GRENFELL, sir WILFRED THOMASON, médecin, missionnaire, réformateur social et auteur, né le 28 février 1865 à Parkgate, près de Neston, Angleterre, deuxième fils d’Algernon Sidney Grenfell et de Jane Georgiana Hutchinson ; le 18 novembre 1909, il épousa à Chicago Anna Elizabeth Caldwell MacClanahan, et ils eurent deux fils et une fille ; décédé le 9 octobre 1940 à Charlotte, Vermont.

Derrière le Dr Charles S. Curtis Memorial Hospital de St Anthony, à Terre-Neuve, se trouve un rocher où sont apposées six plaques de cuivre. L’une d’entre elles indique l’emplacement des cendres de sir Wilfred Thomason Grenfell, médecin britannique qui a accompli des œuvres extraordinaires à Terre-Neuve et au Labrador, notamment la construction d’hôpitaux, d’orphelinats, d’écoles et de petites industries à des endroits où il n’y en avait jamais eu. Cette plaque témoigne de la vie de Grenfell, sans symboles chrétiens traditionnels ni phrases sentimentales ; elle ne comporte qu’un nom, une date et une inscription : « La vie est un champ d’honneur ». Grenfell fut l’un des derniers aventuriers spirituels, ces chrétiens au caractère viril qui étendaient la pratique de la bienfaisance jusque dans les régions isolées de la planète, à une époque où une telle philosophie de vie était encore possible.

Grenfell et ses trois frères furent élevés dans le village de Parkgate. Leur père, ministre de l’Église d’Angleterre, était directeur et propriétaire de la Mostyn House, un pensionnat pour garçons. En 1879, le jeune Grenfell, surnommé Wilf, fut envoyé au Marlborough College, école publique exigeante qui encourageait les qualités sociales et religieuses associées à la masculinité, prônées par des écrivains comme Thomas Carlyle, Charles Kingsley et Thomas Hughes. Il prit plaisir au régime de l’école axé sur l’activité physique, mais son père, insatisfait de ses progrès scolaires, lui fit suivre des leçons particulières en 1881 dans le but de le préparer à l’examen d’immatriculation de Londres. Pendant ce temps, Grenfell réfléchissait à ce qu’il ferait dans la vie. Il envisagea l’armée, puis l’Église. Au cours d’un entretien qu’il eut avec le médecin du village de Neston, il s’enflamma pour l’idée de devenir médecin et, en février 1883, il entra au London Hospital Medical College. Au même moment, son père, que la pression du milieu scolaire rendait de plus en plus instable, donna la Mostyn House en location et accepta la fonction d’aumônier au London Hospital. Sa santé se détériora ; il fut interné dans un asile en 1885, et il s’enleva la vie deux ans plus tard.

À cette époque, Grenfell manifestait déjà des tendances pour ce qui ferait un jour sa renommée. Même s’il aimait la médecine, en particulier les techniques de diagnostic de sir Andrew Clark et les procédés chirurgicaux de Frederick Treves, il s’absentait souvent des cours et consacrait une grande partie de son temps libre au cricket, au rugby et à l’aviron. Il jouait aussi au football pour le club Richmond. Le temps qui lui restait était dédié à l’administration, de chez lui, d’un gymnase et d’une école du dimanche. Durant les vacances, il organisait des camps d’été au pays de Galles pour les garçons de l’East End de Londres. « Il aspirait toujours aux grandes choses dans la vie », écrivit son compagnon de classe Dennis Halsted. « Les détails […] il [les] laissait à d’autres moins compétents. » En publiant son propre compte rendu de ses réalisations dans la Review of Reviews de Londres, il dévoila un autre aspect de sa personnalité : son besoin de faire connaître et de promouvoir son œuvre.

