WIDDER, FREDERICK, fonctionnaire de la Canada Company, né en Angleterre en 1801, décédé à Montréal, Bas-Canada, le 1er février 1865.

Charles Ignatius, le père de Frederick Widder, était l’un des administrateurs londoniens de la Canada Company, société britannique intéressée aux opérations foncières et à la colonisation. Lorsqu’on envoya Frederick Widder au Haut-Canada en 1839 se joindre aux deux commissaires résidants, William Allan* et Thomas Mercer Jones, ce fut probablement en vue de le préparer à prendre le poste d’Ahan, qui n’inspirait plus confiance en raison de son âge avancé et des rapports qu’il entretenait avec les membres du « Family Compact ». Jones était à peine moins vulnérable à la critique des réformistes : gendre de l’archidiacre John Strachan, il adoptait des attitudes de grand seigneur dans ses relations sociales et dans l’exécution de son travail à Goderich, où il était chargé par la compagnie de gérer le million d’acres que comptaient les terrains de la région appelée Huron Tract. Au cours des années 30, William Allan, installé à Toronto, s’était graduellement désintéressé des autres vastes propriétés de la compagnie, à savoir les anciennes « réserves » de la couronne disséminées par tout le Haut-Canada. Il parut évident à Widder que les opérations concernant la Huron Tract et les réserves de la couronne devaient être menées de façon coordonnée. Devant le mécontentement général suscité par l’administration provinciale, surtout dans le domaine de la gestion des terrains, la Canada Company dut mettre de l’ordre dans sa propre administration afin de prévenir les critiques qui pouvaient être formulées à son endroit.

Entreprenant, efficace et modéré, Frederick Widder réunissait les qualités tant appréciées par le gouverneur général Charles Poulett Thomson* – plus tard, lord Sydenham – arrivé au Canada comme lui en 1839. Même s’il évita de se lier à un parti ou à un gouvernement, Widder approuvait la façon de gouverner de Sydenham. Il montra de remarquables talents d’administrateur, prit conseil de gens modérés et se fit connaître pour son hospitalité et son amabilité ; il s’assura ainsi le respect des principaux hommes d’affaires et des leaders du gouvernement. Des entrepreneurs tels que William Hamilton Merritt, des gouverneurs comme Sydenham et sir Charles Metcalfe*, de même que les hauts fonctionnaires du bureau des Terres de la couronne admiraient son esprit d’entreprise et enviaient ses succès dans la vente des terrains. Il fut un membre actif de la St George’s Society et il s’occupa de la dotation de son église en qualité de vice-président laïque de la Church Society du diocèse anglican. En parvenant à une telle notoriété, il ne tarda pas à supplanter Allan et à éclipser Jones qui s’empêtrait dans les affaires politiques de la région de Goderich. Les méthodes de Widder avaient la faveur du conseil d’administration de la compagnie.

Ce furent les efforts de Frederick Widder, dans une large mesure, qui valurent à la Canada Company d’éviter tout reproche lors de l’examen général de l’administration publique entrepris par sir George Arthur* et poursuivi par Thomson. En 1841, Allan avait été écarté et Widder avait la même liberté d’action que le premier commissaire de la compagnie, John Galt*, dont il remit même en honneur certaines pratiques. En outre, il devança Clifford Sifton* à plusieurs égards dans le domaine de la publicité faite en vue d’attirer des immigrants au Canada. Il remit en circulation le prospectus que la compagnie imprimait et distribuait dans tout le Canada et la Grande-Bretagne. On diffusa largement, au prix coûtant ou gratuitement, des livres et des brochures, parmi lesquels une nouvelle édition de l’ouvrage rédigé en 1832 par le docteur William « Tiger » Dunlop*, Statistical sketches of Upper Canada [...], et trois brochures écrites par John James Edmonstoune Linton, de Stratford, dans les années 40. Par l’intermédiaire d’importantes sociétés de commerce et de transport maritime, des agences furent ouvertes dans 27 ports et centres ruraux de la Grande-Bretagne.

