BINNEY, JONATHAN, marchand, homme politique, juge et fonctionnaire, né le 7 janvier 1723/1724 à Hull, Massachusetts, fils de Thomas Binney et de Margaret Miller ; décédé le 8 octobre 1807 à Halifax.
Jeune homme, Jonathan Binney se lança dans le commerce à Boston. Le 8 janvier 1746/1747, il épousa Martha Hall, de Charlestown (maintenant partie de Boston), fille du négociant Stephen Hall ; le couple immigra à Halifax en 1753 pour tenter d’améliorer sa condition financière. Un mélange de réussite et de tragédie personnelle marqua les premières années de Binney en Nouvelle-Écosse. Ses affaires prospéraient, étant de plus en plus reliées à celles de Michael Francklin* et à l’empire commercial de Joshua Mauger*, qui dominait le commerce de la province. En 1757, il prit la tête d’un mouvement local qui prônait un gouvernement représentatif ; à la fin de la même année, sa femme était inhumée au cimetière de l’église St Paul, « son bébé dans les bras ». À la convocation de la première chambre d’Assemblée de la Nouvelle-Écosse en 1758, Binney était député du canton de Halifax qu’il représenta jusqu’à sa nomination au Conseil de la Nouvelle-Écosse en 1764. Le 26 juillet 1759, il épousa Hannah Adams Newton, saeur de Henry et de John, cimentant ainsi davantage son alliance avec le « groupe de Halifax » que dirigeaient Francklin et Mauger. Un an plus tard, il enterrait l’enfant qui lui restait de son premier mariage.
Dès les années 1760, Binney se fit un nom en tant qu’adversaire du pouvoir exécutif, collectionneur assidu de postes obtenus par nomination et objet de controverse. Il prit une part active à la grève que fit l’Assemblée en 1761 afin de contrecarrer les efforts du lieutenant-gouverneur Jonathan Belcher*. Celui-ci voulait appliquer la politique du Board of Trade sur l’ouverture du commerce avec les Indiens et mettre fin à la protection juridique des débiteurs, surtout ceux qui avaient contracté des dettes en dehors de la province. En 1762, suivant les conseils du Board of Trade, Belcher destitua Binney et les autres meneurs de grève des fonctions qu’ils détenaient par autorisation du gouverneur. Binney réagit, d’une façon caractéristique, en recueillant « des souscriptions dans toute la ville » pour aider les innocentes victimes de la tyrannie de l’exécutif. Il allait perfectionner cette tactique tout au long de sa lutte contre le gouverneur Francis Legge*. L’interdiction, qui portait sur l’exercice des fonctions, ne dura pas. En 1764, Binney obtint des postes qui lui occasionnèrent des difficultés avec les autorités, d’abord avec l’Assemblée et, plus tard, avec le gouverneur, lorsqu’il devint receveur des douanes puis magistrat à Canso, important port de pêche et de commerce. Il y bâtit une maison et prétendit consacrer la plupart des mois d’été à son travail. Ses tâches étaient nombreuses dans ce coin reculé de la province : en 1766, par exemple, « avec l’aide de quelques messieurs de la marine qui se trouvaient à proximité de Canso », il dispersa un groupe d’Indiens belliqueux.
Binney éprouvait de la difficulté à se faire rémunérer pour les fonctions qu’il exerçait à Canso. En 1764, la législature vota £75 à Binney pour une seule année ; quant au conseil, il fit un nouveau versement en 1765 au mépris de l’Assemblée. Par la suite, les émoluments de Binney devinrent une pomme de discorde entre le conseil et l’Assemblée, en lutte pour obtenir la maîtrise du trésor provincial. Régulièrement, l’Assemblée refusait ou négligeait de lui voter une autre allocation, quoique le conseil en versât une jusqu’en 1769. Binney prit l’habitude de s’indemniser en déduisant, de ses versements à Halifax, les 75 premières livres sterling des amendes et droits de douane perçus. En 1768, Binney ajouta à sa collection de fonctions celles, éphémères, de receveur des douanes et de l’accise, puis de juge à l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) ; en janvier 1772, il devint juge de la Cour inférieure des plaids communs du comté de Halifax et, en 1774, commença à percevoir les douanes à l’île du Cap-Breton moyennant un fixe de £50 par an.