Grenfell dit avoir vécu, en 1885, pendant sa deuxième année de médecine, une expérience encore plus profonde sur le plan religieux. Un soir où il revenait de traiter un cas à Shadwell (Londres), il fut attiré vers une tente où se déroulait une réunion dirigée par les évangélistes américains Dwight Lyman Moody et Ira David Sankey. Ému par la simplicité de leur formule pour mener une vie chrétienne, il ressortit convaincu qu’il devait consacrer ses énergies et sa formation en médecine au travail que Jésus aurait accompli s’il avait été médecin. À une réunion subséquente, quand l’appel pour « choisir » le Christ fut lancé, il y répondit, déterminé à vouer sa vie à la pratique de la bienfaisance. En janvier 1888, il obtint une licence du Royal College of Physicians et devint membre associé du Royal College of Surgeons. Il passa le trimestre d’automne suivant au Queen’s College, à Oxford, apparemment sans objectif précis. Il fut choisi pour représenter le collège dans l’équipe d’athlétisme. Malgré la licence qu’il détenait déjà, il échoua à l’examen de la licence en médecine imposé par la University of London.

Pendant ce temps, il se passait quelque chose d’important. Treves avait suggéré à Grenfell de mettre sa formation à profit en devenant médecin pour la Mission to Deep Sea Fishermen, une nouvelle association qui œuvrait auprès de la flotte de pêche de la mer du Nord et pour laquelle Treves lui-même était médecin consultant. Ce travail à la fois physique et pratique convenait parfaitement à Grenfell et lui donnait la chance de prêcher l’Évangile. À ses débuts, la mission se considérait avant tout comme une association évangélique, et seulement en second lieu comme un organisme philanthropique et médical. À la fin de 1887, elle comptait huit bateaux en mer et un effectif grandissant d’évangélistes laïques et ordonnés. En 1889, Grenfell, âgé de 24 ans, en fut nommé le premier surintendant et se vit confier la responsabilité d’entretenir la flotte. Après s’être établi à Yarmouth, il se rendit compte qu’il était également nécessaire d’établir certains services sur la côte, comme un institut des pêcheurs et une bibliothèque. Une fois de plus, il montra son talent pour la publicité en contribuant régulièrement à la revue mensuelle de la mission, Toilers of the Deep, publiée à Londres, dans laquelle il décrivait de façon dramatique le travail médical et l’œuvre spirituelle de l’association. À cette époque, il acquérait des connaissances non seulement sur les traitements médicaux donnés en mer, mais aussi sur les méthodes de plaidoyer, la pêche, les marchés et les travailleurs eux-mêmes. Malheureusement, son dévouement sur le terrain l’amena à négliger ses tâches administratives et, en 1891, le conseil de la mission nomma un secrétaire spécialement affecté à la recherche de financement.

Cette année-là, à la demande du gouvernement de Terre-Neuve, le conseil envoya l’un de ses membres, Francis John Stephens Hopwood (futur lord Southborough), enquêter sur les conditions de vie et de travail dans l’industrie de la pêche. Ses observations changèrent radicalement les priorités de la mission. Hopwood fut stupéfait des conditions de vie déplorables des travailleurs de la pêche migratoire au Labrador, soit près de 25 000 hommes, femmes et enfants terre-neuviens installés dans des logements temporaires avec seulement quelques biens de première nécessité. À St John’s, il suggéra que la mission envoie un navire-hôpital l’été suivant pour fournir des soins médicaux de base et distribuer des vêtements. De retour à Londres, il choisit plus soigneusement ses mots et proposa l’expédition au Labrador à titre d’« expérience ». En février 1892, le conseil décida d’envoyer Grenfell et le navire de mission Albert. Celui-ci fut remis en état en prévision des glaces et se mit en route le 15 juin.

Au cours du premier été, l’Albert, qui arborait le pavillon bleu distinctif de la mission, visita de nombreux ports isolés du Labrador, où Grenfell traita tous les types de maladies dans la population de pêcheurs. Par la même occasion, il distribua des vêtements et des tracts religieux et organisa des réunions de prière. Ce faisant, il s’éloigna vers le nord jusqu’au poste de la mission morave de Hopedale. À mesure qu’il avançait, il prit conscience des innombrables possibilités qui s’offraient pour la pratique de la bienfaisance chrétienne. Il écrivit à Londres pour exprimer sa conviction que l’expérience devait se répéter chaque année, et même devenir une partie de l’œuvre de la mission. Lorsqu’il revint à St John’s en octobre, il avait vu plus de 900 patients et ne conservait plus de doutes sur la direction que prendrait sa vie. De plus, le gouvernement de Terre-Neuve était disposé à construire et à équiper deux petits hôpitaux et à verser une subvention destinée à leur entretien. Par l’intermédiaire d’un comité local dont faisaient partie Samuel Blandford* et Augustus William Harvey*, les milieux d’affaires de St John’s avaient promis de l’argent et des bâtiments pour deux hôpitaux si la mission fournissait le personnel médical nécessaire à leur fonctionnement.

Après que le conseil eut approuvé le projet, Grenfell retourna passer l’été de 1893 sur la côte du Labrador avec une équipe médicale, et des hôpitaux furent établis à Battle Harbour et à Indian Harbour. Pendant ce voyage, il pilota le bateau à vapeur Princess May vers le nord jusqu’à Nain, où lui et ses collègues furent accueillis par le surintendant de la mission morave, Carl Albert Martin. Tout au long de l’été, il rencontra des habitants qui manquaient de nourriture, de vêtements et de traitements médicaux adéquats pendant plusieurs mois de l’année. Sans consulter la mission, Grenfell décida d’utiliser son congé annuel pour aller recueillir des fonds dans les grandes villes du Canada. À Montréal, il reçut un accueil chaleureux de la part de personnalités telles que sir John William Dawson*, qui venait de prendre sa retraite du poste de recteur de la McGill University, et sir Donald Alexander Smith*, qui avait travaillé au Labrador pour la Hudson’s Bay Company. Cependant, à son retour à Londres au printemps, il s’était déjà rendu compte que la mission ne l’appuyait pas entièrement, car les coûts des projets ne cessaient d’augmenter. Le gouvernement du Canada avait aussi opposé de la résistance en rejetant les demandes d’aide du Board of Trade de Grande-Bretagne et de Grenfell pour la construction d’un hôpital sur la rive nord du golfe du Saint-Laurent. Des Montréalais qui appuyaient Grenfell, dont Smith et Thomas George Roddick*, préparèrent néanmoins le yacht à vapeur Sir Donald pour ses besoins.

Au cours de l’hiver de 1895, Grenfell termina son premier livre, Vikings of to-day ; or, life and medical work among the fishermen of Labrador, qui fut publié à Londres et à New York, et qui servirait de modèle pour ses prochains ouvrages. Grenfell trouva un juste milieu entre le récit de voyage et l’écrit publicitaire afin de présenter le Labrador à un vaste public de lecteurs. Il avait déjà dépassé les exigences de la simple pratique de la médecine et avait pris en charge des problèmes sociaux qui échappaient au gouvernement de Terre-Neuve. Les membres du conseil n’étant toujours pas convaincus, ils ordonnèrent à Grenfell en 1896 de rester en Angleterre pendant qu’ils réfléchissaient à son avenir, mais il retourna quand même à Terre-Neuve. Après avoir quitté St John’s à bord du Sir Donald en juin 1896, il fit escale à Englee, sur la péninsule nord, où il fut témoin d’un terrible manque de ressources alimentaires et matérielles, y compris d’équipements de pêche. En vue de réformer le système de crédit de la colonie, qui désavantageait toujours les pêcheurs, Grenfell mit à l’essai un petit magasin coopératif à Red Bay, au Labrador.

Pendant les deux saisons suivantes, qu’il passa au Royaume-Uni à superviser les projets de la mission, Grenfell persuada un architecte naval de dessiner bénévolement les plans d’un bateau à vapeur qui servirait au travail effectué au Labrador. Ces plans proposaient une embarcation avec une coque en bois, mais lorsque les travaux débutèrent, en 1898, elle avait été remplacée par un navire-hôpital à coque d’acier. Le Strathcona, d’une longueur de 97 pieds, fut mis à l’eau en juin 1899. Grenfell croyait pouvoir le gouverner lui-même jusqu’au Labrador, mais son certificat du Board of Trade ne l’autorisait pas à manœuvrer un bateau plus gros qu’un yacht. Le conseil immatricula donc le navire en vertu du Merchant Shipping Act et fit venir un équipage qualifié de Terre-Neuve pour l’y conduire l’été suivant. Entre-temps, à l’automne de 1899, Grenfell fut subitement envoyé à Terre-Neuve pour remplacer un de ses médecins. Il se mit alors en tête de construire un hôpital permanent à St Anthony pour traiter la population dispersée de la côte française de Terre-Neuve. Ainsi, sans que le conseil n’en ait décidé, la mission fonda une section sur la péninsule nord ; à l’hiver de 1899, Grenfell y travailla, installé dans la maison d’un marchand de la région. Une fois de plus, la mission ne pouvait que se plier aux élans d’enthousiasme de son surintendant errant.

En raison de l’augmentation de ses dépenses, la mission fit valoir qu’elle devait obtenir davantage de soutien de l’Amérique du Nord. Ce faisant, elle fournit à Grenfell un fondement pour sa propre organisation. Il avait fait sa première tournée de conférences aux États-Unis en 1896. Au cours des voyages qu’il entreprit pour trouver du financement au Canada et dans les États de l’Est en 1901 et 1902, il devint plus conscient des immenses possibilités qu’offraient les États-Unis et le Canada sur le plan philanthropique. En 1903, il rencontra un allié précieux, William Lyon Mackenzie King*, sous-ministre du Travail à Ottawa, qui lui ouvrit les portes de la bureaucratie canadienne. King le présenta également à l’écrivain Norman McLean Duncan*, qui serait l’une des premières personnes à promouvoir son œuvre. Les conférences publiques de Grenfell sur le Labrador suscitèrent un tel intérêt, en particulier à New York, que la presse l’idéalisa rapidement et le décrivit comme un saint homme, un individu acharné, déterminé à accomplir de bonnes œuvres. Le côté théâtral et l’impulsivité juvénile de Grenfell rehaussaient cette image. Des articles parurent dans des revues s’adressant à des chrétiens, et il reçut l’appui de Lyman Abbott, ministre congrégationaliste d’influence. Les propos de celui-ci dans la publication new-yorkaise Outlook renforcèrent la réputation grandissante de Grenfell en tant que médecin héroïque et aventureux. « S’il y a une meilleure [façon] que celle-ci [de] prêcher l’Évangile du Christ dans le monde, nous ne la connaissons pas », écrivit-il en 1903. À cette époque, Grenfell avait ouvert l’hôpital à St Anthony et y avait créé une ferme d’élevage de renards et une scierie ; il évaluait également la pertinence d’établir un orphelinat et d’autres coopératives de pêcheurs. Toutefois, il perdait inévitablement le contact avec la mission à Londres, qui envisageait alors de céder l’entreprise à un comité canado-américain avant d’y engloutir toutes ses ressources financières.

À la suite des campagnes menées par Grenfell, des associations portant son nom avaient vu le jour à Boston et à Toronto. À partir de 1903, une revue trimestrielle, Among the Deep Sea Fishers (New York), publia ses articles et ses textes d’opinion, ainsi que des listes de donateurs. En 1905, Grenfell publia à New York The harvest of the sea [...], son deuxième livre sur le Labrador, et Norman McLean Duncan fit paraître dans la même ville Dr. Grenfell’s parish ; the deep sea fishermen. Ces deux ouvrages, auxquels s’ajoutaient les écrits journalistiques de Duncan, rejoignirent un plus vaste public. Une troisième association fut fondée à New York, et son conseil d’administration apposa le sceau du libéralisme sur l’œuvre de Grenfell, qui devenait de moins en moins évangélique et tendait plutôt vers le mouvement théologique Social Gospel des États-Unis.

Pendant l’été de 1905, avec l’aide de King, Grenfell tenta en vain d’obtenir une subvention du gouvernement canadien pour construire un hôpital à Harrington Harbour, au Québec, près de la côte du Labrador. Il reçut par contre un don pour cette construction de la part des filles du brasseur de Montréal Andrew Dow, et les efforts de King à Ottawa pour obtenir une subvention d’entretien annuelle portèrent fruit. Grenfell envoya à Harrington Harbour Henry Mather Hare, un chirurgien de Halifax qui avait été missionnaire en Chine, et il donna à sa nouvelle association de Montréal la tâche de recueillir des fonds pour l’hôpital. L’année suivante, il persuada Jessie Luther, artiste et ergothérapeute du Rhode Island qui avait travaillé à la Hull House (centre d’œuvres sociales situé à Chicago), d’enseigner l’artisanat à St Anthony dans le but de créer de l’emploi pour les femmes de la région. L’arrivée du docteur John Mason Little* en 1907 renforça aussi la réputation médicale de la mission de Grenfell. On avait ouvert un orphelinat en 1906. Grâce à ces projets, les marques d’approbation du public affluèrent et éclipsèrent les plaintes de missionnaires d’expérience comme Michael Francis Howley*, archevêque de St John’s. Sous les exhortations de King, le gouverneur général lord Grey* recommanda la nomination de Grenfell pour la liste de distinctions publiée à l’occasion de l’anniversaire du roi et, en 1906, il reçut dûment le titre de compagnon de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. L’année suivante, la University of Oxford lui remit le premier doctorat honorifique en médecine qu’elle ait décerné.

Toutefois, aucun de ces honneurs n’aida autant la cause de Grenfell que lorsqu’il frôla la mort dans la baie Hare, au sud de St Anthony, le dimanche de Pâques 1908. Après être passé à travers la glace avec son traîneau à chiens, il grimpa péniblement avec eux sur une plaque de glace et fut emporté vers la mer. Durant la nuit, il sacrifia trois chiens pour leur fourrure afin de ne pas mourir gelé. Le jour suivant, il essaya d’attirer l’attention en hissant un drapeau de fortune à un poteau fabriqué avec leurs os. Heureusement, des pêcheurs de la région vinrent le secourir. À la suite de cette mésaventure, sa renommée atteignit de nouveaux sommets, en particulier après la parution de récits dramatiques de l’événement dans des journaux britanniques, canadiens et américains. Sa propre version des faits, le célèbre Adrift on an ice-pan, publié à Boston et à New York en 1909, fit connaître ses exploits à de nouveaux lecteurs ainsi qu’à des donateurs éventuels.

Pendant l’hiver de 1908-1909, Grenfell effectua une autre tournée de conférences aux États-Unis, où il fut reçu en héros. En revenant d’Angleterre à bord du Mauretania le printemps suivant pour recevoir des grades honorifiques de la Harvard University et du Williams College du Massachusetts, sa vie fut soudainement transformée par sa rencontre avec Anna Elizabeth Caldwell MacClanahan, de Lake Forest, en Illinois, qu’il décida d’épouser. Après avoir passé l’été sur la côte du Labrador, il se rendit à Chicago pour leur mariage, qui eut lieu en novembre à l’église épiscopale Grace. (Bien que Grenfell soit demeuré épiscopalien, sa vision de la religion était œcuménique.) Il retourna à St Anthony en compagnie de sa jeune épouse en janvier 1910 pour élire domicile dans une nouvelle maison. Mme Grenfell, surnommée Anne, s’installa dans ses fonctions de secrétaire particulière, de réviseure et de conseillère de son mari, et il devint bientôt évident que celui-ci ralentirait son rythme de vie effréné. En 1910, Mme Grenfell donna naissance à un fils, prénommé Wilfred Thomason, qui serait suivi deux ans plus tard par Kinloch Pascoe, puis par une fille, Rosamond Loveday, en 1917. Par conséquent, avec trois enfants à élever, elle passa chaque année la majeure partie de son temps à Swampscott, au Massachusetts.

Grenfell devint peut-être un homme de famille, mais il ne relâcha pas ses efforts pour autant. Le conseil de la mission à Londres eut tôt fait de prendre connaissance de ses dernières initiatives, notamment la construction coûteuse du nouvel institut maritime de St John’s en 1910-1911. Cette période sembla propice au conseil pour se retirer de Terre-Neuve et du Labrador. Ainsi, en 1913, une nouvelle association, l’International Grenfell Association, composée de sections en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada, fut mise sur pied pour superviser et administrer le côté financier et organisationnel de ce qui était désormais connu sous le nom de Grenfell Mission. Constituée juridiquement en janvier 1914, l’International Grenfell Association tint sa première réunion au Harvard Club of New York City.

Après le début de la Première Guerre mondiale, Terre-Neuve commença à éprouver des difficultés financières. Le prix du poisson diminua considérablement, tandis que celui des produits alimentaires de base augmenta. Parallèlement, les dépenses de la Grenfell Mission s’accrurent et les dons se firent plus rares. En contrepartie, en 1915, l’assistant de Grenfell au Labrador, le docteur Henry Locke Paddon, ouvrit un petit hôpital à North West River, et le docteur Charles Samuel Curtis*, qui gérerait plus tard l’hôpital de St Anthony, arriva sur la côte du Labrador pour y travailler bénévolement pendant l’été. La même année, voulant se rendre outre-mer, Grenfell s’enrôla dans la Harvard Surgical Unit, qui venait en aide au Royal Army Medical Corps, et reçut le grade temporaire de major. Il arriva au front en janvier 1916 et y demeura jusqu’à la fin mars.

