DURIEU, PAUL (baptisé Pierre-Paul), prêtre, oblat de Marie-Immaculée, missionnaire et évêque, né le 4 décembre 1830 à Saint-Pal-de-Mons, Haute-Loire, France, deuxième fils de Blaise Durieux et de Mariette Bayle ; décédé le 1er juin 1899 à New Westminster, Colombie-Britannique.

Paul Durieu venait d’une famille de petits paysans très attachée à l’Église catholique : pendant la Terreur, elle avait donné asile à des prêtres. Tout comme son frère aîné, il entra au petit séminaire de Monistrol-sur-Loire. Déjà, il rêvait d’être missionnaire en terre étrangère. La lecture d’histoires des missions d’Amérique du Nord et une visite de recrutement du père Jean-Claude-Léonard Baveux* au séminaire achevèrent de le décider : en octobre 1848, il entreprit son noviciat chez les oblats à Notre-Dame de l’Osier. Il prononça ses vœux le 1er novembre 1849, puis commença son scolasticat à Marseille. Le 11 mars 1854, le fondateur des oblats, Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, l’y ordonna prêtre.

Durieu avait appris à Marseille comment les oblats évangélisaient les pauvres et avaient restauré l’Église en Provence après la Révolution. Des membres de la communauté parcouraient la région et tenaient des séances d’instruction d’une durée de deux à six semaines. Au cours de ces « missions », ils enseignaient les articles de la foi catholique en provençal et recouraient abondamment à la musique, aux œuvres et aux grandes processions pénitentielles. En outre, ils veillaient à ce que des laïques renforcent leur enseignement et poursuivent les dévotions régulières en leur absence.

Au séminaire, Durieu n’avait reçu aucune formation spéciale en vue de son travail auprès des Indiens d’Amérique du Nord, mais il connaissait les instructions générales de Mgr Mazenod, qui recommandait d’utiliser les langues autochtones, d’ouvrir des écoles de mission et d’éviter toute participation directe au gouvernement d’une tribu. En plus, comme son départ et celui de Pierre Richard (lui aussi ordonné depuis peu) pour les missions de l’Oregon furent retardés de six mois, l’évêque les renvoya tous deux à Notre-Dame de l’Osier pour apprendre l’anglais et réviser leur théologie. Au début des années 1840, seuls des prêtres séculiers canadiens-français [V. Modeste Demers*] et des jésuites européens [V. Pierre-Jean De Smet*] avaient œuvré dans le territoire de l’Oregon. Les premiers oblats y étaient arrivés en 1847 pour assister les missionnaires du Bas-Canada et, en 1851, ils avaient créé le vicariat de l’Oregon (qui comprenait la partie sud de ce qui est aujourd’hui la Colombie-Britannique).

Durieu arriva à Olympia (Washington) en décembre 1854 et, presque immédiatement, le supérieur local des oblats, Pascal Ricard, l’envoya prêter main-forte au père Charles Pandosy dans la vallée de la Yakima. À la mission Saint-Joseph d’Ahtanum, il apprit à connaître les Indiens et leurs langues, ainsi que les méthodes d’évangélisation appliquées par les missionnaires de la région. À partir de leurs postes, les oblats faisaient, en canot et à cheval, la tournée des campements indiens, dormaient à la belle étoile et se nourrissaient de ce qu’ils trouvaient. Comme les missionnaires du Bas-Canada, ils utilisaient l’« échelle catholique » de François-Norbert Blanchet, archevêque de l’Oregon [V. Modeste Demers], et ils fondaient des sociétés de tempérance, privilégiaient l’usage de la musique et des langues indiennes, et encourageaient l’émergence de catéchistes et de gardiens de la moralité dans chaque bande de convertis. Ces gardiens informaient les prêtres itinérants des transgressions ; ensemble, ils présidaient les confessions publiques et décrétaient les pénitences.

Durieu put aussi constater combien les oblats avaient du mal à établir des missions agricoles autosuffisantes parmi les tribus de l’est de la chaîne des Cascades. Les Indiens préféraient se tenir en groupes distincts, chacun parcourant un immense territoire, plutôt que de se fixer ensemble à la mission. Les colons anglophones, le plus souvent protestants, ainsi que les fonctionnaires du gouvernement américain, qui lorgnaient les terres indiennes, se méfiaient des missionnaires catholiques, et surtout des oblats, qui étaient d’expression française. Durieu ne tarda pas à partager l’enthousiasme des plus chevronnés de ses collègues pour les plans à long terme avec lesquels les jésuites s’attaquaient à ces problèmes. Dans le plan des jésuites, établi d’après l’expérience acquise sur place et celle des villages modèles (« réductions ») fondés par leur ordre au Paraguay au xviie siècle, le poste et la chapelle de chaque mission étaient le foyer de cérémonies hautes en couleur, adaptées aux coutumes autochtones, ainsi que le pied-à-terre des prêtres qui visiteraient les tribus. À long terme, ils fonderaient des villages agricoles. En procédant étape par étape, les établissements missionnaires seraient des foyers religieux et des exemples pour l’avenir, mais non des villages communautaires qui réuniraient plusieurs tribus.

La guerre des Indiens yakimas, qui éclata pendant l’hiver de 1855–1856, força Pandosy et Durieu à s’enfuir de leur mission pour trouver refuge à la mission jésuite de St Paul’s, près du fort Colvile (Colville, Washington). La bienveillance des jésuites les impressionna, de même que leur « réduction » organisée selon le nouveau plan. En 1856, à cause des hostilités qui sévissaient toujours dans la vallée de la Yakima et de conflits avec les évêques canadiens-français Augustin-Magloire Blanchet*, de Nesqually, et son frère François-Norbert, le père Louis-Joseph d’Herbomez*, nommé depuis peu visiteur extraordinaire des missions oblates de l’Oregon, envoya ses prêtres dans les missions côtières voisines d’Olympia. Il affecta Durieu à Tulalip (Washington) auprès du père Eugène-Casimir Chirouse l’aîné, qui desservait une tribu de Salishs, les Snohomishs. Durieu put observer la popularité des séances et rassemblements cérémoniels que Chirouse tenait à la mission, ainsi que la réussite des efforts qu’il déployait en vue de fonder un village et une école modèles.

Entre-temps, comme les relations des oblats avec la hiérarchie ecclésiastique et le gouvernement américain ne s’amélioraient pas, d’Herbomez décida d’envoyer tous ses prêtres, sauf Chirouse, en territoire britannique. Il choisit Esquimalt comme base et plaça la communauté sous la protection de l’évêque de l’île de Vancouver, Modeste Demers, et des fonctionnaires de la Hudson’s Bay Company. En 1859, Durieu fut d’abord affecté dans une paroisse de colons à Esquimalt, puis à Kamloops, dans la nouvelle colonie de Colombie-Britannique. Il y prit la succession du père Pandosy au poste de directeur des missions des vallées de la Thompson et de l’Okanagan, auprès des Salishs de l’intérieur. À ce titre, il contribua à la mise en œuvre des plans par lesquels d’Herbomez entendait créer dans chaque région, loin de la débauche qui régnait dans les localités blanches, des postes missionnaires centrés sur une église. À partir de ces postes, des prêtres itinérants desservaient les missions autochtones et les sociétés de tempérance, et ils encourageaient la pratique des rites catholiques au lieu des cérémonies traditionnelles. Durieu profitait aussi de ses tournées pour vacciner des Indiens contre la variole.

Devenu évêque titulaire de Miletopolis et vicaire apostolique de la Colombie-Britannique, d’Herbomez fit venir Durieu en 1864 à sa résidence, à New Westminster, afin qu’il l’assiste auprès des colons et des Salishs de la vallée du Fraser. L’année suivante, il l’envoya superviser la mission Saint-Michel, près du havre Beaver, dans l’île de Vancouver ; cette mission œuvrait auprès des Kwakiutls, qui jusque-là s’étaient montrés réfractaires à la conversion.

