; MG 27, II, B1 ; MG 30, E242.— British Library (Londres), Add. mss 50078–114 (Hutton papers) ; Add. mss 50275–357 (Arnold-Forster papers).— NSARM, MG 2.— Australian dictionary of biography, Douglas Pike et al., édit. (16 vol. et un index parus, Melbourne, 1966– ), 9.— Stephen Clarke, « “Manufacturing spontaneity” ? The role of the commandant in the colonial offers of troops to the South African War », dans The Boer War : army, nation and empire : the 1999 Chief of Army/Australian War Memorial military history conference, Peter Dennis et Jeffrey Grey, édit. (Canberra, Australie, 2000), 129s.— R. G. Haycock, Sam Hughes : the public career of a controversial Canadian, 1885–1916 (Waterloo, Ontario, 1986).— Carman Miller, The Canadian career of the fourth Earl of Minto : the education of a viceroy (Waterloo, 1980) ; Painting the map red : Canada and the South African War, 1899–1902 (Montréal et Kingston, Ontario, 1993).— Desmond Morton, Ministers and generals : politics and the Canadian militia, 1868–1904 (Toronto et Buffalo, N.Y., 1970).— R. A. Preston, Canada and « Imperial Defense » ; a study of the origins of the British Commonwealth’s defense organization, 1867–1919 (Toronto et Durham, N.C., 1967).
Carman Miller, « HUTTON, sir EDWARD THOMAS HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hutton_edward_thomas_henry_15F.html.
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Auteur de l'article: | Carman Miller |
Titre de l'article: | HUTTON, sir EDWARD THOMAS HENRY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |