CAWTHRA, JOSEPH, marchand et homme politique, né le 14 octobre 1759 à Yeadon, Angleterre, fils de Henry Cawthra et de Mary Brown ; le 29 janvier 1781, il épousa Mary Turnpenny, et ils eurent au moins six fils et trois filles ; décédé le 15 février 1842 à Toronto.

Joseph Cawthra était issu d’une importante souche yeoman du Yorkshire, car ses ancêtres étaient demeurés dans la paroisse de Guiseley, près de Bradford, pendant plusieurs générations. La première profession qu’on lui connaît fut celle de fabricant de lainages ; en 1792 ou 1793, il construisit l’un des premiers moulins à vapeur du comté, qui servait à carder, à filer et à fouler la laine. Selon les dires de la famille, il serait arrivé dans le Haut-Canada en 1803, après un bref séjour dans l’État de New York. Cependant, dans un document de l’époque, il précise lui-même avoir vécu à New York de 1803 jusqu’au printemps de 1806, date à laquelle il ouvrait à York (Toronto) un magasin général où les produits d’apothicaire étaient particulièrement abondants. Sa famille le rejoignit entre 1806 et 1809. Les profits qu’il réalisa durant la guerre de 1812 contribuèrent à en faire dans l’après-guerre l’un des plus riches marchands d’York. Au cours des années 1820, il était un gros importateur de thé et autres denrées alimentaires.

Le premier geste politique de Cawthra, une fois établi dans le Haut-Canada, fut de signer en août 1807 une déclaration contre le parti de Robert Thorpe, juge de la Cour du banc du roi qu’on venait de limoger. Mais, durant les années 1820 et 1830, il fut un pilier de l’agitation antigouvernementale à York. En 1828, il soutint la candidature de Thomas David Morrison* à titre de député de la ville à la chambre d’Assemblée. Même s’il était anglican, il participa au « comité central » formé à York afin d’assurer la coordination de la campagne contre le King’s College, que les réformistes voyaient comme un élément de la stratégie mise en place par John Strachan* en vue de faire de l’Église d’Angleterre l’Église établie dans la colonie. La même année, en juillet, son nom figurait en tête de la pétition que les propriétaires du district de Home adressèrent au gouvernement impérial en faveur du juge John Walpole Willis*, qu’on venait de destituer de son poste à la Cour du banc du roi. C’est dans cette pétition que les réformistes du Haut-Canada demandèrent formellement pour la première fois que le gouvernement ait à répondre devant la chambre d’Assemblée. La notoriété que prit Cawthra en cette occasion incita le lieutenant-gouverneur sir Peregrine Maitland* à le discréditer, ainsi que d’autres signataires importants de la pétition. Dans une lettre qu’il adressait le 12 septembre à sir George Murray, secrétaire d’État aux Colonies, Maitland se laissa aller à sa propension au mensonge : « M. Cawthra est venu aussi des États-Unis ; il a été cordonnier dans cette ville [York] pendant de nombreuses années et, maintenant, il tient un magasin ; il sait à peine écrire. » En réalité, le séjour de Cawthra aux États-Unis avait été relativement bref, il n’avait jamais été cordonnier et il pouvait écrire aussi bien que Maitland.

La carrière politique de Cawthra a souvent été confondue avec celle de ses fils John et William*. C’est John et non Joseph qui fut député de Simcoe de 1828 à 1830. C’est Joseph et non William qui fut échevin du quartier St Lawrence au premier conseil municipal de Toronto, formé en 1834 et que dominaient les réformistes [V. William Lyon Mackenzie*] Joseph connut la défaite en janvier 1835, mais William fut élu échevin à sa place un an plus tard. Le bref séjour de Joseph au conseil municipal, son unique expérience en politique active, reflète non seulement l’importance qu’il avait prise dans la politique réformiste, mais aussi son engagement dans les affaires municipales.

Même si Cawthra était un marchand de tout premier plan, son attitude envers la Bank of Upper Canada [V. William Allan*] fut pendant très longtemps conforme à ses idées politiques. Dans une déposition qu’il fit sur l’état de la monnaie provinciale devant le comité spécial de la chambre d’Assemblée en 1830, il dénonçait la position privilégiée de cette banque, la seule dans la colonie à avoir une charte, et préconisait un marché financier plus ouvert à la concurrence. À cette occasion, il déclara n’avoir jamais été administrateur ni actionnaire de cette banque. Toutefois, plus tard la même année, il acquit ses premières actions, dans le but peut-être de se présenter au conseil d’administration en qualité de candidat « opposé aux pouvoirs établis », avec Jesse Ketchum*, Thomas David Morrison et Robert Baldwin*. Il fut élu au conseil en 1835 et réélu en 1836 et 1837. Il n’eut cependant rien à voir dans la fondation de la Bank of the People que d’autres importants réformistes, dont James Lesslie* et John Rolph*, mirent sur pied en 1835.

