Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3630240
DAVIN, NICHOLAS FLOOD (baptisé Nicholas Francis), journaliste, avocat, homme politique, écrivain et poète, né le 13 janvier 1840 à Kilfinane (république d’Irlande), aîné des enfants de Nicholas Flood Davin et d’Eliza Lane ; il eut un fils et une fille de sa liaison, de 1886 à avril 1895, avec Katherine E. Simpson* Hayes ; le 25 juillet 1895, il épousa à Ottawa Eliza Jane Reid, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 18 octobre 1901 à Winnipeg et inhumé le 22 au cimetière Beechwood, Ottawa.
Nicholas Flood Davin laissa délibérément planer l’ambiguïté sur la première partie de son existence. Presque tout ce que l’on sait de lui avant son arrivée au Canada provient de son propre témoignage. Il falsifia son deuxième nom et l’année de sa naissance. Il mentit sur l’occupation de son père et cacha que sa famille était catholique. Il inventa peut-être et enjoliva sûrement certains détails de sa vie en Irlande et en Angleterre. Après la mort de son père, il grandit dans la maison de son oncle, l’apothicaire protestant James Flood Davin. Sa mère, restée veuve, le gâtait ; selon Katherine E. Simpson Hayes, elle « ne recourait pas assez à la fessée » et le laissait « faire des frasques ». Son enfance prit fin brusquement lorsque, à l’âge de 18 ans, il devint apprenti quincaillier. Après avoir passé auprès de son maître six années qu’il qualifiait de malheureuses, Davin obtint de son oncle la permission d’entrer au Queen’s College de Cork. Par la suite, ses discours et ses écrits allaient porter le vernis d’une formation classique, mais on n’a aucune explication satisfaisante quant à la manière dont il l’acquit. Selon le registre du Queen’s College, il ne passa qu’un semestre dans cet établissement ; il prétendait avoir étudié à la University of London, mais on ne trouve dans les dossiers aucune trace de son passage.
En 1865, comme tant d’Irlandais, Davin partit pour Londres dans l’espoir de s’y tailler une place. Il étudia le droit au Middle Temple et fut admis au barreau le 27 janvier 1868. Tout en tenant un cabinet d’avocat au Middle Temple, il gagnait sa vie surtout comme journaliste. Il fut chroniqueur parlementaire pour le Star de Londres, correspondant de l’Irish Times de Dublin et du Standard de Londres pendant la guerre franco-allemande et rédacteur en chef du Belfast Times. Au bout de cinq mois, le Belfast Times le congédia sous le motif qu’il était « ivre au point de ne pas pouvoir écrire une ligne pour le journal ». Il intenta une poursuite pour renvoi injustifié et obtint six semaines de salaire en vertu d’un arrangement de gré à gré. Sans emploi, il se vit confier une commande spéciale – c’est du moins ce qu’il soutint par la suite – par le Pall Mall Gazette de Londres : une série d’articles sur la possibilité que les États-Unis annexent le Canada.
Davin arriva à Toronto en juillet 1872. Un ancien collègue du Star de Londres, Alfred Hutchinson Dymond, l’engagea comme critique littéraire au Globe de Toronto. Cependant, sa carrière canadienne commença pour de bon le 19 avril 1873 sur la tribune du Shaftesbury Hall. La St George’s Society de Toronto lui avait demandé de répliquer au discours chauvin qu’un conférencier américain invité avait prononcé sur « l’essor et le progrès des États-Unis ». Davin dénonça en termes éloquents le matérialisme républicain. Son éloge de la société canadienne, société plus ordonnée que l’américaine et placée sous l’égide de la « figure impartiale de la souveraine », parut en 1873 à Toronto sous le titre de British versus American civilization [...] C’était le deuxième opuscule d’une collection inaugurée en 1871 à Toronto par Canada First ; or our new nationality [...] de William Alexander Foster*. Davin reviendrait régulièrement sur ce thème au cours de sa trentaine d’années de carrière journalistique et politique.
En 1875, Davin quitta le Globe pour devenir pigiste. Collaborateur régulier du Mail de Toronto, il fut reçu au barreau de l’Ontario le 18 février 1876. Bien que le répertoire de la ville l’ait identifié comme barrister, on le connaissait mieux comme conférencier, auteur, poète et dramaturge. En 1876, il publia à Toronto une biographie dithyrambique de Disraeli, The Earl of Beaconsfield [...], et une satire politique, The fair Grit ; or, the advantages of coalition [...]. L’année suivante parut à Londres et à Toronto The Irishman in Canada, que l’on considère généralement comme son principal apport aux lettres canadiennes. Le but de Davin, en présentant ce compte rendu de la contribution irlandaise au développement du pays, était de « donner à chacun des Irlandais du Canada un plus grand respect de soi-même ». Davin ne faisait pas de différence entre les Irlandais catholiques et protestants [V. Patrick Boyle]. Selon lui, cette distinction n’avait pas sa place au Canada : « Dans un pays semblable, disait-il, il serait extraordinaire que l’Irlandais n’atteigne pas les hautes sphères. » Tout au long de sa carrière politique, il allait faire fi de la division entre orangistes et Irlandais catholiques, et chercher à susciter « un sentiment national irlandais » qui transcenderait les différends religieux.
Ce n’était pas sans raison que le jeune Davin invitait les Irlandais à unir leurs forces : ambitionnant de faire carrière dans le Parti conservateur, il désirait se constituer de larges appuis parmi les électeurs de son groupe ethnique. En 1876, il participa à la fondation de la Young Men’s Liberal-Conservative Association de Toronto. En novembre 1877, le chef de l’opposition, sir John Alexander Macdonald*, reçut un exemplaire de The Irishman in Canada avec une note dans laquelle Davin disait : « Se distinguer en politique est la seule manière valable de se distinguer dans une colonie, et le Canada est ma patrie et mon foyer. » En choisissant le Parti conservateur, poursuivait-il, il avait fait « un geste délibéré, fruit d’une longue réflexion ». « Je crois que l’habileté politique des conservateurs est [celle] qui convient à un pays qui marche. » (Davin aimait à se faire valoir : une semaine plus tard, son éditeur envoyait à Macdonald une lettre demandant « quelques mots de recommandation » qu’il pourrait utiliser pour la promotion du livre !) Si on lui faisait la grâce de le nommer candidat, promettait Davin dans une lettre subséquente, il n’était « pas question [qu’il soit] battu ». L’occasion de faire campagne se présenta lorsque les organisateurs tories de Haldimand écrivirent pour demander « s’il [était] possible d’avoir N[icholas] F[lood] Davin [...] parce que les Irlandais [étaient] nombreux [dans la circonscription] et que les grits les abreuv[aient] de toutes sortes de mensonges ». Fidèle à sa promesse, Davin se mit en frais de « solliciter chacun des électeurs, d’embrasser chacun des bébés et de flatter chacune des femmes de la circonscription ». Dans des discours enflammés, il invita les électeurs à partager sa vision d’« une grande nation autonome » où l’on pourrait contempler des « champs fertiles » et entendre « le bourdonnement des villes grouillantes et la puissante rumeur d’un peuple libre et prospère ». Cependant, précisait-il, le Canada ne « pourrait devenir une nation que grâce à une politique protectrice », à la Politique nationale qui, en élevant de hautes barrières tarifaires, éviterait aux « jeunes gens de devoir aller chercher à faire carrière dans une république [qui leur est] étrangère ». Les électeurs de la circonscription de Haldimand, où un député libéral avait été élu sans opposition en 1874, ne portèrent pas leur choix sur Davin aux élections générales du 17 septembre 1878, mais ce dernier perdit par 166 voix seulement.
Ayant frôlé la victoire dans un bastion libéral, Davin envoya à Macdonald un flot de lettres et finit par obtenir un bref mandat du nouveau gouvernement conservateur. Le 28 janvier 1879, il fut chargé de faire seul une étude sur les écoles techniques américaines pour jeunes autochtones. Son rapport, déposé le 14 mars, recommandait d’ouvrir des établissements semblables au Canada. Tout en harcelant Macdonald pour qu’il « s’acquitte » envers lui, c’est-à-dire pour qu’il lui confie un poste de faveur en récompense de sa loyauté, il collaborait au Mail et pratiquait le droit chez Beaty, Hamilton, and Cassels à Toronto. Il connut le plus grand moment de sa carrière d’avocat les 22 et 23 juin 1880 en défendant George Bennett*, l’assassin de George Brown*. La couronne accusait Bennett d’avoir tiré sur Brown, et la chose était irréfutable, mais Davin défendit son client avec adresse. Comme Brown avait refusé de garder le lit et était mort non pas de sa blessure, qui était superficielle, mais de complications, il soutint que Brown lui-même et ses médecins étaient en partie responsables de sa mort. Un spectateur a dit de sa plaidoirie qu’elle était « un morceau de rhétorique d’une qualité inégalée », digne de Cicéron ou de Henry Erskine, « un des appels les plus magistraux en faveur d’une vie humaine que l’on [avait] jamais entendus dans une cour de Toronto ». George Bennett fut pendu le 23 juillet 1880.
Davin semblait donc être passé maître dans la pratique du journalisme et du droit, mais aucune de ces deux professions ne correspondait à ses ambitions ni ne lui rapportait les revenus qu’il souhaitait. Il fallut qu’il se plaigne de n’avoir « pu envoyer un sou à [sa] famille depuis des mois » ni « pu conserver [son] abonnement au [Young Men’s Liberal-Conservative] club » pour que Macdonald lui trouve enfin un autre poste de faveur : le secrétariat de la commission royale sur la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. Au lieu d’assister à l’exécution de Bennett, où on l’avait invité, il se rendit à Ottawa pour assumer cette nouvelle fonction.
Roy St George Stubbs a écrit que, si Davin décida par la suite de s’installer dans l’Ouest, ce fut en raison d’« une visite faite par hasard dans les Territoires du Nord-Ouest en compagnie d’un groupe d’administrateurs [du chemin de fer] ». C’est là une allusion inexacte à son travail au sein de la commission royale. En fait, Davin talonnait Macdonald depuis décembre 1878 pour avoir « une place quelconque dans le Nord-Ouest » et, s’il résolut de s’établir là-bas sans avoir obtenu satisfaction, ce fut vraisemblablement faute d’avoir été choisi candidat en prévision des élections générales du 20 juin 1882. Le but de Davin était de fonder un journal conservateur dans la future capitale territoriale, Regina. Pour réaliser son objectif, il demanda au parti une « très solide garantie » d’appui financier, requête qu’il justifia en prévenant ainsi Macdonald : « quel jeune poulain rétif est l’ensemble du Nord-Ouest et combien il se dépêchera de ruer si on ne le harnache et ne le bride pas solidement ».
Macdonald s’adressa au président de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, George Stephen*, pour qu’il donne à Davin la subvention demandée en lui cédant des lots d’une valeur totale de 5 000 $ sur l’emplacement de Regina. De l’avis de Stephen, c’était un bon placement tant pour le parti que pour le chemin de fer. « Davin est très bien et peut nous rendre à tous de grands services, opina-t-il. Il saura faire l’affaire dans l’Ouest et il est dans notre intérêt commun de nous l’adjoindre. Regina compte beaucoup. » Davin insista pour que les lots soient enregistrés à son nom avant la parution du premier numéro du journal afin d’éviter qu’« ils n’aient l’air d’un pot-de-vin ».
Dans son premier éditorial du Regina Leader, le 1er mars 1883, Davin promettait : « nulle entreprise, nul parti, nul gouvernement, si fort, si puissant soit-il, ne saurait réclamer de notre part plus que justice ». Il ajoutait toutefois : « aucun d’eux ne doit craindre d’obtenir moins que justice ». Plutôt qu’« un défenseur passionné des intérêts régionaux », comme l’a dit Neil K. Besner, le journal, sous la direction de Davin, était un porte-parole du chemin de fer canadien du Pacifique et du Parti conservateur dans l’Ouest. « Les intérêts de la [compagnie] sont indissociables de ceux du Nord-Ouest, écrivait Davin dans un éditorial ; notre prospérité et la sienne vont de pair, son ennemi est le nôtre et ce que veulent les promoteurs de la [compagnie], c’est bien le développement complet des territoires. »
Le Leader paraissait depuis un mois lorsque Davin se vanta en ces termes au lieutenant-gouverneur Edgar Dewdney* : « mon journal connaît un succès quasi phénoménal. Le tirage cette semaine est de 4 500 et [...] sans avoir été sollicités, des abonnés de tous les coins du dominion affluent dans mon petit bureau des Prairies. Vous pouvez dire à sir John que, tant que je pourrai croiser le fer, je le ferai pour lui ». Le 16 juillet 1883, Davin remporta son premier poste électif, un siège dans un comité ad hoc, le Regina Citizens’ Committee. Pourtant, moins de six mois plus tard, son rêve était devenu un cauchemar. Ses biens immobiliers valaient dix fois moins que ce qu’on lui avait promis et il suppliait Dewdney d’aider le Leader en y plaçant de la publicité gouvernementale. En février 1884, il retourna en Ontario, officiellement pour défendre les intérêts du Nord-Ouest auprès du Parlement, mais aussi pour demander un poste plus à son goût que celui de rédacteur en chef dans une ville pionnière. Il fit valoir au premier ministre que la fonction de bibliothécaire du Parlement devrait être « réservée en priorité aux hommes de lettres », catégorie dans laquelle il se rangeait en tant qu’« homme qui depuis douze ans s’intéressait autant à la littérature canadienne ». Macdonald lui confia quelque chose de plus modeste et de moins permanent, le secrétariat de la commission royale sur l’immigration chinoise. Cette nomination ne plaisait guère à Joseph-Adolphe Chapleau*, membre de la commission. « Davin a ses défauts, admit Macdonald, mais il a aussi de grands mérites. Il est travailleur, cultivé, [il] peut passer des témoignages au crible et les classer. » Les travaux de la commission retinrent Davin loin de Regina jusqu’à ce que la rébellion de 1885 et le procès de Louis Riel* fassent de la ville le point de mire de tout le pays. Le tirage du Leader connut une remontée spectaculaire en partie grâce à l’entrevue saisissante que Davin réalisa avec Riel la veille de l’exécution. Il avait réussi à entrer dans la cellule du condamné en se déguisant en prêtre.
À compter de 1885, Davin s’accommoda de vivre à Regina. Ce beau célibataire, ce dandy qui portait un haut-de-forme et une cape flottante, et non un chapeau de fourrure et un lourd manteau comme la plupart des hommes de l’Ouest, se faisait remarquer dans les rues boueuses de la capitale. Nommé juge de paix le 24 septembre 1885, il fut admis au barreau le 11 janvier 1886. Le Leader allait si bien que, en 1887, Davin lui attribuait « un plus fort tirage que tous les autres journaux du Nord-Ouest réunis » et exigeait que ses annonceurs paient leurs comptes « chaque trimestre, d’avance ». Sa liaison avec une dame de la ville, Katherine E. Simpson Hayes, le réconcilia encore davantage avec Regina. Modiste, elle avait des ambitions littéraires et vivait séparée de son mari. Davin et elle eurent un fils et une fille ; ils les « placèrent » tous deux à l’extérieur de Regina, encore une petite localité. En outre, Davin fit un retour sur la scène électorale. Depuis son arrivée à Regina, il réclamait que les Territoires du Nord-Ouest aient des représentants au Parlement. Lorsque l’on créa quatre circonscriptions en 1886, il fut choisi candidat conservateur dans Assiniboia-Ouest. Aux élections générales du 22 février 1887, il remporta 63 % des suffrages et récolta la majorité dans tous les bureaux de scrutin sauf quatre.
Davin ne joua pas un rôle important dans la deuxième et la troisième phases de la lutte pour l’accroissement de l’autonomie régionale, à savoir les campagnes pour le gouvernement responsable et pour le statut de province. John Hall Archer a eu tort d’affirmer, dans Saskatchewan ; a history, et Lee Gibson, dans Canadian encyclopedia, que Davin fut parmi les « grands défenseurs de l’autonomie territoriale » et « tenta d’obtenir pour le territoire le statut de province ». Certes, les impératifs de la politique électorale locale l’obligeaient parfois à formuler des vœux pieux sur ces deux questions, mais en privé, il laissait clairement entendre à Ottawa qu’il suffisait de « temporiser un peu » pour « éviter de graves difficultés ». Davin était un nationaliste canadien pour qui le régionalisme était une arme politique méprisable. « Je ne crois pas à l’esprit de clocher », dirait-il carrément mais confidentiellement au premier ministre du pays, sir John Sparrow David Thompson*, en 1893. Il était hostile à Frederick William Gordon Haultain*, chef du Conseil consultatif établi en 1888 et du mouvement en faveur du gouvernement responsable. Tant que les conservateurs détinrent le pouvoir à Ottawa, il ne vit dans les revendications de l’Assemblée législative des territoires, dont les membres étaient à son avis « une bande de fous », que des complots grits visant à embarrasser son parti. Cela lui était égal que les territoires soient gouvernés à partir d’Ottawa, pourvu que les ministres du cabinet et la bureaucratie du dominion le laissent dispenser des faveurs en tant que député d’Assiniboia-Ouest. « Si vous procédez à une nomination sans que je l’aie recommandée, clama-t-il un jour à Hayter Reed*, du département des Affaires indiennes, je ne me soumettrai pas à votre décision. »
Au Parlement, Davin se fit connaître davantage par le style de ses contributions aux débats que par leur fond. Pour les députés de l’opposition, il était « le débiteur de sottises d’Assiniboia-Ouest » et l’« incarnation des geysers de Banff : des jets et de la vapeur ». Henri Bourassa* le surnommait « Almighty Voice ». Cependant, au cours des rudes échanges dont les Communes étaient le théâtre, il savait rendre coup pour coup, voire déclasser ses adversaires. À un opposant qui lui signalait qu’il se rendait « bien ridicule », il répliqua : « Je n’irai pas aussi loin dans la forme la plus sincère de flatterie envers [mon] distingué collègue. » À un adversaire qui se moquait de sa calvitie, il répondit : « Mon front est plus chauve que le sien, mais [mon collègue] est plus effronté que moi. » Macdonald lui demandait de déployer son éloquence lorsque la tactique parlementaire commandait le report d’un vote. Cependant, la liste des mesures législatives auxquelles le nom de Davin est associé directement compte un seul élément : une modification mineure apportée en 1892 à l’Acte concernant les terres publiques de la Puissance, modification qui accordait rétroactivement aux colons arrivés dans l’Ouest entre juin 1887 et juin 1889 le privilège de revendiquer une deuxième concession statutaire.
Si Davin est réputé avoir eu « un sens inné de la justice et de la tolérance », pour reprendre les termes de Charles Beverley Koester, c’est parce qu’il appuyait le bilinguisme dans l’Ouest. En 1889–1890, il défendit contre D’Alton McCarthy* les dispositions de l’article 110 de la Loi de 1875 sur les Territoires du Nord-Ouest. Toutefois, ses éditoriaux du Leader critiquaient davantage le « langage violent et offensant » de McCarthy qu’ils ne défendaient les droits du français. Davin était prêt à accepter l’abolition du bilinguisme « si l’on décidait que les deux langues n’[étaient] pas nécessaires dans une partie quelconque du dominion », mais il réclamait que cela se fasse « sans susciter de clameurs ni de dithyrambes ». Au Parlement, il proposa de laisser la question linguistique à la discrétion de l’Assemblée territoriale qui, il le savait, penchait en faveur de l’unilinguisme. Sa position sur la question scolaire du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest était tout aussi ambiguë. Favorable à « un système d’enseignement étatique qui ne privilégie[rait] pas une forme ou une autre de dogmatisme », il faisait pourtant valoir qu’« une bonne éducation comport[ait] nécessairement de la formation religieuse ». Il commença par s’opposer à la loi réparatrice que proposait son parti, puis finit par l’appuyer, de sorte que l’ordre d’Orange et l’archevêque Alexandre-Antonin Taché* le condamnèrent. Fort tièdes, ses prises de position en faveur des catholiques francophones n’étaient guère héroïques. Cependant, contrairement à tant de ses contemporains, il rejetait les appels à la race, sources de division. Tout en disant que la hargne des anglophones de l’Ouest contre les Franco-catholiques venait « peut-être de préjugés stupides » et en soulignant que lui, « bien sûr, n’a[vait] pas de préjugés », il concédait en privé : « [nous sommes] une collectivité de langue anglaise ; anglo-saxonne, comme on dit communément ».
Les biographes de Davin lui ont reconnu « de vagues tendances libérales » parce qu’il intercéda deux fois en faveur des droits des femmes bien avant que la chose ne soit courante. En 1888, il insista auprès de Thompson, alors ministre de la Justice, pour que les biens des femmes ne puissent plus être saisis pour acquitter les dettes de leur mari. Le 8 mai 1895, il présenta aux Communes un projet de loi en faveur du suffrage féminin. La meilleure explication de ces velléités féministes réside dans sa liaison avec Katherine E. Simpson Hayes, féministe convaincue. Pour Davin, la plupart des questions, politiques ou pas, étaient des affaires personnelles.