L’Assemblée entretenait depuis longtemps des griefs contre Binney au sujet de ses postes à Canso, lorsque Legge devint gouverneur de la province. Peu après l’arrivée de ce dernier à Halifax le 6 octobre 1773, elle déclara que « la rétribution annuelle de £75 versée à Jonathan Binney, écuyer, en qualité de premier magistrat de Canso était et avait été à plusieurs reprises refusée par l’Assemblée ». À ce stade, Legge appuyait Binney, fonctionnaire « serviable et nécessaire », opinion qui allait se modifier à mesure que le gouverneur finirait par s’opposer à la vieille faction de Francklin à laquelle Binney appartenait de toute évidence. À la suite d’une vérification des livres mal tenus de la province, commencée à la fin de 1774, Legge et ses principaux conseillers juridiques, dont James Monk*, décidèrent d’engager des poursuites contre ceux qui avaient des comptes arriérés avec le trésor. Binney et son beau-frère John Newton furent donc leurs premières grandes cibles. En agissant ainsi, Legge ne distingua que la partie visible d’un grand iceberg d’abus fiscaux car, pour être juste à l’égard de Binney, il faut préciser que son cas n’était qu’un simple exemple de la corruption qui sévissait. Binney accomplissait un travail qui lui donnait droit à une rémunération ; sa principale infraction fut une erreur politique, celle de se rétribuer « sans mandat du gouverneur et contrairement à l’avis de la législature ». Néanmoins, lui et Newton furent arrêtés et traités comme des criminels, puis conduits à la prison de Halifax en mars 1775.
Un jury spécialement sélectionné par Legge – il comprenait même un membre du comité qui avait procédé à la vérification – déclara en présence du gouverneur que Binney était redevable d’une somme de £445 16 shillings 3 pence plus les frais. Refusant de payer, Binney fut amené en prison et y demeura du 4 mai au 14 juillet avec sa femme et ses enfants. Il n’est pas évident que l’attitude récalcitrante de Binney, qui lui valut d’être emprisonné avec sa famille, fit partie d’une tentative délibérée de poser au martyr face à la tyrannie de Legge, mais cela paraît plausible. De toute façon, Legge commit une sérieuse gaffe en incarcérant la famille. Binney, écrivait John Butler*, « gagna la faveur de tous les gentlemen de la ville, et le commandant des troupes alla le voir avec tous ses officiers ». À la demande spéciale de la législature qui était en train de s’unir contre le gouverneur, Binney recouvra sa liberté. D’après Legge, « l’affaire de M. Binney fut comparée à celle de M. [John Wilkes] et, afin d’entretenir l’esprit de malveillance, les députés se déplacèrent chaque jour pour lui rendre visite jusqu’à ce qu’ils eussent adopté, par scrutin public, toutes leurs pétitions ». L’affaire, malgré son côté burlesque, eut de graves répercussions pour le gouverneur.
En 1775, l’Assemblée appuya les adversaires de Legge au lieu de continuer à le soutenir. L’emprisonnement de Binney fut-il la cause ou le prétexte de cette volte-face stupéfiante ? On ne le saura probablement jamais. Quoi qu’il en soit, les « souffrances » de Binney constituaient une partie importante de l’action intentée contre Legge, que la victime présenta personnellement et avec succès devant le Board of Trade à Londres. En l’absence de Binney, l’Assemblée radia obligeamment sa dette. Toujours au centre des controverses, Binney se trouva impliqué, à son retour d’Angleterre, dans une longue bataille juridique à propos d’une certaine clôture qu’il avait fait abattre à Canso, accusé en 1777 de commerce illicite avec les Américains et inculpé en 1784, pour avoir déclaré originaires de la Nouvelle-Écosse des pêcheurs de la Nouvelle-Angleterre afin de leur vendre des permis de pêche à Canso à 2 $ pièce. Il semble s’être retiré des affaires publiques au milieu des années 1780, bien qu’il ne mourût qu’en 1807, laissant ses biens à ses deux fils Stephen Hall et Hibbert Newton.
Jonathan Binney est un personnage typique de la première génération de marchands et d’hommes politiques de la Nouvelle-Angleterre venus s’installer en Nouvelle-Écosse. Si ses affaires donnèrent l’impression de toujours frôler le louche et l’illicite, c’est qu’en ce temps-là les belles manières ne permettaient pas, dans le rude climat des Maritimes, de réussir une carrière.
APC, MG 11, [CO 2171, Nova Scotia A, 69 : 41s. ; 94 : 58 ; 97 : 353 ; 101 ; 105 : 248 ; MG 23, A 1, 1 : 252–261, 693–697.— Halifax County Court of Probate (Halifax), B76 (inventaire des biens de Jonathan Binney).— PANS, MG 100, 111, no 13 ; RG 1, 44, docs.1, 39 : 222, docs.4, 49–52, 69–70 ; 284, doc.8.— [Nova Scotia archives, I :] Selections from the public documents of the province of Noua Scotia, T. B. Akins, édit., et Benjamin Curren, trad. (Halifax, 1869), 729.— Genealogy of the Binney family in the United States, C. J. F. Binney, compil. (Albany, N.Y., 1886).— Brebner, Neutral Yankees (1969), 65–67, 243–254.
J. M. Bumsted, « BINNEY, JONATHAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/binney_jonathan_5F.html.
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Auteur de l'article: | J. M. Bumsted |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
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