Tels étaient les antécédents du rôle controversé que Cawthra allait jouer afin de renflouer la Bank of Upper Canada durant la crise financière de mai et juin 1837. La suspension du paiement en espèces par les banques aux États-Unis déclencha alors une ruée vers les banques du Haut et du Bas-Canada. À Toronto, la campagne que mena le journal de William Lyon Mackenzie contre les banques aggrava la situation. Mackenzie exhortait ses lecteurs à se faire rembourser leurs billets et à retirer leurs dépôts en espèces. Le 17 mai, il rapporta que, la veille, Cawthra avait fait le tour de toutes les banques de la ville pour se faire rembourser des billets. Celui-ci rétorqua qu’il avait déposé au delà de £1 000 à la Bank of Upper Canada ce jour-là et qu’au total il y avait versé £15 000. Francis Hincks*, caissier de la Bank of the People, déclara sous serment que le 16, William Cawthra, le bras droit de Joseph dans son commerce, avait encaissé £600 contre des billets émis par cette banque et avait manifesté son intention de se faire rembourser des billets d’autres banques de la ville, y compris la Bank of Upper Canada. Joseph répliqua en déclarant sous serment qu’il avait déposé une forte somme à la Bank of Upper Canada le 16 et n’avait rien retiré depuis. À la fin de juin, il dut démentir publiquement la rumeur qui voulait que ses £15 000 aient été déposées selon une entente spéciale qui interdisait à la banque de s’en servir pour payer d’autres obligations. Une autre rumeur affirmait que pendant la crise, Cawthra, alors administrateur de la banque, avait offert d’acheter les stocks de l’établissement à 20 % d’escompte.

Il est plausible que le 16 mai, les Cawthra aient retiré des fonds en espèces de la Bank of the People, et peut-être aussi d’autres banques torontoises, pour renflouer la Bank of Upper Canada. On se serait attendu à ce que Mackenzie les vilipende pour avoir agi ainsi. Cependant, le fait qu’il leur chercha plutôt des excuses en rappelant à plusieurs reprises les longues années que Joseph avait consacrées à la cause réformiste et en attribuant sa conduite à l’état de nécessité est peut-être un indice du prestige dont celui-ci jouissait dans les cercles réformistes. Mackenzie expliqua que Cawthra avait une somme de £30 000 ou davantage, y compris ses dépôts, immobilisée à la Bank of Upper Canada et avait été, de ce fait, forcé de défendre l’établissement malgré ses principes.

Joseph Cawthra fut un personnage exceptionnel et énigmatique de la société torontoise au moment où celle-ci prenait forme. Riche marchand anglican mêlé à la politique réformiste de Mackenzie à Toronto et dans le comté d’York dans les années 1830, il constitue une exception à ce titre, tout comme il demeure une énigme parce qu’aucune preuve de ses raisons d’agir ne subsiste. Traditionnellement, sa famille a fait état de son antipathie pour le family compact et a attribué son adhésion à l’Église d’Angleterre à John Wesley, père du méthodisme, qui lui avait conseillé de demeurer anglican. On peut penser que Cawthra jouissait de l’indépendance financière suffisante pour donner libre cours à des idées bien personnelles. La crise financière de 1837 le força à choisir entre les politiques anticapitalistes de Mackenzie et les exigences du capitalisme en difficulté, mais la rébellion de Mackenzie, survenue plus tard au cours de la même année, rendit en fait cette contradiction insignifiante. Aux élections générales qui suivirent, en 1841, Robert Baldwin, dont la famille comptait depuis longtemps parmi les actionnaires importants de la Bank of Upper Canada, dirigeait le parti réformiste, et à Toronto les candidats de ce parti étaient John Henry Dunn* et Isaac Buchanan*, capitalistes influents ; Cawthra vota pour eux, probablement sans scrupule.

Paul Romney

AO, RG 4-32, 1408/1880 ; RG 22, sér. 155.— APC, RG 1, L3, 96 : C8/41 ; 97 : C9/59.— City of Toronto poll book ; exhibiting a classified list of voters, at the late great contest for responsible government [...] (Toronto, 1841).— H.-C., House of Assembly, App. to the journal, 1835, no 3 ; Journal, 1830, app. : 21–48.— Town of York, 1793–1815 (Firth) ; 1815–34 (Firth).— Colonial Advocate, 14 juin 1827, 2 oct., 4 déc. 1828, 18 févr. 1830, 10 juin 1834.— Toronto Patriot, 16 janv. 1835, 19, 26 mai, 30 juin 1837, 18 févr. 1842.— History of Toronto and county of York, Ontario [...] (2 vol., Toronto, 1885), 2 : 26–27.— Past and present ; notes by Henry Cawthra and others, A. M. [Cawthra] Brock, compil. (Toronto, 1924).

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Paul Romney, « CAWTHRA, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/cawthra_joseph_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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