On rappela Durieu à New Westminster en 1867 pour servir d’assistant à l’évêque et diriger la mission Sainte-Marie dans la vallée du bas Fraser. Étant donné l’expérience qu’il avait acquise à Tulalip, d’Herbomez comptait sur lui pour développer la mission et ses pensionnats. En effet, les oblats avaient fondé une école de garçons en 1863, et les Sœurs de Sainte-Anne [V. Marie-Angèle Gauthier] allaient ouvrir une école de filles en 1868. L’école de garçons possédait une fanfare qui avait déjà l’habitude de se produire à New Westminster les jours de congé public. Tout en maintenant cette pratique, Durieu fit donner des représentations à la fanfare, ainsi qu’à la chorale des filles, au cours des grandioses cérémonies chrétiennes (qualifiées de « potlatchs » dans la presse) qui se tenaient devant des rassemblements d’Indiens à la mission Sainte-Marie. Il faisait la tournée des villages autochtones de tout le district missionnaire Saint-Charles (la vallée du Fraser et la côte), où vivaient notamment les Salishs du Fraser et du détroit de Géorgie. Les tribunaux des sociétés de tempérance, présidés par les prêtres visiteurs, jugeaient les cas d’ivrognerie, de jeu et d’immoralité sexuelle. À cette époque, c’étaient surtout eux qui appliquaient le droit civil dans les villages indiens de la Colombie-Britannique. Pour les aider, Durieu et ses assistants publièrent des documents religieux (catéchisme, chants, prières et histoire sainte) dans les langues autochtones et dans le jargon de traite des Chinooks. Sa Bible en chinook allait paraître en 1892. Il n’est donc pas surprenant que, dès la fin des années 1860, les chefs indiens du bas Fraser aient fait appel aux oblats pour rédiger, au sujet de leurs terres, des pétitions et des lettres de doléances à l’intention du gouvernement colonial de la Colombie-Britannique. Le gouvernement avait en effet refusé de signer des traités avec les Indiens et de leur donner des garanties au sujet des réserves existantes et futures.

Durieu gravit rapidement les échelons de la mission et de la hiérarchie ecclésiastique. En 1869, d’Herbomez lui confia son vicariat pour aller assister au concile du Vatican. Devenu vicaire général l’année suivante, Durieu assista en 1873 au chapitre général des oblats en France. Sacré évêque titulaire de Marcopolis le 24 octobre 1875, il devint le coadjuteur de d’Herbomez. À ce titre, il participa à la fondation de paroisses, d’écoles et d’hôpitaux dans les villes. En outre, il visita les missions de l’intérieur : par exemple, la vieille mission du lac Stuart en 1876, la nouvelle mission de Kootenay (Saint-Eugène) en 1877 et la mission de la région de Cariboo (Saint Joseph) en 1878. Il demanda au gouvernement fédéral de porter assistance aux écoles indiennes et à la réserve agricole modèle de l’île Seabird, et d’appuyer les revendications territoriales des Indiens. Il recruta des missionnaires au cours de voyages en France et dans les provinces centrales du Canada, en 1873–1874 et en 1879. Il donnait des directives aux missionnaires fraîchement arrivés (par exemple, Nicolas Coccola et Adrien-Gabriel Morice* ou le frère convers Patrick Collins), supervisait le travail des oblats sur le terrain et leur redonnait courage au cours de retraites spirituelles. Il poussait les francophones à apprendre l’anglais, et tant les anglophones que les francophones à étudier les langues indiennes. En rentrant de son deuxième voyage en France, il enseigna le jargon de traite chinook au père Jean Marie Le Jeune et, par la suite, l’encouragea à publier le Kamloops Wawa, journal qui contenait des articles religieux en chinook, en anglais et en français et qui était distribué parmi les Indiens de la région.

Durieu se fit connaître en particulier par les retraites qu’il organisait dans les centres missionnaires, dont Sainte-Marie, Squamish, Sechelt et Kamloops. Ces rassemblements, dont certains réunirent 3 000 Indiens du sud-ouest de la Colombie-Britannique, renforçaient la foi des convertis, contribuaient à répandre les nouvelles dévotions et permettaient à des organisations laïques, telle la Garde d’honneur du Sacré-Cœur, de recruter de nouveaux membres. Quand le chemin de fer canadien du Pacifique fut terminé, des touristes et des missionnaires des Territoires du Nord-Ouest assistèrent, tous les mois de juin, aux réunions qui célébraient la Fête-Dieu. Ils virent des foules d’Indiens fervents, campant par bandes sous les bannières des sociétés de tempérance, écouter des sermons en langues autochtones, chanter dans leurs langues et en latin, et participer à des processions impressionnantes. Les gens qui visitaient la nouvelle ville de Vancouver pouvaient voir, en regardant de l’autre côté de l’inlet Burrard, la mission des Squamishs, exemple local d’un village oblat modèle.

