BOUCHETTE, JEAN-BAPTISTE, homme d’affaires, marin, officier de milice et de marine, né le 5 juillet 1736 à Québec, fils de Marc Bouchette (Bouchet) et de Marie-Thérèse Grenet ; décédé le 28 avril 1804 à Québec.
Dernier des cinq enfants d’un marin originaire de Saint-Malo, en France, Jean-Baptiste Bouchette reçut une éducation de marin, même si son père était mort peu après sa naissance. Vers 1760, il se lança dans l’industrie de la pêche dans le golfe du Saint-Laurent ; dès 1765, il était un marchand bien établi résidant rue Champlain, à Québec. La même année, et ce pour une durée de neuf ans, il s’associa à parts égales avec la firme Johnston et Purss [V. James Johnston* ; John Purss] pour l’exploitation d’un poste de traite des fourrures et de pêche, probablement dans la région du golfe. Bouchette devait porter les vivres et les marchandises de traite au poste, veiller aux intérêts de la société et en rapporter le poisson et les fourrures.
Bouchette, que Pierre de Sales Laterrière qualifiait de « garçon qui n’était pas beau », épousa à Québec, le 27 septembre 1773, Marie-Angélique Duhamel. Laterrière disait de cette femme qu’elle était « belle, de riche taille et bien faite », et affirmait avoir été « lié [à elle] d’amours plus que platoniques depuis longtemps » avant son mariage avec Bouchette. On prétendait que cette union avait été arrangée par Julien Duhamel, père de Marie-Angélique, lui aussi marin originaire de Saint-Malo.
En 1775, Bouchette possédait et commandait sa propre goélette, et il s’était acquis le surnom de « la tourte », « en raison de la célérité de ses voyages ». Le 11 novembre, armée et gréée pour le service du gouvernement pendant l’invasion de la province de Québec par les Américains, la goélette fut l’un des navires d’escorte du convoi chargé d’évacuer Guy Carleton et les troupes de Montréal. Des vents contraires forcèrent le convoi à jeter l’ancre près de Sorel, et, le 16 novembre, celui-ci paraissait pris au piège sous les batteries ennemies. Carleton et son aide de camp, Charles-Louis Tarieu de Lanaudière, prirent la fuite dans une petite embarcation adroitement pilotée par Bouchette et, après quelques aventures, arrivèrent sains et saufs à Québec le 19 novembre. Ce service valut à Bouchette une commission dans une compagnie d’artillerie de la milice durant le siège de Québec. En outre, le 28 avril 1776, Carleton le nomma lieutenant de vaisseau et commander d’un sloop armé, le Hope, à bord duquel il fut à quelques reprises d’une utilité indispensable à l’escadre britannique sous les ordres du capitaine Charles Douglas*. Le 11 septembre 1777, Carleton donna à Bouchette une commission d’officier de navigation, de capitaine de vaisseau et, en plus, de capitaine d’un navire armé, le Seneca, sur le lac Ontario. Bouchette servit sur les Grands Lacs jusqu’à son licenciement, en 1784.
Bouchette retourna alors à Québec. En octobre 1785, il fut l’un des signataires d’une adresse au lieutenant-gouverneur Henry Hamilton*, dans laquelle, à l’occasion de son départ, on louait son gouvernement. Deux ans plus tard, le vieux protecteur de Bouchette, le gouverneur Carleton, devenu lord Dorchester, lui accorda une commission de capitaine de milice à Québec. En 1788, redevenu marin de commerce, Bouchette vivait rue Saint-Pierre et jouissait apparemment d’une situation sociale assez respectable. Pourtant, cette situation cachait de graves problèmes financiers. Il avait contracté une dette de £1 359 envers la firme Fraser and Young, dont l’un des associés était l’homme politique John Young. Celui-ci était disposé à accepter £906, payables en deux ans sans intérêts, en prenant en garantie l’Angélique, goélette qui appartenait à Bouchette et qui avait été construite l’année précédente. En juin 1789, Bouchette emprunta £278 de Thomas Dunn pour réduire quelque peu sa dette ; néanmoins, en avril 1790, l’Angélique dut être vendue pour rembourser une partie du solde.
L’été précédent, Bouchette avait donné procuration à sa femme pour qu’elle essayât de régler ses affaires à Québec, puis il était reparti servir dans la marine, sur le lac Ontario. En 1791, au moment où la marine provinciale prit un nouvel essor, Dorchester nomma Bouchette officier de navigation et capitaine de vaisseau ; cette commission fut confirmée pour le Haut-Canada par le lieutenant-gouverneur Simcoe le 16 août. À la mort du commodore David Beaton en décembre 1794, Bouchette devint l’officier le plus élevé en grade et succéda à Beaton sur le lac Ontario. On se plaignit qu’il acceptait des pots-de-vin pour transporter des passagers et des marchandises sur les navires de la marine, mais le distingué voyageur français La Rochefoucauld-Liancourt* rapporta qu’au dire de tout le monde il était absolument incorruptible.
Les années durant lesquelles Bouchette assuma le commandement allaient le laisser déçu et aigri. Il dut être troublé que son fils aîné, Joseph*, ne pût marcher sur ses traces, par suite d’une importante réduction des effectifs de la marine provinciale après 1794, année où le traité Jay allégea les tensions avec les États-Unis. En 1795, Bouchette se plaignit à La Rochefoucauld-Liancourt des désaccords qui existaient entre les divers services de l’organisation militaire et navale de Kingston, dans le Haut-Canada. Néanmoins, parce qu’il avait sa famille et ses terres à Kingston, Bouchette fut l’un des critiques les plus forcenés du projet de faire d’York (Toronto) le centre des activités de la marine provinciale, et cela même après avoir reçu, de 1791 à 1797, d’importantes concessions de terre à York, tant pour lui-même que pour ses enfants.