Quant à sa réputation de conservateur réfractaire, on ne doit pas en chercher l’origine dans des écarts par rapport à l’idéologie traditionnelle du parti, mais dans une série de querelles publiques qui découlaient plus de conflits de personnalité qu’elles ne portaient sur des questions de principe. En 1889, Davin porta des accusations pour la plupart mal fondées contre la Police à cheval du Nord-Ouest parce que, le 24 août 1884, le surintendant William Macauley Herchmer* l’avait arrêté sous le motif qu’il se promenait ivre et à demi vêtu dans un wagon de première classe. Ses attaques contre le ministre de l’Intérieur et surintendant général des Affaires indiennes, Edgar Dewdney, étaient mieux étayées, mais elles reflétaient sa jalousie et sa déception de ne pas avoir lui-même accédé au cabinet. Et puis, s’il écorchait ces grandes figures conservatrices de l’Ouest, c’était aussi par calcul, dans une certaine mesure. Day Hort MacDowall, député conservateur de la circonscription de Saskatchewan aux Communes, signala à Dewdney que, « de toute évidence, [... ces accusations étaient] brandies pour montrer l’indépendance de Davin et [faire voir] combien il [était] nécessaire d’avoir des députés qui sacrifier[aient] plutôt leur parti ».
Réélu par une plus forte majorité en 1891, Davin subit pourtant une série de graves déceptions dans la suite de sa carrière politique. Encore une fois, ce fut quelqu’un d’autre qui entra au cabinet. En effet, en octobre 1892, le département de l’Intérieur alla à Thomas Mayne Daly*, ce qui, dit-on, « blessa [Davin] au point qu’il sombra pour un bon moment dans l’alcool ». Décidé à ne plus briguer les suffrages, il passa les mois de mai et juin 1893 à réclamer désespérément le poste de lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest. Finalement, Thompson nomma Charles Herbert Mackintosh*, ce qui fit jeter les hauts cris à Davin. Toutefois, Davin n’avait pas perdu le tour avec ses électeurs. Le 23 juin 1896, il fut le seul des quatre tories des territoires à être réélu. Il faut dire cependant qu’il remporta la victoire parce qu’un directeur de scrutin à qui il avait déjà fait une fleur rompit en sa faveur l’égalité des suffrages. En dépit du fait que, au cours de chacune de ses campagnes dans Assiniboia-Ouest, il avait soutenu la position officielle des conservateurs sur les écoles manitobaines, le chemin de fer canadien du Pacifique et le tarif (avec quelques réserves dans ce cas), il récoltait un plus fort pourcentage des voix que le parti à l’échelle du pays ou des territoires. Ce succès, il le devait en grande partie à la fidélité d’électeurs qu’il avait su gagner par son magnétisme et par un usage judicieux du favoritisme.
Davin avait cessé de pratiquer le droit en s’installant à Regina. Une fois élu au Parlement, il avait abandonné l’administration courante du Leader et conservé seulement sa fonction d’éditorialiste. Le 22 août 1895, il vendit le journal à Walter Scott*. Ses ambitions littéraires étaient toujours aussi grandes, mais, comme par le passé, la politique l’empêchait de les réaliser pleinement. Il semblait oublier qu’il avait dit un jour à sir John Alexander Macdonald : « Les hommes de lettres [...] font autant pour le pays que les hommes politiques. » Parmi les critiques modernes de Eos : an epic of the dawn, and other poems, publié par Davin à Regina en 1889, la plus élogieuse provient de Koester : « [sans être] originale ni profonde [... l’œuvre] n’est pas que rimes et vers banals » ; elle s’élève « bien au-dessus du médiocre ». Davin écrivit aussi un roman, resté à l’état de manuscrit, « Dorsal ray ».
En même temps que s’accumulaient les déceptions politiques, professionnelles et littéraires, Davin éprouvait de plus en plus de problèmes personnels. Lorsqu’il eut atteint la cinquantaine, il cultivait depuis si longtemps son personnage d’Irlandais buveur, bavard, inconstant et sentimental qu’aucun biographe n’a pu déterminer où finissait le mythe et où commençait le vrai Davin. C’est à se demander si Davin lui-même le savait. Alcoolique toute sa vie, il le devint encore plus avec l’âge. Un contemporain plus jeune que lui a noté : « à partir d’un certain moment, il ne pouvait pas faire un discours sans boire d’abord pour s’échauffer l’esprit ». Avant la campagne électorale de 1891, il s’engagea publiquement à renoncer à l’alcool. En privé, a dit Katherine E. Simpson Hayes, « il faisait sans cesse des tentatives sérieuses, mais il n’arrivait pas du tout à se maîtriser ». Leur liaison prit fin en avril 1895, date où Davin annonça qu’il allait épouser Eliza Jane Reid. Apparemment, ce mariage, qui dura six ans, ne fut pas très heureux, mais au moins, il permit à Henry Arthur Davin, le fils qu’il avait eu avec Katherine, d’avoir un foyer. En dépit de tous ses efforts, Davin ne retrouva jamais sa fille.
De 1896 à 1900, Davin fut le seul député des Territoires du Nord-Ouest à appartenir à l’opposition conservatrice. De l’autre côté de la Chambre, il ne se sentait plus tenu de respecter les contraintes qui pesaient sur lui lorsqu’il était député gouvernemental d’arrière-ban. Au cours de la session de 1897, il prit la parole 1 023 fois ; ses interventions remplissent 250 pages des Débats. Pourtant, ses opinions restaient les mêmes. Il demeurait un bon ami de « la grande Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique » et un impérialiste éloquent, pressé de voir le Canada « porter assistance à [sa] mère l’Empire de toutes les manières possibles » pendant la guerre des Boers. En tant que président de la Territorial Liberal-Conservative Association, il tenta de réorganiser le parti après la débâcle de 1896. Toutefois, ces mots adressés au sénateur James Robert Gowan montrent que sa tâche n’était pas facile : « Je suis comme un général privé d’artillerie qui combattrait une armée bien équipée. Je n’ai pas de journal pour protéger mes mouvements et tirer sur les batteries de mensonges de l’ennemi. » Les conservateurs du centre du Canada contribuaient au financement du West, fondé à Regina le 27 avril 1899, mais, même si Davin disait que « politiquement, [c’était] une réussite », il reconnut un an plus tard que le journal « n’avait pas reçu assez de faveurs [sous forme de contrats] de publicité pour avoir le ventre plein ». Davin attribua aux chicanes libérales sa défaite aux élections générales du 7 novembre 1900. Pourtant, ce qui était étonnant, ce n’était pas que Davin ait perdu, mais qu’il ait perdu par un si petit nombre de voix (il avait remporté 48 % des suffrages). Assiniboia-Ouest comptait presque quatre fois plus d’électeurs qu’au moment de sa première campagne en 1887. Davin n’avait pas les outils nécessaires pour rejoindre personnellement, comme il avait eu l’habitude de le faire, un aussi grand nombre de gens. L’alcool avait amoindri son charisme, il n’avait plus depuis 1896 le pouvoir de dispenser des faveurs et son adversaire était le propriétaire et rédacteur en chef du Leader.
Davin se suicida le 18 octobre 1901 dans sa chambre du Clarendon Hotel à Winnipeg. On n’est pas en peine pour trouver des motifs à son geste. Le désordre régnait dans sa vie privée, le West vivotait et sa carrière parlementaire était, de toute évidence, terminée. Il n’avait pas avancé dans la réalisation du grand travail d’érudition qu’il avait annoncé après sa défaite : « écrire l’histoire de [ses] années au Canada et brosser un portrait grandeur nature de sir John Alexander Macdonald ». Le caractère mélodramatique de sa mort reflète bien sa vie. Comme son revolver ne tirait pas, il dut le retourner à la quincaillerie Ashdown et acheter un autre pistolet pour se tuer.