Pourtant, le succès des rassemblements et des villages de mission camouflait des problèmes qui préoccupaient les évêques d’Herbomez et Durieu. Dans chacun des districts missionnaires oblats, un certain nombre d’autochtones persistaient à pratiquer leur religion. Beaucoup abusaient de l’alcool. Rares étaient ceux qui se faisaient fermiers, surtout s’ils pouvaient toucher un salaire contre un travail saisonnier ou si l’économie traditionnelle leur apportait un soutien. Les pensionnats des missions n’arrivaient pas à attirer ou à retenir beaucoup d’élèves. La maladie décimait les populations indiennes. Les périodes de forte croissance économique de la fin du xixe siècle, qui créèrent des emplois et des loisirs dans les camps de construction et les villes, favorisaient les autochtones opposés au travail des missionnaires. La pénurie perpétuelle de pères et de frères oblats avait d’ailleurs le même résultat. En outre, les colons protestants et les fonctionnaires du gouvernement se montraient souvent soupçonneux à l’endroit du travail accompli par les oblats dans les écoles, ou de l’aide qu’ils apportaient aux Indiens en rédigeant des pétitions. Dans la vallée du Fraser, les écoles et villages modèles des méthodistes concurrençaient les efforts des oblats, et l’évêque anglican Acton Windeyer Sillitoe imitait leurs « potlatchs chrétiens ».

En 1888, on nomma Durieu vicaire des missions (provincial) des oblats. À la mort de d’Herbomez, en 1890, il devint évêque du nouveau diocèse de New Westminster et vicaire apostolique de la Colombie-Britannique. Son assistant était le jeune évêque Augustin Dontenwill, né en Alsace mais formé au collège d’Ottawa, où il avait enseigné les langues. Les rapports soumis par Durieu aux chapitres généraux de 1893 et 1898 décrivent leurs responsabilités en détail. Pour desservir la population immigrante, toujours plus nombreuse, et les 70 églises installées dans des villages indiens, ils avaient deux douzaines de prêtres, une douzaine de frères convers et quatre petits groupes de religieuses. En vue d’augmenter ses effectifs, Durieu fonda un séminaire à New Westminster et tenta d’ouvrir un noviciat pour les religieuses autochtones au lac Williams. En attendant, il maintint le régime des prêtres itinérants. Les rassemblements annuels des Indiens aux missions centrales semblaient de belles réussites, surtout dans des endroits comme le village de Sechelt, dont les habitants étaient pieux et où il n’y eut pas de prêtre résidant avant 1901. De même, sous l’influence de Durieu, la dévotion à la Vierge et au Saint-Sacrement augmentait. En 1894, pour accomplir un vœu de son prédécesseur, il bénit la grotte de Notre-Dame de Lourdes à la mission Sainte-Marie. En même temps, un rêve qu’il avait caressé avec d’Herbomez se concrétisa : le gouvernement fédéral versa des fonds pour les pensionnats des missions Sainte-Marie, Kamloops et Saint-Eugène dans les Kootenays. Pour combler une partie des postes d’enseignants, Durieu recruta des sœurs de l’Enfant-Jésus.

En 1892, le scandale Chirouse vint mettre en lumière les problèmes constants que posaient à Mgr Durieu la résistance des autochtones, l’opposition des protestants et la pression du peuplement sur des villages de mission naguère isolés. Au printemps de cette année-là, le père Eugène-Casimir Chirouse le jeune, neveu de celui qui avait été le mentor de Durieu à la mission des Snohomishs, comparut devant un tribunal civil pour avoir approuvé une sentence excessive de fouet rendue par un tribunal missionnaire, qui siégeait près de Lillooet, contre une jeune fille accusée d’un délit sexuel. Durieu parvint à faire gracier Chirouse, mais l’éventualité de voir un missionnaire déchu lui faisait quand même peur. Pareille chose, déclara-t-il, « détruirait tout le bien accompli pour les Indiens » par les missionnaires catholiques, et priverait les autochtones de « leurs droits immémoriaux à réglementer les affaires privées de leur peuple ».

