Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3193660
FITZPATRICK, ALFRED, ministre presbytérien, enseignant, auteur et administrateur, né le 22 avril (date gravée sur sa pierre tombale) ou le 23 avril 1862 (date du registre) à Millsville, Nouvelle-Écosse, fils d’Alexander Fitzpatrick et de Mary Rae ; décédé célibataire le 16 juin 1936 à Toronto et inhumé au cimetière Mount Pleasant de cette ville.
Onzième d’une famille de 12 enfants, Alfred Fitzpatrick grandit dans une ferme du comté de Pictou, en Nouvelle-Écosse. Il fréquenta la Pictou Academy, fondée par Thomas McCulloch*, et, en 1884, à l’âge de 22 ans, entra au Queen’s College de Kingston, en Ontario. Après avoir obtenu sa licence ès arts en 1889, il étudia la théologie au Queen’s College. Ordonné ministre presbytérien en 1892, il fut prédicateur itinérant en Californie (1892–1893), au Nouveau-Brunswick (1893–1896) et dans ce qui deviendrait la Saskatchewan (1896–1898), avant de finalement s’installer à Nairn Centre, près de Sudbury, en Ontario, en 1899.
Pendant qu’il était au Queen’s College, Fitzpatrick avait subi l’influence du directeur du collège, George Monro Grant*, qui lui transmit les idéaux du mouvement Social Gospel. Plus tard, au cours de ses voyages en Amérique du Nord, il constata la pauvreté et les conditions de travail difficiles des mineurs, des bûcherons et des terrassiers du chemin de fer, ce qui consolida sa vision progressiste du christianisme. Comme la plupart des partisans du mouvement Social Gospel, il croyait que l’éducation était d’une importance capitale pour améliorer le sort des plus défavorisés. Ce fut pourquoi il décida de renoncer à sa vocation religieuse et de se consacrer à l’instruction des « bosseurs de la forêt, des mines et de la construction ferroviaire », dont il ne tarda pas à qualifier le dur environnement de travail de « rien de moins que criminel ». Il exerça avec succès des pressions pour obtenir du gouvernement de l’Ontario qu’on mette sur pied des bibliothèques itinérantes dans les régions pionnières – il fit valoir que « [la] littérature supporter[ait] le transport aussi bien que le porc et les fèves » – et, en 1899 ou 1900, il fonda le Canadian Reading Camp Movement afin d’équiper de salles de lecture les chantiers miniers, les camps de bûcherons et les sites de construction de chemin de fer ; la première ouvrit ses portes près de Nairn Centre. En 1902, Fitzpatrick avait déjà mis au point le concept d’ouvrier-enseignant, selon lequel des étudiants universitaires de premier cycle travailleraient avec les hommes durant le jour et enseigneraient le soir ; à l’hiver de 1902–1903, il y avait 30 salles de lecture en Ontario. Rebaptisé Reading Camp Association dès 1903, l’organisme fut financé les premières années par des dons de diverses sources, en particulier des groupes de femmes et le grand public. Il avait également un certain nombre de sympathisants très en vue, dont John Charlton*, John Rudolphus Booth*, sir Thomas George Shaughnessy*, sir Sandford Fleming* et David Blythe Hanna. Fitzpatrick était le moteur de l’association et il passa, au fil des ans, du poste de secrétaire (1902) à celui de secrétaire général (1903), avant de devenir surintendant (1905).
En 1909, Fitzpatrick transféra le siège de l’organisme du nord de l’Ontario à Toronto, pour se rapprocher du gouvernement et des chefs de file de l’industrie. Même s’il se trouvait en ville, il ne se concentra pas sur les problèmes sociaux urbains, mais maintint son engagement auprès des ouvriers du secteur des ressources primaires, qui n’étaient pas protégés par des syndicats et échappaient à la portée des réformateurs sociaux. Il passait une bonne partie de son temps à se rendre dans les camps et à rechercher du soutien – sous forme de matériel de lecture et d’argent – pour son association. Il sollicitait constamment les gouvernements fédéral et provinciaux pour qu’on améliore les conditions de vie dans les camps et, dans le but de promouvoir son organisme, il se tourna vers des industriels tels que Joseph Wesley Flavelle et des auteurs comme Charles William Gordon (Ralph Connor). En 1910, le gouverneur général, lord Grey*, devint un mécène de l’association. En 1913, on comptait déjà 75 ouvriers-enseignants un peu partout au Canada ; Henry Norman Bethune avait été l’un d’eux en 1911–1912. La Reading Camp Association était aussi présente aux États-Unis ; on recrutait des ouvriers-enseignants dans des universités américaines et, de 1915 à 1918, quatre ouvriers-enseignants travaillaient dans l’État de Washington.
