BIARD, PIERRE, prêtre, jésuite, missionnaire en Acadie, né à Grenoble en 1567 ou 1568, fils, présume-t-on, de Jean Biard, notaire royal et châtelain de Gières, près de Grenoble, et de Jeanne de Cluzel, admis au noviciat de la Compagnie de Jésus, le 3 juin 1583, au Collège de Tournon, décédé au noviciat d’Avignon, le 17 novembre 1622.
Après son noviciat et ses études littéraires, il enseigna à Billom, étudia la philosophie et la théologie à Avignon et fut ordonné prêtre en 1599. Les années suivantes, il enseigna la théologie à Tournon, puis au Collegede Lyon, d’où il partit, en août ou septembre 1608, pour attendre à Bordeaux l’occasion de passer au Canada. Il dut patienter jusqu’à septembre 1610, moment où le provincial des Jésuites de Paris l’appela dans cette ville pour l’envoyer, accompagné du père Énemond Massé, à Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.), sur le navire de Charles de Biencourt, fils de Jean de Biencourt, dit Poutrincourt. Arrivés à Dieppe vers la fin d’octobre 1610, les deux missionnaires se heurtèrent à l’opposition de deux marchands calvinistes, qui gréaient le vaisseau [V. Charles de Biencourt]. Mais, avec générosité, Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, résolut la difficulté en payant la cargaison au prix de 4 000#. La grande dame y mit cependant pour condition que les missionnaires seraient associés à Poutrincourt et auraient pour leur part la moitié des revenus de l’expédition. Le contrat fut passé le 20 janvier 1611. Le but de la marquise était de former ce qu’on appelait une fondation pour l’entretien des missionnaires. Le capital, recouvré au retour du navire par la vente des marchandises, devait être réinvesti dans l’expédition suivante, tandis que la moitié des profits revenant aux jésuites servirait à payer leur entretien. Mais cette moitié elle-même était hypothéquée dès le principe, puisque les missionnaires partageaient indistinctement toutes les dépenses, non seulement celles de l’expédition commerciale, profitable également à eux et à Poutrincourt, mais encore tout l’entretien de la Colonie de Port-Royal, avantageuse au seul gentilhomme.
Parti de Dieppe le 26 janvier 1611, le père Biard, après une longue et rude traversée de quatre mois, débarquait à Port-Royal le 22 mai. Cette même année 1611, il parcourut, en trois voyages, les côtes du Nouveau-Brunswick et du Maine, jusqu’à la rivière Kennebec, tâchant d’apaiser les querelles entre Français et d’inculquer aux Indiens les premières notions du christianisme. Il encourut la rancune de Biencourt en décidant de ne baptiser les Indiens qu’après avoir pu les instruire, voyant que ceux qui étaient déjà chrétiens gardaient toutes leurs coutumes païennes. Or Biencourt comptait justement sur le nombre des baptêmes effectués par l’abbé Fléché pour faire sa propagande en Europe et obtenir des fonds [V. Jean de Biencourt]. De plus, le père Biard, incapable d’apprendre les langues indiennes à Port-Royal, projeta d’aller demander l’aide du jeune Robert Gravé Du Pont, concurrent de Biencourt. Ce dernier en conçut du dépit et refusa de laisser partir le missionnaire. Ainsi paralysé, le jésuite, avec les autres, affronta l’hiver de 1611–1612 et toutes ses misères, compliquées encore par le manque de vivres.
Entre-temps, Poutrincourt, retourné en France, avait liquidé la cargaison du voyage précédent. En conséquence de son administration, il ne restait plus, ni à lui, ni aux missionnaires, un seul denier à mettre dans une nouvelle expédition. Mise en défiance, la marquise de Guercheville consentit pourtant à faire en entier les frais d’une nouvelle cargaison, 3 000#, et elle passa en son propre nom, non plus en celui des Jésuites, un contrat d’association avec le maître de Port-Royal. Elle se faisait en même temps donner par le sieur Du Gua de Monts toute la côte américaine de l’Atlantique, Port-Royal seul excepté. Ces nouvelles parvinrent à Biencourt en même temps que le ravitaillement, à la fin de janvier 1612, et fomentèrent encore son aversion pour le père Biard, responsable à ses yeux de ce qu’on avait usurpé ses droits sur la Nouvelle-France.