Nicholas Flood Davin avait des talents remarquables, mais il les canalisait mal. Koester conclut que l’on doit se souvenir de lui comme d’« un député qui se situait dans la meilleure tradition parlementaire [...] La véritable tragédie fut [...] qu’il y en ait eu si peu comme lui. » On doit dire, cependant, qu’il est difficile d’imaginer comment la Chambre des communes aurait pu fonctionner si elle avait compté plus d’un Nicholas Flood Davin. Cela dit, les différents aspects de sa vie offrent d’autres aperçus sur son époque. Son rôle à Regina en tant que représentant du chemin de fer et tenant de la Politique nationale étaye la thèse de James Maurice Stockford Careless* selon laquelle, à mesure que le Canada gagnait du terrain dans l’Ouest, la métropole dominait les régions pionnières. En outre, son cas illustre la thèse de Carl Berger sur la convergence de l’impérialisme et du nationalisme dans le Canada anglais du xixe siècle. Enfin, l’inefficacité de ses appels en faveur d’une identité nationale suprarégionale et supraethnique constitue un exemple de ce que William Lewis Morton* a décrit comme « l’incapacité [...] d’entretenir l’espoir qu’avait Macdonald de voir le sentiment national rendre possible la prééminence du gouvernement national ».
L’étude complète de C. B. Koester, Mr. Davin, m.p. : a biography of Nicholas Flood Davin (Saskatoon, 1980), présente une bibliographie des publications de Davin (pages 223–225) et une liste (classée selon la date) des articles qu’il a rédigés spécialement pour le Regina Leader (pages 225s.). L’ouvrage le plus important de Davin, The Irishman in Canada, a été réimprimé (Shannon, république d’Irlande).
Soucieux du jugement que porterait envers lui la postérité, Davin conservait soigneusement ses papiers personnels, mais aucun ne subsiste malheureusement aujourd’hui. On présume qu’ils ont été détruits par Eliza Jane Reid, la femme de Davin, dans le but d’améliorer le souvenir que laisserait son mari. La principale source d’information se retrouve donc dans les papiers Macdonald (AN, MG 26, A), qui contiennent plus de 400 lettres de Davin, presque toutes adressées à Macdonald lui-même, et environ 60 autres où le nom de Davin est mentionné. On trouve aussi une importante documentation dans les papiers de Henry James Morgan* (AN, MG 29, D61), y compris les notes de ce dernier pour les portraits qu’il a tracés de Davin dans le CPG et le Canadian men and women of the time (1898), et pour une biographie complète qu’il n’a jamais rédigée ; la partie la plus utile de cette collection consiste cependant en la série de lettres adressées à Morgan entre 1896 et 1904 par Kate Simpson Hayes sous le pseudonyme de Mary Markwell.
La collection C. B. Koester conservée au Saskatchewan Arch. Board (Regina), et comprenant des notes de Koester pour sa biographie de Davin ainsi que des papiers de famille, ne peut être consultée du vivant de Koester. On conserve aussi dans ce dépôt plusieurs manuscrits de Davin, dont celui du roman intitulé « Dorsal ray », dans la collection de la Saskatchewan Hist. Soc. (SHS 14), et des papiers de sa fille Agnes Agatha Robinson (R-432), qui font état de ses efforts visant à prouver ses origines. [j. h. t.]
AN, MG 26, D ; MG 27, I, C4, 2 (mfm aux GA) ; E17 ; E106.— Regina Leader, 1883–1896.— J. H. Archer, Saskatchewan : a history (Saskatoon, 1980).— N. K. Besner, « Nicholas Flood Davin », Dictionary of literary biography (112 vol. parus, Detroit, 1978– ), 99 (Canadian writers before 1890, W. H. New, édit., 1990) : 87–91.— Canada, Chambre des communes, Débats, 1887–1900.— Canadian encyclopedia.— C. B. Koester, « Nicholas Flood Davin : politician-poet of the prairies », Dalhousie Rev., 44 (1964–1965) : 64–74.— W. L. Morton, « Confederation, 1870–1896 : the end of the Macdonaldian constitution and the return to duality », REC, 1 (1966), no 1 : 11–24.— R. St G. Stubbs, Lawyers and laymen of western Canada (Toronto, 1939), 1–21.— Thomas, Struggle for responsible government in N.W.T. (1978).— Norman Ward, « Davin and the founding of the Leader », Sask. Hist., 6 (1953) : 13–16.
John Herd Thompson, « DAVIN, NICHOLAS FLOOD (baptisé Nicholas Francis) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/davin_nicholas_flood_13F.html.
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Auteur de l'article: | John Herd Thompson |
Titre de l'article: | DAVIN, NICHOLAS FLOOD (baptisé Nicholas Francis) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
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