Après cet incident, Durieu entreprit de faire reconnaître légalement l’Indian Total Abstinence Society of British Columbia en codifiant, dans son règlement, les prohibitions en vigueur. Sur sa demande (et sous le couvert de l’anonymat), le père Chirouse organisa, dans les missions, des rassemblements encore plus grandioses, où des Indiens représentaient, en des tableaux évocateurs, le chemin de la Croix – pièces que l’on applaudit bientôt comme des « Passions » autochtones. Ces initiatives contribuèrent effectivement à éloigner les Indiens de leurs danses rituelles, de l’église syncrétique Indian Shaker du Puget Sound, dans l’état de Washington, ainsi que des séductions exercées par les villes blanches. Elles emportèrent aussi l’adhésion de la presse, même si le climat était à l’anticatholicisme et si le milieu était largement protestant et blanc.

En 1897, Dontenwill devint coadjuteur de Durieu, alors âgé et malade, avant de lui succéder l’année suivante à la fonction de vicaire des missions. En 1898, Durieu fit un dernier voyage en France afin d’assister au chapitre général des oblats. En janvier suivant, il alla bénir le pensionnat indien St Paul, dans la réserve des Squamishs. Le 1er juin 1899, il mourait des suites de problèmes gastriques. À ses obsèques, célébrées en la cathédrale St Peter de New Westminster, on loua le travail missionnaire et administratif qu’il avait accompli pour l’Église catholique, et en particulier pour les Indiens. On l’inhuma aux côtés de Mgr d’Herbomez à la mission Sainte-Marie.

Historiquement, on a surtout associé Durieu au régime qui porte son nom, c’est-à-dire à la stricte théocratie tribale catholique qu’il administrait dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique. Tout en encourageant les missionnaires à employer les langues autochtones, le « régime Durieu » s’opposait aux traditions religieuses des Indiens. Deux oblats français formés par Durieu, soit Morice et Émile-Marie Bunoz, ont laissé des témoignages sur le fonctionnement de ce régime. L’anthropologue américain Edwin McCarthy Lemert en a publié une étude anthropologique en 1954.

Cependant, des recherches récentes sur les missions oblates de la Colombie-Britannique ont remis en question ces premières interprétations et leurs variantes modernes. Il apparaît maintenant que le régime des missions oblates, loin d’être exclusivement l’œuvre de Durieu, s’inspirait du travail accompli par les jésuites dans la province de Québec et le territoire de l’Oregon, ainsi que de l’expérience des oblats en France et dans la colonie de la Rivière-Rouge. La plupart des éléments de ce régime étaient déjà en place avant que Durieu n’arrive de France en 1854. Par la suite, comme les missionnaires catholiques devaient affronter le ressentiment qu’inspiraient les jésuites et rivaliser avec des protestants comme William Duncan*, Durieu permit au jeune Morice d’écrire, à des fins de relations publiques pourrait-on dire, des textes enthousiastes qui le glorifiaient personnellement. Des indices montrent d’ailleurs, dans la correspondance des pères Pandosy, Richard et Léon Fouquet, que d’aucuns jugeaient Durieu égoïste de s’attribuer le mérite qui aurait dû revenir à tout un groupe de pionniers oblats. Après la mort de ce dernier, Morice et Bunoz, tous deux en lutte contre des membres irlandais de leur communauté, continuèrent d’encenser leur ancien supérieur français. Malheureusement, certains chercheurs modernes ne vont pas voir plus loin que ces écrits partiaux, qui ont été la principale source des discussions anthropologiques de Lemert sur le régime Durieu. De plus, ils négligent tout un corpus – rapports des missions et articles de presse de l’époque – qui décrit le travail des oblats et fait état de la persistance de la religion et des coutumes autochtones. Ils oublient le fait que le régime Durieu a toléré la continuation de certaines pratiques sociales et culturelles, et que souvent, au programme des rassemblements des missions, il y avait des manifestations traditionnelles : festins, courses de chevaux et de canots.