Sur le navire arrivèrent l’agent de Poutrincourt, Simon Imbert et le frère jésuite Gilbert Du Thet. Imbert accusa Du Thet de propos régicides [V. Du Thet]. La fausseté de l’imputation fut démontrée, mais Biencourt refusa de rendre la justice réclamée par le père Biard et il empêcha le frère de retourner en France pour se défendre. Le père Biard s’embarqua lui-même en cachette, comme il en avait d’ailleurs le plein droit. Biencourt lui fit violence pour le retenir à Port-Royal et encourut de ce fait les sanctions prévues dans le droit canonique. Prisonnier de Biencourt, le père Biard considéra la Colonie comme excommuniée. Il y eut cependant réconciliation après trois mois, mais les missionnaires, honnis par les Français, discrédités auprès des Indiens, ne pouvaient plus avancer en rien l’évangélisation. L’hiver de 1612–1613 allait se passer à chercher les moyens de survivre, en attendant qu’on vînt au secours. [V. Charles de Biencourt.]
Le premier voyage de la société Guercheville-Poutrincourt ne semble pas avoir été un succès financier. L’agent de la marquise à Dieppe fit saisir le navire à son arrivée et la liquidation se fit sous contrôle judiciaire. Poutrincourt se trouva de nouveau sans argent. La marquise, inquiète du sort des missionnaires, qui n’avaient pu envoyer aucune lettre en France, fit offrir au gentilhomme par son agent René Le Coq de La Saussaye de renouveler l’association. Elle mettait 750# à sa disposition, mais elle exigeait qu’il en donnât autant. Le contrat fut passé le 17 août 1612, entre Poutrincourt et La Saussaye. Le chargement était terminé, vers le début d’octobre, quand le frère Du Thet arriva en France, racontant les mauvais traitements infligés aux jésuites. C’est alors que la grande dame décida de rompre avec Poutrincourt et de préparer une expédition vers un autre lieu de la Nouvelle-France, sous la conduite de La Saussaye. Ce dernier vint prendre les pères Biard et Massé à Port-Royal, en mai 1613, et s’en alla fonder Saint-Sauveur. [V. Charles de Biencourt.] Là, dissensions entre les Français, qui retardèrent les constructions. Samuel Argall, capitaine virginien, s’empara du navire et du fort commencé, le 2 juillet 1613. Le père Biard, avec le père Jacques Quentin, venu récemment de France, fut conduit à Jamestown et évita de justesse la potence. Ramené en Acadie, il échappa aussi à la haine de Biencourt, puis, retournant en Virginie avec la perspective d’être pendu, il fut poussé par la tempête à travers l’océan et il aborda finalement en France, en avril 1614. [V. Argall et Charles de Biencourt.] Retourné dans sa province, celle de Lyon, il y fut employé aux missions populaires, aux controverses avec les calvinistes et comme aumônier militaire jusqu’à sa mort. Vers 1620, il écrivait une Apologie pour se défendre des insinuations de Lescarbot, dans la réédition de l’Histoire de la Nouvelle-France, en 1618. Cette Apologie, restée manuscrite, est perdue. On retrouvera dans les œuvres citées plus bas les écrits du père Biard, qui sont d’un grand intérêt pour l’histoire du Canada et l’ethnologie indienne.
BM, Cotton, MS Otho E. VIII, 84, ff.252–253.— Factum (1614). —JR (Thwaites), I-IV, comprenant la Relation de Biard de 1616 (III : 21–283 ; IV : 7–117).— Lescarbot, Histoire (Grant), III : 46–72.— Purchas, Pilgrimes (1905–07), XIX : 213–216.— On trouvera toutes les sources à ce sujet dans un premier volume, en préparation, des Monumenta Novae Franciae, qui paraîtront dans la Collection Monumenta historica Societatis Iesu, publiée à Rome.— Biggar, Early trading companies, 261–270.— The encyclopedia of Canada, ed. W. S. Wallace (6 vol., Toronto, 1935–37), 1 : 222.— Huguet, Poutrincourt, passim.— Le Jeune, Dictionnaire, I : 166–169.— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIle siècle, I : 22–84.— Pierre de Saint-Olive, Les Dauphinois au Canada, extrait du Bulletin de l’Académie delphinale, (1935), 16s. ; Les Dauphinois au Canada : essai de catalogue des Dauphinois qui ont Pris part à l’établissement du Régime français au Canada, suivi d’une étude sur un Dauphinois canadien : Antoine Pécody de Contrecœur (Paris, 1936).
Lucien Campeau, « BIARD, PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/biard_pierre_1F.html.
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Auteur de l'article: | Lucien Campeau |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
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