En 1799, les griefs de Bouchette l’avaient amené à se conduire en tyran avec ses officiers et à collaborer de moins en moins avec les autorités militaires. En 1801, il cessa tout à fait de communiquer avec ses supérieurs, si bien que le major de fort dans le Haut-Canada, le lieutenant Donald Campbell, dut assumer ses responsabilités administratives. Perclus de rhumatismes, malade et incapable de prendre la mer à bord de son navire en novembre de la même année, Bouchette se vit toutefois refuser, par le lieutenant-gouverneur Peter Hunter, la permission d’aller passer l’hiver à Québec. Il parut se replier davantage encore sur lui-même. Un protégé du duc de Kent [Edward Augustus] élabora un plan, que Bouchette avait lui-même approuvé, pour que celui-ci fût mis à la retraite tout en retirant sa solde entière. Tout cela était bien triste, et Bouchette a dû souhaiter que Dorchester, qui s’était retiré en Angleterre en 1796, n’eût jamais quitté le Canada. Les négociations se prolongèrent jusqu’en 1803. Cette année-là, infirme et fatigué, mais sans doute irréductible, le vieil homme alla trop loin. Accusé de désobéissance par l’officier commandant du port de Kingston, le capitaine Holt Mackenzie, Bouchette aurait fait « claquer ses doigts tout près du visage du capitaine Mackenzie et, en lançant violemment son chapeau sur le plancher, il [aurait] dit qu’il se fichait comme de l’an quarante de lui ou du général [le lieutenant-gouverneur Hunter] ». À l’enquête qui suivit cet incident, on retint trois accusations contre lui ; en septembre, le capitaine John Steel* assuma la responsabilité de la marine provinciale. Bouchette retourna à Québec, où il mourut le 28 avril 1804. Il fut inhumé au cimetière des Picotés. Une semaine avant sa mort, il avait obtenu une concession de 400 acres dans le canton de Nelson et une autre de 99 acres dans celui de Somerset, tous deux dans le Bas-Canada. Toutefois, sa succession était si lourdement endettée envers les marchands John Forsyth* et John Young que sa famille dut y renoncer.
Peut-être l’ennui de vivre dans une ville de garnison éloignée, allié à l’isolement culturel, explique-t-il la tragique déchéance de Jean-Baptiste Bouchette dans le Haut-Canada. Il est certain, en tout cas, que « la tourte » souffrit des changements à l’ordre ancien après le départ de Dorchester. Issu de deux familles aux longues traditions maritimes, Bouchette trouva malgré tout le moyen de perpétuer certaines de ces traditions dans le Haut-Canada. En outre, grâce aux alliances et à la carrière de la plupart de ses neuf enfants, il fut à l’origine de plusieurs familles en vue tant du Haut que du Bas-Canada : Joseph, entré au service d’un oncle par alliance, l’arpenteur Samuel Johannes Holland, devint arpenteur général du Bas-Canada ; Luce, la dernière des filles de Bouchette, épousa en 1811 le marin québécois et héros de la guerre de 1812, Charles-Frédéric Rolette ; quatre autres filles épousèrent des marchands de la région de la rivière Detroit. D’éminents descendants de cette grande famille étaient encore célèbres pour leur contribution à la société et à la littérature du Canada anglais comme du Canada français, plus de 130 ans après la mort de leur ancêtre.
ANQ-Q, CE1-1, 5 juill. 1736, 27 sept. 1773, 30 avril 1804 ; CN1-92, 30 oct. 1788, 15 sept. 1789 ; CN1-148, 20 sept. 1765 ; CN1-178, 31 août 1804 ; CN1-224, 29 juin, 7 sept. 1789 ; CN1-253, 31 janv. 1820 ; CN1-256, 26 sept. 1788, 28 sept. 1789, 29 avril 1790.— APC, MG 23, HI, 1, sér. 1, 6 : 325–327 ; RG 8, I (C sér.), 723–726.— BL, Add. mss 21744: 28 ; 21804.— PRO, CO 42/34: f.259 (mfm aux APC).— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank).— Invasion du Canada (Verreau), 176, 233s.— Kingston before War of 1812 (Preston), 16, 210, 242, 350, 362.— F.-A.-F. de La Rochefoucauld-Liancourt, « La Rochefoucault-Liancourt’s travels in Canada, 1795, [translated by Henry Neuman] with annotations and strictures by sir David William Smith [...] », W. R. Riddell, édit., AO Report, 1916: 79s., 92.— Pierre de Sales Laterrière, Mémoires de Pierre de Sales Laterrière et de ses traverses, [Alfred Garneau, édit.] (Québec, 1873 ; réimpr., Ottawa, 1980), 71.— Town of York, 1793–1815 (Firth), xxxii, 12, 39, 44, 232.— La Gazette de Québec, 29 sept. 1766, 13 nov. 1770, 15 juin 1775, 3 nov 1785, 13 nov. 1788, 3 mai 1804.— Langelier, Liste des terrains concédés, 600, 607.— Stanley, Canada invaded, 68s., 147, 152.— Édouard Fabre Surveyer, « The Bouchette family », SRC Mémoires, 3e sér., 30 (1941), sect. ii : 135–140.— Benjamin Sulte, « Jean-Baptiste Bouchette », SRC Mémoires, 3e sér., 2 (1908), sect. i : 67–83.
W. A. B. Douglas, « BOUCHETTE, JEAN-BAPTISTE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bouchette_jean_baptiste_5F.html.
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Auteur de l'article: | W. A. B. Douglas |
Titre de l'article: | BOUCHETTE, JEAN-BAPTISTE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |