BABY, dit Dupéront (Dupéron, Duperron), JACQUES, trafiquant de fourrures et employé du département des Affaires indiennes, baptisé le 4 janvier 1731 à Montréal, fils de Raymond Baby et de Thérèse Le Comte Dupré ; il épousa vers le 23 novembre 1760, à Détroit, Susanne Réaume (Rhéaume), dit La Croix, et 11 de leurs 22 enfants parvinrent à l’âge adulte ; décédé vers le 2 août 1789, à Détroit.

Rejeton de la noblesse ruinée du sud de la France, Jacques Baby de Ranville, le grand-père de Jacques Baby, dit Dupéront, fut sergent dans le régiment de Carignan-Salières, se maria au Canada et s’y établit comme marchand de campagne et fermier. Le fils de Ranville, Raymond, partit pour l’Ouest avec les convois de trafiquants de fourrures, dès l’âge de 15 ans. En 1721, il épousa Thérèse Le Comte Dupré, jeune fille appartenant à une famille de Montréal qui, bien que de condition seigneuriale, était profondément engagée dans la traite des fourrures. Aussi leur fils Jacques Baby, dit Dupéront, continua-t-il la tradition familiale, si révélatrice de la mentalité des seigneurs de l’époque, de se réclamer de la noblesse et de participer activement à la traite des fourrures, tout en résidant à Montréal.

On ignore quand Dupéront partit la première fois pour l’Ouest ; mais, en 1753, il était trafiquant et agent auprès des Indiens à Chiningué (Logstown, maintenant Ambridge, Pennsylvanie). Pendant la guerre de Sept Ans, il trafiqua dans l’Ouest avec son frère aîné Louis et son cadet Antoine, et tous trois servirent dans la vallée de l’Ohio aux côtés des Indiens alliés de la France. Un quatrième frère, François*, gérait à Montréal les affaires d’Antoine et de Jacques, à titre de partenaire dans une association qui allait durer jusqu’à la mort d’Antoine, en 1765. Après la chute du Canada, en 1760, Dupéront refusa de prêter le serment d’allégeance à George III ; parce qu’il appartenait, selon le colonel Henry Bouquet, « à une famille connue pour [son] influence sur les Indiens », on l’empêcha de faire la tournée des postes de l’Ouest pour y recouvrer l’argent qui lui était dû, avant son retour à Montréal. Sa situation de patriote français amena son arrestation et un bref d’emprisonnement, à Détroit, sous une accusation sans fondement d’avoir comploté avec les Indiens contre les forces d’occupation britanniques.

L’idée de Dupéront était de quitter le Canada pour la France et de rejoindre son frère François, qui avait été envoyé en Angleterre comme prisonnier de guerre. Mais, à son arrivée à Montréal, à l’automne de 1761, Jacques apprit que François était en train de déménager à Londres leurs opérations commerciales de La Rochelle et de Bordeaux, et que leurs correspondants français procédaient au transfert des encaisses et fournissaient les lettres d’introduction nécessaires. Dupéront découvrit aussi qu’il pouvait vendre avantageusement ses fourrures à Montréal et que les perspectives commerciales étaient bonnes. En conséquence, il retourna avec sa femme à Détroit, base de ses opérations, probablement à l’automne de 1762.

Comme Dupéront avait obtenu la permission de retourner dans l’Ouest. on peut présumer qu’il avait prêté à Montréal le serment d’allégeance. Il établit clairement sa nouvelle prise de position pendant le soulèvement de Pondiac* en ravitaillant d’abord la garnison britannique assiégée à Détroit et, par la suite, en s’y joignant ouvertement. En 1777, il fut nommé capitaine et interprête au département des Affaires indiennes, dont il fut en 1779 commissaire intérimaire. Ce dernier poste aurait dû, semble-t-il, lui valoir des avantages commerciaux ; cependant, l’aide de camp du gouverneur Haldimand, Dietrich Brehm, affirmait, dans une lettre adressée de Détroit à son supérieur, que « M. Baby n’est pas capable maintenant de porter attention à ses propres affaires de traite, étant pris entièrement par la direction des Indiens », et que, par conséquent, il devrait toucher un salaire supérieur à celui du « commun des interprètes ».

Dupéront perdit beaucoup par suite du discrédit dans lequel tomba la monnaie de papier du Canada après la Conquête. On trouve dans ses lettres à son frère François le reflet de la conjoncture commerciale difficile des décennies qui suivirent. Il note la prolifération des trafiquants après 1765 (en prédisant justement que « la confusion se dissepara[it] par la ruine du plus grand nombre »), un glissement dans le marché, la demande allant aux fourrures de luxe plus qu’au castor, la concurrence accrue des trafiquants d’Albany et de New York qui, écrit-il, « donne[nt] icy [leurs marchandises] a presque aussi Bas prix que nous acheptons a quebec », et la détérioration de la traite, surtout après la Révolution américaine. Pour la première fois, en 1772, il reçut moins de fourrures qu’il n’en avait prévu.