En 1917, du côté de Terre-Neuve, la légitimité de l’œuvre de Grenfell fut remise en question comme elle ne l’avait jamais été, lorsqu’une enquête fut menée par le magistrat Robert T. Squarey. Un groupe de marchands et de trafiquants s’était plaint de la supposée concurrence que leur faisait la mission dans le commerce, de l’image de pauvreté dégradante qu’elle projetait des Terre-Neuviens et de sa dépendance au capital américain. Squarey disculpa l’association de Grenfell. De plus, vers la fin de la guerre, les œuvres de Grenfell dans le nord de Terre-Neuve et au Labrador continuèrent d’attirer des donateurs et des bénévoles. À l’issue du conflit, le temps sembla propice à Grenfell pour mettre son histoire sur papier et, de ce fait, arrondir ses revenus personnels qui diminuaient. En 1919, avec l’aide de sa femme, il publia A Labrador doctor […] à Boston et à New York. Cette autobiographie de style puritain, empreinte de spiritualité, dans laquelle il mettait l’accent sur la Grenfell Mission et son rôle dans « la venue du Christ au Labrador », devint un succès commercial. Les travaux de la mission ne ralentirent absolument pas. À St Anthony, un nouvel orphelinat en brique fut construit en 1922, et on projeta de créer un nouvel hôpital. L’année suivante, 24 731 patients reçurent des soins sur place, dont 1 186 furent hospitalisés.

Grenfell jouissait certes d’une vague de célébrité, mais il sentait sa forme physique diminuer lorsqu’il se déplaçait pour donner des conférences et recueillir des fonds. Il ne pouvait le savoir à l’époque, mais cet affaiblissement résultait probablement d’une affection cardiaque maintenant connue sous le nom de syndrome de Wolff-Parkinson-White, qu’il transmit à sa fille et à sa petite-fille. À l’approche de ses 60 ans, il entreprit de mettre sur pied un fonds de dotation pour l’International Grenfell Association, et il continua d’écrire, même si son état et les exigences de la célébrité l’épuisaient. Le conseil de l’association lui suggéra de prendre des vacances. Ainsi, en juin 1924, il prit avec son épouse une sorte de congé sabbatique pour voyager au Proche-Orient et en Extrême-Orient. Pendant ce temps, le conseil prit de nouvelles initiatives et montra ainsi clairement qu’il pouvait agir de lui-même. La plus importante de ces initiatives était le nouvel hôpital de St Anthony, qui était équipé des technologies médicales les plus perfectionnées. Le 25 juillet 1927, des invités de marque se réunirent à l’occasion de l’ouverture officielle de l’hôpital, et le gouverneur sir William Lamond Allardyce annonça que le roi nommait Grenfell chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, honneur qui obligeait Mme Grenfell à renoncer à sa citoyenneté américaine.

Grenfell accumula par la suite de nombreux honneurs publics et professionnels. En 1928, les étudiants de la University of St Andrews en Écosse l’élurent recteur, titre essentiellement honorifique qu’il revêtit en novembre 1929. En mars de cette année-là, il subit une violente crise d’angine de poitrine. Il annula tous ses engagements et, en compagnie de sa femme, il se rendit au sanatorium dirigé par le docteur John Harvey Kellogg à Battle Creek, au Michigan. Étant toujours le surintendant officiel de la mission - il fut d’ailleurs de retour à St Anthony l’été même -, Grenfell compta d’autant plus sur les capacités de sa femme pour la gestion des affaires familiales. Il publia deux autres livres, Forty years for Labrador (Boston et New York, 1932) et The romance of Labrador (New York et Londres, 1934), qui exigèrent l’étroite collaboration d’Anne. D’autres crises minèrent l’énergie de Grenfell, pour qui presque toute activité était douloureuse, sauf la marche. Sur l’initiative d’Anne, ils firent construire une maison d’été au bord du lac Champlain, au Vermont, où ils se retireraient en 1935. Grenfell demeurait néanmoins dévoué à la mission et croyait qu’il pouvait encore influencer ses activités à Terre-Neuve. En 1934, il soutint la formation d’un gouvernement de commission [V. Frederick Charles Alderdice], et on l’exhorta à envisager de devenir gouverneur. En janvier 1936, il écrivit finalement aux administrateurs de l’International Grenfell Association qu’il abandonnait la direction des travaux de la mission. Ses chevilles étaient enflées et il souffrait de pertes de mémoire. Pour comble d’infortune, Mme Grenfell était atteinte d’une tumeur maligne. Ils s’installèrent dans une petite maison sur l’île St Simons, en Géorgie, où Grenfell fut victime de plusieurs crises successives.