La méthode des oblats semble avoir été vraiment efficace pendant un temps, à la fin du xixe siècle, dans les missions relativement isolées, telles Sechelt et celle de la vallée de l’Okanagan. Par contre, elle ne convenait pas dans la vallée du Fraser, qui s’urbanisait de plus en plus. On n’appliqua pas intégralement le régime dans la mission de la région de Cariboo avant l’arrivée du père François-Marie Thomas, en 1897, ni dans le territoire de New Caledonia (mission Notre-Dame-de-Bonne-Espérance) avant le départ de Morice, en 1905. Deux générations d’anthropologues du xxe siècle ont pu faire carrière en étudiant la survivance des cultures que les missionnaires de Durieu étaient censés avoir éliminées.

À mesure que deviendront accessibles un plus grand nombre de documents sur Paul Durieu et que des chercheurs bilingues commenceront à s’en servir, on aura de lui un portrait plus complet – celui d’un administrateur, d’un fondateur de missions et d’un aide des Indiens. On reconnaîtra que, pour diriger les effectifs dont il disposait tout en réduisant les querelles internes, il lui fallait de la compétence. On appréciera que, malgré la fermeté de ses croyances, il ait autorisé des adaptations autochtones de la pratique catholique. Au lieu d’y voir les preuves d’une pensée janséniste ou d’un tempérament autocratique, on situera dans leur contexte – celui, difficile, de la frange pionnière – les directives sévères et précises qu’il donnait aux missionnaires, par exemple celles qui figurent dans ses lettres au père Jean-Marie LeJacq. On trouvera d’autres indices sur sa personnalité dans les lettres attachantes qu’il adressait à sa famille en France ou aux jeunes missionnaires sur le terrain, ainsi que dans la tradition des Squamishs et des Sechelts.

Jacqueline Gresko

Paul Durieu est l’auteur d’une histoire sainte transcrite en écriture phonétique chinook par Jean-Marie Le Jeune et publiée à Kamloops, C.-B., en 1899 sous le titre de Chinook Bible history. Le Jeune a aussi compilé et transcrit Practical Chinook vocabulary, comprising all & the only usual words of that wonderful language [...], diffusé sous forme ronéotypée (Kamloops, 1886), et une seconde édition, Chinook vocabulary : Chinook-English [...] (copie ronéotypée, Kamloops, 1892), qu’il attribue à la recherche de Durieu bien que la bibliographie chinook de Pilling (citée ci-dessous) dise que Durieu a « modestement nié la paternité » de ce travail. En outre, plusieurs œuvres religieuses inédites de Durieu sont énumérées dans « Catalogue des manuscrits en langues indiennes ; conservés aux archives oblates, Ottawa », Gaston Carrière, compil., Anthropologica (Ottawa), nouv. sér., 12 (1970) : 159–161.

Une lettre de Durieu à ses parents, datée du 1er juill. 1859, figure dans les Annales de la Propagation de la Foi (Lyon, France), 32 (1860) : 262–279.