L’association poursuivit sa mission tout au long de la Première Guerre mondiale, bien qu’à une échelle quelque peu réduite, puisque de nombreux ouvriers-enseignants potentiels s’enrôlèrent dans les forces armées. À la fin du conflit, on craignit de voir la menace bolchevique se propager au Canada après avoir gagné l’Europe. Fitzpatrick entrevit alors de nouvelles possibilités pour son organisme, qui fut rebaptisé collège Frontière en 1919. Le gouvernement fédéral s’était lancé dans une politique de canadianisation dans le but de neutraliser la « peur rouge », et les campements ouvriers desservis par le collège Frontière, pleins de nouveaux immigrants, semblaient les endroits tout désignés pour l’appliquer.
Fitzpatrick exposa sa philosophie de l’éducation des adultes dans deux volumes, Handbook for new Canadians et The university in overalls : a plea for part-time study, publiés à Toronto respectivement en 1919 et 1920. Tous deux reflètent l’influence de la pensée progressiste contemporaine et présentent une pédagogie pratique, directe. Le Handbook for new Canadians, guide d’éducation des adultes, fut le premier de la sorte au pays. Combinant l’histoire, la géographie, la littérature et la grammaire, l’ouvrage proposait un programme destiné à inculquer les valeurs canadiennes aux travailleurs immigrants des camps ; chaque ouvrier-enseignant embauché en recevait un exemplaire avant d’entrer en fonction. En 1920, il y avait trois femmes ouvrières-enseignantes ; deux d’entre elles travaillaient dans des usines en Nouvelle-Écosse et l’autre, dans une région rurale de la Saskatchewan. Dans The university in overalls, Fitzpatrick expliquait sa vision du collège Frontière comme institution nationale qui assurerait l’instruction des gens où qu’ils se trouvent et au sein de laquelle le corps professoral et les étudiants joueraient des rôles importants.
En 1922, le travail incessant en coulisse et la simple persévérance de Fitzpatrick portèrent des fruits lorsque le parlement fédéral adopta le projet de loi 68, qui reconnaissait le collège Frontière comme une université ayant le droit de décerner des diplômes à des étudiants partout au Canada. Premier établissement de ce genre au pays, le collège offrait, dès 1925, une variété de cours exclusivement extra-muros conduisant à l’obtention d’une licence ès arts et d’une maîtrise ès arts. Son personnel enseignant bénévole était composé de professeurs anglophones et francophones de nombreuses universités canadiennes, son comité d’examen comprenait des personnalités aussi réputées que Charles George Douglas Roberts* et il s’adressait aux « hommes et [aux] femmes plus âgés » qui étaient dans l’incapacité « de fréquenter une université centrale ». Fitzpatrick était directeur du collège.
Dès le départ, la conception de Fitzpatrick d’une université nationale reflétait un type d’enseignement progressif qui gagnait en popularité dans le monde entier et qui, au Canada, mena à la création de la Khaki University destinée à des militaires (1918), de départements de l’enseignement postscolaire dans diverses universités (la McGill University et la University of Toronto, en 1920, et la University of Western Ontario, en 1921), de la People’s School au St Francis Xavier College (1921–1922) et d’une section, à Toronto, de la Workers’ Educational Association basée au Royaume-Uni (1918). Toutefois, même si le collège Frontière niait tout empiétement de ses activités sur celles d’autres universités, des forces puissantes ne tardèrent pas à s’unir contre lui. Le gouvernement de l’Ontario, d’abord sous la direction de George Howard Ferguson*, puis de George Stewart Henry*, exerça d’intenses pressions politiques et financières sur le collège, invoquant la compétence provinciale en matière d’éducation, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Les subventions octroyées par l’Ontario au collège (qui s’élevaient à 28 000 $ pour la période de 1924 à 1928) furent interrompues en 1928, à la suite de quoi Fitzpatrick se plaignit que la tâche de maintenir le collège à flot sans financement était « bien pire que l’esclavage » : « Quiconque n’a jamais cherché des fonds dans de telles conditions ne peut imaginer cet enfer. » Inquiètes de perdre la mainmise sur le programme d’enseignement supérieur et la délivrance de diplômes, certaines universités manifestèrent également de l’hostilité, telle la University of Toronto, sous la conduite de sir Robert Alexander Falconer*.