Cependant, Widder n ;. partageait pas le désir pressant que Galt avait exprimé d’ignorer les travailleurs démunis au profit de « personnes fortunées et respectables » provenant des régions agricoles de l’Angleterre. À l’affût de ventes qui feraient contrepoids aux accusations de spéculation indue et désireux d’empêcher la formation de nouvelles cliques comme celle des riches gentlemen-farmers du canton de Colborne, près de Goderich, il était disposé à accueillir des immigrants moins instruits ou moins expérimentés dans l’exploitation agricole. Il recruta également des immigrants déjà installés au Canada. En 1842, on fit distribuer le prospectus de la compagnie par tous les maîtres de poste de la province ; on envoya des affiches aux seigneuries du Bas-Canada et on entra en contact avec des agents écossais des Maritimes. Avec la montée en flèche des ventes de terrains qui se produisit dans les années 50, plus de lots furent acquis par des colons déjà établis au pays que par les immigrants britanniques auxquels on avait traditionnellement recours.

En 1843, Widder visita la communauté allemande de New York et fut impressionné par l’habileté des fermiers et leurs ressources financières. Il persuada les administrateurs de la compagnie d’employer un agent, William Rischmuller, afin d’inciter ces gens, aux États-Unis et en Allemagne, à venir s’installer dans la Huron Tract. De plus, il nomma James Buchanan agent à New York et il chargea les consulats britanniques en Europe ainsi que les agences maritimes à Brême (République fédérale allemande) et au Havre en France de faire venir au pays des immigrants du continent. Même si Rischmuller faillit à ses engagements, Widder poursuivit ses efforts et, en 1850, à la veille d’une immigration allemande de grande envergure, il ouvrit à Québec une agence à l’intention des personnes de cette nationalité. À la suite de cette initiative, une communauté allemande de plus en plus nombreuse s’établit dans la Huron Tract. Durant les années 40 et 50, les administrateurs de la compagnie exerçaient une surveillance moins étroite sur les opérations effectuées au Canada : ils acceptaient généralement les décisions de Widder et approuvaient ses méthodes.

Widder introduisit plusieurs réformes importantes dans la façon d’effectuer les transactions financières. En 1842, il remarqua que la plupart des acheteurs ou locataires se préoccupaient moins de la valeur réelle des terrains que des conditions favorables qui leur étaient faites quant aux versements initiaux. Il instaura donc dans la Huron Tract un régime de paiement par versements échelonnés sur une période plus longue et il offrit aux nouveaux venus la possibilité de s’établir d’abord comme simples locataires. Avant de fixer le prix des terrains, Widder examinait soigneusement les anciens levés et le registre des transactions, et il consultait les « colons installés de longue date et bien informés ». Il réussit à réduire les coûts d’inspection et d’évaluation, puis il fit preuve d’un esprit inventif dans sa façon d’aborder le délicat problème de la perception. Il établit un barème détaillé où le prix des céréales sur le marché international servait d’indice de la situation économique du Canada : on ne pressait les fermiers de verser leurs redevances que si les conditions du marché étaient favorables, évitant ainsi de s’attirer des critiques malveillantes en période de récession. Cette expérience connut un tel succès dans la Huron Tract qu’elle fut étendue aux autres concessions de la compagnie en 1843.

Une autre importante initiative de Widder fut la création en 1842 de la Settlers Provident Savings Bank, qui offrait des conditions fort avantageuses et des services plus accessibles. Pour gagner la faveur des immigrants prospères, on mit gratuitement à la disposition des colons des facilités de change et d’envoi de fonds en Grande-Bretagne et, par l’entremise des Rothschild à Québec, après 1850 en Allemagne. Un grand nombre de ces services étaient groupés dans la Huron Tract où, malgré le fossé qui le séparait de Jones, Widder pouvait compter sur la collaboration d’un nouvel employé de la compagnie, son jeune frère Charles.