Anna Elizabeth Grenfell mourut à New York le 9 décembre 1938, et son mari fit un dernier voyage à St Anthony l’été suivant pour déposer ses cendres dans la paroi rocheuse située derrière l’hôpital. Grenfell partagea ensuite son temps entre la Géorgie et le lac Champlain, où, en octobre 1940, après une partie de croquet, il eut une dernière crise et mourut.

Grâce à l’idéalisme et à l’énergie de sir Wilfred Thomason Grenfell, des établissements de santé modernes, des installations industrielles et des centres de formation ont vu le jour sur les côtes ouest et nord de Terre-Neuve ainsi que sur la côte sud du Labrador, et ils ont élevé le niveau de vie dans ces régions. La Grenfell Mission soutint ces établissements tout au long du mandat du gouvernement de commission, puis elle fut absorbée par la province après son entrée dans la Confédération en 1949. Entre-temps, l’International Grenfell Association se perpétua pour gérer les fonds que son fondateur avait récoltés au fil des années. Grâce à cette association et à d’innombrables témoignages, Grenfell continua longtemps d’être considéré comme un modèle en matière de bienfaisance. Par exemple, l’écrivain britannique Bruce Chatwin, auteur de récits de voyage, confia dans un essai autobiographique que, quand il était enfant, dans les années 1940, il possédait trois biens précieux. L’un d’entre eux était The fishermen’s saint, l’allocution que Grenfell avait prononcée lorsqu’il était recteur à la University of St Andrews, et qui avait été publiée à Londres en 1930. Le romancier américain Saul Bellow l’admirait aussi ; un personnage de son roman Henderson, the rain king, paru à New York en 1959, raconte : « Il y a quarante ans, quand je lisais ses livres sur le porche arrière, je jurais que je deviendrais médecin missionnaire. »

Ronald Rompkey

Mostyn House School (Parkgate, Cheshire, Angleterre), Mostyn House papers.— PANL, MG 63.- Royal National Mission to Deep-Sea Fishermen (Fareham, Angleterre), Council minutes ; Finance committee minutes.— Univ. of Oxford, Bodleian Library, Dept. of Special Coll. and Western MSS (Angleterre), Francis John Stephens Hopwood, 1st Baron Southborough papers.- Yale Univ. Library, MSS and Arch. (New Haven, Conn.), Wilfred Thomason Grenfell papers.— Among the Deep Sea Fishers (New York, etc.), 1 (1903)-78 (1981).— D. G. Halsted, Doctor in the nineties (Londres, 1959).— Jessie Luther at the Grenfell Mission, Ronald Rompkey, édit. (Montréal et Kingston, Ontario, 2001).— Labrador odyssey : the journal and photographs of Eliot Curwen on the second voyage of Wilfred Grenfell, 1893, Ronald Rompkey, édit. (Montréal et Kingston, 1996).— [H. L.] Paddon, The Labrador memoir of Dr Harry Paddon, 1912-1938, Ronald Rompkey, édit. (Montréal et Kingston, 2003).— Ronald Rompkey, Grenfell of Labrador : a biography (Toronto, 1991).— Toilers of the Deep : A Record of Mission Work amongst Them (Londres), 1 (1886)-78 (1994).

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Ronald Rompkey, « GRENFELL, Sir WILFRED THOMASON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/grenfell_wilfred_thomason_16F.html.

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Auteur de l'article:    Ronald Rompkey
Titre de l'article:    GRENFELL, Sir WILFRED THOMASON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2011
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