Finalement, même si Fitzpatrick avait l’appui de personnages importants comme Newton Wesley Rowell* et Joseph E. Atkinson*, le collège Frontière fut forcé de capituler ; il renonça à son droit de conférer des diplômes en Ontario en 1931 et dans l’ensemble du pays l’année suivante. En échange, le gouvernement de l’Ontario reprit le financement arrêté en 1928 (le collège n’avait jamais bénéficié d’un investissement fédéral et le soutien d’autres provinces fut toujours modeste). En 1931, 17 étudiants s’étaient inscrits au programme universitaire du collège et 3 avaient obtenu un diplôme, soit deux licences ès arts et une maîtrise ès arts. Après la reprise du financement de l’Ontario, le nombre d’ouvriers-enseignants passa de 44 en 1929 à 85 en 1933–1934 ; à ce moment-là, le collège enseignait à 5 000 adultes. À l’aube du xxie siècle, il poursuit ses activités, même s’il ne se concentre plus sur les ouvriers dans les zones reculées, mais sur tous ceux qui ont besoin de services d’alphabétisation et d’orthopédagogie au Canada, que ce soit en milieu rural ou urbain. Sa réputation dans le domaine de l’éducation des adultes n’a fait que croître depuis l’époque de Fitzpatrick.
La lutte pour la survie du collège Frontière avait épuisé Fitzpatrick. Devant l’opposition du conseil du collège et du directeur des ouvriers-enseignants, Edmund William Bradwin*, dont la priorité était le travail des ouvriers-enseignants et non le grand projet d’université nationale, Fitzpatrick démissionna de son poste de directeur en 1933. Bradwin lui succéda. Durant les dernières années de sa vie, Fitzpatrick continua ses collectes de fonds en dépit de problèmes médicaux. Il fut nommé directeur émérite et, en avril 1936, deux mois avant sa mort, il reçut l’ordre de l’Empire britannique.
En cherchant à instruire les plus défavorisés – « [l’]éducation, dit-il, est le droit sacré de tous les hommes, [et] non le privilège exclusif de quelques personnes favorisées » –, Alfred Fitzpatrick tenta de développer le potentiel humain présent en chaque personne au bénéfice de tous. Jusqu’à la toute fin de sa vie, il travailla à un manuscrit qui montrait que sa passion de militant était intacte. Intitulé « Schools and other penitentiaries », il n’a pas été publié à ce jour.
Outre les ouvrages cités dans sa biographie, Alfred Fitzpatrick a écrit deux articles publiés dans le Canadian Magazine : « Life in lumbering and mining camps : a plea for reform », 17 (mai–octobre 1901) : 49–52 et « The neglected citizen in the camps », 25 (mai–octobre 1905) : 43–48.
BAC, R3584-0-0, vol. 1, 107, 170 (corr.) ; vol. 153–154 (dossiers des directeurs) ; vol. 263 (rapports annuels et réunions annuelles, finances).— QUA, Queen’s Univ., Office of the Univ. Registrar fonds, 1842–1981, coll. 1161, vol. 3, no 1411.— « Adult education in Canada », Journal of Adult Education (Philadelphie), 6 (1934) : 232–233.— G. L. Cook, « Alfred Fitzpatrick & the foundation of Frontier College (1899–1922) », Canada : an Hist. Magazine (Toronto), 3 (1975–1976), no 4 : 15–39.— G. L. Cook et Marjorie Robinson, « “The fight of my life” : Alfred Fitzpatrick and Frontier College’s extramural degree for working people », Hist. sociale (Ottawa), 23 (1990) : 81–112.— Collège Frontière, Calendar (Toronto), 1929–1931.— Frontier College letters : one hundred years of teaching, learning & nation building, Larry Krotz et al., compil. (Toronto, 1999).— E. L. Martin, « Action and advocacy : Alfred Fitzpatrick and the early history of Frontier College » (mémoire de m.a., Univ. of Toronto, 2000).— J. H. Morrison, « “Black flies, hard work, low pay” : a century of Frontier College », Beaver, 79 (1999–2000), no 5 : 33–38 ; Camps & classrooms : a pictorial history of Frontier College (Toronto, 1989).— Reading Camp Assoc., Annual report (Toronto), 1913.— E. W. Robinson, « The history of the Frontier College » (mémoire de m.a., McGill Univ., Montréal, 1960).— D. R. Sutherland, « Alfred Fitzpatrick and the Frontier College » (thèse de b.th., Atlantic School of Theology, Halifax, 1968).— M. E. Zavitz, « The Frontier College and Bolshevism in the camps of Canada, 1919–1925 » (mémoire de m.a., Univ. of Windsor, Ontario, 1974).
James H. Morrison, « FITZPATRICK, ALFRED », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fitzpatrick_alfred_16F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2017 |
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