En 1844, Widder fit une ambitieuse proposition au gouverneur Metcalfe : la Canada Company allait se charger, moyennant une commission, d’administrer les terres de la province, à commencer par les « réserves » du clergé. L’évêque Strachan, qui avait demandé au gouvernement d’accorder à l’Église d’Angleterre la gestion de sa part de ces réserves, saisit l’occasion pour discréditer Widder et la compagnie et rehausser le prestige de Jones auprès des administrateurs. Dans une série de lettres ouvertes, acerbes et anonymes, il blâma Widder et réprouva toute sa carrière de fonctionnaire de la compagnie. Le gouverneur Metcalfe rejeta l’offre audacieuse de Widder en indiquant qu’il la trouvait « digne d’attention » mais qu’elle prêtait à des « critiques irréfutables ». Widder abandonna ce projet pour s’intéresser au développement ferroviaire. Le conseil d’administration, ayant reçu de lui l’assurance que les ventes de terrains allaient augmenter, consentit sans se faire prier à devenir l’agent britannique de la vente des actions dans un chemin de fer devant relier Toronto à Goderich. Widder combattit avec succès un groupe d’opposants, comprenant Jones, le clan du canton de Colborne ainsi que des promoteurs américains, qui appuyaient la construction d’une ligne rivale entre Buffalo, dans l’état de New York, et Goderich. Après que Jones eut donné sa démission en 1852 en raison de sa prise de position concernant le chemin de fer, Widder put réaliser son ambition de prendre en main, à Toronto, les opérations menées par la compagnie dans toute la province. C’est ainsi que la Canada Company fut en mesure de participer au développement des entreprises ferroviaires des années 50 et d’en tirer des bénéfices immédiats.

La réussite de Widder se traduisait dans sa manière de vivre. Selon John Ross Robertson*, le salon de l’imposante demeure, nommée « Lyndhurst », qu’il possédait sur la rue Front à Toronto fut un prestigieux « centre de réunions sociales depuis le milieu des années 40 jusqu’au début des années 60 ». Deux de ses filles épousèrent d’éminents officiers prussien et anglais. Il avait perdu un fils et une fille en 1849.

Le travail et le succès n’avaient apparemment guère laissé de repos à Frederick Widder. Au commencement des années 60, il vit décliner sa santé, en même temps que celle de sa femme, Elizabeth Jane. Par ailleurs, la manière autoritaire avec laquelle il dirigeait les affaires de la compagnie était contestée. En 1864, la démission qu’il avait présentée pour raison de santé fut acceptée. Sa résidence fut vendue et devint la maison mère de l’Abbaye de Lorette. Les Widder entreprirent le voyage de retour en Angleterre où ils avaient l’intention de finir leurs jours. Mme Widder mourut en cours de route à Montréal, en novembre 1864. Quelque deux mois plus tard, une attaque de paralysie emporta son époux.

Alan Wilson

PAO, Canada Company papers ; Merritt (William Hamilton) papers ; Strachan (John) papers.— Aliquis [John Strachan], Observations on the history and recent proceedings of the Canada Company ; addressed in four letters to Frederick Widder, esq., one of the commissioners (Hamilton, Ont., 1845).— Gates, Land policies of U.C.— H. J. M. Johnston, Transportation and the development of the eastern section of the Huron Tract, 1828–1858 (thèse de m.a., University of Western Ontario, London, 1965).— C. G. Karr, The foundations of the Canada Land Company, 1823–1843 (thèse de m.a., University of Western Ontario, 1966).— Robina et K. M. Lizars, In the days of the Canada Company : the story of the settlement of the Huron Tract and a view of the social life of the period, 1825–1850 (Toronto et Montréal, 1896).— Robertson’s landmarks of Toronto, V.— Wilson, Clergy reserves of U.C.— G. C. Patterson, Land settlement in Upper Canada, 1783–1840, Ont., Dept. of Archives, Report (Toronto), 1920.

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Alan Wilson, « WIDDER, FREDERICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/widder_frederick_9F.html.

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Auteur de l'article:    Alan Wilson
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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1977
Année de la révision:    1977
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