Mais Dupéront survécut à ces difficultés et prospéra. En fait, ses expéditions de marchandises de traite furent, en 1785, les plus importantes de sa carrière, atteignant la valeur de £5 000. Sans aucun doute, c’était un robuste trafiquant, admiré par les Indiens, exigeant sur la qualité de ses marchandises ; il insistait, chaque année, sur l’arrivée hâtive des convois et avait sur ses concurrents l’avantage de la résidence. Très tôt, il diversifia ses opérations en exploitant des terres. Outre ses achats, il avait reçu plusieurs concessions des tribus indiennes. En 1789, il possédait 1440 acres de terre en valeur, avec deux moulins à eau, sur le côté américain de la rivière Détroit, et 720 acres sur le côté britannique. Il était aussi propriétaire d’une immense réserve de bois au nord-ouest du lac Sainte-Claire, que lui avaient donnée les Sauteux. La valeur de ses biens, à sa mort, ne peut être fixée avec certitude ; son testament défendait à ses enfants d’ennuyer leur mère avec des demandes d’inventaire. Quand elle autorisa un tel inventaire, en 1800, les biens se chiffraient à £24 570 environ, et la plus grande partie était placée chez Alexander Ellice*, à Londres. Cet argent avait d’abord été placé à New York, par Dupéront lui-même ou par ses héritiers, ce qui porte à penser que Dupéront entretint peut-être des relations commerciales dans cette ville au cours de ses dernières années. C’est son fils James* (Jacques Duperron) qui, en 1793, avait retiré ces placements américains et les avait transférés à Londres.

À sa mort, Dupéront avait 58 ans ; il était borgne, usé par la vie rude des pionniers, mais il n’était pas encore un vieillard. Il ne vécut pas assez pour profiter des charges honorables auxquelles il fut nommé : juge de paix en 1784, lieutenant-colonel de la milice de Détroit en 1787, membre du conseil des terres du district de Hesse en 1788. Sa correspondance et ses gestes laissent entrevoir un homme direct, impulsif et possédant la ténacité à toute épreuve du fils de ses œuvres. Ses lettres contiennent plusieurs dénonciations tonitruantes de ses concurrents, mais elles témoignent aussi de la chaleur et de la jovialité de sa personnalité débordante de générosité. Ses contemporains, certainement, l’admirèrent. « Le pauvre Baby est mort à Détroit au début du mois d’août, regretté de tous », écrivait le trafiquant de fourrures John Richardson*. « Il ne laisse, derrière lui, aucun Français de sa trempe. »

Dale Miquelon

ANQ-M, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 4 janv. 1731.— ANQ-Q, Greffe de J.-B. Planté, 8, 12 nov., 20 déc. 1800 (nos 2 536–2 541).— APC, MG 18, I5, 1, pp.274, 887, 1 052 ; 2, pp.8, 44, 362 ; 5/1, p.7 ; 5/2, pp.8, 350, 352 ; 6, p.124 ; MG 23, GIII, 7, John Richardson letters, Richardson à Porteous, 23 sept. 1789 ; RG 4, B28, 115.— ASQ, Fonds H.-R. Casgrain, Sér. O, 0423 ; 0475 ; 0476.— AUM, P 58.— BL, Add. mss 21 638, pp.250, 253, 260, 268, 312 ; 21 653, p.73 ; 21 759, p.93 (copies aux APC).— PAO, Baby papers, commissions, 1777, 1784, 1787 ; livre de comptes, 1788–1791 ; Potawatomie land grant.— PRO, CO 42/37, p.46 (copie aux APC).— La Gazette de Québec, 2 avril, 29 août, 10 sept. 1789.— Lefebvre, Engagements pour l’Ouest, ANQ Rapport, 1946–1947.— Massicotte, Répertoire des engagements pour l’Ouest, ANQ Rapport, 19311932, 19321933. [P.-] P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Baby et Perrault du Canada (Québec, 18981899). [François Daniel], Nos gloires nationales ; ou, histoire des principales familles du Canada [...] (2 vol., Montréal, 1867). D. B. Miquelon, The Baby family in the trade of Canada, 17501820 (thèse de m.a., Carleton University, Ottawa [1966]). Peckham, Pontiac. P. J. Robinson, Toronto during the French régime [...] (Toronto et Chicago, 1933).— P.-G. Roy, La famille Le Compte Dupré (Lévis, Québec, 1941).

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Dale Miquelon, « BABY, dit Dupéront (Dupéron, Duperron), JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/baby_jacques_4F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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