AD, Haute-Loire (Le Puy), État civil, Saint-Pal-de-Mons, 4 déc. 1830.— AN, RG 31, C1, 1881, North (New Westminster) : 35.— Arch. Deschâtelets, Oblats de Marie-Immaculée (Ottawa), ms Division K-75 (Indian Soc. of Total Abstinence, agreement of Sliammin mission, 4 janv. 1904) ; Oregon, 1, b-xii, 4 ; c-vii, 2 ; c-xi-1 (Durieu corr.).— Arch. générales des oblats de Marie-Immaculée (Rome), Dossier Colombie-Britannique, acte de visite d’Aimé Martinet, Sainte-Marie, 18–25 sept. 1882 ; Dossier Paul Durieu ; Dossier L.-J. d’Herbomez (copies aux Arch. Deschâtelets).— Arch. of the Diocese of Prince George, C.-B., L.-J. d’Herbomez, circular, 7 févr. 1888 ; lettre à Durieu, 12 mars 1882 ; Paul Durieu, acte de visite, Notre-Dame de Bonne Espérance, 28 sept. 1876 ; lettres à Bunoz, 1892–1895, particulièrement 22 avril, 6 mai, 1er oct. 1892 ; lettre de d’Herbomez, 14 mars 1882 ; lettre pastorale, 21 nov. 1890 (photocopies aux St Paul’s Prov. Arch., Oblates of Mary Immaculate, Vancouver).— PABC, GR 1372, F 503, nos 1a, 2–2a, 4.— Canada, Parl., Doc. de la session, 1873–1879 (rapports annuels du dép. des Affaires indiennes).— C.-B., Legislative Assembly, Sessional papers, 1876 : 161–328.— « The first bishop of New Westminster », Missionary Record of the Oblates of Mary Immaculate (Dublin), 9 (1899) : 377–378.— Missions de la Congrégation des missionnaires oblats de Marie Immaculée (Marseille ; Paris), 1 (1862)–40 (1900).— Petites Annales de la Congrégation des missionnaires oblats de Marie-Immaculée (Paris), 9 (1899) : 280–284.— British Columbian, 13 févr. 1861–27 févr. 1869, 7 févr. 1885.— Daily Colonist (Victoria), 23 janv. 1873, 12 août, 28 oct. 1875, 19 janv., 8 févr., 7 avril, 23 août 1877, 14 oct. 1879, 22 oct. 1880, 26 oct. 1887, 31 août 1888, 5 déc. 1889, 1er janv., 10 mai 1891, 6, 10, 12, 31 mai, 5, 12 juill. 1892, 2 juin 1899.— Daily Columbian, 8 févr., 13 juin 1887, 15 mai, 23 juin 1888, 31 août 1889, 5, 7 juin 1890, 10 mai, 5 juill. 1892, 29 mai, 1er–2, 6 juin 1899.— Mainland Guardian (New Westminster, C.-B.), 7–14 août, 16–30 oct. 1875, 11–14, 23 oct. 1879.— Vancouver Daily Province, 1er, 5 juin 1899, 1er, 4 juin 1901.— Vancouver Daily World, 4 juin 1890, 1er, 5–6 juin 1899.— Gaston Carrière, Dictionnaire biographique des oblats de Marie-Immaculée au Canada (3 vol., Ottawa, 1976–1979).— J. C. Pilling, Bibliography of the Chinookan languages (including Chinook jargon) (Washington, 1893 ; réimpr. sous le titre de Bibliographies of the languages of the North American Indians (9 part. en 3 vol., New York, 1973), 3, part. 7 : 44–45.— P. Besson, les Missionnaires d’autrefois ; Monseigneur Paul Durieu, o.m.i. (Marseille, 1962).— Kay Cronin, Cross in the wilderness (Vancouver, 1960).— R. [A.] Fisher, Contact and conflict : Indian-European relations in British Columbia, 1774–1890 (Vancouver, 1977).— R. A. Fowler, The New Caledonia mission : an historical sketch of the Oblates of Mary Immaculate in north central British Columbia (B. C. Heritage Trust, New Caledonia heritage research report, Burnaby, 1985).— Donat Levasseur, Histoire des missionnaires oblats de Marie Immaculée : essai de synthèse (1 vol. paru, Montréal, 1983–  ).— A.-G. Morice, History of the Catholic Church in western Canada from Lake Superior to the Pacific (1859–1895) (2 vol., Toronto, 1910).— David Mulhall, Will to power : the missionary career of Father Morice (Vancouver, 1986).— Bernard de Vaulx, D’une mer à l’autre : les oblats de Marie-Immaculée au Canada (1841–1961) (Lyon, 1961).— Margaret Whitehead, The Cariboo mission (Victoria, 1981).— B.C. Catholic (Vancouver), 4 oct. 1953, 16 août, 8 nov. 1981, 13 juin 1982, 25 nov. 1984.— É.-[M.] Bunoz, « Bishop Durieu’s system », Études oblates (Ottawa), 1 (1942) : 193–209.— Fraser Valley Record (Mission, C.-B.), 9 déc. 1948, 20 juill. 1949, 25 oct.–8 nov. 1950, 13 nov. 1957, 15 juin 1983.— E. McC. Lemert, « The life and death of an Indian state », Human Organization (New York), 13 (1954–1955), no 3 : 23–27.— R. M. Weaver, « The Jesuit reduction system concept : its implications for northwest archaeology », Northwest Anthropological Research Notes (Moscow, Idaho), 11 (1977) : 163–177.

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Jacqueline Gresko, « DURIEU, PAUL (baptisé Pierre-Paul) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/durieu_paul_12F.html.

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Auteur de l'article:    Jacqueline Gresko
Titre de l'article:    DURIEU, PAUL (baptisé Pierre-Paul)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    28 novembre 2024